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My Martin

Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours ... - Guillaume Apollinaire (Rome, 1880-Paris, 1918)

L'aventurier



Giacomo Casanova, chevalier de Seingalt

Venise, Italie, 1725 - Dux/Duchcov, Tchéquie, 1798 - 73 ans

Duchcov ; Bohême du nord, proche de la frontière allemande



Aventurier, romancier, séducteur

jeune abbé, charlatan, alchimiste et ésotériste, trousseur de jupons, suborneur, escroc, magicien, espion, diplomate, mythomane, délateur, bretteur, guérisseur, violoniste, joueur, détenu, bibliothécaire

poète, dramaturge, admirateur de Jean-Jacques Rousseau et du poète latin Horace, conteur, traducteur



Casanova naît à Venise, la ville des fêtes et des plaisirs, dans une famille de saltimbanques

bonne éducation, élève doué mais dilettante

haute taille (1 mètre 87), beau gars, beau parleur, cultivé

pas de nom, pas de fortune



«J'ai aimé les femmes à la folie, mais je leur ai toujours préféré ma liberté. Lorsque je me suis trouvé dans le danger de la sacrifier, je ne me suis sauvé que par hasard.»



"Histoire de ma vie" (écrit en français, comme les Mémoires de l'auteur dramatique Carlo Goldoni Venise, 1707-Paris, 1793) est une encyclopédie du siècle des Lumières, intime, vagabonde

Un monde dominé par l'argent, le paraître. Ducats, francs, livres, sequins

Casanova parle le vénitien et l'italien, le français et l'espagnol, le latin et le grec. Passionné, curieux, Il s'intéresse à des domaines divers, voyage avec des malles de livres

Il cherche à résoudre des problèmes mathématiques

1790 - Solution du problème deliaque, démontrée par Jacques Casanova de Seingalt - ce problème consiste à construire un cube dont le volume est deux fois plus grand qu'un cube donné, à l'aide d'une règle et d'un compas

1790 - Démonstration géométrique de la duplication du cube. Corollaire second, Dresde

1790 - Corollaire a la duplication de l'Hexaèdre donnée à Dux en Bohême, par Jacques Casanova de Seingalt, Dresde



parieur, alchimiste, savant, charlatan, écornifleur. Il est talentueux en matière de théâtre, diplomatie, musique



Il écrit ses Mémoires sur le tard, dans les années 1790. Le séducteur, le romancier, l'essayiste, sont oubliés

«Aventuros» -le surnom donné par son ami intime Charles-Joseph, 7e prince de Ligne (1735-1814)- est un banni, un vieillard égrotant, bibliothécaire du ­comte de Waldstein, dans une ville de Bohême, loin de la brillante Sérénissime. Il écrit quatre mille pages, contre le «noir chagrin» qui le ronge.

Dix heures par jour. Les domestiques du sinistre château de Dux se moquent du vieil homme



«Vous rirez quand vous saurez que souvent je ne me suis pas fait un scrupule de tromper des étourdis, des fripons, des sots quand j'en ai eu besoin. Pour ce qui regarde les femmes, ce sont des tromperies réciproques qu'on ne met pas en ligne de compte car, quand l'amour s'en mêle, on est ordinairement la dupe de part et d'autre. Mais c'est bien différent pour ce qui regarde les sots. Je me félicite toujours quand je me souviens de les avoir fait tomber dans mes filets, car ils sont insolents et présomptueux jusqu'à défier l'esprit.»



Le récit de sa vie s'arrête en 1774 (l'évasion de sa geôle vénitienne et l'arrivée à Paris - l'année de ses cinquante ans)



"Entre la beauté et la laideur, il n'y a souvent qu'un point presque imperceptible."



Les femmes, les filles à peine pubères ... la jeune juive Lia -libertine fieffée-,

Henriette -l'amour de sa vie-,

Armelline, Bettina,

la belle religieuse M. M.,

la jeunette Mimi Quinson -procès, elle attend un enfant-,

Coraline,

une ballerine parisienne (Mlle Vesian),



la femme d'un tisserand vénitien, victime d'un viol collectif

-«bel exploit»-

organisé par Casanova, son frère et leur bande de voyous



... marquises, ouvrières, religieuses, courtisanes, filles de banquiers , actrices, ... Et les garçons



Il émoustille ses partenaires en leur montrant "la Puttana Errante", livre de base d'une bibliothèque érotique. Plus connu sous le nom de "Livre des postures érotiques", de Pierre L'Arétin. Le divin Arétin (1592-1656), poète satirique et licencieux

Le texte est un chef d'œuvre de pornographie intelligente, l'imagination le dispute à l'éducation sexuelle. Baiser, art et révolte. Préfiguration de Sade, sans la cruauté.



