Huit années

Jean Marc Kerviche

Jean-Marc Kerviche revient sur une période de sa vie où il aurait pu la perdre en relatant des faits tout ce qu’il y a de plus réels...

  ... où réussites se conjuguaient avec échecs en les intégrant à un imaginaire pour fil rouge.


« Je revenais sur mon passé et réalisais peu à peu que tout avait commencé quatre ans auparavant par la réception d'un courrier recommandé qui m'était adressé personnellement et que tout naturellement l'employé des postes avait remis à mon épouse. Un courrier dont elle n'aurait jamais dû connaître la teneur, et qu'elle avait bien évidemment, par simple curiosité, décacheté. Il s'agissait d'un avertissement que ce directeur m'avait adressé pour, selon ses dires, mettre les choses au point à propos de je ne sais plus quelle raison précise et qu'il disait, après coup, avoir regretté m'avoir envoyé. Je me souviens qu'à cette occasion, il m'avait invité au restaurant pour minimiser la portée de son geste et m'assurer que ce n'était qu'un “blâme”. Comme si blâme et avertissement n'avaient pas le même effet escompté quel que fût le destinataire… »

 
Pour plus de détails et plus de précision, cette autofiction retrace les avanies auxquelles j'ai été soumis pendant huit années, de 1974 à 1982, au sein d'une société nommée Equipement Téléphonique Privé.

Une entreprise regroupant plus d'une cinquantaine de salariés.

Le fil rouge est imaginaire. Je n'ai jamais eu d'accident, n'ai tué personne, ni même souhaité la mort de qui que ce soit… et si j'ai écrit cette histoire, c'est pour évacuer la rage qui m'a accompagné pendant toutes ces années, rage qui est vraisemblablement loin d'être étrangère à tout ce qui m'est arrivé par la suite.

Ne dit-on pas qu'on somatise ? Quant aux détails que je décris, ils sont réels. Aujourd'hui d'ailleurs mes deux bourreaux ne font plus partie de ce monde, l'un, le sous-fifre, victime de l'âge, l'autre, le directeur, affecté d'une obésité morbide, handicapé dans tous les sens du terme… et pas seulement physique.

La rédaction de cet ouvrage m'a permis de faire un retour sur moi-même. Je me suis rendu compte que c'était mon attitude qui me desservait et dont profitaient à mes dépends mes "supérieurs" hiérarchiques. Seulement à l'époque je m'imaginais qu'il fallait être le meilleur pour réussir. Or, c'est totalement faux. Un leader en place choisira toujours un collaborateur qui ne lui fera pas d'ombre et si ce dernier est par inadvertance meilleur que celui qui commande, bonjour les ennuis ! Et quoi que fasse ce collaborateur, il lui sera demandé de prendre tout sur lui afin d'épargner le leader… lequel ne lui en sera même pas reconnaissant, et ce dans n'importe quel type de société, organisme, groupement, entreprise, jusqu'aux partis politiques, pour exemple, le mépris affiché de N. Sarkozy, à une époque pour F. Fillon, plus tard pour X. Bertrand ou V. Pécresse, cette dernière attendant toujours son soutien alors qu'elle était officiellement désignée par une primaire, jusqu'à aujourd'hui où tous se battent pour obtenir un poste alors qu'au-dessus d'eux un autre affiche en permanence une attitude altière et méprisante. Je vous laisse deviner de qui il s'agit. Lire à cet effet Jean-Michel Blanquer, son inventaire amer, dans « La Citadelle ».

Ce besoin de reconnaissance peut mener à une servitude naturelle et intrinsèque dont on ne peut se défaire. Etienne de La Boétie (1530-1563) d'ailleurs dans son « Discours de la servitude volontaire » ne me contredit pas…

Si j'ai amélioré ma condition et franchi les échelons, cela a toujours été en changeant de société, Thomson Houston puis Haniez et Bergé, ensuite Cofratel, ETP, ETG, jusqu'à finalement crée la mienne DSAT puis ERSA… tout en supportant un nouvel ennui relativement handicapant : un cancer à 40 ans. A la réflexion, j'ai réalisé ensuite que beaucoup d'autres, notamment mes propres fils, ont rencontré les mêmes problèmes… vouloir être le meilleur, le plus performant, exceller dans un domaine, ne peut vous attirer que des problèmes, et vivre des déconvenues parce qu'en haut lieu d'autres hurluberlus plus serviles et moins chevronnés qu'eux, étaient sollicités pour prendre les places qui se présentaient.

Et j'en ai rapidement compris la raison. Ayant vécu des deux côtés de la barrière, employé puis patron, il m'est devenu évident qu'un employé compétent doit rester à son poste tout simplement car, trop efficace au poste qu'il occupe, il est irremplaçable… seulement, il n'en a pas conscience. En conséquence de quoi toute promotion lui est interdite.

J'ai présenté cette autofiction il y a plus de quatre ans aux Editions du Rocher, à la demande d'une amie d'atelier d'écriture, Camille Lorthiois attachée de presse chez cet éditeur, et ils me l'ont refusé parce qu'ils n'éditent plus de romans noirs… C'est le message, en retour quatre mois après, de la responsable d'édition elle-même, une certaine Julie Daniel.

Comprenne qui pourra, alors que cette amie, attachée de presse, précisément sa collaboratrice, qui l'avait lu l'avait trouvé intéressant.

Il est certain que si je m'étais appelé Benjamin Castaldi, Didier Morville alias Joeystarr, voire Fabien Alain Delon, et quantité d'autres connus médiatiquement non seulement je n'aurais eu aucun mal à être édité mais il n'aurait pas été nécessaire de travestir mon aventure en roman noir pour intéresser d'éventuels lecteurs.

Et l'on peut aisément en comprendre les raisons, je ne fais pas partie d'une famille en vue, ne suis le fils de personne et pas davantage une célébrité adulée par les "peoples"…

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