InverTion
Katrin Blanch
Toujours cette obsession de l'étrangeté à soi-même. Les multiples manières de l'éprouver tout au long d'une vie, les différentes formes qu'elle prend, les drôles d'état qu'elle nous fait traverser. L'impuissance d'une partie de soi face à l'autre, l'hébétement. Le mystère de la dualité corps – esprit que notre société occidentale a si bien exploité et qui ne préoccupe peut-être que nous, humains du nord- ouest de la planète. L'indissociable incompatible. L'inextricable réalité que je revendique mais qui m'a façonnée sans que j'aie presque eu droit au chapitre. La programmation involontaire de mon logiciel intérieur par des aïeux que je n'ai pas connus ; tout ce qui d'eux continue de résonner, de ravager ou d'étouffer en moi. Leur marque de fabrique que je ne sais pas déchiffrer. Mes pas dans leurs pas alors même que je me pense libre. La structuration anatomique de mes organes et la composition de mes tissus. La combinaison de deux généalogies qui remontent à la nuit des temps avec autant de ramifications que de générations où chaque individu a apporté au sang qui coule dans mes veines sa participation. Ma propre rencontre avec le présent, les chemins circonstanciés où mon histoire m'entraîne dans les calculs de la probabilité conjugués à une forme de déterminisme inconscient en compétition avec l'intuition…
Pour moi le résultat de toute cette alchimie antérieure a donné une attirance vers les humains du même genre que moi. Une tendance naturelle, instinctive dit-on, un « penchant » que j'ai vécu tantôt comme une maladie, une bizarrerie, un handicap, tantôt comme une originalité, un avantage, parfois une malédiction ou au contraire une aubaine… mais toujours comme un fait qui s'imposait à moi. Comment prendre la responsabilité intrinsèque de quelque chose sans avoir l'impression d'y participer ? En effet, on est vite désigné (implicitement ou non) comme « porteur » de l'homosexualité, autrement dit volontaire, consentant voire revendiquant ce choix. Plus pratique pour juger, condamner et culpabiliser le déviant. Comme si le désir était affaire de volonté, de raison et de morale ! Il n'est qu'émotion et affects, tout ce qu'il y a de plus incontrôlable en l'homme pour lui-même et pour les autres. Manière aussi pour la famille de se déresponsabiliser en revanche elle-même. Si mon enfant veut être ainsi, s'il en a fait le choix, je n'y suis pour rien et n'y puis rien si ce n'est l'obliger à rentrer dans le droit chemin…
J'ai répondu à une partie de mes interrogations, jusqu'alors nouées et planquées quelque part entre mon ventre et mon esprit, chez les psychothérapeutes. C'est bien ça : le nœud opaque de l'inconscient et le moteur fou du désir. Je trimballe depuis des décennies un être inconnu dans ma carcasse qui mourra avec moi sans que j'aie pu le rencontrer vraiment. Je n'aurai fait qu'apprendre à le tempérer, à le réguler mais il m'attend en embuscade, prêt à me contrarier, me contredire, me faire trébucher. A démolir en un clin d'œil toutes mes belles constructions conscientes et rationnelles.
C'est pourquoi il y a belle lurette que je me suis délestée des guenilles de la culpabilité. La volonté n'a strictement aucun pourvoir sur le désir. Seuls l'absence, le silence, le temps qui passe ont raison de lui… mais je n'y suis pour presque rien. Comme il serait confortable et juste d'aimer l'être qui nous est bénéfique, qui le mérite et qui l'attend ! Le satellite qu'on ne voit pas mais qui nous réchauffe sans qu'on y prête attention. Mais la logique, le bon sens – dont la nature fait pourtant souvent preuve – laissent boudeur le désir qui a sa propre détermination sans rapport aucun avec celle établie par les hommes. Mauvais élève, il ne s'accommode guère de ce qui arrange la société ou de qui serait bon pour la santé. Pas plus qu'il n'est capable de se tenir dans le temps des hommes. Le désir a son propre temps ; il nous prend par la main pour nous encanailler… Il ne faut surtout pas le regretter car c'est peut-être un des derniers bastions de notre liberté, avec la pensée, tous deux dangereusement ébranlés malgré les apparences. L'aliénation du désir et de la pensée : que restera-t-il bientôt de l'être humain ? Tout au fond de moi, je sais aujourd'hui, après avoir forcé les barrages du conditionnement et le passage vers ma vérité intrinsèque, qu'il n'est rien de plus naturel, depuis toujours et dans toutes les espèces, que cette forme d'attraction vers son semblable générique. Sauf que ça n'arrive qu'à certains ou certaines et qu'on ne s'explique pas complètement pourquoi. Et que parmi ces « certains », il en est qui recherchent à la fois leurs semblables et leurs opposés. Mais l'ambivalence complique encore les choses. On se croit sauvé : « Une part de moi va du bon côté, je pourrai donc avoir une vie normale. » On oublie alors que choisir, c'est renoncer et sacrifier. En l'occurrence, c'est amputer la moitié de soi.