Le tréponème pâle -la syphilis, "la vérole"- vole bas : "Ce mal laisse des cicatrices, mais on s'en console facilement quand on pense qu'on les a gagnées avec plaisir, comme les militaires qui se plaisent à voir les marques de leurs blessures, sources de leur gloire."



Casanova a servi de modèle à son compatriote vénitien Lorenzo da Ponte 1749-1838 -poète et librettiste-, compagnon d'exil à Vienne, pour la rédaction du livret du « Don Giovanni » de Mozart :

Don Juan - Séville, XVIIe siècle. Le séducteur puni, dans le contexte du Baroque espagnol



"El Burlador de Sevilla y convidado de piedra" -"L'Abuseur de Séville et le convive de pierre"

est la première œuvre littéraire créant le mythe de don Juan. Ecrite par le moine dramaturge espagnol Tirso de Molina (1579-1648). Imprimée et jouée en 1630, elle connut rapidement le succès

Don Juan trompe et séduit les femmes. Il ne respecte pas sa parole

Un soir, moqueur, il invite à dîner la statue de don Gonzalo de Ulloa, commandeur de Calatrava (le père de l'une de ses conquêtes, qu'il a tué). La statue accepte, à la surprise de don Juan, et vient chez lui

Cependant, elle ne mange pas. Elle lui propose un dîner pour le lendemain soir

Don Juan accepte et s'y rend. Le dîner est terrifiant. Lorsqu'il veut s'éclipser, la statue lui attrape la main et l'entraîne en Enfer



Au XVIIIe siècle, Casanova a séduit l'Europe. Dans une société compartimentée, mais parcourue de failles

Venise décline. Vasco de Gama a découvert la route maritime vers les Indes, Venise a perdu le monopole des produits d'Orient. Elle poursuit ses opérations commerciales en s'alliant avec les musulmans contre les Portugais. L'industrie est prospère -verre, soie. La ville est splendide -palais du Grand Canal, place Saint-Marc, école de peinture, ...

Le siècle des Lumières, nouvelles idées -politique, religion, économie-, nouveau monde, le gain, l'instant

(Le prince de Ligne, ami de Casanova âgé) : "Il est fier, parce qu'il n'est rien et qu'il n'a rien."



Les romans érotiques, les poésies grivoises de l'époque, sont explicites, crus

Casanova recourt à des métaphores :

"La femme est un "jardin", un "paradis" humide de "rosée",

où coulent des "ruisseaux de lait", des "fleuves de délices",

où s'épanouissent des "fleurs", des "roses", des "pommes",

des "fruits" parfois "défendus", merveilleux à "cueillir", à "manger".



C.C. devient ma femme ... "ses continuelles pâmoisons me rendaient immortel."



*



1725, Venise

Giacomo Casanova est né le 2 avril 1725, à Venise

Son père est acteur et danseur de ballet à Venise - Gaetano Casanova (Parme, 1697-Venise, 1733)

sa mère, fille d'un cordonnier puis actrice comique - Zanetta Farussi (Venise, 1707-Dresde, Allemagne, 1776). A arsovie, elle bénéficie de puissantes protections

Il serait le fils naturel d'un patricien de Venise, Michele Grimani, dont le frère -l'abbé Alvise Grimani- sera le tuteur de Casanova.

Le fils aîné. Enfant chétif, maladif

Il a trois frères et deux sœurs

Francesco Giuseppe (Londres, 1727–Mödling, Autriche, 1803 - 76 ans) - peintre, qui fera le portrait de Casanova - peintre des batailles, scènes de genre, sensibilité préromantique

Giovanni Battista (Venise, 1730–Dresde, 1795 - 65 ans) - peintre et historien d'art, professeur et directeur de l'Académie de Dresde - célèbre en Allemagne

Faustina Maddalena (1731–1736 - 5 ans),

Maria Maddalena Antonia Stella (1732–1800 - 68 ans)

et Gaetano Alvise (Parme, 1734–Venise, 1783 - 49 ans) - acteur, danseur de ballet



Ses parents comédiens partis sur les routes, il est élevé par sa grand-mère maternelle Marsia Farusso, de 1725 à 1734



