Je savais que j'étais suivie mais j'imaginais que c'était ponctuel, et à vrai dire je m'en fichais un peu. Et puis le bikini bleu turquoise s'est affiché partout. Le bikini qui va bien avec les cabrioles. Lorsque je l'ai vu, je l'ai envisagé comme une concession sur laquelle je n'avais pas de prise. On m'avait suivie jusqu'à la plage et je ne pouvais rien y faire, mais j'étais libre et c'était la seule chose qui importait. Les semaines ont passé et j'ai consacré beaucoup de temps à déconstruire mentalement cette relation. Par un effet de vases communicants, le futur a pris de plus en plus d'espace dans mon esprit.
En fin d'année je suis allée passer quelques jours chez des amis. Le champ était libre.
Un soir de janvier j'ai réalisé que j'étais suivie en permanence en regardant une pastille humoristique sur youtube. C'étais le jour le plus froid de l'année et il y était question de météo. Dans la pastille, une fille faisait la toupie. J'avais fait la toupie quelques heures plus tôt dans la rue en cherchant des yeux une amie avec laquelle je déjeunais. Ça m'a pétrifiée. Vous sortez de chez vous et brutalement toute personne dans la rue devient suspecte. On vous suit, on documente vos allées et venues, qui vous rencontrez, à quelle heure, combien de temps, ce que vous portez, ce que vous achetez. C'est insupportable.
Comme il faut bien s'amuser avec ce qu'on a dans les moments tragiques, mon cerveau brillant a échafaudé un plan machiavélique. Un après-midi j'ai descendu ma rue tranquillement, l'air parfaitement détendu du bulbe, puis la rue Saint-Denis et brusquement j'ai tourné à l'angle de la rue du Ponceau et hop hop hop piqué un sprint et vite traversé le boulevard de Réaumur pour me planquer dans le Monoprix. V'là-t'y pas que comme dans un mauvais scénario un homme s'encadre dans la vitre de la porte battante, la pousse avec empressement et scanne les clients d'un regard circulaire pour tomber abruptement les yeux dans mes yeux et bugger. Party is over mate! Ou comment loger un pisteur. C'est drôle oui, mais uniquement sur le papier.
Dans les jours qui ont suivi la pastille youtube, je me suis demandé de quoi cet homme était capable et par un effet de domino me sont revenus en tête des détails sur des blogs que j'avais enregistrés sans les considérer véritablement. Parce que c'est tout bonnement inenvisageable.
Oui j'ai une méridienne et non un canapé.
Oui j'ai fermé les volets et couper le chauffage avant de partir.
Il attendait une occasion depuis des mois et lorsqu'elle s'est présentée le 30 décembre, il a envoyé ses hommes de main. On entre chez vous, on fait le tour du propriétaire, on fouille vos placards, vos tiroirs, on se vautre dans votre intimité. Et puis on passe aux détails techniques : on installe des caméras de surveillance, un mouchard sur votre ordinateur. On trouve les clés de la porte d'entrée dans la commode, alors pour se simplifier la vie on en fait un double. Parce qu'on va revenir. On va revenir plusieurs fois. Pour finir, avant de partir on vous vole des photos personnelles.
C'est le jour le plus froid de l'année et tout s'accélère, en quelques jours j'ai compris que j'étais traquée, surveillée comme un terroriste H24, mes faits et gestes commentés en permanence. J'ai cherché, envisagé des solutions, comparé des options, fait des tests. Où sont les caméras, comment transmettent-elles etc. Ça prend du temps, tout son esprit est focalisé sur la sécurité mais aussi sur l'après.
Mon ordinateur a été piraté x fois, tous mes dossiers scrutés, ma boîte mail entièrement passée en revue. Ce qui est drôle c'est que je n'avais jamais nettoyé ma boîte mail depuis 1998 et que j'avais des milliers de correspondances. C'est drôle parce que je l'ai purgée en juillet dernier et ça m'a pris des jours !
Mon téléphone, piraté également. Conversations, textos, FaceTime, tout devient public. On est dépossédé.
Rodolphe pille, exploite, expose sadiquement, continuellement, avec jubilation et délectation. Lorsqu'il a compris que j'étais en train de percuter, il a susurré avec onctuosité dans un billet que je devais sûrement sentir l'angoisse monter. Je ne sais plus qui a parlé de persécution des petites libertés du quotidien. Voilà, c'est ça !
C'est sur internet que j'ai appris qu'il m'avait volé des photos. C'est sur internet que j'ai appris qu'il m'avait volé une paire de chaussettes neuves en février. C'est sur internet que j'ai appris que mes photos et la paire de chaussettes avaient été rapportées en avril.
c'est sur internet que vous avez appris que vous les aviez payé beaucoup trop cher.
· Il y a plus de 7 ans ·attention, on vous suit à l"oeil
Hi Wen