gueule de bois à l jatte
Eric Laffaille
Ch 1
Et voilà c’est reparti ….
Aïe aie aie…ma pauvre tête…et pour ce qui est du reste c’est pas folichon non plus. Déjà allongé c’était tangage et compagnie, alors si je me lève…..
Faut dire que j’ai un peu forcé sur les mélanges. On a beau être entraîné, y’a des jours, on se dépasse et le lendemain…
Ce qui est étrange, c’est que le soir avec un gramme dans chaque poche t’es en pleine forme, tu referais le monde comme un rien ; et puis tu te couches et le lendemain au lever, patatrac la GDB ! Je finis par me demander si ce n’est pas le sommeil qui est nuisible…
Bref…, enfin…, quoiqu’il en soit… et en tout état de cause… je suis pas au mieux de ma forme. On pourrait définir comme pas frais, voir pas frais du tout. Pourtant le dernier cocktail ingurgité dans un semi coma aurait du être réparateur, coca, citrate de bétaïne, doliprane !
Bon je me concentre … ouvrir un œil déjà... Aïe ! il fait grand jour, j’ouvre le second et fais un point fixe sur le réveil : 11h45. L’heure merdique, trop tôt pour rester vautré au plumard sans avoir mauvaise conscience et trop tard pour entreprendre quelque chose. En plus je suis comme Juliette…, j’aime pas les dimanche !
Aller du courage, debout, un pied, deux pieds, (soyons modeste je vais m’arrêter là…) j’ai toujours la tête sur les épaules, mais j’ai l’impression désagréable que mon cerveau flotte dans mon crane et j’ai mon foie qui a des difficultés à suivre le mouvement..
En route pour la cuisine, vaste, spacieuse, un mètre sur un ! Un capharnaüm de canettes et bouteilles diverses vides, des reliefs de repas, des mégots écrasés dans les assiettes (ça, les nanas elles aiment pas…), des assiettes sales, des couverts itou, des verres itourloutoutou, des emballages, y’a même une enveloppe pleine de beurre qui n’a pas été ouverte. J’arrive cependant à poser un pied nu sur une partie de carrelage dégagée ; en extension j’ouvre la porte du placard suspendu, libérant un fatras de trucs les plus divers qui soumis à la gravité terrestre atterrissent bien sur direct sur mon pied ! je récupère au passage le doliprane et la citrate que je mets dans un verre avec de l’eau. Le temps que ça infuse je vais me prendre une petite douche.
Séché j’enfile un vieux futal, un pull informel, et le mélange contenu dans le verre.
Vu que le frigo ressemble comme un frère au désert de Gobie, en plus froid somme toute, va falloir aller quérir de la nourriture, faire surface dans le monde extérieur. C’est pas que j’ai vraiment faim, mais comme j’ai rien becté depuis 2 jours, je vais essayer d’éponger un chouilla.
Faut dire pour ma défense, votre honneur, qu’ils ont été mouvementés mes 2 derniers jours…
Vous avez un peu de temps ?
je vais vous raconter…
Ch2
Vendredi matin, 7h30 je pars au taf. Paris est tout blanc de neige. Dans le rade ça cause climat détraqué, embrouilles météorologiques, voir vengeance Gillotpétresque… J’avale mon caoua avec un croissant qui n’a de beurre que son nom. Escaliers, tourniquet, quai, métro, tassé, tunnel, 40 minutes plus tard j’émerge à Neuilly. Direction la banque. Je suis responsable d’une unité commerciale, autrement dit directeur de la boutique mais ça le fait moins sur les cartes de visites. Faut parler moderne, être de son temps ; c’est ce que disait yves, je suis de mon temps ! (euh je vous l’accorde elle est pas bien fraîche…). Bref c’est moi le boss ! enfin ça se voit pas trop, on vous dirait plutôt artiste comme dit ma concierge. C’est vrai que si j’avais le choix je préfèrerai faire Rolling Stone qu’ employé de banque. Mais l’habitude nous joue des tours, j’y suis rentré juste après le bac, enfin après mon troisième échec au bac (à l’époque il était beaucoup plus dur, et moi déjà fainéant…). Les banques elles embauchaient à tout va, alors j’ai vu de la lumière, je suis entré et de fil en aiguille comme disait une mercière de ma connaissance j’ai fait carrière….
Vous vous en foutez je présume de ma carrière, faut dire que la banque c’est pas ce qu’il y a de plus guilleret, les gens y seraient plutôt du genre tristounet.
Bref ce matin je suis là le premier, je mets la cafetière en route. Le jus n’a pas le temps de s’écouler que j’entends le sas se refermer, mon adjoint arrive. Il a pas l’œil frais l’adjoint du petit matin. Le teint pale, pas rasé, la tronche du mec qui n’a pas fermé l’œil de la nuit. Il est accompagné de 2 types. Sur le coup je pense pas au braquage, je me dis, fais chier de rentrer avec des clients avant l’ouverture. Le braquage je le comprends quand le grand type sort un flingue et en file un coup sur le carafon de mon collègue. Le deuxième mec, plus petit s’approche de moi. Il doit mesurer dans les 1m60 , maxi. Des petites lèvres fines serrées, non pincées plutôt, des yeux petits aussi, noirs, porcins avec de gros sourcils à la Emmanuel Chain. Les cheveux foncés, pas noirs ni brun, comment dire ? couleur cirage, ça sent le mec qui arrivé à la quarantaine complexe sur ses cheveux blancs ; alors il se teint tellement qu’on ne voit plus ses cheveux blancs mais qu’on croit qu’il porte une perruque ! Il doit avoir un problème avec son nez car il n’arrête pas d’y mettre son petit doigt court et boudiné pour se le curer ! c’est sa chevalière qui l’empêche d’aller plus profond…
Question vestimentaire il a le look fou ! Veste moutarde, vraiment moutarde, il doit être sponsorisé par Amora, pantalon en tergal émeraude avec la ceinture en imitation croco, une chemise jaune citron sur laquelle trône une cravate rouge décoré d’un Mickey hilare, quant aux pompes c’est des sandales tressées en daim clair, rien que du meilleur goût comme vous pouvez le constater. A mon avis il a du penser avec son pauvre cerveau ramolli qu ‘avec un costard il passerait inaperçu dans une banque. C’est réussi ! Chez Bouglione, sur la piste au milieu des clowns il passerait inaperçu. Malgré donc son air de con, il m’impressionne, enfin pour être précis c’est le truc qu’il a dans la main qui m’impressionne, pas le poil, non, mais le flingue. Je peux pas vous dire ce que c’est parce que moi les armes c’est pas mon truc, mais ce que je peux vous dire c’est que son bazard il est sacrément balèze, il doit avoir la force de frappe suffisante pour arrêter un char. Je m’étonne même vu la taille disproportionnée de l’individu qu il ne penche pas en avant…
Alors quand il dit : « ouvre les coffres connard », je réplique même pas, « monsieur connard s’il vous plait ». Non, je ferme ma gueule, je récupère la clé de mon adjoint dans sa poche. Oui faut tout vous dire ; il y a 2 clés pour ouvrit la porte blindée, qui sont réparties entre lui et moi.