*



1734 à 1742 - Casanova, de ses 9 à 17 ans

il fait de brillantes études à l'école de l'abbé Antonio Maria Gozzi puis à l'Université de Padoue. Il étudie la chimie, les mathématiques, la philosophie et le droit. Il se destine à l'état d'avocat ecclésiastique et obtient un doctorat en droit civil et droit canonique en juin 1742

Noble vénitien Michele Grimani finance ses études de théologie et de droit à l'Université de Padoue

L'abbé Gozzi est chargé de son éducation, Casanova vit chez lui, dans sa famille. L'abbé lui apprend les matières académiques et le violon



*



1740 - Casanova a 15 ans

le séducteur vénitien perd son pucelage en compagnie de deux sœurs, Marta (15 ans) et Nanetta (16 ans) Savorgnan, les meilleures amies de sa fiancée Angela Tosello -son premier amour

Marta et Nanetta sont brodeuses. Il a 15 ans



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1744 - 19 ans

Projet de carrière ecclésiastique entre Naples et Rome



Il est bien accueilli par le pape Benoît XIV (1675-1758) -études cléricales, passionné par les sciences. Il est destiné à un brillant avenir. Son protecteur est le sénateur Alvise II " Gasparo " Malipiero. Ce dernier le chasse lorsqu'il découvre la liaison entre Casanova et sa protégée Thérèse Imer, à Naples puis Rome

Il entre au service du cardinal Francesco Acquaviva d'Aragona -ambassadeur d'Espagne-, qui le loge. Il enlève la fille de son professeur de français, la cache dans le palais d'Acquaviva. Découvert, il tombe en disgrâce, ses frasques l'obligent à abandonner la condition ecclésiastique

1745, il commence ses errances à travers l'Europe. Débauches, d'expédients

enseigne de vaisseau, violoniste, escroc, joueur, spécialiste des sciences occultes, traducteur. Il bénéficie parfois de l'aide de riches protecteurs



De Naples à Rome, il séduit Donna Lucrezia Castelli, qui donnera naissance à sa fille naturelle, Leonilda Castelli

Des années plus tard (1761), Casanova couche avec la jeune femme (16 ans) d'un compagnon franc-maçon, -il l'ignore- sa fille naturelle

Elle donnera naissance au fils de Casanova, Cesarino Lanti. Ou Cesarino est né de ses amours avec Lucrezia, en 1744 ?



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1746 - 21 ans

Violoniste à Venise. Il fait partie d'une bande de vauriens. Le patricien Bragadin devient son protecteur

Matteo III Giovanni Bragadin (1689-1767), le principal protecteur de Casanova à Venise

Casanova porte secours à Bragadin, victime d'une crise d'apoplexie. Bragadin, persuadé que Casanova l'a sauvé grâce à sa connaissance des sciences occultes, le considère comme son fils. Il l'héberge pendant neuf ans, de 1746 à 1755. Giacomo Casanova prédit, à l'aide de la Cabale, l'avenir de Matteo Bragadin et de ses deux amis crédules, Marco Dandolo (1704-1779) et Marco Barbaro (1688-1771)

Casanova est mêlé à des affaires de jeu, sa réputation est sulfureuse

L'amour paternel du Sénateur Bragadin ne faiblit jamais et, avant de mourir, le 26 octobre 1767, il fait don par testament à Giacomo Casanova de l'importante somme de 1 000 scudi (écus), alors que Casanova est réfugié à l'étranger après sa fameuse fuite des “Plombs”.



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1749 - 24 ans

Il rencontre Henriette, l'amour de sa vie -« cette idole de mon âme »-

"Le postillon ... me remit une lettre d'Henriette dans laquelle je n'ai trouvé que ce seul mot : adieu. ... Ne pouvant partir que le lendemain, j'ai passé tout seul dans ma chambre une des plus tristes journées de ma vie. J'ai vu écrit sur une des vitres des deux fenêtres qu'il y avait

tu oublieras aussi Henriette.

Elle avait écrit ces mots à la pointe d'un petit diamant en bague que je lui avais donnée."



