H2G - Hand of God game

Gérard Dargenson

Le jeu de la main de Dieu - chap. 8


APÔTRES PARANO


Annie me raconte l'histoire d'une collègue qui a quitté un poste parce qu'elle était harcelée.

— Elle a mis longtemps à comprendre ce qui avait bien pu lui arriver, jusqu'à ce qu'elle rencontre une ancienne collaboratrice de son directeur, qu'il avait réussi à faire partir pour la remplacer dans son équipe. Elle lui a expliqué que ce directeur est un peu parano, il ne peut pas travailler avec n'importe qui.

— Il ne peut s'entourer que d'amis ?

— Non, cela encore, ce serait honorable. En fait, il ne sait travailler qu'avec les gens qui lui doivent quelque chose. C'est une technique managériale comme une autre.

— Une technique mafieuse ?

— N'exagérons pas ! Mais partout où il est passé, peu après les agents de direction en place étaient manœuvrés plus ou moins cordialement afin qu'ils aillent exercer leur talents ailleurs, pour qu'il puisse placer ses pions.

La collègue d'Annie avait découvert ce qu'est la paranoïa, la pire des perversions. Le monde a déjà connu cette malédiction à grand échelle : Tamerlan et Hitler sont les chefs de file de ces joyeux lurons qui passent leur vie à inlassablement punir et même massacrer les supposés coupables de leurs terreurs maladives. On connait les exploits du second, mais on a oublié que premier à détruit Bagdad et Delhi, battu les Ottomans qui venaient pourtant de défaire les armées Chrétiennes, vaincu les hordes Mongoles et s'apprêtait à envahir la Chine au moment de mourir. Ce conquérant a puni les défenseurs d'une ville assiégée en piétinant leurs enfants avec sa cavalerie, trainant leurs femmes attachées par les cheveux, et enterré vivant les hommes mais en jetant la terre sur des planches pour faire durer le plaisir. Mais les pires dans ce domaine, on le sait au moins depuis la Saint Barthélémy, ce sont les fous de dieu.

— Ma collègue mieux fait de travailler tout de suite dans le privé, plutôt que dans ces administrations, dans lesquelles la politique et le syndicalisme font la pluie et le beau temps ! s'insurge Annie.

— Ne rêve pas, des harceleurs et des pervers sévissent partout, dans le privé aussi. Le problème est que la vérité est très difficile à établir. Quand les témoins ont peur, on est pris dans un système maffieux.

— C'est comme partout, on va sanctionner quelqu'un parce que il ne respecte pas telle ou telle instruction, par contre il peut terroriser son personnel en toute impunité !

— Les choses sont moins simples. J'ai eu un dans le passé, quand je travaillais dans les services administratifs de la chaîne hôtelière, un collaborateur qui harcelait parfois le personnel. L'un de ses subordonnés m'avait raconté qu'il rêvait la nuit de marcher dans des sables mouvants, il est parti en maladie plusieurs mois à cause d'un infarctus.

— Mais qu'est-ce qu'il lui reprochait ?

— De ne pas être efficace dans son travail, ce qui était plus ou moins vrai, mais ce que mon collaborateur traduisait par « ne pas vouloir travailler pour la maison ». Au lieu de le muter dans un autre poste où peut-être il aurait rendu des services, ce que j'ai fini par faire d'ailleurs, il l'humiliait en réunion devant tout le monde, il le convoquait dans son bureau pour le couvrir de reproches. Un jour où j'ai dit à mon adjoint qu'il allait trop loin, il m'a rétorqué : « Il ne travaille pas pour la maison ! » Il a serré les poings et les mâchoires et il a ajouté « tu comprends, ça me mine ! » Cet adjoint était par ailleurs le meilleur des hommes. C'était presque un ami. Hors d'une relation hiérarchique il pouvait être adorable. Une partie du personnel d'ailleurs admirait sa puissance de travail et son esprit visionnaire, même si ce n'était pas un manager très habile. J'ai découvert à cette occasion qu'un harceleur n'est pas forcément conscient de l'être, pas toujours en tout cas.

Annie, pourtant aussi mécréante que moi, soupire :

— Que Dieu nous protège des paranos !

— Ouais, surtout de ses apôtres !