Pendant ce temps y’a l’autre grand, gras, des nouilles plein les cheveux, qu’a jamais vu un peigne qu’est méchant comme une teigne (euh je m’égare) qui transpire à grosses gouttes dans son costard de blues brother. Il daube l’after-shave bon marché.
« fais pas le con on a un pote qui est avec sa femme et ses gosses »
J’ai pas envie de faire le con moi, j’ai envie d’en finir vite. M’en tape du fric de la banque, c’est pas le mien, y’a des assurances, c’est pas fait pour les chiens (si ? aussi ?). Et puis vu ce qu’ils me payent je vais pas jouer Rambo 8 !
Alors en route avec le nabot pour la visite guidée de l’agence, direction la salle des coffres. On laisse le grand con avec mon adjoint dans les bras de Morphée (ou de morflé avec ce qu il a pris).Le système de sécurité est basculé sur jour depuis mon arrivée, on descend l’escalier, mes doigts tremblent un peu, pas trop je me serais attendu à pire, je fais la combinaison, facile ma date de naissance. J’introduis les 2 clés, fais tourner le volant pour rentrer les pennes. Je tire la porte, ouvre la grille. Les autres matins je fais ces gestes inconsciemment, en écoutant Bernard me raconter sa soirée de la veille, toujours la même, avec bobonne et jean pierre Foucault, que même elle répond bien à toutes les questions, qu’elle pourrait gagner un million, mais qu’ils arrivent jamais à être sélectionnés, que pourtant ils envoient 10 SMS par jour, pas plus ça serait exagéré sauf le vendredi parce que elle est née un vendredi Ginette alors naturellement ça porte chance… et bien aujourd’hui toutes ces manipulations me paraissent ne plus en finir, je suis comme dans un rêve enveloppé de coton , comme au ralenti. J’ouvre le coffre de service prévu en cas de braquage, 5000€ histoire de dédommager l’effort d’être venu jusqu’à la salle forte. Visiblement ça ne lui suffit pas au petit gros
« tu te fous de ma gueule, t’as pas qu’un coffre »
-désolé y’a rien d’autre, ou alors c’est de la ferraille
Joignant le geste à la parole je lui ouvre le coffre 47 qui ne contient que de la mitraille, des pièces oranges et jaunes à en faire pâlir Bernadette et bander David…les pièces que nous remet chaque jeudi notre voisin boulanger.
Par contre j’omets de lui faire part de la présence exceptionnelle des 500.000€ qui reposent en paix dans le coffre voisin.
Surtout ne pas flipper, ils ne peuvent pas se douter, pas savoir. D’abord ce fric il devrait être parti. Il aurait fallu quand le client m’a prévenu hier après midi qu’il ne passerait que ce matin, faire une rentrée de fonds, c’est à dire tout mettre dans un sac, appeler le transporteur et recommander. Oui mais on n’aurait eu le pognon que lundi, car il faut passer les commandes avant treize heures pour pouvoir être livré le lendemain. Et comme vous pouvez vous l’imaginer un type qui peut se permettre de retirer 500.000€ c’est ce qu’on appelle un bon client, je dirais même plus, un gros client. Et il n’est surtout pas question de mécontenter un gros client, parce que ça gueule un gros client, et ça appelle la direction générale, et on finit par s’écraser platement en passant pour le dernier des cons. Alors on ravale, et on dit bien sur cher Monsieur ! Conclusion on a gardé le pognon dans nos coffiots. Ah si j’avais su, j’aurai pas du, comme disait petit Gibus.
« où est le reste du fric ? »
C’est pile le moment que choisit son pote pour nous rejoindre, le gras qui dégouline. Il devait s’emmerder tout seul là haut avec Bernard dans les vapes.
« file moi le reste bordel ! »
Je lui dirai bien oui, je lui dirai bien non, mais je n’ai pas le temps vu que le blues brother raté me file un sale coup sur l’arrière du crane. Boum, badaboum, trou noir Stop !
……………………………..
Ca fait combien de temps que je suis dans le potage ? Aucune idée.
Quand j’ouvre mes beaux yeux bleus le spectacle est pour le moins peu ragoûtant. L’adjoint, je devrais dire ce qu’il en reste, est étendu de tout son long sur le carrelage de la salle des coffres, baignant dans une mare de sang, le haut du ciboulot éclaté, comme soufflé de l’intérieur par une bombe. Pour compléter le tableau il faut vous dire qu’il y a des petits morceaux bizarres, roses un peu partout sur les murs. A bien y regarder c’est de la cervelle. Je me pose plus la question de savoir si c’est un vrai ou un faux flingue, devant le carnage y’a pas photo. Pas de doute il a été refroidi d’une balle dans la tête pendant mon sommeil. Elle a plus besoin de Jean Pierre Foucault la Ginette pour gagner des millions, elle vient d’hériter de la prime d’assurance vie de Bernard…
Dans un moment comme ça y’en a qui feraient je sais pas quoi, crier, hurler, pleurer, qui verraient en un instant défiler le cours de leur vie ; moi dans un moment comme ça, je renvoie passer tout mon petit déjeuner…..
Ch3
Une fois l’estomac bien nettoyé, y’a pas à dire, ça va mieux. Je me relève en évitant de regarder mon cadavre d’adjoint, j’ouvre la grille et sors des coffres. C’est déjà ça, ils n’ont pas pensé à m’y enfermer. Certains braqueurs ont de l’humour, ils te bouclent à l’intérieur. Y’en a même d’autres, encore plus drôles qui éteignent la lumière avant de partir, faut pas être claustrophobe, c’est tout.
A quoi ça sert vont me demander les plus éveillés ?
A retarder l’arrivée de la cavalerie. En réalité ça ne change pas grand chose vu qu’il y a un téléphone planqué dans un faux coffre, avec une ligne directement raccordée au centre de sécurité.
Qui plus est, il y a des systèmes de détection de fumée, de vibration, de coups ; il suffit donc de filer des grands coups de pompes dans les parois, pour qu’aussi sec le centre de détection s’inquiète et procède à une écoute à distance.
N’empêche que celui qui est enfermé n’est pas prêt d’en sortir, surtout si les braqueurs ont embarqués les clés. Le temps qu’on trouve un responsable qui aille à la banque de France chercher les doubles, si la BDF est encore ouverte…sinon faut appeler le fabricant de la porte blindée…. Heureusement il y a un conduit prévu pour l’aération, et un autre d’une vingtaine de centimètres de diamètre par lequel on peut passer de la nourriture, des boissons, on est prévoyant dans les banques…
Pour en revenir à mes moutons, mes braqueurs à moi ont donc laissé la porte ouverte, ils ont piqués tous les biffetons mais délaissés les sacs de pièces.
