France Travail

Olivier Verdy

Les années 30. Le gouvernement élu a mis en place ses premières réformes. Les nouvelles mesures préférentielles sont applicables à la recherche d'emploi

Sonia, 36 ans, est employée de France Travail depuis 7 ans. Après des études dans le social, elle a intégré la cellule de recrutement peu de temps après son renommage. « France Travail » comme si le changement de nom avait été prémonitoire. Car depuis les élections et les réformes qui ont suivi, on parle plus de France et de Français que de travail. Elle avait postulé à cet emploi dans le but avoué d'aider les gens. De grandes idées que d'être au service du pays et de concilier ce qu'elle aime faire : assister les chercheurs dans leur démarche, les guider dans les méandres de la paperasse administrative, les remettre dans le chemin de l'emploi, parfois non sans difficulté, trouver le poste qui satisferait à la fois un employeur et un futur employé, le tout sans la nécessité économique d'une recruteuse RH dans une entreprise.

La brunette en a vu passer des candidats de tout genre et de tout type. Parfois, ce sont des gens ultras motivés se disant que cette mauvaise passe n'est que temporaire, parfois, ce sont des personnes démotivées qui pleurent dans son bureau parce que les revenus et la dignité ont fortement baissé et que ce n'est pas sans impact sur leur vie personnelle ou familiale ; elle a aussi vu des individus qui n'ont de chercheurs que le nom et qui pensent qu'on va les payer s'ils se rendent seulement aux convocations. En tout cas, Sonia a toujours fait de son mieux et, quand elle y réfléchit, elle est plutôt contente de ce qu'elle a accompli. Elle aime croire, à juste titre — qu'elle a contribué au bonheur ou au moins à la joie de certaines familles. Mais ça, c'était avant les dernières réformes. Celles qui font passer les compétences professionnelles et personnelles au second plan rendant son travail beaucoup plus difficile et beaucoup moins en phase avec ses convictions.

Assis en face d'elle, un homme d'une cinquantaine d'années, 48 pour être précis, le teint basané de quelqu'un qui a traversé la Méditerranée.

— Je vous résume la situation. Je comprends votre désarroi, croyez-moi. Vous êtes au chômage depuis 3 mois déjà et il n'y a pas de postes qui vous correspondent actuellement. Je pense que vous devez vous préparer à changer d'orientation.

— Changer d'orientation ? Mais ce que je sais faire c'est le suivi sur les chantiers. Je ne sais pas faire grand-chose d'autre.

— Si vous ne travaillez pas, vous allez perdre votre permis de travail et sans ce permis vous ne serez plus autorisé à rester en France et devrez donc quitter le territoire.

— Mais ça fait presque 20 ans que je suis là. Mes filles sont nées ici. Ma femme travaille ici.

— Votre femme et vos filles ne sont pas concernées. Seule votre situation est examinée. C'est pourquoi je vous demande de réfléchir. Il serait peut-être sage de repartir dans votre pays. Et qui sait, vos enfants et votre femme peuvent vous accompagner. Il y a des aides au départ qui sont proposées.

— Mais je n'ai rien là-bas et mes enfants ne savent même pas à quoi ça ressemble.

— La situation est difficile pour tout le monde vous savez et on ne peut pas prendre en compte toutes les situations personnelles. Je me permets d'ajouter que les aides versées parce que vous travaillez seront aussi suspendues quand votre permis de travail expire.

– Mais..

— Ce que je vous propose c'est que vous réfléchissiez. Reprenez rendez-vous dans un mois au cas où. Entrez le temps, on continue tous les 2 à chercher du travail. Il y a peut-être des chantiers qui ont besoin de vous. Mais pensez à ce que je vous ai dit. Et organisez-vous, car une fois votre permis expiré, vous n'aurez plus beaucoup de recours. Bon courage, monsieur, et à bientôt.

— Au revoir madame.


Comme à chaque fois, Sonia a une boule dans le ventre et doit contenir ses larmes. Elle ne s'y habituera pas. Comment annoncer d'un air détaché que votre statut d'étranger hors UE limite votre recherche d'emploi et peut vous condamner à l'expulsion, que votre situation familiale est un détail que vous devez gérer seul ? Ce n'est pas le genre d'aide qu'elle aime apporter, et sans doute, même s'il elle ne l'exprime pas aussi clairement, qu'elle essaiera bientôt de changer d'emploi, peut être plus éloigné des âmes en détresse.

« Numéro 128, s'il vous plait » Un homme brun, cheveux courts, détendu — il est en bermuda — s'avance et vient s'asseoir en face de Sonia.

— Bonjour, je vous en prie, asseyez-vous. Ce premier rendez-vous est une prise de contact afin de faire un peu connaissance et de voir quels sont vos aspirations ou projets. Est-ce que vous avez apporté un CV ?

– Euh non. Je ne savais pas que je devais en apporter un. C'est sur le site. Après je peux vous parler de mes expériences.

— On va reprendre votre fiche. Et on détaillera si nécessaire. Vous travailliez dans un entrepôt en tant que cariste et vous n'avez plus d'emploi depuis 6 semaines. C'est bien ça ? Pouvez-vous me dire pourquoi votre contrat s'est arrêté ?

— Il y avait moins d'activité, car pas mal de transport est fait par des robots. Du coup, moins besoin de caristes et ils nous ont proposé une prime pour partir. Ils ont dit qu'on peut trouver du travail plus facilement maintenant. Alors j'ai dit oui.