En contemplant Annie la mine défaite, perturbée par cette histoire, je la revoie dans la splendeur de sa jeunesse, alors que nous ne savions pas que le destin nous avait choisi pour donner la vie à un enfant. Le plus difficile dans une vie libre, c'est de savoir ce qu'on doit faire de bien. Le succès des religions vient de ce qu'elles donnent des réponses à ces questions anxiogènes. A l'époque où Annie travaillait en Arles, elle campait dans un studio meublé et venait me voir dès qu'elle pouvait se libérer. Un soir, Ruby était descendue à Aix, je l'avais trouvée en rentrant chez moi en extase devant une série télé :

— Alors Ruby, on se shoote aux feuilletons débiles de temps en temps ?

— Ben oui, ça délasse.

Je lui ai tenue compagnie devant un apéritif en attendant que Annie nous rejoigne. Ruby avait décroché quelques piges pour « Glamour toujours », une revue sur papier glacé un peu mode, beaucoup people, énormément putassière. Cette demoiselle était une de ces étranges créatures qui se nourrit exclusivement de salades composées assaisonnée de vinaigre prétendument balsamique qui est en fait un condiment ordinaire coloré au caramel. Elle bèquetait parfois un bout de viande « sans gras » et mangeait des fruits à la condition expresse qu'ils soient exotiques, avec de temps en temps l'inévitable tarte au citron ou pour les grands jours, un Ispahan en dessert.

À cause de cette engeance féminine, on ne trouve désormais chez le boucher que de la viande sèche dépourvue du moindre petit bout de gras un peu savoureux et chez le boulanger que d'infâmes baguettes blanches, c'est-à-dire pas cuites, si tant est qu'on ait encore le droit de manger du pain.

Annie arrive enfin. Retrouvailles, bises, compliments, coups de griffes en douce et dernières nouvelles. Ruby ne put s'empêcher de couiner :

— Ma chériiie ! Tu es super bien lookée ! Un peu province certes, mais très chic.

Un peu étonnés par son arrivée impromptue, on avait fini par faire avouer à Ruby qu'elle était en mission commandée, en fait elle était plus ou moins la porte-parole d'Oreste qui voulait remettre la main sur Annie qui s'insurgea :

— C'est pour ça que tu es venue ? Et je croyais que tu n'aimais pas beaucoup Oreste ?

— C'est pas que pour ça, j'avais prévu de descendre de toute façon. Mais ton ex a l'air si malheureux !

— Tiens, tu joues les consolatrices maintenant ? Je parie que t'as couché avec ?

Je m'étais retiré avec toute la dignité du légitime un peu outragé, mais surtout ayant compris qu'il valait mieux laisser les deux donzelles se fâcher, puis se réconcilier, l'heure du dîner approchant.

Le lendemain matin, Annie intégralement nue se tenait debout devant la fenêtre, dans la pénombre du rideau fermé sur la lumière du matin. Penchée devant l'armoire, elle cherchait des sous-vêtements ; un moment de beauté pure. Ses seins étaient petits mais jolis, tout son buste s'inclinait au-dessus de son beau ventre et de ses longues jambes. Elle enfila une culotte, puis un soutien-gorge et j'admirais un par un, toute la grâce de chacun des gestes. Nous avions volé deux journées de congé. L'après-midi, nous avions flirté sur mon lit. Annie des merveilles avait commencé à se détendre, j'avais ôté sa robe qui dénudait tout son dos. Au passage j'avais subtilisé la petite ceinture qu'elle portait autour de la taille. Mais je n'étais pas en forme et je n'avais pas pu la pénétrer. Je l'avais juste caressée longuement et elle s'était inquiétée :

— Tu ne me désires plus ?

— Tu m'as épuisé ces derniers jours ! Et puis, peut-être que je suis aussi dans le désir de mon amie que je dois aller voir demain…

Tout à coup, elle avait commencé à m'embrasser dans le cou avec sa langue, longuement et amoureusement. Quand elle m'avait jugé suffisamment en forme, elle s'était allongée sur le dos et m'avait attiré sur elle. Je n'avais pas pu me retenir d'en jouir et j'avais protesté

— Je ne voulais pas ! Tu m'as violé !

— Tu ne voulais pas ?

— Tu sais très bien ce que je veux dire.

— Je n'ai pas pu te violer !

— Tu sais très bien ce que cela me fait, de m'embrasser ainsi dans le cou !

— J'ai cru remarquer en effet.

Un peu plus tard, la belle des merveilles s'était allongée sur le ventre, entièrement nue. J'avais levé la main que j'avais abattue sur une fesse rougissante. Elle avait gémi un peu et j'avais recommencé, pour un long moment. Elle se tordait sur le grand lit, je voyais ses mains serrer le drap qu'elle agrippait et chiffonnait. Puis je l'avais placée à quatre pattes :

— Non, s'il te plait, avait-elle murmuré, deux fois. « Non, s'il te plait ».