Le compartiment 195 n’a pas été ouvert, je sens toujours la clé au fond de ma poche de pantalon. Les 500.000€ reposent en paix.
Je remonte tout doucement l’escalier, logiquement ils se sont tirés mais j’ai l’angoisse vissée au ventre en faisant le tour de l’agence.
Soudain un bruit, plutôt un chuintement qui vient de la cuisine, je m’approche doucement…. C’est le café qui a fini de passer.
C’est dingue. Je regarde ma montre. Dix minutes ! Dix minutes seulement se sont écoulées entre l’arrivée des tueurs et maintenant. Dix petites minutes qui m’ont semblées une éternité.
Je me pose sur une chaise et essaye de rassembler les morceaux. Le reste du personnel ne sera là que dans un petit quart d’heure. Va falloir que je déclenche l’alarme. Merde, Bernard, sa femme, ses gosses qui doivent toujours être retenus en otages. Je fonce dans mon bureau, ouvre le premier tiroir, en sors mon carnet d’adresse, feuillette nerveusement jusqu’au L. Voilà, Lamort Bernard, pauvre type au nom prédestiné… Je compose son numéro….dreling….dreling….dreling….dreling…Que dalles, y’a personne où on ne veut, peut, pas répondre.
J’ouvre le second tiroir, j’en retire une bouteille de Jack Daniel, qui nous désaltère lors des réunions tardives. J’en avale une bonne lampée directement au goulot. Merde de merde, Bernard qu’est raide en bas. Mais que s’est il passé ? A tous les coups ils sont remonté chercher mon adjoint pour le descendre (si j’ose dire…) aux coffres, pour obtenir plus de pognon. Si ça se trouve n’ayant pas la clé il s’est fait buté à cause de moi…merde merde merde ! Qu’est qu il faut que je fasse moi ?
A oui la sécurité, les prévenir…
C’est là que je pète un câble. Je repense au coffre 195. Après tout….pourquoi ne seraient ils pas partis avec, hein ? Je descends à fond de train dans la salle forte, je déverrouille le coffre. 500.000€ en billets de 5000, ça fait pas si gros que ça, surtout attachés, moulés devrais je dire dans la poche plastique de la BDF. Ca fait quoi ?, la taille d’une petite brique.
Je remonte avec ma tirelire dans la main. Et maintenant que vais je faire (comme dirait Gibert) de ce fric ? D’ici 5 minutes ça va grouiller de flics ici, ils vont fouiller partout. Partout, partout …faudrait pas déconner, non je panique là. Y’a un macchabée en bas et moi je suis une victime.
J’ai une idée … direction les chiottes … Le sac il est imperméable ! Je démonte la chasse d’eau, je glisse délicatement mon magot dans le fond, je referme le dessus, revisse le bouton. Je tire la chasse…nickel, j’attends qu’elle se remplisse, hop je retire…c’est tout bon. Et en plus ça va faire économiser de l’eau à la boite !
Je retourne à mon bureau, une nouvelle rasade de Sky. Quatorze minutes depuis le début du braquage.
Je compose le numéro de la sécurité…
-allo, c’est l’agence de Neuilly la jatte, on vient de se faire braquer, ils ont tué mon adjoint, ils retiennent sa femme et ses gosses en otage….
Ch4
Et alors ? et alors ? et alors ?
Zorro est arrivé….un car de flic, toute sirène hurlante, pile devant la banque dans un crissement de pneus. Ce doit être un fan de Sarkozy et Hutch qui conduit…Les portes qui s’ouvrent à la volée, les bourres descendent, pistolet à la main. Ils ont du voir ça à la télé… Ils ne craignent pourtant pas grand chose, ça va bientôt faire une demi heure que les indiens sont partis !
Ils entrent dans la banque en territoire conquis, y’en a dans tous les coins, une vraie fourmilière. Leur chef, un flic en civil, accapare mon bureau qu’il transforme aussitôt en QG de campagne. Il désire m’interviewer, alors je lui vend ma salade.
-…..quand je suis revenu à moi, mon adjoint était mort, plusieurs coffres avaient été ouverts et vidés de leur contenu.
-oui mon adjoint possédait une partie des clés et moi l’autre.
-la clé du coffre 195 était détenue par mon adjoint (il n’allait pas dire le contraire…)
-non je n’avais aucune idée de la raison pour laquelle il l’avait tué alors qu’ils avaient 500.000€. Peut être l’ont ils tué, et fouillé ensuite et trouvé la clé qu’à ce moment?
-oui il y a une caméra de surveillance mais le magnétoscope est en panne depuis une semaine, on attend le réparateur…
Ca a l’air de lui plaire. Ce qui lui plait également c’est la description des 2 braqueurs, un black, un beur dans les 25, 30 ans, jean, blouson, baskets. C’est sans doute le modèle prescrit dans les manuels…
Après je dois lui raconter ma vie, celle de mon adjoint, dire ce que je sais du reste du personnel. Le dit personnel qui est également interrogé, questionné.
Puis un autre flic m’interroge, me repose les mêmes questions débiles, je m’insurge.
-merde, je viens de me faire braquer, assommer, on a tué mon collègue et vous m’emmerdez en me traitant comme un suspect, c’est une honte on n’est pas des voleurs quand même !
Bon enfin moi si, un peu, mais il ne le sait pas ; et puis ça change quoi au décor, j’allais pas laisser le fric là en plan, merde y’a une assurance. Il est bien mieux dans ma poche, enfin dans la chasse pour le moment.
Le téléphone sonne, le flic décroche. Faut surtout pas qu’il se gêne, c’est mon bureau quand même. Il a l’air emmerdé.
« oui, ah ? bon. »
Il raccroche.
« vous étiez proche de Bernard Lamort ? »
-proche, comment ça ? je passais entre 8 et 10 heures par jours avec lui, 5 jours par semaine, oui on peut dire qu’on était proches. Mais pas amis si c’est ce que vous voulez savoir
« vous connaissiez sa femme et ses mômes ? »
-je les ai vu une fois ou deux quand ils venaient le chercher au bureau.
« on vient de retrouver sa femme et ses deux gamins morts. Chacun une balle dans la tête, la femme attachée et bâillonnée sur une chaise, les gosses dans leurs lits. On pense qu’ils ont été abattus pendant leur sommeil, ils n’auront pas souffert »
Il me fixe droit dans les yeux.
« ça tourne au carnage cette affaire, vous lui connaissiez des ennemis, des relations douteuses, une maîtresse ? Il était joueur ?… »
Et ça continue comme ça toute la matinée.