— Ah oui ? On peut trouver du travail plus facilement ? Je ne veux pas détruire votre joie, mais ça dépend des secteurs. Oui, certains sont plus ouverts, mais d'autres offrent moins d'opportunités. Vous êtes resté assez longtemps cariste, que faisiez-vous avant ?

– Pas grand-chose. Des petits boulots, de la manutention surtout, j'ai travaillé chez Carrefour aussi à la mise en rayon.

– D'accord. Plutôt orienté grande distribution, je vois. Et quels diplômes avez-vous ?

— Bah, j'ai le bac un peu comme tout le monde. Et après je n'avais pas envie de faire des études alors j'ai commencé à bosser.

– OK. Et quel genre de métier recherchez-vous ?

— Ben je me dis qu'avec tout ce qui se passe maintenant, je pourrais être chef d'équipe. J'ai de l'expérience.

– Qu'est-ce qui se passe « maintenant » ?

— Vous savez, on donne les emplois aux Français. Et je suis Français. C'est pour ça qu'on a voté.

– Ah. Je comprends mieux. C'est un peu plus complexe que ça.

— Je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué. Je cherche un boulot de chef d'équipe. Je peux même vous donner des noms. Je connais des Arabes-chefs à Carrefour. Vous contactez carrefour et hop, j'ai le job.

— J'ai dit complexe, pas compliqué. Mais je peux comprendre votre confusion. Ce n'est pas tout à fait comme ça que s'exécute la préférence nationale. C'est peut être ce qu'avez cru ou ce qu'on a voulu vous faire croire. Mais ça ne marche pas comme ça.

— Alors, dites-moi comment ça marche votre truc

— Ce n'est pas mon truc. Je ne fais qu'exécuter les directives qu'on nous donne. Avant même qu'on puisse envisager de solliciter une entreprise, il convient de vérifier si vos compétences sont en adéquation avec le poste recherché. Et on ne va pas faire ça tout de suite. Ce que je peux déjà noter c'est que votre motivation actuelle est de trouver un poste de chef d'équipe, c'est ça ?

— Enfin ça, ou autre chose.

— Pouvez-vous me préciser l'autre chose ?

– Pas vraiment. Mieux payé déjà.

— Vous conviendrez que c'est un peu vague comme recherche. Mais je note votre motivation financière.

– Après, quand je vois qu'ils ont des boulots qui gagnent bien et qu'ils ont les allocs pour leur marmaille ; on se dit que quand même on mériterait aussi d'avoir ça.

— D'avoir une grande famille ?

— Non, mais vous voyez ce que je veux dire. Pourquoi on leur donne autant et nous, on devrait galérer ? C'est pour ça, on est en France et je devrais avoir un boulot aussi bien payé que les étrangers.

– Certes. Dites-moi, seriez-vous ouverts à faire des formations ? En avez-vous envisagé ?

– Euh non pas vraiment. Mais pour faire quoi ?

— De ce que je lis sur votre fiche, il y a peu d'expériences avec un poste à responsabilité. Donc si vous souhaitiez devenir chef d'équipe, peut-être que des formations pourraient vous fournir de premiers éléments.

— Parce que Mohamed il a fait des formations peut être ? Je n'y crois pas.

— J'imagine aisément que les responsables auxquels vous faites allusion ont prouvé qu'ils maitrisaient suffisamment leur sujet pour avoir été nommé à ce genre de poste. Je cherche seulement à valoriser votre expérience pour que vous puissiez demain prétendre à de telles responsabilités.

— Sérieux ? Je pense que je peux le faire en 2-2. Ça ne doit pas être bien sorcier, et je vous rappelle que moi je suis français.

— J'ai bien entendu et je l'ai noté. Voilà ce que je vous propose. J'ai mis à jour votre fiche pendant notre entretien. Vous regardez tout ça chez vous à tête reposée. Vous améliorez votre CV en mettant en avant vos compétences de chef et le déposez sur le site. Nous avons des ateliers pour vous aider à faire des CV si vous en avez besoin. Continuez à répondre aux offres en attendant. Une fois que j'ai votre CV, je vous recontacterai pour qu'on puisse creuser ensemble ce sujet de chef d'équipe.

— OK et pour mon indemnité ?

— Vous avez démissionné, je crois ? Actuellement, même Français, vous n'avez pas le droit aux allocations chômage quand vous démissionnez.

— Mais ils m'ont dit que j'aurai tout !

— Est-ce qu'ils vous ont écrit quelque part ?

– Non. Pendant l'entretien. J'aurais droit au chômage et de toute façon j'aurais vite un autre boulot.

— Vous n'auriez peut-être pas dû croire ceux qui vous faisaient de telles promesses. Mais ayez confiance et je me permets de vous dire que dans l'intervalle, postulez peut être quand même à des postes plus en rapport avec vos qualifications, type cariste par exemple.

— quoi ? Quitter ça pour faire la même chose ? Ça ne va pas du tout.

— Le temps que tout se mette en place c'est une solution qui peut vous aider.

– Mouais. Ce n'est pas cool. On m'a menti.

— Vous m'en voyez désolée. Soyez plus vigilant à l'avenir ? Vos choix peuvent parfois vous jouer de mauvais tours. Je vous libère. J'attends votre CV. Bonne journée.

Bonne journée


L'homme se lève, mécontent, et sans se retourner, quitte les locaux. Encore un qui a cru aux chimères d'un avenir où il suffirait de montrer sa carte d'identité pour se voir ouvrir toutes les portes. Sonia ne s'est même pas levée. Malgré tout son professionnalisme et son sérieux, elle ne peut se résoudre à accepter. Peut-être qu'elle devrait finalement rester et lutter.












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