Evanescente

Ode

Le personnage de Daisy dans le roman Gatsby le magnifique, est un de mes préférés , il m'a inspiré ce texte.

Des nuages roses bordent le ciel du village français.

Daisy, accoudée à sa fenêtre, ferme les yeux, ses longs cils noirs effleurant sa peau. La quadragénaire aime sentir l'odeur des embruns que le souffle du vent amène et qui caresse son pâle visage.

Après avoir quitté les États-Unis et la fiévreuse ville de New-York, elle et son mari ont vagabondé d'États en États pour finalement venir s'installer il y a trois ans, dans une commune du sud : Saint-Raphaël.

Ici la vie est plus douce, plus calme aussi.

On est loin des fêtes enivrantes de chez Gatsby ou des cocktails en bord de piscine, tandis qu'un soleil chaud darde ses rayons sur des peaux brûlantes.

Daisy soupire, s'étire et s'éloigne de la vitre pour s'affaler sur le long canapé blanc, trônant majestueux, dans le salon, face à la cheminée en marbre.

La brise marine fait voleter les rideaux couleur ivoire autour des fenêtres. La maison à la façade de briques roses est silencieuse. On peut entendre le bruit des vagues qui s'écrasent sur les rochers à quelques pas de là.

D'un battement de pied, Daisy envoie valser ses sandales. Toute alanguie, elle éprouve un sentiment agréable de nostalgie. Sa jeunesse a était des plus fastueuses, des idylles romantiques, un grand amour aux yeux clairs et un pompeux mariage avec Tom Buchanan.

Puis il y avait eu l'été à New-York… Gatsby… le drame.

Penser à tout ça l'irrite. Voulant chasser ses réflexions elle secoue ses cheveux blonds qui retombent comme des fils dorés sur ses épaules. Elle tend une main scintillante de bagues vers le téléphone posé sur le guéridon près du canapé, afin de joindre son amie Jordan. Alors qu'elle tient le combiné, elle renonce à cet appel et raccroche. Elle ne souhaite pas entendre la golfeuse raconter, telles de passionnantes expériences, ses multiples liaisons.

Le premier et ultime mariage de Jordan n'a duré que deux ans et s'est soldé par un échec lorsque son époux a éprouvé l'envie d'être père alors que Jordan n'avait aucunement l'intention de s'encombrer à vie d'un petit être vagissant.

Daisy aurait plus volontiers appelait sa fille Pamy, mais cette dernière qui est interne dans une prestigieuse université a pris ses distances envers ses parents.

Elle leur reproche avec un air navré et légèrement hautain (du moins de l'avis de Daisy) de n'être que des géniteurs et pas des parents, encore moins des adultes responsables. Hélas, Pamy n'est pas comme sa mère l'aurait souhaité, une ravissante idiote.

Daisy dans un geste alangui se lève du canapé, fait quelques pas qui résonnent lugubrement sur le sol carrelé de la pièce. Elle s'approche du vaste bar en bois à l'autre bout du salon et se sert un scotch auquel elle rajoute des glaçons. Elle y trempe ses lèvres rouges. La trace reste sur le verre glacé.

Après sa brève, mais intense liaison avec Gatsby et sa fuite (comment appeler ça autrement) de New –York, Tom a cessé sa collection de maitresses, il s'est même montré tendre, prévenant et amoureux. Lui aussi, a semblé marqué par cette fatale journée où le soleil brûlé les âmes et où l'alcool exacerbé les sentiments.

Mais ce bonheur factice n'a duré qu'un temps.

Au bout de quelques mois, Tom avait de nouvelles aventures qui l'entraînaient dans des bars où la fumée de cigarette faisait office de brume et des hôtels luxueux où il s'enroulait dans des draps de soie.

