J'ai à nouveau rêvé...

Lorence Bordo

Enfin, j'ai à nouveau rêvé... Cela faisait si longtemps...
J'étais dans un lit douillet, lovée dans sa chaleur, emmitouflée dans une belle couette, avec un oreiller moelleux où j'enfouissais avec bonheur mon visage. La parure de lit était d'un blanc immaculé et sentait bon la lavande.
La tapisserie était gaie, recouverte d'oiseaux, de libellules et de papillons aux couleurs chatoyantes. En approchant ma main la tapisserie se diluait en une nuée virevoltante attirée par la porte fenêtre qui était ouverte sur un magnifique champ de lavande écrasé de lumière. Une douce brise caressait mon visage et faisait voler mes cheveux. J'ai fermé la fenêtre pour ne pas perdre l'ensemble des animaux de la tapisserie, qui continuèrent de voleter au dessus du lit en vagues incessantes.
Le lit était en forme de nuages cotonneux, aux contours changeant, épousant la forme du corps. Il appelait à s'y reposer pour enfin lâcher prise, se laisser aller à un repos bien mérité.
Cette pièce était la maison : carrée et complètement transparente, elle flottait légèrement au dessus d'une herbe grasse remplie de pâquerettes et de coccinelles. La seule ouverture en était la porte fenêtre. Malgré sa transparence, on s'y sentait en sécurité, les animaux s'en approchait sans sembler la voir.
En plus de l'odeur de lavande, une odeur de poulet et de friture chatouillait mes narines et surtout mon appétit. Cette odeur provenait d'un piano cuisine qui trônait au milieu de la pièce. On distinguait dans le four une lumière qui rougeoyait et dans un plat, un magnifique poulet au milieu de pommes de terre, grésillait. Il suffisait de penser à manger pour se retrouver dans le lit nuage transformé en table fauteuil barquette, d'un blanc immaculé.
Le poulet se faisait attendre et j'avais très faim...
Mais malgré les gargouillis de mon estomac j'entendis un léger clapotis derrière moi.
Dans le coin de la maison, une minuscule plage de sable blanc à l'eau transparente faisait office de baignoire. Je m'y plongeais avec délice. L'eau y était douce et chaude et de minuscules poissons multicolores nageaient entre mes jambes.
Puis la baignoire se fit plus profonde et je me laissais aller vers le fond, quand un courant très froid m'arrêta net dans mon élan, je suffoquais. J'entendis des ricanements lointains. Et la réalité me réveilla brutalement : Aspergée d'un seau d'eau bien froide, je me réveillais au bord de poubelles d'un restaurant entre un désodorisant à la lavande et une barquette de poulet cuit.

Les ricanements lointains se transformèrent en un ordre sec et agressif : "Lève-toi clocharde et casse-toi !"

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