Gary Distel

Thyl Sadow

Tout était prêt. J'étais là, devant, avec mon matos et puis j'ai eu une sorte de... Enfin j'étais plus si sûr, vous voyez ? J'ai commencé à me dire qu'il y avait peut être un autre moyen de régler ça. Qu'après tout, ça n'était rien de plus qu'une histoire de famille, et que donc oui, forcément, c'était facile d'être aveuglé par la haine. Mais c'était pas la mienne, de famille. Pourtant j'avais besoin du fric, putain ouais, j'en avais sacrément besoin. Mais la paye, à elle seule, ça suffisait plus pour me convaincre. J'avais besoin d'être remotivé un peu, si vous voyez ce que je veux dire. Juste entendre sa voix, ça aurait fait l'affaire. Qu'elle me parle un peu du futur, parce qu'avec ses mots à elle, il avait l'air plutôt chouette. Ouais, plutôt chouette. Alors je me suis mis à la recherche d'une cabine, parce que j'ai pas de portable, moi, je suis plutôt de l'ancienne école.

Ca m'a bien pris une heure pour en trouver une. La nuit allait tomber, j'étais en retard sur le planning mais j'avais besoin qu'elle me répète que c'était la seule solution. J'étais en train de sortir mes pièces quand je me suis rendu compte que y avait pas de fente. Ni en dessous, ni au dessus.

Cette saloperie marchait avec des cartes bancaires. Et j'ai pas de carte, moi, évidemment. Si le boulot avait déjà été fait, alors j'aurais pu ouvrir un compte avec la paye, on m'aurait donné une carte et j'aurais pu passer tous les coups de fils que je voulais. Mais c'était pas le cas. J'ai quand même entendu sa voix, c'était dans ma tête mais c'était mieux que rien. Elle disait : « Les « si » c'est bien beau mais c'est pas ça qui fait tourner le monde ». Alors quand la cabine a affiché : « Composez un numéro gratuit », je me suis remis en route pour le faire, ce boulot.

C'était pas une grand maison qu'il avait mais ça n'avait pas beaucoup d'importance puisqu'il était tout le temps sur la route. Y avait pas d'étage, fallait que ça soit pratique pour lui et à première vue, elle était pas différentes des autres baraques de la rue. J'étais curieux de le voir. J'en avais entendu parler, comme tout le monde, mais le voir avec mes yeux à moi, ça me permettrait de me faire ma propre opinion. La rumeur disait qu'il avait des gênes de homard, que c'était une vraie anomalie de la nature. Pas comme ces types qui viennent à la télé parce qu'ils ont la peau du cou un peu molle et qui se la rabatte sur le visage. Non, là c'était d'un autre niveau. J'avais entendu dire qu'il vous la couperait en moins de deux si vous lui cherchiez des noises. C'était pas vraiment un homme, pas vraiment un homard. Quelque chose entre les deux. Et je sais pas pour vous, mais moi, les gens que je connais, ils aiment pas trop ce qui est pas clair. Ca les fait flipper.

La rumeur, elle disait qu'à cause de ses jambes déformées, il devait se déplacer en prenant appui sur ses bras et que c'était comme ça qu'il avait développé une force surhumaine dans le haut du corps.

Ceux qui avaient eux la chance de le voir, enfin la chance, vous voyez ce que je veux dire, c'était dans l'une des foires qui fait le tour du pays. Parce que dès qu'il revenait en ville, il s'enfermait chez lui pour boire jusqu'à plus soif. Les mères du quartier prenaient alors peur pour leurs mioches parce qu'on disait qu'il avait chopé le petit Boris vers 1993. Qu'il l'avait attrapé de l'une de ses pinces et qu'il l'avait bouffé. Y avait pas de preuves, rien, mais c'est ce qui se disait. Caroline, elle, elle parlait pas des rumeurs. Elle disait juste que son père avait une maladie, un truc héréditaire qui s'appelait la pterodactylie ou un machin ainsi et que pour une raison ou pour une autre, elle l'avait pas contractée. C'était pas le cas de sa sœur. Elle, elle accompagnait le père dans son numéro. « La femme langoustine » qu'elle se faisait appelée. Mais ça n'était mignon que sur papier.

Caroline, elle les voyait plus, elle faisait de son mieux pour ne plus penser à eux mais quand elle en parlait, c'était bien pire que tout ce que disait la rumeur.