*



1750-1752 et 1757-1759

Casanova à Paris

Ses voyages le conduisent dans les principales capitales européennes, notamment à Paris, où il fait deux séjours principaux, de 1750 à 1752, puis de 1757 à 1759



«la ville où l'imposture a toujours fait fortune»



il est enchanté par l'hospitalité à l'égard des étrangers, la liberté des femmes -des comédiennes, des aventurières. Il conduit à vive allure le long de la Seine, dans les quartiers agrestes du Marais, dans l'entrelacs des ruelles de la cité

il est l'un des promoteurs de la loterie publique, sur le principe du loto de Gênes. Pour financer l'Ecole militaire sans recourir à l'impôt. Il s'approprie une partie des bénéfices

il loue une belle maison à l'extérieur du Paris de l'époque, "la Petite-Pologne" (8ème arrondissement, gare Saint-Lazare) ; au-delà des barrières de Paris, se loger coûte moins cher

il mène joyeuse vie : fêtes, soupers. Il prête sa maison à ses amies, abri pour leurs amours clandestines. Amoureux, il est possessif et jaloux ; hors de ces moments, il est complice du désir d'autrui. Il s'attache, éventuellement secourt ses conquêtes en difficulté

la maison de campagne est discrète, proche du centre de Paris - alors qu'il faut compter trois heures pour aller de Paris à Versailles (la Cour de Louis XV), par le service régulier

Période fastueuse. Meubles magnifiques, chevaux, voitures, palefreniers, laquais

"je demeurais à la campagne, et dans un quart d'heure, j'étais partout où je voulais dans la ville. Mon cocher allait comme le vent, mes chevaux étaient de ceux qu'on appelle enragés, faits exprès pour ne pas être épargnés. Des chevaux pareils, rebuts de l'écurie du Roi, étaient un luxe. [...] un des plus grands plaisirs de Paris est celui d'aller vite."



Pendant six ans, il extorque de fortes sommes d'argent à la marquise d'Urfé. Il exploite la crédulité de cette riche veuve, dans l'alchimie -elle possède un laboratoire- et les sciences occultes

"Il y a une Mme Durfé à Paris, femme d'esprit, mais qui se croit en commerce avec les Sylphes et les Génies."

il abuse de l'excentrique Jeanne de la Rochefoucauld, marquise d'Urfé (1705-1775) -excentrique, férue d'occultisme et d'alchimie-, se dit initié aux arcanes de la Kabbale -"réception", "tradition", mystique juive secrète - sorts, enchantements, visions prophétiques ou divinatoires

Magicien, il va la faire renaître dans un nouveau corps ; Mme d'Urfé -amante occasionnelle- finance ses voyages et ses recherches, lui donne des adresses et des lettres de recommandation

Casanova ne lui demande jamais d'argent, seulement des pierreries pour former des "constellations"

En 1763, la marquise presse Casanova d'effectuer enfin sa régénération ; ce dernier lui propose de la mettre enceinte d'elle-même -elle a 58 ans-, durant une cérémonie de triolisme magique. Elle accouchera d'un mâle -censé détenir plus de puissance occulte-, dans lequel son âme transmigrera à l'accouchement

Giacomo Passano -écrivain, aventurier -ancien complice de Casanova- dénonce à la marquise les supercheries de Casanova, afin de devenir son nouveau sorcier



Louis XV, Versailles, le Parc-aux-Cerfs. A partir de 1752, dans cette propriété sont entretenues des jeunes femmes, pour satisfaire la concupiscence du roi -42 ans. Le lupanar du roi, "les petites maîtresses". A l'instigation de la marquise de Pompadour, la maîtresse du roi, qui n'a plus de rapports sexuels avec lui

Le roi ne se rend jamais dans cette demeure, la fille est amenée au palais par Dominique Lebel, son valet de chambre. Le roi craint la vérole -la syphilis-, Lebel "teste" la fille pour s'assurer qu'elle n'est pas "poivrée"

Puis il la fait passer dans la chambre appelée le « trébuchet », où le monarque décide du sort de la belle, dévêtue

dont la "belle O'Murphy" -Marie-Louise 1737-1814-, peinte -nue, sur un lit, à plat ventre- par François Boucher en 1752. Casanova a manœuvré pour la livrer vierge au roi. Elle a 15 ans



... précédemment...

Philippe d'Orléans, 1674-1723 - Le libertin Régent organise les petits soupers. Beaux seigneurs, gentes dames, vins, Champagne, orgies. Le service est assuré par les convives et par quelques domestiques triés sur le volet. Dont les mirebalais qui dînent à l'écart, dans l'antichambre. Frais, robustes, bien montés, ils sont originaires de la ville de Mirebeau, en Poitou. Lorsque les vins, les étreintes épuisent les mâles présents, ils prennent une ardente relève auprès des femmes.



