Hellshell City: Chapitre -2 - Respice Mortuus
grabuge
Il se déplaçait dans les couloirs de l’université comme un fantôme, calculant les déplacements des étudiants et professeurs pour ne pas les percuter, allant comme d’un point A à un point B, les mains dans les poches et la tête relevée vers le plafond.
« Fred ! Fred ! », mais il ne se retournait pas. « Fred ! Retourne-toi, putain ! » dit-il en lui tapotant l’épaule, mais Fred ne se retourna pas. « T’as vraiment changé, t’es devenu trop bizarre mec ! Tu vas t’attirer des problèmes à réagir comme ça ! », dit le hippie avec le bob de travers et une barbe mal rasée de quinze jours.
Il fixa une fille de son plus beau regard noir qui s’en alla de son banc, apeurée à l’idée qu’il lui veuille du mal. Il prit sa place puis sortit un carnet rouge où il griffonna quelques notes avant de le refermer.
« Hey salut Fred ! Alors, c’en est où tes recherches sur les chauves-souris ? Tu sais que tout le monde pense que t’es dingue ici ? » dit un homme qui était venu s’asseoir à côté de lui, comme une fleur, qui se fit gratifier d’un « Casse-toi ! Viens pas me péter les burnes, si c’est pour te foutre de ma gueule comme les autres, fermes là ». L’homme se leva pour partir, mais il se retourna pour lui dire : « T’es qu’un espèce de gros malade. Tu veux savoir ? Personne t’aime ici. T’as pas d’amis, t’as rien du tout, si quelqu’un pouvait te faire une crasse mec, je serais le premier à t’en faire une, et une belle. T’as tes bouquins et tes chauves-souris, tu sais même pas ce que c’est que d’avoir des amis, une petite copine, des parents... Pfff... » puis il remit son sac en bandoulière en place avant de se diriger vers le bâtiment Zeus.
« Quoi encore ? Merde ! Je peux pas être tranquille cinq minutes dans cette putain de fac ?! » dit-il à une fille qui voulait lui refiler des prospectus pour une association caritative. « Qu’est-ce que j’en ai à foutre de sauver des enfants en détresse ? On est venu me sauver, moi ? Non, je me suis sorti les doigts du cul, comme beaucoup de gens sur cette putain de planète Terre, alors maintenant du balai ! »
Le seul espace tranquille qu’il pouvait avoir c’était la bibliothèque universitaire. Il s’y plaisait à dévorer des livres scientifiques sur les modifications possibles de l’acide désoxyribonucléique. Tous les livres sur les chauves-souris il les avait lus. Des fois dans les laboratoires du sous-sol il allait faire de petites expériences en cachette. Sa chambre empestait tellement la mort que même les femmes de ménage ne se risquaient pas à entrer. Il entreposait des chauves-souris mortes dans des bocaux tandis que d'autres étaient vivantes et volaient en liberté dans sa chambre plongée dans le noir constant. Mais ce soir-là, il était sur le point de découvrir quelque chose d'extraordinaire. Il descendit les marches dans le noir total, comme un assassin, sans faire de bruit, avec l'emplacement précis de la salle en tête. Quelque chose le fit sursauter, son coeur fit des bonds dans sa poitrine. Quelqu'un avait fait tomber un ustensile, et ce n'était pas le vent. Quelqu'un était là, dans les laboratoires à trafiquer quelque chose. Il entrouvrit chaque porte délicatement pour y glisser un oeil furtif, pour les refermer aussitôt. Il sentit un petit souffle sur son cou. « Bouh ! » dit une fille brune quand il se retourna, ce qui au passage lui fit perdre l'équilibre, mais dotée d'excellents réflexes elle le rattrapa.
« – Qu'est-ce que tu fais ici toi ? C'est interdit de traîner ici !
– Ha ! Parle pour toi ! Je pourrais te dénoncer ça fait au moins cinq fois depuis le début de l'année que je te surprends à faire des expériences dans la salle D 346. T'es pas bien discret...