Je suis rentré par la porte du garage parce que c'était allumé dans le salon. Je savais qu'il était tout seul, probablement saoul comme un polonais et je pouvais entendre la télévision. Y avait pas de rideaux aux fenêtres, va savoir pourquoi, alors je me suis débrouillé pour couper le courant. Parce que j'avais pas trop envie que tout le quartier me voit en train d'en faire de la bisque, si vous voyez ce que je veux dire. Il faisait plus vraiment jour mais pas encore nuit non plus. Quelque chose entre les deux, plus bleu que noir. Je me suis dirigé vers la cuisine et il y avait une casserole sur le feu, une grande, du genre de celles qu'on utilise dans les cantines. Je me suis demandé si c'était là dedans qu'il avait fait revenir le petit Boris, avec des oignons et du vin blanc. J'ai su à ce moment là que j'étais prêt pour faire le travail. J'ai sorti le marteau de mon sac à dos, parce que j'ai pas de pétard, moi et je me suis mis à chercher dans la maison. J'ai regretté de pas avoir de portable à ce moment là parce que j'aurai voulu appelé un ami et partager cette drôle de situation avec lui, moi en train de faire une partie de cache-cache avec cette chose, pas vraiment un homme, pas vraiment un homard.

J'ai commencé par le salon mais y avait rien, juste une bouteille d'alcool à moitié vide et des épluchures de pistaches sur la moquette. C'était franchement dégueulasse. Ensuite j'ai poussé une porte et je pense que c'était la chambre de Langoustine. Les murs étaient peints en rose et il y avait pleins de babioles partout. Des trucs de petite fille. Caroline disait que sa sœur serait toujours la petite fille à son papa, peu importe qu'elle ait 22 ans. Elle disait que c'était sa préférée et que certains soirs, elle était plus que ça. J'ai chassé cette idée de mon esprit parce que ça me débectait de les imaginer se tortiller comme des crabes dans cette chambre rose. Je crois bien qu'il l'avait fait avec Caroline aussi. C'est pas qu'elle me l'avait dit texto mais je l'avais vue tourner autour du pot et j'avais aperçu les cicatrices dans son dos, la fois où j'avais failli concrétiser avec elle.

Je suis revenu dans le couloir et je suis rentré dans ce qui avait du être sa chambre. Ca faisait des années qu'elle y avait pas foutu les pieds et fallait pas être bien futé pour voir pourquoi. C'est pas que moi, je dormais dans un palace ou quoi, loin de là, mais cette piaule était vraiment horrible.

Juste un fin matelas à même le sol entre quatre murs jaunes pas frais et c'était tout. J'ai trouvé sa chambre à lui. Y avait un lit King-Size et je me suis demandé ce qu'il pouvait bien foutre avec, vu que c'était pas possible pour lui d'étendre ses jambes et que sa femme ça faisait belle lurette qu'elle avait mit les bouts. Moi j'avais un lit normal, pas trop grand, pas trop petit et lui, il se payait un pieu du type lune de miel. Et c'est à ce moment là que j'ai entendu. Un crissement aigu, un peu comme le son d'un oiseau qui meurt.

Le bruit s'est répété de façon régulière et j'ai compris que ça venait de la salle de bain. J'ai poussé la porte et il était là, en nage, les remontes pieds de son fauteuil roulant coincés entre la toilette et la fenêtre. Il a levé les yeux vers moi et j'ai bien vu qu'il avait peur. Les doigts de ses mains et de ses pieds étaient collés entre eux comme si il avait des croissants pas cuits aux extrémités. A part ça, il ressemblait plutôt à mon propre père. Caroline disait que c'était la plus grosse enflure que la terre ait jamais portée. Elle disait qu'elle pouvait faire une croix sur ce qui était d'avoir une vie normale tant qu'il serait dans les parages et que celui qui l'en débarrasserait lui rendrait un sacré service. Moi, j'avais juste hoché la tête poliment parce que c'était pas mes affaires, je me demandais simplement quand c'était qu'on allait le faire tous les deux, parce que je suis plutôt du genre gentleman mais faut pas prolonger l'heure du thé, si vous voyez ce que j'essaye de dire. Mais elle avait ouvert son sac et déposé un paquet de biftons sur la table. Alors je m'étais mis à réfléchir à ce qui se passerait si j'acceptais. Elle m'avait embrassé et elle avait dit : « Les « si » c'est bien beau mais c'est pas ça qui fait tourner le monde ».

