Ils de Beauté
Anouk Mathieu
C'était un homme de petite taille, pas très beau, mais avec un regard qui se mouillait facilement, laissant croire qu'il était un être doué d'une extrême sensibilité.
Sa corpulence assez massive tenait de la place où qu'il se trouve, mais avec une humilité feinte qui excusait des gestes vifs et sans délicatesse.
La peau était rougeaude et la bouche dessinait un cœur ridicule pour un homme de cet âge.
Quoi que vous disiez, il avait l'air de boire vos paroles comme si tout à coup il allait lui-même et sans se tromper, terminer vos phrases.
Le genre d'homme dont on pouvait se dire « celui-là ! Il va tout me donner … »
C'est ce qui faisait de lui un homme à femmes, toutes ou presque, trouvant une oreille attentive et un écho satisfaisant à leurs besoins narcissiques.
Philippe était de toutes les mondanités, particulièrement si elles étaient d'ordre culturel, promenant un intérêt quasi maniaque pour les actrices ou les musiciennes.
Les mains étaient boudinées et soignées. Elles effleuraient savamment les épaules si l'occasion leur en était donnée, car il était un tactile calculateur et trouvait de cette manière une occasion rêvée de caresser encore dans le sens du poil.
Il riait fort gaiement puis se taisait en rapetissant son regard, tentait un humour souvent lourd, mais sa manière de s'en excuser le rendait irrésistiblement puéril particulièrement aux yeux de Patricia.
Patricia était une sorte de patronne.
Navrée de n'être pas devenue star internationale, elle glanait de ci de là des compliments sur sa belle facilité à pousser la note.
Elle organisait des fêtes l'été sur la terrasse de sa belle villa où elle invitait quelques joueurs de guitare attardés aux vieux standards du rock et donnait alors de la voix.
Karaoké et vins rouges choisis, composaient à ses yeux la parfaite alchimie pour une soirée des plus sympathiques, mais pourvu qu'au barbecue on ne fasse pas griller de saucisses.
La saucisse fait vulgaire, pensait elle.
Brune, le regard vissé sous des paupières safran, sa petite taille ne lui permettait pas de mettre en valeur autre chose qu'un buste généreux assorti à de jolis bras graciles.
Sa mise était soignée, étudiée même, selon les critères de la mode en cours.
Très attentive à l'effet sensuel qu'elle pouvait produire, y compris sur les femmes, Patricia, avait l'assurance de celles qui ne doutent de rien et jamais d'elle-même.
Elle aimait plaire, aimait se sentir regardée, elle aurait donné sa série entière de dessous pour ne pas, ne jamais, passer inaperçue.
Un tantinet autoritaire, elle ronronnait intérieurement aux doux bruits des « bonjour Madame ! » quand elle entrait dans sa boutique et que toutes ses vendeuses s'émerveillaient de son allure de femme d'affaire.
Elle « tenait » son commerce comme tous ceux qu'elles possédaient, ayant mérité par son mariage, puis son divorce, la possibilité d'une oisiveté active.
Le mollet ferme et la cuisse galbée par de longues heures de sport et de diététique, couronnaient son parfait présent, auquel il lui manquait pourtant cruellement à son goût, un brin de poésie échevelée.
Entre des draps parfaitement repassés, il lui arrivait parfois de rêver devoir comme on dit « tout balancer » pour suivre un artiste passionné, peintre, photographe, metteur en scène, écrivain, qui ne pourrait pas vivre sans elle.
Alors, et alors seulement, pourrait- elle enfin porter ce ravissant soutien -gorge à pompons qui, avec le Tanga rouge assorti, composaient une véritable tenue de Geisha dévouée à l'art en général et à l'Homme en particulier.
Philippe adorait la soie, sauf qu'il n'avait jamais bien su faire la différence avec un polyester bien traité…
Un ami commun, notable de la région car passionné de cinéma, trouva le moyen de les présenter l'un à l'autre lors d'une soirée cinéma à thème qu'il avait organisé.
Karim s'occupait de la cinémathèque locale qui projetait des films inaccessibles si l'on n'avait rien à dire car s'en suivaient des débats forts lettrés, ou chacun y allait de son appréciation comparative.
« - oui, je suis d'accord ? Mais chez Fassbinder on retrouve cette passion du dépravé, de l'être malsain et torturé un peu comme chez Chaplin finalement.
- note bien que la peinture sociale chez Chaplin est très omniprésente aussi ! »
En fin de projection venait les petits fours à deux balles de chez Super U, le Muscat et tout le monde se mettait d'accord en se pinçant les fesses et en se demandant avec qui pouvoir bien se coucher le soir même. Avec le Muscat et le cinéma tout était possible.
Karim était un jeune homme qui avait tout lu, tout vu, et c'était pour de vrai.
Puits de culture, il avait désormais sa photo dans le quotidien local à la page « que se passe-t-il dans notre région » chaque fois qu'il respirait. Qu'elle revanche pour un arabe, fils d'un maçon qui ne parlait même pas le français, et qui lisait encore moins les journaux.
Grand, frisé et la peau claire, il ne souriait jamais, tant était omniprésent son besoin de se concentrer ailleurs que sur une vie réelle, laquelle lui bottait le cul à chaque Ramadan.
Il buvait peu, avait deux jolies fesses bien plantées en haut d'interminables jambes de coureur de marathon et des yeux châtaigne qu'il plissait en vous regardant, poliment.