Ivresse.

mohrag

On dit que l'alcool fait des ravages, mais parfois ce n'est rien comparer aux maux causés par l'être aimé.

« A ma trèèès chère Sofià,


Pourquoi une lettre ? Ah ah ! Eh bien peut être parce que tu veux plus me voir ?! Tu vois, je te connais bien dans le fond, je savais que tu te poserai la question. J'avais bien pensé au SMS, rassure toi, mais dans l'état actuel des choses, je serai bien incapable de me servir de cet engin diabolique de malheur sur lequel on base notre vie sociale, notre vie tout court...


Bon, tu l'auras deviné, puisque toi aussi tu me connais mieux que quiconque sur cette basse terre : je suis bourré, oui, bourré !!! Et c'est de TA faute !!

Je vois de là ton air choqué, qui dans quelques secondes creusera une ride contrariée en plein milieu de ton front. Un front large et déterminé, que j'ai baisé des milliers de fois. Dieu comme il me manque ce front...

Oui Madame, c'est de ta faute, j'arrive pas à t'oublier, je parviens pas à t'effacer de ma mémoire, j'ai ton image collée sur ma rétine.

Tu jubiles, n'est ce pas ? Tu aimes me voir ramper à tes pieds comme le pauvre être sans âme que je suis devenu depuis que tu m'as quitté ? Alors profite bien du spectacle et contemple ton œuvre, sanguinaire sirène de mon cœur dont tu as fait ton repas. Je te laisserai manger mon corps si tu m'autorises à rester dans tes bras.

Tu es étonné de ma plume si poétique, pas vrai ? Je ne t'avais pas habitué à ça...


SURPRISE !


Toutes ces belles paroles, c'est le whisky qui me les inspire, et toi, tu m'inspires au whisky, ma rose du désert. Tu m'inspirera une bonne cirrhose du foie si tu continues à m'ignorer comme tu le fais.


« Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,

Et la mer est amère, et l'amour est amer,

L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,

Car la mer et l'amour ne sont point sans orages. »

C'est un de tes poèmes préférés, tu vois, je m'en souviens. Tu me l'as récité si souvent, après l'amour, que j'en connais par cœur la première strophe.

Oh mais voilà ce que j'aurais dû faire ! Me jeter à la mer ! Dis, ma Sofià, ça te ferais du bien de me savoir au fond de l'océan ?


Sérieusement, je m'ouvre le cœur en deux ce soir, je range mon orgueil dans un tiroir, je le jette même à la poubelle ! J'ai besoin de toi Sofià, douce Sofià, dont j'aimais tant caresser le corps et perdre mon visage dans ta chevelure d'or aux reflets d'un champ de blé mûr prêt pour la moisson.

Quoi, tu veux des excuses écrites noir sur blanc, c'est ça ? Soit, tu peux avoir ce que tu veux de moi...


« Je, soussigné, lord Henry de Montmytho, duc du duché des idiots, prince de la bêtise humaine et des vidéos pornos, atteste sur mon honneur (si maigre fût-il), sur ma vie (si vide fût-elle), et sur celui qui commande du plus haut des cieux (même si on s'en fout : IL EXISTE PAS!), faire toutes mes plus plates excuses à lady Sofià, reine de mon pauvre cœur, princesse des emmerdeuses à ses heures perdues, mais surtout, SURTOUT, gardienne des secrets mystiques de la chambre à coucher dans laquelle elle trône, indomptable et triomphante ! »


Indomptable et triomphante... C'est fou c'que j'suis bon ce soir, qu'est c'que t'en penses ? Et bon dieu, ce que tu es bonne au lit, avec moi... ! Quand je pressais tes petits seins, comme faits pour mes mains. Tes lèvres (il faut bien le dire!) expertes, accomplissant l'acte sacré. Tes longs cheveux se balançant au rythme de mes coups de reins. Tes cris et tes soupirs... Tu es magnifique, divine.

Et merde, j'ai tellement envie de toi que j'en ai la... !