Vers midi le flics se taillent. Le cadavre a été emballé dans un sac plastique, et embarqué par le SAMU, direction la morgue.
Je reste seul dans l’agence avec un bonhomme du siège, que la direction a envoyé sur place pour voir. Il a l’air bien emmerdé. Il me dit que je peux rentrer chez moi, qu’il faut que j’aille voir un médecin pour faire établir un certificat, on ne sait jamais, on en a connu qui sont tombés en dépression suite à un hold-up. Lui il doit rester pour attendre le vigile.
-Un vigile pourquoi faire y’a plus un rond ?
« c’est la procédure en attendant que le système d’enregistrement soit réparé, ils doivent me téléphoner»
C’est vraiment con les procédures…
Enfin… je plie les gaules, enfile mon duffle-coat et sort dans la rue en ayant une pensée pour le pognon qui baigne dans la chasse d’eau. Il faudra attendre lundi pour le récupérer, en espérant que le vigile n’ait pas les intestins détraqués...
Ch5
Je fais une partie du chemin pour rentrer chez moi à pied. Il fait beau, froid mais beau, je n’ai rien de spécial à faire. Je me sens mal à l’aise, pas bien, comme brouillé. Sûrement la trouille rétroactive, j’aurais pu y rester moi aussi. Pour ce qui est du fric, je n’ai aucun remord. Franchement, voler une banque qui exploite son personnel, est ce vraiment du vol ? D’autant plus que l’assurance en remboursera sans doute une bonne partie.
Je suis pas bien. En rentrant chez moi je me désape, j’avale deux témesta et au dodo. Il a beau être que 15 heures, j’ai besoin de dormir, d’oublier…
Lorsque que je me réveille il fait nuit noire. J’ai la tête un peu plombée, les restes du coup sur le crane et l’effet secondaire des somnifères. Merde je ne suis pas aller voir le médecin, tant pis. Je jette un œil sur le réveil, j’ai dormi six heures ! Je me lève mécaniquement , allume le tuner et me dirige vers la salle de bain pour m’y doucher. J’ai vraiment la tronche en biais. L’eau froide m’éclaircit un peu les idées. Un petit tour dans le frigo pour constater qu’il n’y a rien à bouffer.
« France Inter, les actus de 22h présentées par xxxxxxxxx. Dans l’affaire du hold up de Neuilly sur Seine, on ne connaît toujours pas l’identité des malfaiteurs qui ont ce matin assassiné un employé de banque, sa femme et ses deux enfants. Rappelons les faits, ce matin vers 8h, blabla blabla blabla… »
C’est bon les faits je les connais suffisamment, pas besoin d’une rediffusion. Je m’approche du poste pour l’éteindre quand ce que j’entends me cloue sur place.
« …la somme dérobée est de 505.000€… »
Alors là je tombe littéralement sur le cul. Jamais une banque ne communique le montant du fric piqué. Où ont ils péchés cette information ?
Je m’habille et sors pour bouffer un peu.
Ch 6
La neige s’est remise à tomber, ça caille.
J’ai envie de chinois, donc direction le 13ème. Le Chinatown parisien, triangle (d’or ?) délimité par les portes d’Italie, Vitry et la place d’Italie plus au nord. Le coin idéal pour trouver les meilleurs restos chinois de la capitale (avec un coin de Belleville aussi). J’opte pour la marche jusqu’au croisement des avenues st Mandé et Arnold Netter, de la Nation j’en ai pour un petit quart d’heure, ensuite je prends le 62 qui m ‘emmène directos jusqu’à Tolbiac. En plus il tourne jusqu’à 0h30 ; que demande le peuple ?
Le quartier est animé, pas spécialement parce que c’est vendredi, il y a toujours du monde. Les deux super marchés Paris New Store et surtout Tang Frères, drainent ici les amoureux de la cuisine asiatiques ; la galeries marchande quant à elle, emplit de joie les amateurs d’exotisme.
Je décide d’aller dans un petit resto de l’avenue d’Ivry. Ici pas de décor ostentatoire, pas de fontaine lumineuse comme dans les restos de quartiers, ni décor adéquate (comme Sheila…) rien que 5 tables en formica et quelques chaises autour, mais une vraie bonne bouffe chinoise assurée. Pattes de canards à la sauce aux haricots rouges, travers de porc sauté sel et poivre, le tout arrosé d’un lait de soja glacé. Trente minutes plus tard je repars prendre mon bus pour rentrer at home (comme on dit à Tchernobyl). J’ai hâte de me mettre au chaud et de siffler une petite Chimay bleue.
La place de la Nation est déserte, seules quelques bagnoles glissent vers le cours de Vincennes pour regagner le périf. Trois poivrots attardés au zinc du Canon ont décidé de faire la fermeture.
Je pousse la porte de mon immeuble et gravis les cinq étages qui me séparent de mon nid douillet. Sur le palier, je découvre, un peu essoufflé, mon gros chat noir et blanc couché sur mon paillasson. Je n’ai pas souvenir qu’il soit sorti celui la. A mieux y regarder je m’aperçois que ma porte a été ouverte. Merde c’est vraiment pas ma journée. Je prends super matou dans mes bras et pousse doucement la porte avec mon épaule, et là je me sens tiré vers l’intérieur, mon chat en profite pour se carapater en me griffant le nez au passage, et je me retrouve catapulté sur le canapé, avec un type assis sur moi qui me braque son flingue sous mon pauvre nez sanguinolent. Dans la pénombre je ne vois rien, il faut que la lumière se fasse pour que je reconnaisse mes deux braqueurs du matin. Mon intérieur déjà peu soigné en temps normal, il faut bien l’avouer, est tout chamboulé. Un typhon est certainement passé par là.
Tout ça ne m’explique pas comment les Laurel et Hardy du hold-up sont arrivés chez moi. Comment ont ils eu mon adresse ? je suis sur liste rouge en plus. Pas par les flics, on leur file l’adresse du siège de la banque pour éviter ce style d ‘emmerdes. Pas possible non plus qu’ils m’aient suivi, ils avaient sans doute d’autres chats à fouetter, à commencer par se planquer.
J’ai pas le temps de pousser plus loin mon raisonnement, je me prends une gigantesque claque dans la gueule.
Heureusement que c’est pas l’homme à la chevalière qui m’a frappé sinon j’y laissais la moitié de ma joue.
« dis ducon, tu nous prends pour des caves, hein ? »
Re-claque, sur l’autre joue ; ce doit être des chrétiens ?
« tu vas gentiment nous dire où tu as planqué les 500.000€ qui nous manquent »
C’est pas vrai un coup comme ça ; ils ont du entendre les infos, se sont doutés que je m’étais embourbé le fric et hop les duettistes déboulent chez moi. Putain qu’ils sont cons ces journalistes, si j’en avais un sous la main je lui ferai passer le goût d’informer. Du jamais vu les braqueurs vont chez le banquier parce qu’ils n’ont pas eu assez de fric !