On pressent déjà que le morceau manquant deviendra le plus douloureux, un jour peut-être le plus criant alors on reste là, on descend du train à la correspondance et on y croupit, ne sachant dans quelle rame monter ni quelle direction prendre. A moins que quelqu'un ou quelque chose vienne par miracle m'arracher à mon hésitation, à mes incertitudes et m'entraîne sur les rails, peu importe lesquels. Un enfant, un prince charmant, ma siamoise. Un être ou une situation qui me ravisse à moi-même, à mon propre mystère. Ne plus avoir à réfléchir, exprimer l'inexprimable à ses proches ni décider. Se laisser emporter par le courant, ne plus aller contre et regarder devant soi. Le tourbillon des choses à faire, des personnages à incarner ou des aventures hors normes fera taire un moment l'arrogance du miroir. Dans tous les cas, il faut choisir un statut et endosser le costume avec, même mal ajusté.
Je n'ai guère su ou pu dépasser le delta, m'engager dans une voie, et suis restée sur le quai. Être hybride en mon for intérieur mais d'apparence sans équivoque, je n'ai jamais cherché à ressembler au sexe opposé. J'ai même un temps cultivé l'extrême féminité que je cherchais pourtant aussi hors de moi. Pourquoi quérir ce qu'on a ou ce qu'on est déjà, pourquoi cette surenchère ? J'attendais qu'advienne en moi l'événement dont tout le monde parle : la fascination de l'autre, de celui qu'on n'est pas et qu'on ne sera jamais. Jusqu'au jour où j'ai compris que l'altérité, qui nous réduit à l'impuissance, concernait moins les distinctions biologiques que la confrontation de notre propre finitude au mystère d'un autre être humain, quel qu'il soit. L'amour prend sa source à la rencontre de deux mondes logés dans deux boîtes crâniennes, deux corps hermétiques remplis d'une vie dont si peu transparaît… Se rejoindre un jour, c'est franchir la façade et parcourir le chemin qui mène au plus profond, à règles du jeu égales. Un jeu d'endurance, plein d'embûches et mille fois promis au renoncement. L'amour physique, impatient, prétend nouer les âmes avec les corps mais c'est un leurre. Il ne donne lieu qu'à des frôlements et des emboîtements charnels éphémères qui laissent les deux planètes à des années- lumière. On devrait avoir le courage, la volonté d'attendre la véritable reconnaissance avant de s'étreindre. Le plaisir et la volupté ne sont qu'une expression de l'amour parmi d'autres, peut-être pas la plus importante. Et c'est souvent dans le rêve, l'imaginaire, l'absence et le non-dit que le désir construit ses royaumes.
Les années m'ont appris une forme de disponibilité aux autres plus matérielle que psychologique. Disons plutôt que je penche à présent du côté matérialiste qui tend à réifier l'immatériel : pourquoi les sentiments, les émotions n'auraient-ils pas leur matière propre, parce qu'ils échappent aux dimensions humaines ? L'acte d'amour charnel ne serait peut-être que la transe, l'affolement de cette matière dans nos corps achevés et maladroits. Aimer à échelle cosmique et non plus sociétale, en se souvenant de mon infinitésimale valeur spatio-temporelle : cet amour non orthodoxe, qui heurte un groupe d'humains, que représente-t-il dans l'univers ? Après ma mort, qui donc s'en souviendra ? Aucune injonction humaine, si dérisoire, si arrogante, ne vaut la peine de renoncer à la construction d'une œuvre intérieure qui peut-être, me tiendra debout. L'amour est œuvre d'art pour qui assume ses sacrifices et son chemin de croix.
