Fatigué

sylvenn

Noires Heures - Essais

J'aurais presque aimé être John Coffey – comme le café, sauf que ça ne s'écrit pas pareil…- dans la vraie vie. Certes, personne ne sauterait de joie à l'idée d'être exécuté en public sur la chaise électrique, mais reconnaissez que ça a du panache ! J'aurais aimé être un nègre passif au cœur tendre, pour avoir au moins une raison compréhensible par tous d'être incompris. Mais j'ai le corps de ma chétivité intérieure. Frêle, presque amusant, avec une voix qui s'éteint dans les airs devant moi avant-même d'avoir pu porter mon message à l'attention de quiconque. Mon corps s'étrique, ma voix s'éteint, mes phrases s'étiolent, et ma pensée s'étend dans mes textes comme une confiture périmée jusqu'à s'y diluer complètement.
***
J'aurais aimé que toutes ces pierres angulaires à ma personnalité soient les composants d'un édifice imposant, lourd, d'un corps capable de saisir et d'aspirer le mal pour le souffler ailleurs… et c'est ce qu'il fait. Mais lui ne recrache pas des centaines de cendres-lucioles. Il recrache seulement des caractères sur une feuille, des notes sur un piano, mais par-dessus tout il conserve en lui une trace des maux qui le rongent. Jusqu'à lui-même devenir le Mal.
Aujourd'hui, je ne suis plus qu'un vecteur à la laideur des choses. La vie me parvient dans toute sa simplicité, dans toute sa complexité, et j'en filtre le bon pour n'en conserver et n'en retranscrire que le mauvais, le sombre.
***
Mais le douloureux processus qui rend cette mutation possible, ce brassage intérieur, vient lentement mais sûrement à bout de mes forces. Alors aujourd'hui, je suis fatigué patron. Je suis fatigué de cette agitation ambiante, de cette froide indifférence, de cette course à rien qui se déroule chaque jour autour de moi. Fatigué du mal que peuvent se faire les gens, de la peur, de l'état de solitude que je ressens partout autour et à l'intérieur de moi.
Fatigué d'être seul comme un moineau sous la pluie, sans personne, sans ami pour me dire d'où je viens, ou je vais et pourquoi. Voilà le seul véritable point commun que je garde avec ce monstre sacré du cinéma et de l'existence. Le courant de mes pensées est comme un flot de bouts de verre dans ma tête. Il ne me reste plus que l'art, le rêve pour encore trouver des anges qui s'aiment et vivent pour de vrai. Mais c'est pour de faux.
***
J'aurais aimé comme lui avoir le sort de ma vie placé entre les mains d'autrui. D'un juge assez bon, ou assez cruel pour le laisser m'en aller.
Mais chaque matin je me lève encore. Toujours. Inlassablement, même lassé, las de l'existence, là où tout le monde s'empresse de remplir sa journée de centaines de tâches dont ils ne perçoivent même pas l'inutilité. Une rencontre. Une éclaircie dans ce Néant. Mais toujours les nuages reviennent. Alors à quoi bon continuer d'ouvrir la fenêtre lorsque le Soleil se lève ? Sans doute parce que j'ai peur dans le noir.

Signaler ce texte