Bon, c’est vrai aussi que ce n’est pas tous les jours que l’employé de banque modèle, costumé et cravaté, carotte 500.000€ à sa banque.
« alors il est où le blé ? »
Bing claque again !
Qu’est ce que je peux bien leur dire pour les calmer? La vérité, enfin une sorte de vérité ? Si je leur dis où est le fric ils vont pas me lâcher avant lundi, merci très peu pour moi. Qu’est ce que vous voulez que je leur raconte ? Que je les ai filé aux restos du cœur ? Leur dire que les journaleux sont tous des gros menteurs avides de sensations fortes ; peu plausible qu’ils me croient. Alors j’essaye de dialoguer. Bien mal m’en prend je me récupère une nouvelle mandale, accompagnée cette fois d’un pointu dans le tibia.
Aïe !
Ca doit les gêner que je crie. Je pense pas que je les émeuve, non, ils se méfient plutôt du voisinage. Le voisinage, je me marre… enfin façon de parler… Tu parles d’un voisinage ! Mon voisin de palier, 87 ans aux dernières vendanges, comme il se complait à le répéter chaque fois qu’il me croise dans l’escalier, sourd comme un pot sans oreille. Tellement sourd qu’il lui arrive de couvrir ma chaîne avec sa télé ! Celui du dessus ? un jeune mec toujours dans les vapes, une sorte d’extra-terrestre défoncé du soir au matin à je ne sais quoi, mais à voir sa pôvre tête ça doit être du bon ! Et en dessous c’est l’appart du coiffeur, Jean-René qu’il s’appelle, il s’en sert comme entrepôt. Il y a d’ailleurs des voisins qui se sont plaint, qu’un bel appartement soit laisser comme ça, et qu’un jour ça risquerait même peut être de sauter ; ils voient ça comme le petit Tchernobyl du douzième… Moi j’m’en fous. L’inconvénient c’est qu’il chauffe pas ce radin de merlan, l’avantage c’est que je peux faire du bruit sans qu’un Dupont la joie vienne me casser les burnes. Le gros inconvénient du moment c’est qu’il n’y aura pas un seul voisin pour se bouger le cul même si je hurle à m’en fendre l’âme !
Le gros se dirige vers ma chaîne et l’allume. Il se saisit du bras de ma platine et le dépose sans ménagement sur le disque CCCRRRRRRRRRR…merde mon disque ! mon diamant ! il respecte rien ce jean foutre !
C’est marrant comment dans un moment comme celui que je suis en train de vivre, on puisse penser à des choses comme ça, bassement matérielles, alors que l’autre agité du bulbe, s’il a branché la stéréo ce n’est sûrement pas parce qu’il est mélomane, lui, ce serait plutôt salconmane ! Ouais en attendant moi j’y tiens à mes disques, la musique c’est une passion chez moi. Et attention il n’est pas question ici de Cd, non et non ! 2000 disques, et que du vynil ! Du beau, du bon du gros vynil avec de grandes pochettes sur les quelles on n’a pas besoin d’une loupe pour déchiffrer les textes ou les subtilités d’un dessin ! Du vieux vinyl qui crachouille quand ils vieillissent, c’est vrai. Mais avec un son chaleureux qu’on n’a jamais su reproduire en compact ! Ah c’est sur le son du Cd est propre, pur, très pur, voir aseptisé, electronisé mais froid ! Tiens y’a qu’à écouter les riffs d’intro que Keith richard tire de sa strato, le son rauque de sa voix qui essaye de nous faire croire qu’il est heureux. Mettre happy dans un pareil moment ça pourrait être de l’humour noir ; non de l’humour ils en manquent. Sur que le morceau ils n’en ont rien à foutre, le comparatif vinyl-Cd ils ne doivent pas en penser grand chose non plus. Pour eux la musique ce n’est que du bruit qui va servir à couvrir mes cris !
Là je commence à flipper pour de bon ; c’est trop raccord mauvais film de série B. Manque de pot c’est moi « que je joue » le rôle du pauvre type qu’on torture. Et à ma connaissance y’a pas un super héros qui va venir me sauver en m’arrachant aux mains des malfaisants. Quelque part je suis assez content de ne pas posséder de baignoire, ça leur évitera d’avoir de mauvaises idées, du genre toute tête plongée dans l’eau reçoit de bas en haut une pression égale au volume d’eau déplacé minoré de celui avalé….
Pas besoin de baignoire pour dérouiller, pendant que le grand me tape, le petit retourne tout mon appartement du sol au plafond, mes disques, mes livres, mes BDs et le reste. Ca ressemble vite aux images vus à la télé d’un atoll dévasté après le passage d’un cyclone.
Et l’autre grand con qui continue à me baffer à tour de bras ; et moi qui jacte pas. Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi je ne ressens pas la douleur. Sans doute la rogne rentrée en moi.
Voilà le petit qui tombe sur ma trousse à couture et qui farfouille dedans, y déniche une aiguille ; ça le rend tout jouasse. Il veut se recoudre un bouton ce con ?
« tu me le tiens bien, j’vais lui piquer l’œil au banquier on va voir s’il continue à pas moufter ».
Sont cons ces mecs ou quoi ? eh moi je joue plus là. Des fêlés je vous dis. Ils ont du prendre des cours de torture chez les anciens de la SS, ou alors s’abonner au magazine du petit tortionnaire. Enfin moi, j’arrête de jouer, je me couche, m’aplatis, baisse les brèmes. On peut me traiter de lâche je m’en fous.
Merde c’est mon œil ! A moi !
Comment je ferai, sans, pour aller à Beaubourg voir les toiles de Matisse ? Et puis ça doit faire horriblement mal.
Alors je leur déballe tout.
Finalement ils ont l’air de me croire. Ils ont l’air un peu emmerdés, devaient pas s’attendre à ça.
« aller, habille toi, on va faire un tour »
Et nous voilà partis tous les trois dévalant l’escalier.
En routes pour de nouvelles aventures.
Et puis ç’aurait pu être pire, ils n’avaient pas fait de mal à mon gros chat…
Ch 7
On a laissé mon appartement en vrac, claqué la porte et enfilé l’escalier..
Le temps s’est refroidi, mais il ne bruine plus. Un peu de neige subsiste encore sur les pelouses des espaces verts.
Ils me conduisent à leur voiture et me font monter à la place du mort. C’est pas de bonne augure…
Je n’arrive pas à identifier la marque du véhicule. Faut dire que je ne suis pas fana de bagnole. Qui plus est je n’en ai pas.