La Cour, grâce à la protection du duc Etienne-François de Choiseul, confie à Casanova des missions financières : évaluer l'état des navires de guerre - contacter des marchands d'Amsterdam

Imposteur, escroc et manipulateur. "Quel est l'homme auquel le besoin ne fasse faire des bassesses ?"

Chevalier de Seingalt, titre qu'il s'est attribué lui-même ? Anoblissement, à la suite de services rendus ?



Il perd ses protecteurs

Il investit dans une manufacture de soie peinte. Faillite spectaculaire. Il est enfermé à la prison royale de For-l'Évêque (1er arrondissement, rue Saint-Germain-L'Auxerrois), d'où il sort, grâce à l'intercession de la marquise d'Urfé



*



juillet 1755-novembre 1756 - 31 ans emprisonné pendant 15 mois



Entre ses deux séjours à Paris, il connaît l'un des épisodes les plus célèbres de sa vie : dénoncé -par un mari jaloux ?- pour escroquerie, parasitisme, libertinage, athéisme, occultisme - franc-maçon ?-

enfermé à Venise à la prison des Plombs (Palais des Doges, Piombi - le 26 juillet 1755). Il s'évade le 1er novembre 1756 - la seule évasion réussie

Ce récit fera la gloire du jeune Casanova en Europe

« Ce fut au commencement de novembre que j'ai formé le projet de sortir par force d'un lieu où on me tenait par force, cette pensée devint mon unique. »

Détenu depuis quinze mois, Casanova s'échappe, le 1er novembre 1756, par les toits de la prison des Plombs de Venise, réputée inviolable

Lorsque le jour se lève le 1er novembre 1756 sur la lagune de Venise, le soleil éclaire une gondole qui fend les eaux du Grand Canal de Giudecca. Quatre hommes à bord : deux barcaroles -les bateliers vénitiens. Les deux fuyards, Casanova et Balbi, promettent les payer « plus que le tarif », pour fuir la ville au plus vite

« En qualité de grand libertin, de hardi parleur et d'homme qui ne pensait qu'à jouir de la vie, je ne pouvais pas me trouver coupable. »

Giacomo Casanova et son codétenu, le moine Marino Balbi (inculpé pour débauche), goûtent la fraîcheur du vent d'automne, un inestimable souffle de liberté pour ces deux-là qui ont rompu dans la nuit leurs chaînes des Plombs. Les Plombs, le nom donné à la prison vénitienne, en raison des plaques de métal noir qui recouvrent les toits du palais des Doges. Des cachots sont aménagés dans les soupentes, fournaise l'été, glacière l'hiver. Hordes de rats

Les Plombs reçoivent les prévenus que les inquisiteurs d'État font arrêter et qu'ils condamnent, sans leur indiquer le motif, ni la durée de leur détention. Dénonciations le plus souvent anonymes

Le pont des Soupirs -Ponte dei Sospiri- enjambe le Rio de Palazzo o de Canonica et relie les prisons, aux cellules d'interrogatoires du palais des Doges

Soupirs des prisonniers conduits devant les juges, lors de leur dernière vision de Venise. Ultime image de la liberté, car ils vont finir leurs jours en prison



Il goûte aux délices de la chair : une nonne, M.M., qu'il a en partage avec un abbé ambassadeur du roi Louis XV à Venise,

le cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis (1715-1794) - il mate Casanova baiser la religieuse, caché derrière une tapisserie percée de trous

"Je préfère le paradis pour son climat mais l'enfer pour ses fréquentations."



Casanova parcourt l'Europe

Il rencontre son rival, le mystérieux comte de Saint-Germain (1691-Eckernförde, Allemagne, 1784). Musicien, peintre, réputé alchimiste (la marquise d'Urfé conserve son portrait). Immortel, dit-on. Il fréquente la Cour en 1749, distrait Louis XV. Il dispose d'un laboratoire d'alchimie au château de Chambord

Richard Chanfray (Lyon, 1940-Ramatuelle, 1983) affirma être le comte de Saint-Germain, alchimiste, immortel. Play-boy, chanteur occasionnel. Il vécut 9 ans avec la chanteuse Dalida, de 1972 à 1981. Il se suicida avec sa nouvelle compagne en juillet 1983 (ingestion de barbituriques, asphyxie par les gaz d'échappement de leur voiture, sur un chemin isolé près de Saint-Tropez).



