J'ai retrouvé Adolf Hitler

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Guillaume, alias « l’Africain », prétend avoir retrouvé le cadavre d’Adolf Hitler. Escroquerie ?... ou véritable découverte historique ?...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J'ai retrouvé Adolf Hitler

Daniel Fortini

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gabrielle était ravie de quitter son bureau exceptionnellement un peu tôt. Elle adorait son travail et s'y consacrait passionnément. A trente-neuf ans elle était l'une des rédactrices en chef du célèbre hebdomadaire « Paris Match ».

Après des études de journalisme, elle fit des petits reportages et se roda aux techniques de la presse écrite. En voyant depuis Paris les attentats du 11 septembre 2001, elle comprit que sa voie journalistique serait celle du grand reportage. La politique française, la construction de l'Union Européenne, les diverses manifestations contre ceci ou pour cela, ne la stimulaient guère professionnellement. Elle patienta encore trois ans avant de se sentir réellement prête.

L'année 2004 marqua le début de sa nouvelle vie. Une nouvelle vie qui commença violement avec la couverture des attentats de Madrid, et qui s'acheva par une fin d'année des plus tristes en Asie, après le passage dévastateur d'un tsunami. L'année 2005 ressembla étrangement à l'année précédente avec les attentats de Londres, et le funeste ouragan Katrina qui ravagea la Nouvelle Orléans. Entre temps elle continua d'écrire en trempant sa plume dans le sang des confits Israélo-palestiniens, Irakiens, et Afghans.

En 2008 après avoir été arrêtée et malmenée par la police chinoise lors de sanglantes répressions au Tibet, elle pensa à cesser ses investigations à l'étranger. Continuant à parcourir la planète, en passant aisément d'une guerre à une révolution, elle mit un terme à ses aventures en février 2011, après avoir reçu une balle dans la main à Tobrouk, alors qu'elle effectuait un reportage sur l'insurrection libyenne.    

Gabrielle était une jeune femme moderne et charmante, aux cheveux longs châtains clairs. Malgré les horreurs qu'elle avait pu vivre et relater, elle demeurait joviale et non dénuée d'humour. Mère d'un petit Lucas âgé de deux ans, elle se languissait de le retrouver en marchant d'un pas pressé.

Elle habitait un appartement rue Paul Vaillant Couturier à Levallois-Perret. Appartement qu'elle ne partageait pas avec le père de Lucas, mais avec sa sœur Emma. Elle rompit avec son compagnon après maintes crises de couple, assez révélatrices de leur époque et de leur mode de vie. Son ex-compagnon était également très absorbé, pour ne pas dire englouti, par son métier d'agent artistique.

Alors qu'elle s'éloignait du siège de Paris Match, rue Anatole France à Levallois-Perret, un taxi ralentit à son niveau. La vitre arrière droite baissée, une voix masculine l'interpella.

— Madame Gabrielle Blondel ?!

La jeune femme perdue dans ses pensées tourna alors la tête en direction du taxi, sans pour autant stopper sa marche. Sans répondre par l'affirmative, elle cherchait à reconnaître l'homme culotté qui criait son nom en pleine rue. Mais ce dernier ne laissait pas trop entrevoir son visage, préférant légèrement pointer le bout de son nez. 

            — Madame Gabrielle Blondel !... Il faut que je vous parle, lui lança à nouveau l'homme depuis le siège arrière. 

Après quelques pas, elle s'arrêta lentement. 

            — Arrêtez la voiture s'il vous plaît ! ordonna le mystérieux passager en tapotant par deux fois le siège du  chauffeur.

Le chauffeur obéit et stationna son taxi en double file. Gabrielle se rapprocha alors du véhicule d'un pas hésitant et soupçonneux. Ces longues années de reportages dans des pays à risques lui avaient appris à se méfier de beaucoup de choses, notamment des véhicules abritant d'éventuels kidnappeurs ou tireurs embusqués. Mais Levallois-Perret n'étant pas répertorié dans la liste des pays à risques, elle arriva à la hauteur de la fenêtre arrière.