Ce qui me fait passer pour une espèce en voie de disparition auprès de mes collègues, qui eux en bons citoyens, en hommes virils (que dis je, maintenant bon nombre de femmes deviennent aussi cons que les mecs et dingues de voitures) passent leur temps à parler moteurs, cylindrées, grand prix de formule machin ; à attendre le salon de l’auto (euh pardon le mondial ; le mondial des cons ?) pour aller reluquer les derniers modèles de BM (comme ils disent) qu’ils ne pourront jamais se payer.
Revenons en à notre, enfin leur bagnole. Le petit se met au volant et le grand dans mon dos. Machinalement je jette un œil à ma montre 0h10. La voiture traverse la place de la Nation et enfile le cours de Vincennes jusqu’au périf extérieur. Pour ceux qui n’ont jamais compris comment fonctionnait le périphérique j’explique : on dit qu’il y a l’extérieur qui est à l’extérieur, donc coté banlieue, et l’intérieur qui est coté intérieur donc Paris. Ca y est, vous visualisez ? Attention quand je dis extérieur faudrait pas confondre avec les extérieurs qui eux sont les boulevards des maréchaux. Donc si on est sur le périf extérieur, c’est celui qui tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, on va aller vers le nord ; pigé ? Le temps que je vous explique on le quitte porte de Saint Ouen, CQFD. Virage à droite pour enquiller une avenue bordée d’arbres, on passe sous un pont de chemin de fer. Le grand me fait sentir de temps à autre le canon de son arme sur ma nuque. Arrivés sur une place, sans doute la mairie, on bifurque à gauche, puis à droite et re-à gauche. J’ai beau avoir le sens de l’orientation je me sens largué.
On franchit maintenant un pont, la seine, puis un nouveau pont, la Garonne cette fois ? non je déconne, c’est toujours la seine, il doit s’agir de l’île Saint Denis. On continue à rouler dans une zone industrielle jusqu’à une casse où le véhicule s’immobilise. Le conducteur descend et s’éloigne.
Merde, je n’en mène pas bien large. Ils vont quand même pas me buter là ?
Au bout de cinq minutes le mini molosse réapparaît tenant un grand sac de sport à la main. J’espère qu’ils n’ont pas prévu de m’emmener au gymnase, c’est pas mon truc la muscu. Il monte dans la caisse et en voiture Simone, on repart. Rapidement on se retrouve sur une autoroute qui repasse sur la seine (ah méandres quand tu nous tiens…) direction Pontoise, puis à droite direction Taverny. Plus on avance plus il y a de neige. Sortie saint Leu, on traverse le patelin endormi, puis on prend sec sur la droite une route qui grimpe en lacets dans la forêt. Un panneau indique la direction de Chauvry. On se croirait en pleine montagne, surtout avec la neige. Je m’accroche tant bien que mal à ma ceinture, la conduite en souplesse n’étant pas le style de notre chauffeur.
On finit par déboucher sur une route de forêt bien droite, dégagée mais de chaque coté c’est tout blanc. A nouveau des virages, puis une descente, une montée des virages encore. Qu’est ce qu’on fout ici ?
Et l’autre taré qui attaque toujours. Il s’entraîne pour le rallye de Monte Carlo ?
D’un coup l’impression de flotter, la voiture quitte la route, elle se retourne et puis soudain un choc sec, énorme, elle a fini sa route sur le tronc d’un arbre au fond d’une petite ravine. Le conducteur ne fera plus de rallye ou alors ça sera duraille, sa tête ayant été à moitié tranchée par la vitre de la portière. Derrière moi, silence radio. Je décroche difficilement ma ceinture de sécurité, ouvre la porte et descend (tombe serait plus approprié) du véhicule. Pas facile de s’extraire d’une bagnole qui vient de se retourner. Je regarde à l’ arrière, le grand ne bouge pas. Je m’en sors plutôt bien, pas de bobo, pas même une égratignure. Si j’ai un ange gardien il n’a pas chômé depuis ce matin…Par terre le flingue, je me baisse et le ramasse. C’est le moment que choisi le grand con pour se réveiller et me sauter dessus. Il est costaud le bougre. Il était devrais je dire car il n’est plus ! En me sautant dessus il a réussi à me coincer le bras et me tordre le poignet en même temps. Le coup est parti tout seul, une bavure quoi ! Il ne s’en remettra pas, une balle logée en plein cœur.
Ca ne me fait ni chaud ni froid, pourtant c’est la première fois que je tue quelqu’un. Non ça ne me fait rien. Du froid peut être, faut dire que je suis allongé de tout mon long dans la poudreuse.
Je me relève, mets le flinguo dans ma poche. Pourquoi ? je n’en sais foutre rien. Par réflexe ? tout seul en forêt, je crains sans doute d’être attaquer par des loups ? voire des loups garous ? (tant qu’il ne chante pas…) Je remonte vers la route, la neige recommence à tomber ça couvrira mes traces.
BAOUM !!!!!!!!!
Je me retourne en sursaut, la voiture vient d’exploser. Questions traces ça va en effacer un max d’un coup. C’est pas plus mal.
Bon c’est pas l’tout, j’vais pas coucher là moi, j’suis pas d’ ici. Je dois plus être bien loin du patelin annoncé.
Effectivement 10 minutes plus tard j’arrive à Chauvry. Pas un chat. Un vrai village fantôme. Un grand panneau ventant la qualité des fromages de chèvres vendus à la ferme du coin. Pas question de frapper à une porte. Ce qu il me faut c’est un moyen de locomotion et du temps pour réfléchir. Et visiblement c’est pas ici que je vais trouver une voiture ou un train ! Rien, nada ! et puis une caisse faut encore la démarrer. Désolé mais moi j’ai pas l’habitude de jouer dans les polars. Démarrer une caisse sans clé je sais pas faire. Ca peut paraître con mais c’et comme ça.
J’arrive à un stop. Tout droit l’Isle Adam, après tout je ne risque pas grand chose en y allant. Des champs, de la foret, c’est vert dans le coin, enfin ça doit être vert quand ce n’est pas blanc…
En attendant moi je me caille, un kilomètre à pied ça use ça use…
Mes yeux s’accoutument de mieux en mieux à la pénombre, la marche est moins pénible, je me planque 3 fois pour laisser passer 2 voitures et un camion. Pas la peine de laisser des témoins. Je finis par arriver au sommet d’une butte, l’entrée de l’Isle Adam. Je commence à peiner pour marcher, il est 2h30. je descends une rue droite menant au centre ville. Ca ressemble à une petite ville bourgeoise de province, pourtant on est pas si éloigné que ça de la capitale. Bien sur la gare est à l’autre bout du bled et il faut que je traverse tout le patelin, prendre 3 ponts successifs qui enjambent l’Oise (c’est marqué sur un panneau). Drôlement cocounet le village, de belles demeures, avec jardin donnant sur la rivière.
