Extrait de mon roman "Télépathie"
Sylvain Kornowski
Quelques mois plus tôt, au sein du cabinet de consultants Mac Connor et Connor...s, le direc-teur, Erwin Mac Connor reçut les chiffres du bilan annuel de son entreprise, il n'avait pas de soucis à se faire, le chiffre d'affaires était colos-sal, et son salaire, indexé à l'évolution financière du cabinet, connaîtrait une embellie pour le moins agréable ; ça lui permettrait de payer, sans se sentir tenu à la gorge, la pension de son ex femme ; le divorce ne s'était pas bien passé, elle avait engagé le meilleur avocat de la place de Paris qui avait réussi à obtenir une pension faramineuse pour sa salope de cliente ; désor-mais, elle bénéficiait d'une rente mensuelle qui lui permettait de passer ses courtes journées pa-resseuses à ne rien faire du tout, si ce n'est, de temps à autres, dévaliser un magasin de fringues à coups de cartes Gold ou American Express ; elle le détestait, et il la haïssait ; elle lui en vou-lait de l'avoir trompée, il lui en voulait d'avoir été si absente lorsqu'il avait besoin de son sou-tien, et pour le divorce aussi. Gloria avait connu Erwin lorsqu'il revenait de son MBA à Boston, bardé de compliments et de soutiens professo-raux ; elle achevait son dernier cycle d'études fi-nancières, à la grande fierté de son père, mais elle ne se rendit pas aux derniers examens qui validaient deux années d'études parce que l'homme de sa vie, celui qu'elle avait découvert comme un roi mage découvre un enfant divin, souffrait d'une pneumonie, contractée lors d'une virée avec son vieil ami, devenu associé, John Connor un irlandais bourrin et travailleur, dans le quartier rouge d'Amsterdam, derrière une vitrine mal ou pas calfeutrée ; de toute fa-çon, Gloria s'était faite à l'idée qu'elle serait Ma-dame Mac Connor, l'ombre de son mari, tout comme sa mère avait été le soutien invisible de son père qui, à partir de ce jour, en voulut au-tant à sa fille qu'à son gendre ; avant et après leur union devant le maire de Neuilly, Erwin avait trompé Gloria, cherchant ailleurs l'insolite qui lui avait toujours manqué dans sa vie sexuel-le, dont il s'était longtemps privé pour se concentrer sur les études, et que Gloria, amou-reuse transie, ne savait satisfaire. Jusqu'au jour où elle découvrit le pot aux roses, sous la forme d'une superbe femme noire, au corps racé et élancé, musculeux et sensuel, qui sonna un ma-tin à la porte de la maison, de leur propre foyer ; Gloria qui faisait un énième régime calo-rique pour plaire à son mari de plus en plus lointain, ouvrit la porte, habillée en jogging, et les cheveux en broussaille ; la jeune amazone toisa avec mépris celle qu'elle prit pour la fem-me de ménage, et la pria d'appeler Erwin Mac Connor avec qui, dit elle, elle avait une affaire en cours. On ne trompe pas l'intuition d'une femme, surtout si elle est mauvaise. Gloria de-vait s'avouer qu'elle avait fait le mauvais choix, qu'Erwin n'était pas celui qu'elle avait espéré, son père avait eu raison et la seule fois où elle avait défié son autorité, ç'avait été pour imposer ce sale con infidèle à sa famille ; à presque qua-rante ans, elle comprenait qu'elle avait inter-rompu ses études pour un homme qui ne l'avait jamais aimée ; la réparation devait être à la hau-teur de la trahison ; dans l'heure qui suivit la vi-site de la jeune panthère noire, Gloria avait mis au courant son paternel qui engagea dans la foulée une procédure de divorce, par le biais de son ami, maître Picard, le meilleur spécialiste des divorces de tout Paris. Erwin, qui avait ou-blié son rendez vous galant et qui se demandait pourquoi il n'avait pas de nouvelles de sa splen-dide maîtresse africaine, connût sa surprise la plus désagréable ce soir là : Gloria lui cracha au visage toute la haine qu'elle avait accumulée en une journée pour près de dix ans de vie com-mune fausse, puis claqua la porte. Depuis lors, Erwin noyait ses journées dans le travail, et ses nuits dans les orgies et autres excentricités sexuelles ; il avait développé une affection irra-tionnelle pour tous les corps de femmes africai-nes, et par extension sentimentale, pour tout ce qui était africain de près ou de loin. C'est pour toutes ces raisons que, après avoir constaté que le chiffre d'affaires lui permettait de créer deux emplois à plein temps, Erwin convoqua son di-recteur des ressources humaines, et lui demanda les CV les plus intéressants pour la création de deux postes de consultants junior ; ils examinè-rent ensemble toutes les candidatures, ainsi que l'organigramme pour intégrer ces nouveaux postes, Erwin laissa son directeur des RH choi-sir un candidat, mademoiselle Izo Dembelé, une jeune fille d'origine togolaise qu'il imposa à l'un de ses consultants, le plus séducteur de tous, Ron Azar, avec le souhait qu'elle fasse son bon-heur, même temporairement. C'est ce qui se passa. Izo fut séduite par Ron, et Ron par Izo, ils connurent une aventure suffisamment sé-rieuse pour qu'il lui confie les clés de son appar-tement. Ce jour là, Izo était passée visiter son amant, elle avait sonné deux fois, et comme personne ne répondait, elle voulut faire une surprise à Ron en lui préparant un bon dîner. C'est elle qui nous trouva, donc, tous les deux, à terre, évanouis.