– Mais tu ne le feras pas parce que si tu le fais, je pourrais dire que tu y étais aussi, donc tu serais fautive aussi.
– Hum. Qu'est-ce que tu fais là-dedans ? demanda-t-elle en haussant un peu la voix au-dessus du chuchotement.
– Chut ! Ça te regarde pas !
– Ah vraiment ? Et si je hurle, ça me regarde ? Je pourrais crier “Au violeur !”
– Si jamais tu... Putain tu fais chier. Tu viens regarder, mais tu dis rien. »
Tous deux passèrent la porte de la D 346 sans bruit. Il commença par sortir des flacons étranges de son sac à dos, remplis de fluides qui n'inspirent pas confiance et de bouts de choses qui viennent d'on ne sait quel animal ou plante.
« - Mais c'est dégueu ! Ça schlingue !
– Tais-toi !
– Ah vraiment ? dit-elle en commençant à prendre une grande bouffée d'air.
– Ça schlingue parce que sur cette putain d'île les seuls frigos sont ceux de la cafèt' et j'ai rien le droit d'y entreposer. Chut ! dit-il en plaçant un doigt devant sa bouche. Non rien, j'avais cru entendre quelqu'un.
– Mais tu vas faire quoi avec tout ça ? Une bombe ? La potion du Dr Jekyll ?
– Ça te... dit-il, mais se reprit vite. Je veux tenter de réussir quelque chose. T'as déjà entendu parler de la chauve-souris qu'on appelle Nosferatu, une buveuse de sang. J'en ai fait commander une en dehors de l'île, elle est arrivée hier matin. Le braconnage, tout ça.
– Attends euh... Tu veux dire que...
– Oui.
– T'as pas vraiment la tronche de Robert Patinson...
– Oh la ferme ! Pas cette espèce d'abruti ! J'ai réussi à isoler certaines molécules d'ADN, et normalement si tout se passe bien, une fois que j'aurais mélangé tout ça, je n'aurais plus qu'à remplir la seringue et à m'injecter le produit dans les veines. Si je me rate, je meurs. Autant dire que les probabilités pour que je survive sont de 0,001 %. Si jamais il m'arrive quoi que ce soit de grave appelle l'infirmerie.
– Ça craint... Tu vas vraiment faire ça ?
– Pour la science ! Si je réussis, je serais à classer dans les plus grands chercheurs ! Et adieu Université de Skox ! Meilleure université du monde mon cul, j'ai appris bien plus dans les livres qu'en cinq ans d'études ici avant que j'arrive.
– Quel prétentieux ! »
Sur ces mots, il se mit à l'ouvrage. La salle empestait la mort, dans le noir quasi total il trouvait les flacons sans peine, et elle tentait de le suivre dans ses mouvements fulgurants et précis. La lumière de la lune passait à travers les petites lucarnes, juste assez pour y voir à peine. Il prit la seringue, la remplit de liquide et se la planta dans le bras en appuyant sur le piston en plastique. Le liquide noirâtre pénétra ses veines, et Fred souffrait. Son bras lui faisait atrocement mal, avant que ça ne se propage au corps entier. Il se tordait de douleur. La fille brune cria comme une folle dans les couloirs pour qu'on vienne l'aider, mais il fallut bien deux longues minutes avant que quelqu'un ne vienne.
« – Il est là ! Je l'ai trouvé là ! Allongé sur le sol, je crois qu'il est mort...
– Vous connaissez son nom ? demanda l'infirmière en lui tâtant le pouls, affolée.
– Non... Je ne le connais pas du tout !
– Monsieur ! Monsieur ! Monsieur réveillez vous ! dit-elle en lui donnant des claques, mais il ne répondait pas. Son coeur bat toujours, mais il ne peut pas rester ici. Elle se leva et inspecta le laboratoire en hâte, découvrant d'où venait l'odeur immonde par la même occasion. Oh mon dieu, il s'est injecté quelque chose dans les veines ! Je ne peux pas le traiter ici ! Il doit aller en ville !
