Haïr d'amour

joocks

Elle avait toujours été là pour moi. Trottinant  à mes côtés lorsque ses jambes, encore trop petites, ne lui permettaient pas de suivre mes grands pas, serrée contre moi dans mon lit parce que le sien lui semblait trop hostile et glissant sa petite main dans la mienne quand seule notre force combinée nous permettaient de tenir le coup. Lorsque je repense à ses moments j'ai toujours cette image délicieuse d'une enfant sautant dans les pas d'un adulte, de la neige jusqu'aux genoux. Et je ne peux m'empêcher de sourire à travers mes larmes. Le temps a resserré nos liens malgré nos différents affronts. C'est avec ceux qui connaissent vos plus grands malheurs que vous avez envie de partager vos plus grands bonheurs, de rire à gorge déployée, la tête en arrière, sans cacher vos cicatrices. Elles font partie de vous, Elles « sont » vous. Oui, car tant que vous parvenez à les surpasser c'est en ce sens que vont les choses, vous ne devez pas être Elles. Jamais. Nous avons tous mieux à offrir que nos cicatrices, aussi grandes soient elles.

En grandissant elle avait sût se dresser, elle aussi, contre les obstacles. Solide comme un rock je ne pliais pas, je me tenais droite, le regard droit et défiant, la tête haute. Toujours regarder l'autre droit dans les yeux, ce sont les fenêtres de l'âme on y voit tout ce que l'on tente de nous dissimuler. Avec le temps on lit de plus en plus facilement. Plus d'une fois je me suis donc dressée. J'ai crispé les poings jusqu'à m'ouvrir les paumes. Je sentais son regard à elle par-dessus mon épaule, un regard noir et glaçant comme l'abîme entre deux mèches couleur corbeaux. Le genre de regard que vous n'aimeriez pas croiser.

Mais comme les gouttes d'eau finissent par percer la pierre, les vagues de difficultés ont fini par me faire boire la tasse. Une fois chahutée par toutes les écumes, je me laissais mollement ramenée jusqu'au rivage de ses bras et m'y échouais lamentablement. Elle a vu mes larmes, mes cris, ma haine, mes sanglots, mes hontes et mes remords. La voix cassée et les yeux rougis j'ai pu tout lui dire, toujours. Alors dans ces moments d'aveux c'est elle qui prenait la relève. Comme elle m'avait toujours vu le faire elle était à présent suffisamment solide pour que je puisse m'appuyer sur elle jusqu'à ce que je reprenne toutes mes forces.

Quoi que je fasse et où que j'aille elle était mon courage et ma force. Et si je me retournais, hésitant dans mes choix, elle était toujours là, confiante, à me soutenir et m'encourager. Même si certains choix m'ont poussé à m'éloigner d'elle, notre lien ne s'est pas brisé loin de là. Il est encore plus fort, invincible. Elle est à la fois ma faille et mon armure, ma force et ma faiblesse, mon audace et ma prudence.