            — Vous êtes qui monsieur ? On se connaît ? lui demanda-t-elle.

            — Je m'appelle Guillaume, j'ai des photos à vous montrer, répondit le passager en dévoilant un peu plus son visage. Des photos qui feront de vous la journaliste la plus célèbre du monde.

Le visage de l'homme étant plutôt rassurant, et la situation assez intrigante, elle poursuivit la conversation.

            — Des photos de quel genre monsieur ?

Guillaume, pour plus de confidentialité, demanda au chauffeur de taxi d'aller fumer une cigarette en laissant son véhicule. Il lui tendit un billet de cinquante euros. Le chauffeur sans se faire prier, se saisit du billet, sortit de son taxi et s'éloigna de quelques mètres. Guillaume reprit alors sa conversation avec Gabrielle. 

            — D'un genre que l'on ne voit qu'une fois dans sa vie. Le scoop de votre vie, renchérit-il.

            — Prenons rendez-vous et rencontrons nous à mon bureau. Vous me montrerez vos fameuses photos. Je n'ai pas le temps là. Et puis je n'aime pas me faire apostropher comme ça dans la rue. Mais au fait comment connaissez-vous mon nom ? 

            — Si je viens dans vos locaux je serai obligé de dévoiler mon identité à l'entrée, et je n'y tiens pas vraiment, lui dit-il en ignorant complètement sa question qu'il jugeait trop suspicieuse. 

            — Et bien alors descendez du véhicule et montrez-moi ça.

            — Montez plutôt, on sera plus tranquille pour bavarder. Cela ne vous prendra que quelques minutes.

            Gabrielle ignorait la véritable raison qui maintenait Guillaume à l'intérieur du véhicule. La ville était truffée de vidéosurveillance, et Guillaume le savait parfaitement.  Le visage de Gabrielle était plein de stupeur. Guillaume insista une nouvelle fois en se montrant plus convaincant.

            — Faites-moi confiance. Nous sommes en pleine ville. Vous pouvez monter dans une voiture sans chauffeur tout de même…

Le charme rassurant de Guillaume mélangé à la nature curieuse de Gabrielle, la firent céder devant ce cocktail. 

            — Bon c'est d'accord allez, je vous accorde cinq minutes.

            — Vous ne le regretterez pas, lui dit Guillaume en lui ouvrant la portière.

Il se poussa pour la laisser s'asseoir. Ce qu'elle fit en refermant la portière. Elle constata qu'il était élégamment vêtu. Rasé de prés, les cheveux bruns abondants, de beaux yeux verts, il portait très bien sa quarantaine.

            — Alors, reprit-elle d'un ton pressé, c'est quoi ce scoop ?

Guillaume pour ménager le suspens, s'accorda quelques secondes avant de lui répondre en la fixant dans les yeux. Puis très sûr de lui et solennel, il lâcha brutalement la phrase :

— J'ai retrouvé Adolf Hitler !  

Gabrielle inclina sa tête sur le côté droit et ouvrit grand ses yeux en remontant ses sourcils. Elle se demandait si son mystérieux interlocuteur était fou, ou s'il avait un curieux sens de l'humour. Elle commençait à regretter d'être montée dans ce taxi.

            —  Euh, dites-moi, vous en avez d'autres des trouvailles de ce genre ? Parce que là voyez-vous je vais vous laisser. Je suis pressée. Napoléon Bonaparte m'a invité à dîner ce soir, et en plus il tient à me présenter Dalida. Quel scoop n'est-ce pas ? Bonne soirée monsieur ! 

Elle se saisit de la poignée de la porte pour sortir du taxi, où il était devenu inutile de demeurer une seconde de plus.

            — Non attendez ! dit Guillaume en lui saisissant la main qui actionnait la poignée. Laissez-moi vous expliquer !

            — Lâchez-moi espèce de mytho ! lui ordonna-t-elle en dégageant d'un geste brusque son bras. Je vous préviens que je vais chercher les flics.

