Fils de pute
Liam Egureglia
Ce n'était pas son premier client ce soir là quand quelqu'un vint frapper à la porte d'une main lourde. « Encore un camionneur. J'espère seulement que celui-là ne sent pas le gazole ou le bestiau » se dit- elle. En une fraction de seconde, elle écrasa sa cigarette, remit du rouge à lèvres en s'aidant d'un miroir à main, réajusta son corsage puis s'éclaircit la voix. Elle alla chercher sa plus sensuelle intonation au très profond de sa gorge. Hélas, les années de tabagisme, pour ne citer que ça, avaient endommagées considérablement sa trachée. De sa plus belle voix, elle s'écria « entrez ! » La porte s'ouvrit, la silhouette d'un homme se dessina dans la lueur qui provenait de l'extérieur. Elle l'invita à s'asseoir d'un geste de la main. A sa grande surprise il sentait plutôt bon et semblait rasé de près. Sa façon de se tortiller sur la chaise laissait deviner qu'il cachait quelque chose derrière son dos. Prudente, elle se saisit discrètement du revolver dissimulé en haut de ses bas résilles.
Le sourire gêné qu'arborait le jeune homme n'avait, à défaut de lui plaire, rien pour la rassurer. Elle décida d'engager la conversation avec la fameuse formule d'usage dans la profession : « Qu'est ce que tu aime- rais mon mignon ? » Le silence qui s'en suivit en disait long sur les intentions du client présumé. Elle prit soin d'ajouter : « il faut payer d'avance » d'une voix aux accents râpeux. L'atmosphère malsaine qui régnait dans la pièce lui fit l'effet d'une ponction pulmonaire – la quatrième ce mois-ci. Dans le genre malsain, elle en connaissait un rayon. Durant sa carrière, elle avait eu affaire à d'innombrables fétichistes en tout genre. Des pieds aux narines en passant par ceux qui aiment vous ap- peler « Maman » en portant des couches. Elle était habituée à tout type de clientèle, du prestigieux président du FMI aux derniers consanguins du coin. Cependant ce soir, elle le sentait quelque chose clochait. Elle lui proposa de le débarrasser pour qu'il se sente plus à l'aise. C'est alors qu'il déposa son portefeuille grand ouvert sur la table où figurait une vieille photo de famille. Au moment où il sortit ce qu'il cachait derrière son dos elle pressa la détente de son revolver en hurlant: « fils de pute ! » Le coup de feu résonnait encore dans la caravane quand elle s'aperçut qu'il ne cachait rien d'autre qu'un joli bouquet. Dans la mare de sang qui ne cessait de croître, elle vit la petite carte qui accompagnait les fleurs. Il y avait inscrit : « Pour maman, je te retrouve enfin. »