(Intérieur, Femme en bleu fouillant dans une armoire) IRINA

pearl

Le parquet craque sous mes pas. Les murs du corridor sont timidement éclairés par une lampe en papier japonais. J’entre dans un salon. Le tapis de laine gratte mes pieds nus. J’entends ma respiration mais je ne me vois pas. Je suis là, invisible à mes propres yeux. Je ne suis pas seul. Une jeune femme vêtue d’une longue chemise de nuit se tient debout devant un placard. Des cahiers sont alignés sur l’étagère. Elle s’empare de l’un d’entre eux. Son mouvement est saccadé, comme l’image d’un film usé à force d’avoir été visionné. Que peuvent bien contenir ces cahiers ? Je pourrais simplement lui demander. Seulement, je suis incapable de parler et encore moins de lui transmettre ma question par télépathie. Je me dis que peut-être en lui tapotant l’épaule, en lui faisant signe de reculer, je les verrais enfin ces cahiers si mystérieux. Avec délicatesse ma main invisible se pose sur… Rien. Balayer de l’air, c’est tout ce que je peux faire. Mon envie de voir le contenu des cahiers est irrésistible. Je fixe l’intérieur du placard et fais abstraction de la jeune femme. Toute mon énergie se focalise sur les cahiers. Je suis persuadé de pouvoir les déplacer par la pensée. Dans mon crâne, je sens une résistance. Qui suis-je au juste ? Un fantôme ? Je suis distrait par un grondement venu de l’extérieur. La fenêtre s’ouvre, ses battants claquent. Le vent s’engouffre. Les carreaux de verre explosent. Les tableaux tombent à la renverse. Un hibou se pose sur le rebord de la fenêtre. Ces grands yeux brulants me fixent. Derrière lui un écran de nuit. Des étoiles, une lune ronde. Je m’approche de l’animal et ce que je vois dans la spirale de ses iris est…In-des-crip-ti-ble. C’est comme si je voyais l’univers tout entier et chaque parcelle qui le compose. Je sens un déclic au creux de mon cerveau. La jeune fille à la chemise bleue s’est retournée. Ces cheveux bruns frôlent sa peau laiteuse. Je la connais. J’ai son prénom sur le bout de la langue. Je suis submergé par un flot d’images : Ses mains, sa nuque, son dos nu, ses yeux pleins de transparence. Elle s’est éloignée du placard. Les cahiers s’envolent, dansent autour d’elle, se désintègrent en une gerbe de feu. Un cahier tombe sur le tapis. Intact celui-ci. Je me précipite. Entre mes mains, une partition, une symphonie. Un seul nom, un prénom. Le tien. Irina. Je suis debout la partition à la main. Irina me sourit. Elle vient se blottir contre moi. Je la serre très fort. Une chaleur agréable s’écoule dans mes veines. J’ai mal de son absence. Elle pose un baiser sur ma bouche. Ses yeux gris sont doux. Elle s’éloigne un peu. Elle me fait un signe. Dans cet adieu silencieux je l’entends me dire que tout ira bien. Son image devient floue. Elle disparaît par petites touches. Sa chemise bleue, son visage, ses cheveux bruns se fondent dans le décor. Seul, un éclat de lumière survit. Il zigzague jusqu’à la fenêtre et rejoint la nuit. Emportant dans son sillage un hibou aux ailes d’or.

Irina, tu m’as tellement manqué. Il est temps de te laisser partir.

 FIN

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