Ne rien chercher, ne rien vouloir mais laisser traîner les traces de son existence sur les ondes du désir. S'abandonner au hasard des inflexions, des signes émis par-delà les volontés, les intentions, les calculs. Ne rester éveillé qu'à la nature profonde des semblables approchés ; ne pas regretter qu'il ne se passe presque jamais rien. L'événement amoureux se fait rare et rien ne sert de lui être à l'affût. Mieux vaut un seul vrai dans toute une vie que cent contrefaçons. Par-delà nos consciences et nos enveloppes charnelles, laisser nos matières intérieures opérer les alchimies qui se doivent. Notre erreur consiste à chercher le sens d'une union, qui reste obstinément étranger aux codes et aux constructions établis. L'intelligence du désir, s'il en est une, demeure indéchiffrable à moins de l'envisager en neuropsychologue, ce qui n'est guère inscrit dans le projet amoureux.
Ne rien prononcer, ne pas se déclarer. Les mots sont des passerelles dérisoires entre deux êtres qui se perçoivent physiquement. Construction mentale culturelle, le langage contient une part de rationnel et de social à laquelle la fougue, la fièvre amoureuses échappent totalement. Il regagne un peu de terrain, entre deux amants dans l'écrit poétique ou épistolaire mais la magie, celle qui nous illumine et nous transporte, qui change soudain les dimensions du monde à nos yeux - et illusoirement les nôtres aux yeux du monde - passe par d'autres chemins, sensoriels et non rationnels. Et il n'est pas donné à tout le monde d'être poète pour préserver la magie dans le langage…
La magie, effet éphémère, ne dure jamais. Le désir amoureux non plus mais qui a le courage de l'admettre ? Pourtant c'est dans sa singularité et sa ponctualité qu'il prend toute son envergure et laisse une trace indélébile, un sceau gravé dans le bas-relief de l'être. La mémoire s'enflamme et reprend feu au souvenir d'un geste, d'un regard, d'un souffle de quelques instants tandis que des pans entiers de vie, bien occupée mais dénuée d'étincelle, s'engouffrent dans le noir de l'oubli… Comme les étoiles dans le ciel éteint. Quelques instants de jonction charnelle et mentale avec un autre de la même espèce suffisent à me délester de l'ennui pour rattraper l'espoir perdu. Quelle folie quand on y pense : que peut finalement sur ma petite personne et sur ma petite vie un semblable aussi fragile et peu fiable que moi ? L'autre n'est qu'un prétexte à notre besoin d'idéal et c'est trop lourde responsabilité pour lui. Il ne tiendra presque jamais le poste. C'est moi et moi seule qui édifie le royaume où se joue le conte de fée. Je joue pour de vrai, l'autre un peu moins et lorsqu'il dit « pouce » c'est déjà fini. Il ne reviendra plus. Je ne peux pas être le Dieu de quelqu'un et personne ne sera Dieu pour moi.
Pourtant comment expliquer la force de l'échange ? Pourquoi mon corps s'électrise-t-il à l'approche de cet autre que je sais pourtant mon égal, pourquoi mon cœur s'affole, mes mains transpirent, mes mots s'emmêlent ? Pourquoi chercher à être et donner le meilleur de moi-même, à me distinguer, à attirer l'attention de quelqu'un qui ne me doit rien et réciproquement ? Pourquoi cette imbécilité – dont le résultat est d'ailleurs souvent contraire à l'objectif – alors qu'il est admis que séduire ne se calcule pas ? Du moins durablement. Il y a bien dans tout cela une fantastique et ridicule construction de mon cerveau dont l'autre n'a que faire, une fiction, du théâtre. J'investis soudain une personne qui n'a rien demandé d'un pouvoir extraordinaire sur moi : la pauvre ! Certes c'est toujours flatteur, mais comme c'est encombrant ! On est déjà bien assez embarrassé de soi-même pour s'empêtrer dans les langueurs d'un autre.