Elle se dérobait, mais à peine.

— Prends- moi toi.

Annie avait alors commencé à timidement s'empaler sur moi. Je m'étais emparé de ses hanches pour l'accompagner, en murmurant :

— Doucement...

Puis j'avais commencé à la pénétrer, très lentement, j'avais un grand désir de douceur. Elle se tordait en respirant de plus en plus fort. Nous faisions l'amour ainsi avec lenteur, comme dans une scène jouée au ralenti. J'éprouvais un sentiment de transgression très fort, qui donnait une extraordinaire intensité à ce geste d'amour. Quand j'avais senti que j'allais en jouir, j'avais donné un seul coup de rein fort pour m'enfoncer plus profondément en elle, elle avait poussé un cri et s'était abattue sur les draps ; Je m'étais allongé sur elle et j'avais demandé :

— Tu entends mon cœur ?

— Oui, je le sens, il bat très fort contre moi.

— On t'a déjà prise ainsi?

— Plus ou moins ...

— Tu avais aimé?

— Pas vraiment.

— Pourquoi tu as dit ''non'' d'abord?

— Je ne voulais pas. — Pourquoi tu as changé d'avis? Parce que j'avais un grand désir d'être doux?

— Oui.

— Tu aimes ça ?

— Si tu aimes, oui. Fais-moi tout ce que tu veux.

Au bout du compte, je n'avais pas pu aller voir mon amie, enfin, mon ex-amie. Annie était restée avec moi depuis deux jours et trois nuits. Nous étions épuisés à faire l'amour si souvent avec le même entêtement désespéré, comme s'il était de première urgence de s'unir souvent et longuement, dans une course haletante et éperdue et passer nos nuits à s'éveiller pour se serrer l'un contre l'autre en se caressant. Si la gloire d'un homme est de faire jouir une femme et celle de la femme d'épuiser son amant, nous étions, elle et moi, en pleine gloire. J'embrassais et je mordillais ses belles joues, car elle avait une peau appétissante, fine et sans défaut. Après un long moment, je m'étais interrompu car elle cherchait à mettre fin à un baiser. J'avais repris ses lèvres qu'elle m'avait données et j'avais recommencé à labourer la terre sainte. Quand elle avait une nouvelle fois voulu reprendre son souffle, j'avais commencé à me retirer d'elle.

— Mais ? Tu me fais du chantage ? s'était scandalisée la belle.

— Exactement !

Mademoiselle avait pris l'air boudeur, enfin celui qui fait croire que —.

— J'ai besoin de ton souffle pour pouvoir encore te faire l'amour.

Alors Annie des merveilles m'avait regardé, elle avait pris mon visage dans ses mains et m'avait tendu ses lèvres. Je l'avais embrassée longtemps, jusqu'à ce que je jouisse encore d'elle. Nous avions dormi dans les bras l'un de l'autre.

Le lendemain matin, après avoir encore fait l'amour elle m'avait dit :

— Je suis bien avec toi, je me sens apaisée.

— Tu es restée des années sans prendre du plaisir à faire l'amour, quel effet cela te fait d'en jouir à nouveau ?

— Après une mauvaise expérience, je voulais juste un homme gentil, je n'avais pas très envie de sexe. Cela ne me manquait pas, j'étais heureuse comme cela. C'est seulement les derniers temps que la vie en commun a commencé à me peser.

— Mais un homme doit terriblement souffrir de cette situation ! Qu'est-ce qu'il en pensait ?

— Il croyait que le sexe, ‘'c'est pas mon truc''.

— Quel est le programme maintenant ? Tu te trouves un reproducteur assez jeune et moi je m'occupe de toi quand tu es enceinte ?

Je l'ai regardée partir depuis mon balcon. Elle traversa la rue, puis vira sur le trottoir et s'éloigna sans se retourner pour rejoindre sa voiture. Elle marchait très droite, tenant son sac à la main car elle n'aimait pas les sacs à dos, préférant un classicisme de bon ton. Elle portait une robe d'été légère qui mettait en valeur ses jambes et elle avançait sur le trottoir avec une sorte de raideur majestueuse. Sa robe tenait seulement par deux bretelles très fines et dévoilait une grande partie de son dos et de ses épaules dénudées déjà dorées par l'été qui débutait. Tout le haut de son corps était immobile, seules ses longues jambes semblaient se mouvoir. Elle se grandissait encore en tenant sa nuque droite et son regard fixé sur l'horizon.

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