Fusion (Elia/ Episode 1.1)

boul2neige

Ci-so 2.7, Domèl, Révolution 200.000.

Mon père est un Cill.

Depuis maintenant 30 Révolutions il vit avec ma mère. Une Sub pure jus.

Mon père est grand. Il chatouille les deux mètres. Ce qui n’a rien d’étonnant pour son peuple. Il est fin et musculeux, sa peau est mate, ocre clair. Ses traits burinés. Son turban, comme agrafé à son visage, ne le quitte jamais. Dévorant une partie de son faciès, il fait ressortir ses deux yeux bleus en fente. Un bleu marin, plus intense que celui de la lumière qui nous baigne jours et nuits. Un bleu sombre qui répond au blond de ses sourcils en épis. Ceux-ci sont mis en avant par une ossature proéminente contrastant avec le creux de ses joues maigres. Des joues qui supportent depuis une éternité cette barbe de trois jours coquettement entretenue. Son ombre dorée glisse jusqu’à une bouche rouge qui se ballade entre moues boudeuses et éthérées.

Sa lèvre inférieure, la plus renflée des deux, surplombe un menton scindé en deux par une fossette. Menton dont on devine plus qu’on ne voit les contours, tout comme ses oreilles d’ailleurs, enrubannés dans de l’ocre tissé.

Ses mains sont grandes, puissantes et calleuses, munies de doigts noueux, marbrés de veines, vissés à une paume tannée. Ses mains sont sa vie. Il est maçon.

Mon père est un silencieux. La plupart du temps, sa gorge ne concède que quelques grognements pour marquer son point de vue. Mais lorsque sa voix commence à s’étirer, comme un gros ours qui se réveille, pour nous raconter une histoire, tout le monde oublie ce qu’il a à faire et se regroupe autour de la table de la salle à manger prêt à l’écouter.

Le film peut alors commencer. Il s’exprime, avec tout son corps, il fait tourbillonner ses grands battoirs qui lui servent de bras, il mime les situations et donne vie avec ses mains au moindre détail jubilatoire. Sa morphologie change pour rentrer dans le corps des différents protagonistes, il passe leur personnalité, leur originalité à la loupe grossissante, les rend drôles, pathétiques, magiques.

Dévoué tout entier à sa nation, respirant pour Alatia, il fait glisser ses sourires quand il parle brièvement de l’engouement qui l’aide à se dépasser chaque jour pour participer à l’amélioration de son peuple. Il est fier. Bien qu’il ait échoué aux tests pour rester à Tcheï, il se sent, comme tous, soit dit en passant, réellement à sa place dans ce monde.

Il forme, avec ma mère, un duo aussi improbable que soudé. Je le vois encore la porter jusqu’à l’appartement les soirs où elle rentre fourbue de ses longues prières pour Abana, elle, vissée à son cou, sa tête enfouie dans l’épaule dure du paternel, le visage à moitié recouvert par le chèche. Ou quand il tombe dans une douce somnolence subissant ses longues tirades sur sa « ligue des potins », n’osant l’interrompre de peur qu’elle utilise le phone-gear pour trouver une oreille bien plus veillante que la sienne. Ou quand elle le réveille le dek-end à grands coups d’aspirateur et de plumeau, le forçant, tout sourire, à se lever pour l’aider à déplacer la grosse armoire pleine de poussière alors que ses muscles fourbus venaient juste de trouver un semblant de repos mérité.

Dès que sa femme part pour un quelconque séminaire religieux, mon père disparaît dans la pièce exigüe qui lui sert d’atelier et n’en ressort qu’à son retour, l’attendant fébrilement, tenant un petit cadeau créé de ses mains à son attention.

(A suivre)

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