Par sa fugacité peut-être. Par l'aptitude à créer en soi des mondes peuplés d'êtres merveilleux qu'on ne peut s'empêcher de projeter dans la vraie vie, habillés de tous les délires de notre imagination. Dans le décor social ou même sociétal, ces êtres qu'on aime démesurément, au point de s'en rendre malade et d'en oublier le cours de sa propre vie, sont pourtant des gens parmi d'autres dont la médiocrité inhérente à notre condition humaine nous apparaîtra tôt ou tard, au moment de notre inévitable détachement. Mais sur le théâtre amoureux, mon désir hésite entre la parure et le dénuement de mon personnage adoré : mes sentiments seraient-ils un révélateur de la magnificence cachée de chaque individu ou bien au contraire un enjoliveur ? L'autre n'est-il qu'un prétexte à ma soif de sens, de symbole et de sensations et toute union la jonction plus ou moins durable de deux « prétextes » qui s'accommodent ? Mais pourquoi elle… ou lui ?
Ces étranges phénomènes et les questionnements conjugués n'ont cessé de me tourmenter sans distinction qu'il s'agisse d'une femme ou d'un homme. Car à ma grande surprise, j'ai connu très tardivement mais éperdument l'amour du sexe opposé. Les nœuds au cerveau pour déchiffrer le mode d'emploi du partenaire sont aussi nombreux et coriaces. La problématique ne porte plus sur « l'amoureusement incorrect » mais sur la mécanique physiologique et psychologique de l'autre genre. C'est quoi un homme ? Comment ça marche ? Intéressant, passionnant même et je craignais depuis toujours de passer à côté ! J'observais mes amis et proches se trémousser d'excitation ou se tordre de chagrin pour une catégorie humaine qui m'avait laissée parfaitement indifférente jusqu'alors. Alors quoi ?
La disparition brutale de mon père. Six mois plus tard j'ai aimé un homme pour la toute première fois de ma vie. J'avais trente-six ans. « Grossier rapprochement, explication digne de la psychologie de comptoir ! », diront certains. En moi cette idée est pourtant immédiatement apparue, s'est transformée en sentiment puis en certitude. Les évidences se comprennent parfois d'autres régions que de celle de la raison : il est une autre forme d'intelligence qui prend ses quartiers sans préavis dans vos hémisphères cérébraux pour, d'un mot, d'un geste, d'une image, vous démolir des pans entiers de questions inutiles. D'où vient cette intelligence ? Des choses ou de nous ? De la rencontre des deux ? D'un métalangage entre les choses et nous, les êtres et nous, se jouant dans une dimension dont nous sommes consciemment absents. Pour m'y être évertuée des années durant autour de la figure maternelle – de toute évidence à l'origine de mon homosexualité – je n'ai pas éprouvé le besoin d'expliciter cette passerelle entre la mort paternelle et ma non moins inattendue hétérosexualité. Je me suis contentée de vivre ce vers quoi mes sentiments nouveaux me guidaient. De le vivre pleinement, sans hésitation, comme si c'était naturel ou habituel pour moi. Peut-être pressentais-je que cela ne durerait pas, ne serait qu'un épisode de ma vie, une parenthèse. Non pas un essai ni un test, encore moins l'occasion d'acquérir un « statut social » - auquel j'avais renoncé depuis longtemps - mais une expérience aboutie au point de me marier tout à fait sincèrement. L'autre moi, venu de mes profondeurs ancestrales endeuillées, est apparu au grand jour un instant, s'est connecté à la gent masculine, m'a fait éprouver la situation « normale » qui manquait à mon parcours puis s'est retranché après s'être doucement effacé et semble aujourd'hui à jamais enfoui dans mes souvenirs autant que l'est mon père. L'amour des hommes fut pour moi comme un cadeau éphémère que m'offraient les circonstances conjuguées à mon histoire. Mais là n'est pas ma vraie nature.