Lorsque les époux Buchanan ont déserté Long Island, Daisy avait conscience que Gatbsy l'attendait, l'espérait et, qu'elle l'abandonnait sans un mot après lui avoir tant promis par des gestes et regards. Son cœur en souffrait, son âme également, mais elle ne pouvait se résoudre à tout quitter pour lui, elle ne pensait pas à Tom, mais à la force du quotidien, à la sécurité, l'argent.

Parfois, quand le sommeil ne vient pas et que les nuits paraissent plus sombres que d'habitude, Daisy regrette sa décision ; lorsque Tom détourne son regard d'elle aussi. En fait, son choix est la plupart du temps une source de déception.

Quand le ciel d'un bleu limpide lui fait penser à la plage privée de son ancien amant, elle aime à s'inventer une nouvelle vie qui commence par « et si.. ».

Un soupir s'échappe tel un vague souvenir des lèvres de la jeune femme.

Mais Gatsby est mort, une balle en plein cœur, son corps s'enfonçant dans une piscine. Daisy retient un sanglot. Sur quoi pleure-t-elle ? La disparition de son premier amour ? Sur elle et son insipide vie ? Elle l'ignore.

Ce qui est certain, c'est que pas une larme, pas un souvenir ne sont pour Mirttle Wilson. D'ailleurs, notre diaphane héroïne ne sait pas même qui est cette femme. Pourtant Daisy l'a tué lors de ce jour où tout a basculé, un banal, mais horrible accident de voiture. Et Gatsby en est mort par ricochet.

Daisy descend les quelques marches de son perron menant au jardin luxuriant, où une odeur douçâtre de fleurs écloses jaillit de toutes part. Elle marche le long des allées aux larges haies de buis, taillées méticuleusement. De ses doigts elle effleure les feuilles vertes. Au loin, il lui semble apercevoir une silhouette en costume et cravate avec un ridicule petit chapeau de paille. Elle croit reconnaître son cousin Nick. Elle ne l'a pas vu depuis cette après-midi à l'hôtel, alors qu'elle devait quitter Tom pour Gastby, mais où tout s'était enchaîné de manière brutale pour finalement aboutir à l'accident de voiture et sa réconciliation avec son mari. Ce dernier n'a jamais su que c'est elle qui conduisait le véhicule qui avait tué sa maîtresse, il avait toujours cru que c'était Gatsby le responsable.

Daisy s'approche de l'ombre qu'elle pense être Nick, mais ce n'est qu'un épouvantail de décoration. Notre héroïne se gourmande : de toute manière, jamais Nick ne viendra lui rendre visite. Suite à la disparition de Gatsby, il a rompu tout contact avec elle et Tom. Elle a eu de ses nouvelles quelques mois auparavant par une lointaine tante.

Nick ne s'est pas marié, il habite seul dans une petite ville du nord des États-Unis. Il ne travaille plus dans la bourse et écrit des romans, qui, tirés en peu d'exemplaires, se vendent mal. Il sort peu, mais boit beaucoup. Son cousin vit dans le souvenir du magnifique Gatsby, de ses fêtes, son sourire, son optimisme. Bien qu'il n'ait fait aucun reproche à Daisy, cette dernière le soupçonne de savoir la vérité concernant l'accident de voiture. Il regrette sans doute aussi son absence lors de l'enterrement de son ami.

Mais qu'y faire ?

Daisy s'arrête devant le bleu scintillant de sa plage privé. Elle penche la tête en arrière et offre son cou fin et gracieux au soleil. Sous un palmier, un bar se tient à sa disposition, elle s'y sert un autre verre de scotch qu'elle vide d'un trait. Elle accompagne sa boisson de petites pilules blanches qu'elle garde précautionneusement dans une poche de sa longue robe ivoire.

Puis elle s'avance vers le bleu turquoise de la mer, jusqu'à avoir les pieds dans la mer.

—     Il disait que j'étais évanescente, murmure-t-elle au paysage.

Elle continue de s'avancer dans l'eau voulant jouer à « et si » et rejoindre Gatsby.

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