C'est l'odeur du café qui me sortit de ma tor-peur évanouie, un café particulièrement fort et épicé ; lorsque j'ouvris les yeux, ce que je vis en premier, ce fut Izo, de dos, faisant patiemment la vaisselle, et ce qui marqua principalement mon réveil, ce fut le mouvement de ses fesses et de ses hanches pendant qu'elle récurait la vieille casserole, dans laquelle, la veille, Ron avait fait réchauffer un plat de l'avant veille, qu'Izo lui avait concocté ; à mesure qu'elle frottait, son bassin remuait, et ma santé physique reprenait sens. Ron m'avait parlé de sa relation avec elle, elle avait beau être très jeune, elle faisait preuve d'une motivation telle pour plaire à son amant blanc qu'il n'y avait plus de différence d'âge en-tre eux ; elle était dans son ombre, et se conten-tait, sans se plaindre une seconde, des rares ins-tants ou Ron la voyait seule ; l'intimité avec Izo devenait vite sensuelle, et elle ne laissait jamais dormir mon ami sans avoir obtenu de lui sa part de contentement ; c'était là que résidait leur accord tacite, dont était exclue seulement toute contrainte : Ron sacrifiait une ou deux nuits par semaine au plaisir débridé de sa maîtresse qui remplissait les fonctions d'une femme d'inté-rieur, avec naturel et même le sourire. Et doré-navant, les pensées ne m'étant plus un territoire inexploré, j'attendais qu'elle me donnât des nouvelles de Ron pour aller voir ce qui se pas-sait dans la tête d'Izo. Et ce fut Ron lui même qui arriva à ce moment ; apparemment, j'avais dû, une nouvelle fois, perdre connaissance, mais je me souvins que je n'étais pas seul dans ce cas, et le visage de mon ami affectait une nouvelle expression, quelque chose qui se rapprochait de l'inquiétude ; ses sourcils étaient arqués par une tension musculaire trop nerveuse pour être contrôlée ; sa bouche connaissait une contor-sion tout à fait nouvelle qui n'échappa pas à Izo, qui avait cessé de s'affairer, et dont les vê-tements adhéraient, avec une sensualité qui m'était nouvelle, à ses formes fines et rebon-dies :
– ben, dis donc, mon beau tu as une drôle de tête, je me demande vraiment ce qui vous a pris de vous saouler comme ça, mais c'est pas bien malin… ça va mon chou ?
Et elle accompagna sa question d'un baiser doux.
Ron me regarda, puis sans dire un mot, se servit un bol de café. Il plongea dans la boisson noire toute sa perplexité et ne relevait pas la tê-te. C'était moi qui attendais une réaction.
– Tu l'as entendue, la cacophonie, cette fois-ci aussi ?
– oui...
– C'est quoi cette histoire de cacophonie, les garçons ?
– Pas grand chose, Izo, t'inquiète, ton mec ira mieux d'ici quelques instants, quand le café aura fait son effet…
– Je vais rester jusqu'à ce soir, Ron… tu ne peux pas rester seul maintenant… je rentrerai chez moi ce soir si tu veux, dit Izo, des larmes de tendresse dans les yeux.
– Oui, on verra... Tu restes, toi aussi... ?
– Non, je vais y aller, il faut que je réfléchis-se un peu...
– Tiens moi au courant, j'ai pensé à deux ou trois trucs… Tu verras plus tard… prends soin de toi...
– Prends soin de lui, Izo !
– Comptes sur moi ! Bye !
Une fois la porte de son appartement cla-quée, ma vie ne fut plus jamais la même.