L'ambiance avait changé. Guillaume sentit qu'il avait dépassé les bornes et qu'il commençait à lui faire peur. Il devait continuer à paraître rassurant. 

            — Excusez-moi madame Blondel. Je vous demande pardon pour ce geste déplacé. Accordez-moi seulement quelques minutes s'il vous plaît. Je sais que Napoléon n'aime pas attendre, mais c'est vraiment important. Faites-moi confiance…

Elle pouffa légèrement.

— Non mais vous êtes qui au juste ? Un vrai mytho ?... Un aliéné ?... Un mauvais dragueur ?...

— Rien de tout cela. Je me suis mal exprimé. Adolf Hitler est mort bien évidemment.

— Non ?! Vraiment ?! Je pensais pourtant qu'en 2017 il était toujours vivant, lui dit-elle en se moquant de lui.

— Redevenons sérieux s'il vous plait. C'est son cadavre que j'ai retrouvé, ou plutôt découvert.

— Des cendres voulez-vous dire ?...

— Non il n'a pas été brûlé. J'en ai la preuve.

Il glissa ses doigts sur son téléphone. Il cherchait visiblement un dossier.

— Mais qu'est-ce que vous me racontez-là ! Ce sont les Russes qui détiennent les restes, lui objecta-t-elle. Des ossements entre autre.

Guillaume mit son téléphone devant les yeux de Gabrielle  pour lui montrer une photo.

            — Et ça, ce sont des ossements peut-être ?

Gabrielle resta surprise en découvrant la photo. Guillaume agrandit la photo en lui montrant les différents angles. Cette photo représentait Adolf Hitler embaumé, allongé dans un cercueil de verre au milieu d'une pièce qui semblait ancienne, avec voûtes et vieilles pierres, visiblement sans fenêtre. Il était vêtu d'une chemise brune avec une cravate de couleur identique, une croix de fer et un insigne noir étaient épinglés sur la poche gauche. Un brassard à croix gammée décorait son bras gauche. Le pantalon bouffant au niveau des cuisses, était de la même couleur que la chemise. Autour de la taille un ceinturon noir d'où partait un baudrier. Une paire de bottes noires venait terminer cet uniforme, qui était à première vue celui des SA, les Sections d'Assaut du parti nazi.

La pièce était décorée dans un style religieusement nazi. Sur le mur du fond, derrière le cercueil, on voyait un grand drapeau à croix gammée. Devant ce drapeau un étendard fixé au sol comportait un drapeau à croix gammée tombant, surmonté d'un aigle à croix gammée. Un rectangle venait séparer l'aigle du drapeau, où l'on pouvait lire : « ADOLF HITLER ». Sur les quatre côtés du cercueil, se dressaient des colonnes. Les colonnes situées à la tête d'Hitler se finissaient chacune à leur sommet par un aigle à croix gammée. Deux bougies éteintes étaient posées sur celles situées au pied du cercueil. Dans un coin de la pièce, quelques objets que l'on supposait ayant appartenus à Hitler, étaient exposés dans une vitrine.

Cette photo est d'un goût plus que douteux se dit-elle. Elle fit une moue d'écœurement tout en sentant son corps envahi par des frissons.

            — Mais c'est quoi tout ça, questionna-t-elle. C'est quoi cette mise en scène sordide ? C'est un canular ? Un montage photographique ? Vous vous foutez de moi !?

Sans répondre et en la laissant volontairement à ses interrogations, Guillaume lui montra une autre photo.

— Vous voyez, celle-là c'est un gros plan de ce qu'il y a dans la vitrine.

Toujours surprise et écœurée, Gabrielle voyait exposé, un verre gravé d'un aigle à croix gammée, un vieil exemplaire de « Mein Kampf », un vieux pistolet Luger, un peigne, trois casquettes de types militaires allemandes, une dague de parade SA de couleur marron, un petit buste d'Hitler, une statuette d'aigle à croix gammée, ainsi que plusieurs photographies d'Hitler, en gros plan, en meeting, et vêtu de différentes façons. Bref, une vitrine musée.