Le temps aime les aventuriers, tel le comte de Cagliostro. Giuseppe dit Alessandro Balsamo -Palerme, Sicile, 1743-prison pontificale de San Leo, Urbino, 1795

Disciple du comte de Saint-Germain

Guérisseur, devin, visionnaire, "mage", fondateur d'un rite maçonnique. Il stupéfie l'Europe, Londres (1777), Saint-Pétersbourg (1779), Varsovie (1780), ...



Casanova s'introduit dans les salons grâce aux billets de recommandation et au passeport maçonnique (les frères célèbrent la vertu, la fraternité universelle, la société égalitaire et libérale - valeurs fondamentales, fondatrices, au siècle des Lumières)

Il est reçu par le roi du Royaume-Uni, George III (le roi fou de Windsor - 1738-1820),

le roi de Prusse Frédéric II le Grand (1712-1786) - la rencontre de Casanova avec Frédéric II de Prusse se situe dans les jardins de Sans-Souci (en 1764 - Potsdam, Allemagne)

l'impératrice de Russie Catherine II, la Grande Catherine (la modernisatrice - 1729-1796) - rencontre en 1765, à Saint-Pétersbourg. Casanova part pour Saint-Pétersbourg avec l'esprit de découverte, l'envie de l'inconnu

Catherine baise de jeunes soldats ; meubles -dont un guéridon au plateau soutenu par trois bites, sur boules seins-, objets, peintures érotiques



Il ne parvient pas à obtenir un emploi, notamment celui de conseiller



« N'ayant jamais vu un roi de ma vie, une idée bâtarde me faisait croire qu'un roi devait avoir quelque chose de fort rare en beauté ou en majesté dans la physionomie, non commun aux autres hommes »



A un niveau supérieur,

René Descartes (1596-1650 - séjour de 4 mois, mort à 53 ans de pneumonie à Stockholm), avec Christine de Suède (23 ans - 1626-Rome, 1789)



Voltaire (1694-1778 - 56 ans - 3 ans à Berlin), avec Frédéric II de Prusse (38 ans)



René Diderot (1713-1784 - 5 mois à Saint-Pétersbourg), avec Catherine de Russie (44 ans) - elle acquiert en viager la bibliothèque et les archives de Diderot (20 caisses, inventaire égaré). Ainsi qu'à sa mort, la bibliothèque de Voltaire (7 000 volumes)



ont tenter de conseiller/éclairer les souverains. En vain



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1760

Au début du mois de juillet 1760, Casanova séjourne trois jours chez Voltaire, aux Délices, près de Genève

Voltaire a bâti une fortune pour être indépendant, mener des campagnes d'opinion, lutter contre les despotes, qui se disent éclairés (Frédéric II de Prusse) ou non



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1763-1764 - 39 ans

Casanova vieillit

Il séjourne à Londres et rencontre une femme, La Charpillon. Il vit une passion destructrice

Elle a 17 ans, vit chez sa mère et sa tante, qui font profession de maquerelles

Pour la première fois, il se heurte à un refus féminin. L'humiliation le pousse à rédiger deux essais sur le suicide

Pour se venger des procédés de la courtisane qui l'a mené au bord du suicide, Casanova achète un perroquet

« Miss Charpillon est plus putain que sa mère. »

Il dresse l'oiseau à prononcer cette insulte contre elle, puis l'expose en public, à la Bourse de Londres

Fausse accusation, prison



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1764

Giacomo Casanova débarque à Riga et séjourne à Saint-Pétersbourg de décembre 1764 à l'automne 1765 - court voyage à Moscou



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1766 - Pologne - 41 ans

En 1766, insultes échangées à propos d'une ballerine italienne - il se bat en duel au pistolet contre le comte Franciszek Ksawery Branicki (1731-1819), sous-chambellan du roi de Pologne Stanislas II

L'affrontement a lieu le 5 mars 1766 à Vola, près de Varsovie. Les deux hommes sont blessés. Leur aventure est relatée dans les gazettes européennes



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1767 - 42 ans

Il séjourne à Madrid

Chassé de Paris en 1767, il se rend à Madrid, afin d'y proposer ses services en tant que conseiller.

