Extrait de "La femme puzzle"

Laurence Bomagella

Le puzzle représente une chrysalide

Renaissance

 

Été 1983. Je suis en train de m’interroger sur la nature de cette étrange expérience : j’ai l’impression de chuter dans un obscur puits sans fond. Le concept de Je n’a plus de sens. C’est une lente plongée vers un interminable inconnu. Pour décrire au plus juste ces instants, il faut oublier les repères sensoriels usuels. Il n’ y a plus de contours, de limite, de palpable, plus de connu, plus de temps, plus de corps. Que des questions, de l’obscurité, de l’espace et du silence.

Je n’ai pas peur. Je ne sais plus ce que je suis, qu’est ce que je suis, si je suis. Je ne comprends pas ce qui se passe. J’attends. J’attends je ne sais quoi.

Et puis… un murmure. Une voix lointaine, toute tordue. C’est la voix d’une femme, je crois. Enfin, je comprends. Elle parle d’un tube, un tube qui serait placé dans mes narines. Une main le retire. Aussitôt, je me sens mieux.

Salle de réveil. Hôpital Saint-André à Bordeaux. Une infirmière essaie de m’extraire de ces ténèbres.

Pareil au plongeur qui effectue sa lente remontée vers la lumière, je retrouve la conscience en respectant les paliers. Je reviens.

Sur le mur, face à moi, une pendule affiche ses contours tourmentés façon Montre molle de Dali. Je n’arrive pas à lire l’heure. Puis, je me souviens… Je n’ai plus le sexe des anges.

Jusque là j’étais nymphe. Me voici papillon. J’ai seize ans et demi. La chirurgie a réparé ce que la nature a omis de me donner.

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