Îlots "Les deux soupirs"
Calame Scribe
Il y a bien longtemps, quand l'eau de la mer était encore toute petite, deux villes magnifiques étaient bâties tout là-haut, au Nord dans un beau pays tout froid. Au fil du temps, la mer a grandi, s'est étalée et puis, une nuit, elle a fait un gros caprice, elle a grondé, moussé, écumé et a déversé sa fureur dans cette région qu'elle trouvait trop froide.
Ce fut un cataclysme et les deux villes furent englouties presque totalement. Quand elle fut un peu calmée, la mer se retira pour aller retrouver des rives plus chaudes, hélas, le mal était fait. De cette colère marine ne restaient hors de l'eau que deux îlots dévastés, ou presque !
Les oiseaux survolaient les ruines à peine visibles en poussant de longs cris apeurés. Les cétacés de toutes sortes visitaient les lieux en soufflant tristement l'air par leurs évents. Les dauphins, en particulier, sautaient dans le chenal entre les deux îlots en modulant leurs chants plaintifs.
Entre les pans de murs écroulés, le vent s'engouffrait en sifflant sinistrement. Les pêcheurs qui s'aventuraient dans ce secteur craignaient ces symphonies lugubres aux mélopées sombres et aux silences angoissants tels des soupirs suspendus entre deux sanglots.
Bravant les eaux inhospitalières, deux jeunes adolescents, promis l'un à l'autre depuis longtemps, vinrent un soir en bateau vivre leur amour par anticipation sur l'un des îlots. Bien abrités dans un angle formé par deux parapets qui avaient miraculeusement résisté aux tempêtes, ils vécurent de longues heures, tout à leur bonheur, oubliant le temps, ignorant toute chose étrangère à leur passion.
Inquiets, leurs parents, puis les habitants du village cherchèrent les fugitifs. L'absence de la barque du jeune homme au mouillage fut l'indice qui incita les pêcheurs de la côte à se rendre en mer. Bientôt ils furent en vue des deux îlots. La barque était là. Le vent avait cessé de souffler, la mer était calme, les oiseaux marins d'ordinaire si criards étaient silencieux. Les marins surpris par la sérénité inhabituelle de cet endroit d'ordinaire tumultueux tendirent l'oreille et seuls les soupirs des deux fiancés perçaient le calme que la nature prêtait un moment à leurs ébats amoureux.
Le son faisant écho d'un îlot à l'autre, les pêcheurs ne surent deviner sur lequel des deux petites îles les jeunes gens se trouvaient ; alors, toute inquiétude étant dissipée, les marins s'éloignèrent en souriant et laissèrent le soin au jeune homme de ramener sa belle au village quand bon lui semblerait !
Les villageois appelèrent depuis ce jour ces deux petits bouts de terre, au milieu de la mer, « les soupirs » en souvenir des deux jeunes amants.