N’empêche que question transports ça ne vaut pas Gennevilliers ! le premier train passe à 5h55 et encore faut il changer pour arriver à Paris plus d’une plombe plus tard ! Génial ! je vais pas rester là comme un con à me les peler (cailler plutôt parce que peler ça doit vraiment faire mal…) et risquer de me faire ramasser par les flics. Demi tour donc. Le long de l’Oise j’ai aperçu des lumières, allons y voir…
Le Banana Club s’étale dans toute sa splendeur. Le style de rade dans lequel les jeunes gens chics emmènent leur copine boire un coup avant d’en tirer un…
C’est pas l’envie qui me manque d’y pénétrer et de commander un grand grog bouillant, histoire de me réchauffer un tantinet, mais la sagesse l’emporte. Moins on me verra et mieux ce sera.
Je reste planqué un bon quart d’heure avant qu’un gogo veuille bien sortir. Le gogo en question est avec une gogote, enfin une dame quoi. Ca sent le couple illégitime cent mètres à la ronde ; tant mieux ces gens là recherchent logiquement la discrétion…ils ne devraient pas me poser de problème. Au moment où ils s’approchent de leur de leur voiture je les aborde en sodomite (par l’arrière quoi…).
- on ne se retourne pas je suis armé. On ouvre bien gentiment le coffre en laissant les clés dessus, on monte dans le coffre. On ne se retourne pas j’ai dit ! On se dépêche de monter dans le coffre, vous aussi madame
Clac, je referme le coffre et leur glisse :
- n’en profitez pas pour faire des cochoncetés…
Je me mets au volant et le contact itou…Il ne me reste plus qu’à suivre les panneaux Paris.
Trois bornes plus loin je m’arrête en pleine forêt, sur le siège passager il y a un foulard, certainement celui de madame, il va me permettre de me déguiser en Zorro…
Je fais sortir mes deux tourtereaux du coffre.
-bonne nuit mes loulous
Puis je repars en faisant vrombir le moteur, les laissant sur place, médusés, main dans la main sous la neige. Tiens, je regrette de ne pas avoir un appareil photo, je les aurais bien immortalisés les tourtereaux…
Je suis content de moi, les lâcher en pleine cambrousse ça devrait retarder un max le moment de l’alerte. Le temps qu’ils retournent à pinces à l’Isle Adam, surtout en mocassin croco et talons aiguilles, je serai rendu à paris.
Ch8
Je mets le chauffage à fond, orienté sur les pieds. Après deux heures de marche dans la neige je vous assure que ça fait un bien fou. Pas mal sa caisse au mec, grand confort, intérieur cuir, j’aurais pu tomber plus mal. La stéréo est bonne, je me branche sur France Infos, ils passent du jazz, sans doute Miles Davis, un truc lent et cool. Comment font ils pour choisir leurs disques sur les radios ? C’est dingue, la nuit ils te passent des trucs qui au mieux t’endorment, au pire te dépriment. La trompette du maître est interrompue (et en plus ils ne passent pas les morceaux dans leur intégralité ! et encore sur France Infos c’est pas les pires, eux leur truc c’est l’info, alors on peut pas trop leur en vouloir. Par contre y’en a d’autres qui te découpent les morceaux comme s’il s’agissait d’un sauciflard. Et que je te bouffe les intros en racontant des conneries, et que je te shuinte les fins en te balançant de la pub, « faut bien qu’on vive… » ou encore qui raccourcissent les morceaux de moitié histoire d’en faire tenir plus dans le temps qui nous est imparti. Je m’énerve, je sais, mais ça m’énerve !)…(où en suis je au fait ?)…(ah oui)…la trompette du maître est interrompue par le flash de 3h30.
« TIN TIN TSOIN, France Infos, le flash de 3h30. La France est toujours sous la neige, ce qui rend les routes glissantes et dangereuses. Vous qui nous écoutez dans votre véhicule, pensez à lever le pied. Nous vous rappelons que Météo France a lancé un bulletin d’alerte orange jusqu’à lundi 15h sur l’ensemble du pays. Ne prenez votre voiture qu’en cas d’absolu nécessité. Cette neige qui enchante les enfants et les grands enfants que nous sommes restés, cette neige provoque aussi des accidents. C’est le cas dans le bas Rhin, sur l’autoroute de l’est, après la sortie Saverne, où un poids lourd est allé percuté un groupe de voitures arrêtées suite un à accident. Bilan 4 morts, 8 blessés dont un grave. L’autoroute est fermée dans le sens Paris province, une déviation vient d’être mise en place. Un autre accident mortel vient de se produire en région parisienne dans la foret de Montmorency où une voiture a brûlé après avoir quitté la route, faisant 2 victimes. Pas de nouvelles dans l’attaque de la banque de Neuilly sur seine, les malfaiteurs sont toujours en fuite. Le commissaire Ventura qui suit cette affaire est optimiste, il pense qu’un dénouement devrait intervenir d’ici la fin du week end. Rappelons que ce hold-up sanglant a fait 4 morts, un employé de banque ainsi que sa femme et ses deux enfants qui avaient été retenus en otages. Sport maintenant, nouvelle victoire du Red Star face au Paris St germain…. » j’ai jamais été sportif, c’est pas maintenant que je vais commencer, alors je change de fréquence…
Je me retrouve sur la RN1, sur la droite une autoroute part en direction de Cergy Pontoise, je continue tout droit. A cette heure l’avantage c’est que c’est fluide comme ils disent, moi je dirais liquide. Pas un chat on the road, les chasse-neige sont passés, et ont salé. Un grand échangeur, Roissy ou Cergy (encore) ou bien tout droit Paris par la nationale. Bof j’ai envie de boire un verre, de me poser, de réfléchir, autant arriver par le nord, j’irai faire un tour sur Pigalle, je suis sur d’y trouver un rade ouvert. Je traverse des banlieues merdiques. Je n’arriverai jamais à comprendre qu’on puisse autoriser la construction de n’importe quoi ! en l’occurrence de merdes pareilles sous prétexte que c’est le long d’une nationale. Des casses, des hangars, des zones industrielles, voir industrieuses, quelques pauvres pavillons qui étaient là avant, et qui se retrouvent coincés entre un géant du meuble (de merde) et un hyper (de merde aussi, y’aura pas de jaloux). C’est fou ça, toutes les sorties de Paris sont aussi dégueulasses les unes que les autres ! Pas une nationale qui y échappe. Sauf peut être la RN12 ; faut dire qu’elle ressemble davantage à une autoroute et qu’elle traverse qui plus est, les endroits chics. Et oui il existe encore des endroits protégés. Tiens par exemple, pourquoi le périf est il enterré dans le 16ème alors qu’il passe au ras des 1er étages dans le nord. Pourquoi les usines sont elles souvent en banlieue nord ou est à coté des cités? Y’en a qui vont me dire que c’est les cités qui sont venues après pour que l’ouvrier soit à coté de son boulot. Mais c’est pas juste ça ! Le pauvre patron lui, il doit se taper tous les jours Neuilly sur seine – la Courneuve, ça doit l’user le patron. Mouais, et alors pourquoi les usines polluantes sont elles toujours au nord ou à l’est ? C’est encore le prolétariat qui est venu s’y coller, ou bien serait ce un simple hasard que les vents soient orientés ouest-est ou sud –nord ? évitant ainsi de polluer Paris ! Je délire ?