La nuit était tombée alors j'ai allumé ma lampe de poche et je l'ai déposée devant le miroir, histoire d'y voir quelque chose. Il m'a dit qu'il n'y avait rien à voler et je lui ai répondu que merci, ça j'avais bien vu que y avait que dalle. Les instructions de Caroline avaient été claires : je devais rentrer, faire le boulot et débarrasser le plancher. Mais c'est pas tous les jours qu'on pouvait rencontrer l'homme-homard dont tout le monde parlait. Et puis je serai le dernier à l'avoir vu et ça, ça pour moi c'était comme un moment historique. Un truc que tu raconteras à tes petits enfants, vous voyez.

Alors, je lui ai parlé. Je lui ai dit que j'avais vu la chambre de Caroline, je lui ai dit qu'il devait avoir honte. Il a fait genre qu'il comprenait pas et puis il m'a demandé si j'étais un ami à elle. Je l'ai pas vue depuis 5 ans, qu'il a dit, elle veut plus nous voir, on est pas assez bien pour elle. Il s'est mis à pleurer et puis il a dit : c'est plus sa chambre, c'est celle du chien maintenant, lui c'est la famille.

Y avait pas de chien, j'avais fait le tour de la baraque, je le savais bien. Ca m'a énervé qu'il mente comme un arracheur de dents alors je lui ai donné un coup de marteau sur la tempe. Ca a fait un drôle de bruit et sa tête a heurtée le mur avant de revenir en avant. Il saignait pas mal mais il était pas mort, y avait des bulles de salives qui sortaient de sa bouche. J'ai tout de suite regretté ce que j'avais fait.

J'avais frappé trop tôt. Maintenant il était dans les vapes et le seul son qui sortait de sa bouche était un gargouillis sonore. Je l'ai secoué violemment mais il a pas bronché, il a continué à se baver dessus. Je voulais que ses dernières paroles aient été importantes, qu'il me dise quelque chose que je pourrais répéter, quelque chose à mettre dans la légende et au lieu de ça, à cause de mon impatience, c'était seulement des conneries à propos d'un chien. Je me suis dit qu'il jouait la comédie et qu'il parlerait sous la douleur alors j'ai donné un grand coup de marteau sur ses pieds. Je voulais lui casser les orteils mais il n'en avait pas et pour dire vrai, j'étais même pas sûr qu'il y avait des terminaisons nerveuses dans ces machins-là. Il a quand même crié. Je me suis penché et j'ai murmuré dans son oreille. Tu peux tout avouer, maintenant, j'ai dit, tu peux dire la vérité.

De la lumière s'est allumée chez les voisins et je me suis dit qu'il était temps de lever le camp.

Je lui ai donné un grand coup de marteau sur le front et j'en ai eu plein le futal. Je suis sorti par la porte de derrière, celle qui donne dans le jardin. Juste avant d'escalader la clôture, j'ai vu quelque chose avancer dans le noir. Il était là, son chien.

J'étais en train de marcher quand ils m'ont chopé. On m'a amené ici et on m'a dit que j'avais droit à un seul coup de fil. Alors je l'ai appelée, elle. J'avais besoin d'entendre sa voix, j'avais besoin d'être remotivé un petit peu. J'ai pas laissé de message parce que je me doutais bien qu'elle viendrait pas me voir. Si j'avais été payé, j'aurais pu avoir un avocat, un que je peux choisir je veux dire et qui présente bien. Parce que c'est important ça, qu'il présente bien. J'ai attendu deux jours et j'ai bien cru que personne ne viendrait jamais mais finalement on est venu me chercher. Tu vas voir l'expert, qu'on m'a dit. Tu vas pouvoir raconter ton histoire, qu'on m'a dit. Et je sais pas vous êtes expert en quoi au juste et je vois bien qu'on est pas du genre à trainer dans les mêmes quartiers mais si jamais vous descendez en ville et que vous ouvrez bien vos choux-fleurs, vous vous rendrez compte qu'il y a une nouvelle rumeur en ville. On dit que c'est moi qui ai débarrassé le monde de Gary Distel, que c'est moi qui ai débarrassé le monde de ce monstre.

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