Géants
eska
Il est tard , si tard que le temps semble avoir terminé sa course, suspendu pour toujours à ce crépuscule onctueux. Le vieillard regarde le vide, derrière le voile. Il à oblitéré la réalité et ses yeux ne voient plus que ce souvenir qu'il ressasse encore et encore. Et encore. Son index fébrile pointe l'horizon.
« Les avez vous vu s'évanouir ? Les avez vous entendus ? Las, l'univers s'en est allé et nous à laissés là. Là, sur la rive où nous ne pouvons qu'admettre avoir échoué… Mes enfants...
Il nous regarde maintenant vivement, si intensément.
Les avez vous seulement vus les géants, et ceux avec qui ils chevauchent ? Avez vous seulement entendu leurs murmures de par les ruisseaux, les côtes et les forêts...
Non ; bien sûr. Comment pourriez vous les avoir vus, vous que l'horizon dépite, vous que rien n'effraie, pas même le temps. Vous vouliez tuer l'ennui, c'est la Grâce que vous avez assassinée. Le souffle suspendu, l'instant unique ou le monde se révèle à vous. Perdu. Votre regard est devenu vain, inapte à restituer ce que votre langue émoussée ne pouvait plus évoquer. Perdus. Vous les avez laissé filer, les géants et leur cohorte chatoyante. Piétinée l'agonisante malgré ses hurlements . Vous avez fait fuir les artisans silencieux des merveilles de ce monde. Alors ce soir et pour toujours, il s'est tu. Du jour ou nous l'avions prédit, nous savions que formuler la menace c'était la réaliser. D'abord vous les avez laissé arracher vos racines, déchirer votre écorce. Vos fruits ? Volés. Vous… Vous qui avez donné votre servitude non à votre mère, mais à des machines stupides et limitées, sans saveur, sans odeur. A l'humus, aux sucres printaniers et orges de l'été avez préféré le fer et la flamme. Vous qui avez loué le tumulte en dépit du chant feutré de nos terres, que vous avez fini par étouffer pour les fouler.
Vous avez gagné.
Morts vivants sur un monde calciné, maîtres éternels de la timide bleue. Simplement, les géants et ceux avec qui ils chevauchent nous ont quitté hier. Envolés. Savourez ce silence . Il est le vôtre.