Un séjour entre emprisonnement, libertinage et persécutions



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1774 - 49 ans

Les Inquisiteurs accordent à Casanova l'autorisation de rentrer à Venise



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1783 - 58 ans

Dans une spirale descendante et à la suite d'un différend financier, Casanova écrit en août 1782, le pamphlet "Ne amori ne donne, ovvero la stalla ripulita" -"ni amours ni femmes, c'est à dire que la grange a été nettoyée". Il se moque de la noblesse vénitienne

Il est chassé de la république de Venise, à la suite d'un pamphlet d'une extrême violence : il prophétise la destruction de la ville par un tremblement de terre, à la date du 25 mai 1783



"j'ai 58 ans ; je ne peux m'en aller à pied : l'hiver arrive brusquement. Et si je pense à redevenir aventurier, je me mets à rire en me regardant au miroir."



la séduction physique s'est évanouie, seule reste la séduction intellectuelle. Il fourmille de mille projets mais la réalisation achoppe, par manque de financement. Il quête des moyens de subsistance, sillonne l'Europe. Vienne, Aix-la-Chapelle, Paris, Bruxelles. Il revoit anciens amis, cherche à les convaincre, à intéresser des investisseurs

relancer la loterie

créer une gazette

mettre sur pied une expédition pour Madagascar

creuser un canal de Narbonne à Bayonne ; cette vaste entreprise "serait l'occasion pour Louis XVI de laisser un grand monument de sa gloire."

Venise, fabriquer de magnifiques teintures

Espagne, créer une manufacture de tabac râpé

Russie, lancer un programme d'agriculture, acclimater les animaux des pays chauds -chameaux, vaches des Indes, cochons de Chine, ânes arabes

Pologne, Varsovie, fabriquer du savon "meilleur que celui de Marseille, et par conséquent meilleur que tous les savons, qui aura la qualité de passer la ligne équinoxiale sans se fondre, qui sera beau, blanc, rouge, bleu, vert, noir, marbré, dur, liquide à choix, parfumé et simple."



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1785 - 60 ans

Il est à bout de ressources, acculé à la misère

Marqué par les cicatrices de la variole, joues creuses, nez crochu, édenté ; les plaisirs de la conversation s'éloignent



Au cours d'un dîner, il rencontre le comte Joseph Karl von Waldstein,

Joseph-Karl Emmanuel de Valdštejn

franc-maçon féru d'occultisme, il lui propose le poste de bibliothécaire dans son château de Dux / Duchcov (actuelle Tchéquie), en Bohème. Casanova s'y installe en septembre 1785

40 000 ouvrages - les dernières années de Casanova s'écoulent tristement dans le château isolé. Casanova est un vieillard, relique d'un passé révolu



Le prince de Ligne, ami de ses vieux jours :

Ce serait un bien bel homme, s'il n'était pas laid ; il est grand, bâti en Hercule ; mais un teint africain, des yeux vifs, pleins d'esprit à la vérité, mais qui annoncent toujours la susceptibilité, l'inquiétude ou la rancune, lui donnent un peu l'air féroce..."



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1789-1793



«Aventuros», ainsi l'a surnommé son ami le prince de Ligne, est un banni, un vieux galant égrotant, bibliothécaire du ­comte de Waldstein



“J'écris pour ne pas m'ennuyer.”



Casanova écrit ses Mémoires dans les années 1790

4 000 pages, écrites contre le «noir chagrin» qui le ronge, à raison d'une dizaine d'heures par jour, pendant 4 ans, de 1789 à 1793

en français, écriture lisible, sans ratures

belles pages, écriture claire et élégante

3 768 pages - 12 boîtes

feuillets aux filigranes en forme de cœur



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1798 - Mort de Casanova, 73 ans



Il meurt le 4 juin 1798, à Dux

Il est inhumé à la sauvette dans un modeste enclos funèbre de l'église Santa Barbara ; personne ne se soucie de sa tombe, son emplacement a disparu à la mort du comte Waldstein

le cimetière du village est aujourd'hui un jardin public



l'aventurier libertin a légué ses écrits à son petit-neveu, Carlo Angiolini, qui l'a assisté à Dux dans ses derniers jours



(la famille Angiolini) les héritiers vendent le manuscrit en janvier 1821, à l'éditeur allemand Friedrich Brockhaus

Il livre une première édition, expurgée des passages les plus lestes

Puis plusieurs éditions, à partir de 1822-1828. Casanova est redécouvert

A la fin des années 1950, première édition quasi complète du texte authentique de Casanova



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"J'écris ma vie pour me faire rire et j'y réussis."



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