Game Over

Je suis un fou jaune sur un échiquier, pris au piège entre deux armées de pions en noir et blanc. En fouillant bien, il m'est toujours possible de tomber sur un autre fou…mais il restera sans couleur. J'ai dû me tromper de jeu… Je suis une bille transparente dans un jeu où il faut trier les billes par couleur.
Inadapté. Inapte à trouver ma place, inapte à la vie en société. Une pièce de puzzle qui ne rentre pas. Une pièce en trois dimensions.
J'ai bien l'impression que cette fois, j'ai cherché partout. Dans les pays. Dans les villes. Dans les métiers. Dans les passions. Dehors. En moi.
J'ai rencontré des gens heureux, des gens accomplis. Certains dans leur travail. Certains en apportant des choses aux gens. Certains en fondant une famille. Certains en s'expatriant. Certains en voyageant de par le monde. Certains en se cultivant. Certains en restant seuls. D'autres en sortant chaque soir. Certains en trouvant l'âme sœur. D'autres en restant auprès de leurs meilleurs amis. D'autres en se noyant dans la foule des gens. Tous en trouvant la paix intérieure.
Certains ont même laissé tout ce qu'ils avaient derrière eux, y compris leur passé, y compris leur identité.
J'ai essayé tout ça, autant que possible. En vain. Certains ont-ils trouvé le repos dans la mort ? Je ne sais pas. Quand on ne trouve plus de porte de sorte en soi, je suppose que c'est la dernière option qui se présente. La porte noire.
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Pour ma part, j'attends que le monde change. Ou qu'il se révèle. Qu'un jour quelqu'un s'invite à ma table, pendant que je bois tranquillement mon café en dissertant intérieurement sur la vie, me sourie, et dise : « OK tu as deviné, tout ça n'était qu'une blague. Un test, pour voir à quel moment tu capterais le non-sens de ce monde. Bravo ! »
J'attends qu'un jour, quand j'effectuerai ma première tentative de suicide, l'espace se fige, et qu'une voix off dise : « Test validé ! ».
J'attends que le jour où j'élancerai mon poing pour frapper mon interlocuteur sous l'impulsion de la fureur qu'aura provoquée en moi la stupidité du monde qu'il représente, des gens sortent littéralement des murs avec des caméras, en hurlant « SURPRIIIIISE !!! ».
J'attends que d'un coup dans ce café où j'écris ces mots, les clients se lèvent soudain, que la musique dans mes écouteurs change, et qu'ils se mettent à danser sur Bohemian Rhapsody dans une parfaite synchronisation. Une flash mob mondiale pour clouer le spectacle de cette géante mascarade. BISMILLAH NO !
Si le moindre de mes gestes acquiert une symbolique dans mon esprit, c'est parce que je suis persuadé que l'un deux est susceptible de mettre un terme à cette farce. Ecrire un mot en particulier ? Finir mon livre ? Dire je t'aime ? Eclater une tasse au sol ? Sauter à l'élastique ? Comme dans l'importe quel jeu vidéo, le script de la vie doit bien prévoir un cheatcode, avoir une faille, un truc qui fasse planter le système, non ? Avancer vers un mur précis, sauter sur place trois fois, appuyer sur L2 et R2 simultanément… je sais pas. Sans doute que je devrais taper sur Google « Vie : trucs et astuces » ou « Life mascarade : les soluces enfin disponibles ! »…
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J'ai peur que les seules triches utilisables soient celles qui amènent à la mort. Si je n'étais pas mon propre personnage, ça ne me dérangerait pas de me faire crever comme un Sims coincé dans une piscine sans escabeau, mais là… c'est différent quand même !
Ouais. La mort est sans doute la seule faille de ce jeu. Mais normalement, chaque jeu a son objectif, son Game Over, non ? C'est quoi ici, être Heureux ? Et après quoi, on attend la mort comme des plantes vertes ? Je sais pas qui sont les développeurs qui ont codé cette merde, mais ça mériterait un épisode du Joueur du Grenier tellement c'est un jeu ultra rétro et bien pourri ! Ils ont pas eu le budget pour programmer la fin, ou ils y ont juste pas pensé ces cons ?
Vivement qu'on passe à un autre jeu, ou que vienne la prochaine génération de consoles putain ! Parce que là le programme de la vie est pas mal perfectible…