Concepteur pour les Industries de la mort

J'ai travaillé pour toutes les industries du Mal : les énergies fossiles, l'uranium enrichi qui lave plus blanc, l'industrie du tabac et celle de la vapeur douce, et même celle du sucre, à côté de laquelle les cartels Colombiens et Mexicains sont des petits joueurs. Et maintenant pour qui vais je vendre mon temps de cerveau ?

"Profitez, Mesdames et Messieurs, grosse promo sur la cervelle de concepteur-rédacteur. Les deux kilos pour quelques centaine d'euros et nous vous garantissons la bonne humeur corporate made in happiness"

Pourquoi vendre du bonheur au travail ? Le deal qui consiste à payer quelqu'un pour faire un job reste le marché le plus hônnete qui soit. Quel besoin de rajouter une couche de "donner du sens" pour éviter le boredom du bullshit jobs, ou une grosse tartine de bonheur en pâte bien indigeste ? Fascinant cette capacité d'auto-discipline du cortex pour se conformer à des récits de vies préfabriqués.

La lecture du monde a transformé les plus lucides en ninja : No income, No job, No asset, ce moment où tu peux enfin sortir de ta propre aliénation au bonheur pour revendiquer la position d'un mercenaire anonyme : Tu me payes, je fais le job, et le meilleur chief happiness que je connaisse est un chien ou chat qui se laisse caresser.

Je fais un métier générique qui consiste à travailler pour l'accélération de la sphère techno-sociale. Quand je quitte les marges pour revenir dans des open-space où je croise ceux qui font semblants et ceux qui y croient vraiment, ceux qui finiront décroissants et ceux qui augmenteront leur dose de consommation du système pharmaco-pornographique, ceux dont le sort est signé et ceux qui développeront des stratégies perverses pour se maintenir à défaut de progresser, je réalise que nous vivons bien dans une simulation qui n'a nul besoin d'ordinateurs quantique pour exister et dont le noyau irradie le bonheur absolu. 

Ne pas leur faire peur ! Souviens toi qu'ils ne cherchent pas un concepteur rédacteur, mais juste quelqu'un qui soit rassurant, et que de toute façon tout a déjà été écrit, que rédiger des argumentaires pour la genZ équivaut à mettre une typo en très gros avec des balises H1 H2 H3 avec des photos istock flashy. Et le plus important : que la personne en charge du recrutement n'a qu'une seule crainte : celle de se tromper.

Pourtant il ne lui faudrait que quelques millisecondes pour se tromper dans le bon sens, prendre la décision de tourner son pouce vers le haut pour te faire sortir de l'arène des gladiateurs-rédacteurs, ce moment euphorique où au milieu d'un champ de cadavres le/la DRH LGBTQI+ synthétique viendra te remettre solennellement un Mac Book Air. Alors à genoux, tu accepteras le tatouage du code barre sur ta peau, finement orné du logo de la marque pour laquelle tu seras désormais investi corps et âmes.

Car il n'y a que les pactes Faustiens qui durent dans le temps.