— Quel scoop n'est-ce pas ? lui lança-t-il, reprenant ainsi l'expression de Gabrielle qui ironisait il y a seulement quelques minutes.

Il verrouilla son téléphone et le rangea dans la poche intérieure de son blazer. Un bref silence s'installa. Gabrielle fixait le siège avant du conducteur. Elle était pensive. Puis, se redressant elle reprit la conversation.

            — Qu'est-ce c'est que ces photos ? lui demanda-t-elle une nouvelle fois.

            — Ce sont des photos d'Hitler embaumé et de l'endroit où il repose.

            — Celui qui vous les a données c'est bien foutu de vous. 

— C'est moi qui les ai prises.

            — Ce n'est pas Hitler, ce n'est pas possible. C'est un complice à vous qui a pris sa place. Je n'y crois pas à vos photos. Hitler s'est suicidé et ensuite ses proches l'ont incinéré, voila l'histoire, voila ce que tout le monde sait. 

— A une époque tout le monde savait que la terre était plate aussi, et craignait une attaque de dragons. Consultez un historien, vous devez avoir cela dans votre entourage professionnel, et vous verrez bien les doutes qui subsistent quant à son cadavre.

Gabrielle songea tout de suite à un de ses amis, Pierre Levars, un historien spécialisé dans la seconde guerre mondiale.  

            — Bon… Et vous l'auriez retrouvé où ?

            — Quelque part dans le monde au fond d'une cave.

            — Quelque part dans le monde au fond d'une cave… reprit-elle d'un air ironique. En cherchant une bouteille de vin ? Du vin allemand natürlich…

Guillaume fit un petit sourire pincé.

            — Vous avez beaucoup d'humour madame Blondel. J'avais déjà pu le constater en vous voyant dans un talk-show à la télé. C'est d'ailleurs grâce à cette émission que je vous connais…

            — … Et que vous me suivez dans la rue, jusqu'à mon domicile, lui dit-elle en l'interrompant.  

            — Je crois savoir que vous êtes pressée. Dites-moi si ces photos vous intéressent madame Blondel ?

            — Mais vous ne vous arrêtez jamais vous ? Vous attendez quoi de moi ?

            — Je veux juste savoir si ces photos vous intéressent, pour que vous les publiiez dans votre journal. C'est tout.        

            — Vous recherchez la célébrité ?

            — Surtout pas. Je cherche à vous les vendre !

Gabrielle voulait savoir jusqu'où il aurait le culot d'aller. 

— Et combien ? lui demanda-t-elle droit dans les yeux. 

            — Deux millions d'euros.

            — Deux millions d'euros !? Non mais vous plaisantez ?

            — Pas du tout. Et ça vaut sans doute plus. Deux millions d'euros pour les photos, et deux millions de plus pour vous accompagner à l'endroit où se trouve Hitler.

            — Mais vous êtes fou !

            — Vous êtes la première personne à voir ces photos. Si vous trouvez ma proposition trop chère, d'autres magazines à l'étranger comme le « Time Magazine », se montreront peut-être moins avares.  

Un silence pesant s'installa une fois de plus. Gabrielle hésitait une nouvelle fois à quitter la voiture et mettre un terme à cet entretien dérangeant et déroutant. Cependant un faible doute quant à la véracité de toutes ces informations, l'habitait. Et si ces photos aussi terrifiantes fussent-elles, étaient  vraies ? En tant que professionnelle du journalisme, s'il y avait un petit doute, elle se devait de fouiller quand même, quitte à rentrer dans le jeu de Guillaume, en lui laissant penser qu'elle était intéressée. Guillaume quant à lui savait que dans ce genre d'entretien, le premier qui parlait, c'était en général celui qui perdait. Il s'efforça donc de ne pas rompre le silence. Gabrielle finit par reprendre la conversation.

            — Vous vous doutez bien qu'à ce prix là, il va falloir m'en dire un peu plus.