Ce soir l'orage a encore grondé, il s'en est pris à elle. Je déteste cela. Il profite de sa fragilité à elle. Lorsque je suis là il n'en est rien, il reste doux et agréable. Mais c'est un véritable Polichinelle, cachotier et fourbe il me suffit d'un instant d'inattention et il surgit de sa boîte en ricanant. Il la guette dans l'obscurité, comme si elle était sa proie. Il connait ses points faibles à elle et prend un malin plaisir à les titiller. C'est pourtant l'homme de sa vie il ne devrait pas faire cela. Il dit l'aimer et pourtant il nourrit une telle colère envers elle. Leurs éclats de voix ont retenti, leurs mots s'écrasant violemment contre les murs, les portes ont claqué et les chaises furent malmenées. Comme toujours. Mais cette fois elle n'a pas plié, non, elle lui a dit droit dans les yeux qu'elle s'en irait et, elle le fit. Elle prit sa valise et son sac à main, tout en enfilant son manteau elle l'entendait gronder, menaçant depuis le canapé. Mais elle ne l'écouta pas, sa décision était prise, elle l'assumerait coute que coute. Elle embrassa son chat sur le lit, fort. Ce qui fit ronronner le petit animal. Elle sourit furtivement entre ses larmes, essuya son visage d'un revers de manche et quitta la chambre. Elle descendit péniblement les escaliers, sa valise l'encombrait. Elle la jetât quasiment pour franchir les dernières marches. Alors qu'il continuait de pester depuis le canapé dos à elle. Inutile de claquer la porte, ce serait un geste colérique et vain, de toute façon il ne l'entendrait même pas, elle quitta le jardin à la hâte, le taxi l'attendait, sans grandes précautions elle mit ses affaires dans le coffre. Elle le détestait. Tellement. Plus que jamais.
Voyant son visage rougis dans le rétroviseur, le chauffeur ne posa pas beaucoup de question. Elle lui donna l'adresse à laquelle elle souhaitait se rendre et le moteur vrombit. Elle ne se retourna pas. Il ne s'était même pas levé de son canapé, elle le savait parfaitement, il ne regarderait pas les deux lumières rouges du taxi disparaître dans la nuit. Non. Parce qu'il ne s'estimait pas fautif en réalité la question ne se posait même pas, c'était Elle le problème, pas lui.

Il est 4h00 du matin, j'ai les pieds en feux, ma tête me fait horriblement  mal. Je gare la voiture sur le parking, coupe le moteur. J'attrape mon sac à main. Une cigarette. La flamme éclaire mon visage furtivement. Je viens d'avaler 100km. J'ai l'impression d'avoir roulé toute la nuit. La cigarette au coin des lèvres je me contorsionne en cherchant mes clés. Putain de sac. Je sens enfin un petit morceau métallique, les voilà. J'aspire une dernière bouffée et écrase rageusement le mégot sur le bitume. J'entre dans le bâtiment, je monte dans l'ascenseur, 4eme étage, deuxième porte après l'extincteur, la serrure tourne et j'entends le verrou se lever. En entrant je pose mon sac sur la commode, laisse tomber au sol mes escarpins. Je suis épuisée et lessivée. Je m'approche du lit, elle est là, roulée en boule, dos à moi, coté mur, comme d'habitude. Je m'assois lentement sur le bord du matelas et tend un bras vers sa chevelure bouclée.

-Quelle heure il est ? ronchonne-t-elle
- Je dirais 4h15
- T'as fait vite …
- Ouais, répondis-je un peu honteuse de ma conduite. Tu as faim ?
- J'ai pris des trucs dans le placard de la cuisine. Tu pues.
-Je suis au courant oui, nouvelle technique de drague ma petite !

Elle sourit un peu puis rit, objectif atteint. Bien évidemment que je pues, la clope, la beuh, les bières que je me suis envoyées et je parle même pas des effets de la chaleur humaine. Je continue de caresser ses boucles ébènes, je retire ma main lorsqu'elle se retourne. Elle est mon reflet, les yeux gonflés et rougis toutes les deux. Je me glisse alors sous la couette à côté d'elle, je fais un peu l'imbécile, comme si de rien n'était... Je lui parle un peu de ma soirée. Qui était là, qui a fait quoi, lequel a flirté et qui a vomi. On en rit, on se rappelle de nos souvenirs, de nos virées nocturnes. Des larmes encore mais accompagnées de rires. Finalement Louise s'endort, roulée en boule face à moi. Moi je quitte la chambre je vais me fumer une cigarette par la fenêtre de cuisine. Le regard perdu dans la nuit je me questionne. Pourquoi fait-il cela et comprendra-t-il un jour ? Louise m'a appelé il y a quelques heures, je n'ai pas entendu mon portable mais sitôt que j'ai eu son message sur ma boite vocale j'ai embrassé mes amis à la hâte et j'ai sauté dans ma Clio. Je me félicite encore de lui avoir fait un double de mes clefs. J'écrase mon mégot, direction la salle de bain, je troc ma robe pour un sweat et un jogging confortables. Je vais me coucher près de Louise.

 Ce soir encore Papa s'en est pris à toi et je n'étais pas là. Je m'en veux, seule l'idée de t'offrir un asile me réconforte.

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