Intime journal

L

"Tout ce qui reste de ma vie ce sont les notes. J'écris un journal intime pour lutter contre l'oubli, offrir un supplétif à ma mémoire. Si l'on ne tient pas le greffe de ses faits et gestes, à quoi bon vivre : les heures coulent, chaque jour s'efface et le néant triomphe. Le journal intime, opération commando menée contre l'absurde. J'archive les heures qui passent. Tenir un journal féconde l'existence. Le rendez-vous quotidien devant la page blanche du journal contraint à prêter meilleure attention aux événements de la journée – à mieux écouter, à penser plus fort, à regarder plus intensément. Il serait désobligeant de n'avoir rien à écrire sur sa page de calepin." Tesson. 

Tesson détient une boîte avec un nombre ahurissant de carnets remplis. Dans cette boîte, il y a une note disant qu'à sa mort, tous ces journaux intimes devront être détruits dans le feu et que personne n'aura le droit de les lire. Il explique que ces carnets, ils sont sa mémoire. Ils sont des anecdotes vécues dans la journée, qui prennent tout un aspect différent lorsqu'elles sont relatées sur la feuille. Le journal intime est un rendez-vous, c'est la promesse de raconter quelque chose. 
Pour moi, c'est beaucoup trop personnel. C'est l'exutoire où j'écris à chaud. Le vrai refuge. Rien n'est calculé ni modifié, je ne fais pas attention à la tournure des phrases. Je déverse et c'est d'une authenticité simple. 
Mes carnets regroupent des secrets, des passages à vide, et toutes ces journées inintéressantes à me faire chier et pleurer ma vie. C'est l'envers d'un décor, la partie de l'iceberg qui reste sous l'eau, et c'est tant mieux. 
Montrer ses carnets c'est aussi admettre, peut-être, qu'on est comme tout le monde et que notre vie jetée sur ces pages est loin d'être trépidante. Dévoiler mes carnets, c'est avouer ma banalité. J'écris pour moi, pour me souvenir. Ils sont moi ces carnets. Tantôt solaires et pleins d'espoir. Tantôt hésitants et engorgés d'un pessimisme affligeant. C'est moi. J'en ai dit des conneries dans mes journaux, mais je ne vais pas commencer à changer l'histoire. 
Ils nous permettent aussi de voir d'où l'on est parti, au commencement de notre premier carnet jusqu'à la rédaction du cinquième. Ils ont été pour moi un GPS, une carte que l'on a du mal à lire ou à suivre. Ils ont en eux toutes mes valises égarées, tous les chemins empruntés et les autres laissés à l'abandon. Ils sont des rencontres, des personnes aimées puis perdues. Le présent nous oblige trop souvent à nous séparer de certaines choses : il y a tant de visages que l'on ne reverra pas. Mes journaux m'offrent la possibilité de retrouver ces liens effacés par le temps. J'ai ainsi la chance de refaire furtivement un bout de chemin avec certains.
Puis, finalement, c'est comme si la vie était une grande bibliothèque. Il y a des carnets, plus gros que certains, que l'on adore relire. D'autres qu'on aime juste voir sur l'étagère et qu'on ne retouchera pas avant quelques années. Mais on les garde tous. Sans exception. 


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