Car après cela, j'ai aujourd'hui la certitude qu'on a tous une préférence, un penchant, une tendance. J'ai du mal à croire à la bisexualité sans discernement ou dans une parfaite alternance. Passé dix ans de détachement, mes rêves secrets trouvent à nouveau refuge dans les contours d'une silhouette féminine. Dans les possibles de son désir et de ses émois. Dans les perspectives de sa pensée. L'éventuelle naissance de l'amour de l'autre pour moi me permet de me projeter dans l'avenir. Un avenir qui fait sens « à tous les sens du terme ». Mais le mystère demeure quant à l'élection d'une femme en particulier. Pourquoi elle plutôt qu'une autre ? Pourquoi aucune durant presque quatorze ans ? Pourquoi ai-je oublié les raisons qui m'avaient fait aimer autrefois unetelle ou unetelle ? Parce qu'il n'y avait, il n'y a aucune « raison ». Combien de femmes séduisantes, parmi toutes celles que j'ai croisées, aurais-je pu aimer sur des arguments objectifs ? Aucun feu ne s'est allumé en moi à leur approche. Puis tout à coup un visage, un regard, une démarche, une allure. Un parfum. L'amour s'esquisse dans un croquis. Un nu au mouvement juste saisi. Un portrait à l'expression seulement devinée, presque noyée. Un ressenti fugace mais atomique. Le désir est impressionniste, ce qui fait échouer les projets de rencontre amoureuse à distance appuyés sur de longs et fastidieux descriptifs. Le dessin peut se perdre ou au contraire se graver dans ma mémoire. Mais pourquoi cette imprégnation aléatoire ?
Il n'y a pas plus de hasard que de raison dans une attirance. X est aimanté par Y parce que Y aimante X plus ou moins consciemment et volontairement. Excepté peut-être pour l'enfant ou l'adolescent qui s'empare d'une figure innocente ou non-consentante, mais répondant à son idéal, pour la projeter sur sa scène sentimentale. Pour la très jeune personne, la relation rêvée, fantasmée dont l'autre est totalement absent lui apprend la solitude et l'errance douloureuse de la pensée amoureuse. Endurance à acquérir pour plus tard.
Mais alors, qu'en est-il de la non- réciprocité dans une relation adulte ? Pourquoi arrive-t-il que l'on s'obstine malgré tous les drapeaux en berne ? L'occasion ne manque pas dans une attirance homosexuelle car à moins d'ostentation vestimentaire ou comportementale de ma part, mon semblable générique aura parfois l'idée ou l'instinct de se rapprocher de moi sans un instant m'envisager dans une relation de séduction. Par affinité, amitié ou affection. Généralement sans se poser de question, parce que c'est naturel de créer des liens plus ou moins forts, intimes et réguliers lorsqu'on a des points communs. Parfois au contraire, on saura plus tard qu'il avait compris, du moins perçu. On est dans l'affect et non dans l'intellect. Ce qui ne se prononce pas se vit directement. Une attirance ou un sentiment amoureux a le plus souvent tout intérêt à ne pas être énoncé. Le ressenti trouve rarement ses mots, il ne les cherche parfois même pas ! Une lumière dans sa pupille, une espièglerie à la commissure des lèvres, une sonorité forcée, non maîtrisée dans sa voix, une forme d'enthousiasme ou d'excitation inattendue… Une gêne savoureuse, épicée, une vibration venue de très loin, du temps où elle n'était encore ni fille ni garçon, une onde sismique. Un ébranlement de soi dont j'ai initié la fissure dans l'espoir qu'une nouvelle fleur y prenne naissance sans détruire rien de l'existant. Et que la fleur reste invisible à son entourage, du moins fondue dans le décor. Je veux n'avoir de rayonnement que pour elle. De fragrance que pour toi.
T'attraper par l'amour et non par le sexe. Glisser discrètement ma main dans la tienne. Penser à toi sans éprouver de manque. Savourer chaque surprise que tu me réserves, ta désinvolture, ton repentir. Emprunter ton image et ta voix pour des scenarii dont tu rougirais. Ne jamais te parler d'amour pour que naturellement, il prenne corps entre nous. Lui laisser toute la place sans l'encombrer de mots.
Je sais désormais que tu es là. Le chemin sera long, peut-être serons-nous vieilles mais nous nous retrouverons au coin du bois pour résister ensemble à l'ogre du Temps.