I

Clarisse Kalfon

Un probable début de nouvelle.

Les ombres du soir glissaient depuis longtemps ; Aude ne vit les contrastes qu’elles laissaient sur les bords de mer que lorsque, arrivée à la fin de la promenade côtière qui traçait une frontière inspirante entre les parfums des embruns et l’éternelle odeur  artificielle que rejetaient les derniers véhicules sur la route longeant la petite file de glaciers, elle releva la tête vers la grève. On distinguait encore les remous et les mouvements apaisés de vagues calmes, somnolentes, allant-venant comme un souffle vivant, lent et profond.

Seul lui parvenait une sorte de silence fragile, ouaté par l’incantation lointaine et nuancée des lames à laquelle s’accordait de temps en temps l’agréable cliquetis d’une vieille bicyclette qui serpentait entre les réverbères et les passants du trottoir opposé. Elle se retournait, et par-delà les danses saccadées de quelques mèches brunes qui volaient au gré de coups de vent doux, ses yeux fatigués suivaient les vélocipèdes menés la plupart du temps par de jeunes enfants aux joues rosies que les maîtres d’hôtels, barmans et serveurs, entre leurs tâches habituelles de fin de jour, regardaient filer vers la placette, le sourire aux lèvres. Ceux qui se détachaient véritablement, qui lâchaient l’éponge sur la table ou la craie sur le rebord de bois des ardoises salies par la poudre d’un vieux blanc, une fois les silhouettes roulantes passées dans un éclat de rire, prenaient le temps de contempler l’union de l’horizon et de la teinte unie qu’il prenait avec le large. Bientôt hypnotisés, ils devenaient immobiles, intrigués par cette émotion inexplicable qui les possédait lorsqu’ils se retrouvaient face à cette splendeur simple assombrie par l’arrivée de la nuit que devenait la mer et ses plages tièdes. Leurs dernières minutes coulaient rapidement, et emplis de pensées vagues similaires, ils se retiraient alors qu’on fermait boutique sur toute l’avenue.

Bien qu’appuyée au long mur de pierre claire de la promenade, de nouveau face aux étendues minérales, Aude prenait plaisir à se retourner pour observer les gens, les derniers. Ceux qui, étrangement, restaient bien plus tard que d’ordinaire à admirer, en silence. Mais ils ne tardaient jamais. Refusant d’aller au bout du songe qui semblait naître en eux, ils revenaient vers une réalité qui les emmenait, guidait leurs pas vers leurs automobiles laissées sur les quelques places tracées derrière les plages.

Aude voyait ainsi, chaque soir, une petite ville aux côtes méditerranéennes s’éteindre et se lover sous les premières nuits de l’automne, qui oubliaient l’ancienne rumeur du monde de saison.

Ce soir-là, faire revenir son regard perdu dans le lointain lui parut plus douloureux que jamais. Elle se redressa lentement, glissant ses mains dans les poches d’un grand manteau bleu. Un trio d’oiseaux marins suivit son retour vers le centre. Le sourire aux lèvres, constatant les alentours sans plus d’expression, elle avançait lentement sur les pavés clairsemés de grains de sables tombés des vents. Le quartier vacancier, à l’ouest, n’était plus qu’un amas de grands édifices morts aux silhouettes ombrageuses, que l’œuvre de la nuit métamorphosait en une énorme tâche noire élancée vers les quelques étoiles. Au nord s’étendaient les paysages du Sud, dont on distinguait une ébauche aux couleurs dénigrées par le froid et la venue de la brune. S’éloignant de la mer laissée à l’est, Aude se rapprochait des quelques véritables avenues où l’on trouvait une poignée de réelles habitations, où l’on pouvait vivre à l’année et avoir le temps de s’étonner, à la fenêtre ouverte, des variations de tout genre, au dehors, au fil du temps et des saisons.

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