Alors pourquoi la centrale atomique qui alimente Paris est elle à 100 bornes à l’Est ? A Nogent sur Seine, pas sur marne non c’est trop près. Pourquoi ? parce qu’en cas de Tchenobylement de la centrale, le vent pousserait le nuage radioactif vers l’est en épargnant la capitale !
Oui et si le vent venait de l’Est ? c’est très très rare. Et Tchernobyl alors ? Bah le vent il s’est arrêté à la frontière c’est bien connu, c’est Madelin qui l’a dit.
Euh je m’égare… j’ai pris machinalement la direction de Saint Ouen. Tiens question usines et pollution ils sont gâtés avec la belle usine de retraitement des ordures ménagères qui pollue beaucoup moins qu’avant! Arrivé porte de st Ouen, tout droit sur Guy Moquet, le bar Belge est fermé. Je reste sur ma première idée, Pigalle. Je continue donc sur la Fourche, avenue de Clichy, bouchée de jour comme de nuit ! je laisse la caisse en double file sur la place pigalle. C’est l’avantage des voitures volées, aucun soucis de stationnement… Je finis par trouver un pub ouvert, devanture bleue, vitre en culs de bouteilles. Il y a un monde fou, j’arrive à me faufiler jusqu’au bar et commande une veuve noire, champagne et guiness. Ca passe ou ça casse.
Au vu de ce que je viens de vivre ces dernières heures, ça ne peut me faire que du bien. A peine le premier verre sifflé, j’en commande un second. Je laisse mon regard survoler toute cette faune. Ca va de la pute qui fait une pause entre deux passes, à son mac qui la soulage du poids du fric qu’elle sort de son sac à main en faisant tomber quelques capotes, encore vierges. Un touriste allemand sort des chiottes en rotant sa bière anglaise, il supporte mieux la Munich ; il reluque la pute. Des japonais font chier tout le monde en prenant des photos de n’importe quoi, n’importe qui. Un cadre trimballe sa secrétaire escomptant bien se l’envoyer. Un foirineux qui se ballade entre deux vins s’arrête ici pour se finir. Un mec triste, seul avec une pince à vélo sur le bas de son falzard, se cherche au fond du cocktail bleu qu’il sirote à la paille. Un groupe de collègues s’en envoit un dernier avant de rentrer retrouver bobonne. Un ivrogne d’un soir en difficulté pour se tenir sur son tabouret, accroché au zinc comme un morpion à une couille, demande au garçon :
« un naut siuoupli, siouvp, sivloupait glaçon »
Deux éboueurs noirs se tapent un casse dalle en buvant un coup de blanc avant de reprendre leur taf.
Pendant ce temps, je réfléchis. Que faire, aller voir les flics ? je ne suis pas trop chaud, mieux vaut continuer à faire le mort.
Rentrer at home (de Savoie) ? pourquoi pas ? mais le troisième homme est toujours dans la nature. Il ne devrait pas se risquer chez moi. Et puis je pourrais me reposer un peu, prendre une douche. Je règle la douloureuse et sors du bar.
La pute avait repris son tapin, elle arpente son bout de macadam, cherchant le dernier client.
Reste plus qu’à rentrer chez moi. Eviter les taxis, c’est ce qui se dit dans les polars. Bon reste le métro, et en plus c’est direct.
Y’a pas encore foule la dedans. Des ouvriers qui vont au turbin, des fétards qui rentrent se coucher, il est cinq heures Paris s’éveille et moi j’ai sommeil…
Toujours aussi glauque le trome, et encore cette ligne est en partie aérienne !
J’arrive chez moi 5 minutes avant 6 heures. Je suis crevé, vidé, usé, désabusé. Je me désape rapidos, je rangerai le foutoir demain. Pour l’instant une douche et dodo. Je mets un pied dans la douche, un deuxième pied dans la douche … et c’est là que logiquement le téléphone sonne. Et bein non, raté, c’est la sonnette de la porte d’entrée qui pléonasme. Merde.
J’enfile mon peignoir et vais récupérer le flingue dans la poche de mon duffle-coat. Je m’approche discrètement, prenant bien soin de ne pas faire grincer les lames du parquet.
Au travers du judas je voie deux flics en uniforme. Je remets vite fait le feu dans ma poche et retourne ouvrir aux bourres.
« z’êtes bien monsieur Zardoz ? richard Zardoz ? »
-oui c’est bien moi, que se passe t’il ?
« le commissaire Ventura qui suit l’affaire de la banque veut vous voir tout de suite pour l’identification de deux suspects. Habillez vous rapidement, nous avons un véhicule en bas pour vous emmener »
Décidément c’est fou le nombre de gens qui veulent me transporter en ce moment…
« pouvons nous entrer en attendant ? » ils joignent le geste à la parole sans attendre mon accord.
« vous avez été cambriolé ? »
-non, non, juste une petite dispute avec une amie
« et bein vot’ copine elle y va pas de main morte, on dirait »
Ca commence à sentir le roussi cette histoire. Je prends mes fringues sur le lit, récupère mon duffle-coat et pars dans la salle de bain pour m’habiller. C’est raté pour la douche et le repos.
Que faire du flingue maintenant ? Le planquer ici, comment m’y prendre ? et ce n’est pas la meilleure solution si les flics décident de perquisitionner.
Autant le garder sur moi, ils ne penseront jamais à me fouiller. S’ils cherchent quelque chose c’est le fric, un indice mais pas une arme.
Je rejoins ces messieurs et les suis après avoir soigneusement fermé à clé ma porte d’entré, histoire de leur prouver que je n’avais pas été cambriolé. Heureusement que les deux cons hier soir ont ouvert ma porte proprement !
Devant l’immeuble, en double file (pourquoi se gêner ?) une voiture de police nous attend effectivement. Ca va faire bon genre auprès du voisinage !
Ch9
Le chauffeur prend le boulevard Diderot jusqu’à la gare de Lyon avec sa grosse horloge, et s’arrête place Mazas. Qu’est ce qu’on vient faire ici ? ce n’est pas la tour pointue, mais l’institut médico-légal de la préfecture de police, plus communément appelée la morgue..