Sofià, j'ai été le plus con des cons avec toi. Je m'en suis rendu compte la seconde même où tu as claqué la porte d'entrée, ton sac horriblement rose à la main.

Crois moi ou pas, depuis ce jour je tourne en rond. Et les jours ce sont transformés en mois. Peut être même en années, va savoir ?! Je sais plus, je suis complètement positif à l'éthylotest.

Au fait, c'est quoi un éthylotest ?


Écoute-moi, Sofià, belle Sofià, je suis pas doué pour dire tout ça, tu sais, mais j'ai trois secrets a te confier ce soir.

Le 1er : la fille avec qui je t'ai lâchement trompé, bah elle compte pas, ni maintenant ni JAMAIS !

Le 2ème : t'es tellement meilleure qu'elle au lit, j'te jure, pour le peu que j'm'en souvienne c'était une véritable étoile de mer, aussi immobile et aussi gluante, bahhhh...

Le 3ème : JE SUIS BATMAN !

Tu souris ma Sofià, hein tu souris ?


Ah oui, une dernière chose, mais ça c'est un secret pour personne, et l'alcool m'aide clairement à le supporter. Je t'ai fais du mal, terriblement mal, et je me déteste pour ça. Mais si tu pouvais voir tout au fond de moi, tu verrais quel être abominable je suis devenu à cause de tout ce merdier. A cause de ton absence.

Je te demande pas de me pardonner, en fait j'te demande rien (à part peut être de changer de sac à main). Mais si, contre tout, il reste un peu de place dans ta lumineuse existence pour le bouffon des imbéciles qui vient de se mettre à chialer comme une gonzesse (saleté de whisky!), alors je n'ai que deux mots à ajouter :

Sofià, adorée Sofià, JE T'AIME et je ne veux plus dormir dans un lit autre que le tien, je ne veux plus respirer la moindre parcelle d'air qui n'embaume pas ton parfum. Je veux...


Wow, je suis tellement ivre, tellement con, tellement ridicule.

Les potes se foutent gentiment de ma gueule, mais tu en vaux tellement, tellement la peine. Je t'ai toujours aimé Sofià, même en commettant le pire, et je suis prêt à passer le reste de ma vie à payer le prix fort, pourvu que le châtiment ne vienne que de ta main.


C'était ton clown préféré, en direct de son âme mise à nue.

Pour toi, mon ivresse belle et cruelle, Sofià, rien que pour toi.


PS (même si j'ai jamais su ce que ça voulait dire) :

Veux tu m'épouser ? »





C'était au moins la cinquième fois qu'elle relisait sa lettre, inlassablement, cherchant dans chaque espace entre les mots une raison, valable et irrévocable, pour faire taire le sentiment fabuleux qui était en train de naître à l'intérieur de sa poitrine. Elle avait mal, mais elle souriait. Elle pleurait, mais ne savait pas vraiment pourquoi.

Pas besoin de signature officielle, elle entendait presque sa voix lui réciter ces phrases, tour à tour chantante et rieuse, puis sombre et sérieuse. C'était vrai, elle tenait son cœur sur cette page A4, elle le sentait vibrer sous sa main. « Pour moi, rien que pour moi. »


Écrire cette lettre, même alcoolisé, avait dû lui coûter un effort surhumain. Ce n'était pas son genre, il n'aimait pas son écriture, et par dessus tout, Henry trouvait cela trop sévère, trop dramatique. Mais il savait qu'elle adorait ça, et c'était la plus belle lettre qu'on lui ait jamais faite, pleine de vérité, de sincérité, et d'amour...

Elle était subjuguée. C'était comme le redécouvrir, transformé par le mal qu'il y avait eut entre eux. C'était comme retomber amoureuse.


Elle chercha son portable, perdu dans les tréfonds de son sac à main rose. Elle avait pris sa décision. Elle rédigea son SMS, fébrile comme pas permis :


"  Henry, mon cher bouffon des imbéciles, je dis OUI ! "

Envoyé.

Serrant toujours la précieuse lettre sur son giron, elle ferma ses yeux qui pleuraient encore et se laissa aller en arrière, ivre de bonheur.

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