HISTOIRES COURTES

Jean Marc Houze

Léila, la maman, se pencha par la fenêtre du salon où elle se trouvait et aperçut Sarah, sa petite fille de six ans et demi, toujours à genoux en train de s'affairer avec ardeur.


— Mais qu'est-ce que tu fais à la fin ?
— J'ai bientôt fini de le reboucher, maman.
— Reboucher quoi ? demanda la mère qui ne voyait l'enfant que de dos.

La petite Sarah se pencha sur le côté pour laisser sa mère découvrir son travail.

— C'est quoi ce gros trou, ma puce ?
— C'est pour ma souris blanche qui est morte.
- C'est gentil pour elle ce que tu fais, mais tu ne crois pas que tu l'as fait un peu trop gros, ton trou ?
— Mais non, lui confia Sarah, c'est parce qu'elle est à l'intérieur du chat.
— Minou ! cria la mère, où est Minou ?

Minou, le chat de la maison, cet animal dont l'affection était grandissante envers Prosper, la souris, eut une certaine envie de la côtoyer de plus près. Ce gentil félin qui se faisait les griffes sur nous lorsqu'on le caressait longuement et émettait des ronronnements si intenses qu'il fallait parfois augmenter le volume du téléviseur pour suivre une émission. Mais où était donc passé Minou ?

Sarah regarda sa mère d'un air malicieux, puis jeta un oeil à son trou en donnant encore quelques petits coups de pelle sur la dernière bosse afin d'aplanir le terrain du mieux qu'elle put. Il n'en fallut pas plus pour faire sortir Leila de la maison. Sur le pas de la porte, ses yeux avaient doublé de volume en songeant avec effroi que la pauvre bête ne devait pas partager la même conception de l'enterrement d'une souris, fût-elle blanche.

Leila se précipita vers Sarah qui la regardait innocemment, avec ce visage angélique qui contribuait à ce qu'on lui donnât le bon Dieu sans confession.

- Où est Minou ? demanda-t-elle encore une fois avec une certaine acrimonie qu'elle avait du mal à contrôler.
— Là, avec Prosper, dit la petite en montrant le trou presque rebouché.
— Mais tu es folle ou quoi, explosa la mère, t'es pas finie, ma fille ! Il te manque une giclée. On a dû être dérangé le jour de ta conception, c'est pas possible autrement.

Sarah n'avait pas tout saisi, mais elle comprit que sa mère était en colère. Leila se mit à genoux à son tour et arracha la pelle des mains de sa fille. Sans perdre un instant, elle se mit à creuser frénétiquement en priant pour que le chat soit toujours de ce monde. Bien qu'il ait, paraît-il, sept vies, il risquait de les perdre en une seule fois.

—Comment as-tu fait pour mettre Minou là-dedans ? Il ne t'a pas griffé ?
— Non, il est entré dans la cage de ma souris et, quand j'ai vu qu'il l'avait mangée, j'ai fermé la porte et j'ai voulu enterrer Prosper comme on a fait à pépé.
— Mais comment est-il entré dans la cage ?
— Je lui avais ouvert la porte. Je croyais qu'il voulait jouer avec elle.
— C'est pas possible d'entendre ça, dit la mère. Vivement que tu mûrisses un peu. Déjà la semaine dernière tu as tué les poissons de papa en voulant nettoyer l'aquarium avec du liquide vaisselle.
— Je savais pas, moi, je voulais juste laver les vitres.
— C'est ça ! Avec les poissons dedans.
— Ben oui, moi j'aime bien la mousse quand je prends mon bain.
— C'est comme la tortue d'eau que tu as mise un soir sous ton oreiller parce que tu croyais qu'elle avait froid.
— C'est vrai qu'elle avait froid, précisa Sarah.
—En tout cas, maintenant elle ne risque plus d'avoir froid et j'espère que Minou est toujours en vie.

Leila toucha enfin la grille de la cage qui n'avait pas été trop profondément enterrée, la tira à elle et la posa sur la pelouse. Le chat était bien là et vivant. Il poussait des miaulements qui voulaient en dire beaucoup et heureusement que l'être humain ne comprenait pas ce langage, car les insultes auraient probablement fusé. Il n'était pas mort et il tournait en rond en mordant les barreaux, espérant ainsi trouver une issue de secours. Il ne semblait vraiment pas content de s'être retrouvé dans une telle situation et devait sûrement regretter son succulent repas.

— Pauvre Minou, dit la mère apitoyée.

Elle ouvrit la porte de la cage et le chat ne chercha pas midi à quatorze heures. Dès l'ouverture, il se libéra, prit ses jambes à son cou et on le vit détaler à travers le jardin pour aller se réfugier dans un buisson. La pauvre bête était toute maculée, et quiconque ignorait que cette chose était Minou aurait pu croire qu'il s'agissait d'une motte de terre pourvue de quatre pattes et d'une queue qui venait de débouler sur l'herbe verte. Une chose difforme qui était allée se mettre à l'abri des regards en poussant des cris venant d'outre-tombe.

— Ma pauvre fille, dit la mère, tu n'as pas toute ta tête. Tu as failli tuer le chat.
— Je voulais seulement enterrer ma souris pour qu'elle aille au ciel. Je ne voulais pas faire de mal au chat. Prosper était dans son ventre, je ne pouvais pas aller la chercher !

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