– Mais madame, personne n'a le droit de quitter l'île, c'est interdit ! Vous le savez autant que moi ! Il est condamné !
– Aidez-moi à le porter jusqu'à l'infirmerie, vite, il faut que je passe un coup de fil au directeur, et très vite ! »
Elles portèrent le corps inanimé de Fred et se dirigèrent jusqu'à l'infirmerie.
« – Dites-moi jeune fille, que faisiez-vous à une heure pareille dans les laboratoires ? C'est formellement interdit !
– Je euh... Je fais du somnambulisme !
– Moui. Il faudra justifier ça au directeur, dit-elle, essoufflée. Et je me demande bien qu'est-ce qui a pris à ce zigoto aussi. Quelle idée de faire des expériences la nuit sans surveillance, sans autorisation et dans le noir complet ! »
Une fois dans l'infirmerie avec les murs blancs immaculés et les fauteuils confortables, elle saisit son stéthoscope pour écouter les battements de son coeur. « Son activité cardiaque s'est ralentie, c'est comme s'il dormait. Mais rien ne dit que son coeur ne va pas s'arrêter. Il est en danger, et ce n'est pas de mon domaine de compétence de soigner des apprentis chimistes qui s'injectent des substances bizarres dans le corps. Bon, j'appelle le directeur. Elle composa le numéro et au bout de quelques secondes il répondit : “Monsieur le directeur désolé de vous appeler en cette heure si tardive, mais j'ai là un élève qui s'est injecté une substance étrange dans les veines et je ne peux pas le soigner ! Est-ce que j'ai l'autorisation d'appeler un hélicoptère pour qu'il se fasse soigner en ville ? Oui monsieur le directeur, mais... oui je comprends, mais il va mourir si nous ne faisons rien ! Je comprends, mais ne pouvez-vous pas faire une petite entorse au règlement ? D'accord monsieur. Bonne nuit monsieur, quand il sera mort je vous appellerais, puis elle raccrocha le combiné. Bon eh bien, nous n'avons plus qu'à le regarder mourir”. Et sur ces mots, elle prit une chaise pour s'installer à côté de lui, prenant son bras gauche dans la main pour surveiller son pouls. La fille brune se sentait coupable de ne pas l'avoir empêché de se piquer. Elle allait avoir sa mort sur la conscience.
» – Vous devriez monter dans votre chambre, mais je vous autorise à rester si vous le voulez.
– Je vais rester. Je ne veux pas l'abandonner.
– Très bien, dis l'infirmière en souriant nerveusement, mais vous ne m'avez pas dit comment vous vous appeliez.
– Clotilde Duchêne.
– Oh ! C'est français comme nom. Vous venez de France ?
– Oui. Ça me manque un peu à vrai dire. Ce n'est pas que je n'aime pas parler anglais, mais quelques fois je repense à tous les amis que j'avais, ma famille avant d'arriver ici...
– Je comprends. Ce n'est pas facile pour tout le monde, mais nous avons fait un choix et il en est ainsi.
– C'est dur de se dire qu'on ne reverra jamais sa famille et ses amis... Mais au final c'est comme l'histoire avec l'homme qui a fait un contrat avec le diable pour devenir super intelligent, mais en retour il devait lui donner son âme au bout d'un certain temps.
– Oui, Faust, qui conclut un pacte avec Méphistophélès pour 24 ans. Légendes. Ramassis de sottises. Son pouls diminue encore. Si ça continue comme ça il va mourir... »
Son coeur s'arrêtait lentement et personne n'avait le matériel ni les connaissances pour extraire le poison ou pour le ranimer. Au bout d'une heure, il était mort. Elle le recouvrit avec un drap blanc et partit se coucher, comme Clotilde, triste.
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