            — Bien sûr, dans la limite de ce que vous devez savoir.

            — Admettons que ce soit vrai, où se trouve le cadavre ?

Cette question un peu trop directe amusa Guillaume. 

            — Allons allons madame Blondel, lui répondit Guillaume cherchant à la ramener à des réalités financières. Si je vous demande de l'argent ce n'est pas pour déjà vous communiquer une adresse.

            — Soit, lui dit Gabrielle résignée. Dites-moi au moins comment vous l'avez trouvé ?

Guillaume prit à contrecœur la décision de se dévoiler un peu plus. Au prix auquel il espérait vendre ses photos, il n'avait plus trop le choix. Pour quatre millions d'euros, avouer son activité de cambrioleur, pourquoi pas ?... C'était à tenter.  

— Soit… Je suis ce qu'on appelle un pilleur de château. Je travaille pour des antiquaires peu scrupuleux, des collectionneurs privés, ou encore des spéculateurs. Je m'introduis dans des vieilles demeures, châteaux, manoirs, palais, bâtisses en tous genres.

            — Vous êtes un voleur donc ? 

            — Au sens du dictionnaire cela ne fait aucun doute. Mais d'un point de vue culturel, je dirais que je rends des services. Je fais des heureux, conclue-t-il légèrement amusé par sa tournure de phrase qui lui permettait de dédramatiser sa situation professionnelle.

            — Vous faites des heureux en leur proposant quoi ?

            — Toutes sortes de vieilleries, comme des tableaux, armes, tapisseries, statuettes, petits mobiliers, petits objets, chandeliers, vaisselles…

            — Et des cadavres embaumés ?... 

            — Non pas du tout, lui répondit Guillaume amusé. C'est justement en visitant une demeure que j'ai découvert par hasard ce mausolée.

            — Comment vous y prenez-vous pour pénétrer dans ces demeures ? 

— Parfois comme un voleur en forçant un peu les entrées. Parfois en logeant sur place car certains endroits sont des chambres d'hôtes voire des hôtels styles relais châteaux. J'en visite également en me joignant à des groupes de touristes quand il y a des visites publiques. C'est comme ça que je repère. Des clients aussi m'indiquent ce qu'ils veulent dans des lieux précis.

            — Donc si je résume, vous êtes un pilleur de châteaux, et un jour en visitant une demeure quelque part dans le monde, dans le but d'y voler des vieilleries pour faire des heureux, vous descendez à la cave de cet endroit et vous tombez sur Hitler, ou plutôt à ce qui ressemble à un terrifiant petit mausolée. Vous prenez des photos, et vous voila aujourd'hui pour me vendre ce scoop. C'est bien ça ?

            — C'est tout à fait ça, lui répondit Guillaume soulagé de constater qu'elle avait compris toute son histoire.

            — A supposer une nouvelle fois que tout cela soit vrai, vous ne croyez pas que cette découverte pourrait intéresser l'histoire, avec un grand « H », ou certains pays comme Israël ? Pourquoi ne pas partager cette découverte ?

            — Ecoutez, je ne suis pas un archéologue bénévole qui perdrait son temps pour faire avancer l'histoire, ou qui rendrait gratuitement un bourreau aux familles de ses victimes. Moi le nazisme, Israël, la seconde guerre mondiale, je n'en ai rien à foutre. Je trouve, et ensuite je vends. J'aurais retrouvé le crâne du premier homme, je le vendrais également. Je ne chercherais pas à faire avancer la science, mais à gagner de l'argent. Est-ce que vous me comprenez ?

            — Pas très moral tout ça.

Guillaume lui sourit cyniquement.

            — Ce n'est pas Paris Match qui va me donner des leçons de morale, avec toutes vos photos atroces de guerres et de catastrophes que vous publiez.

— Nous informons, lui rétorqua-t-elle.

— Et bien alors informez le monde qu'Hitler repose tranquillement embaumé dans un mausolée privé. Le marché est simple, soit vous êtes intéressée, soit je vends ça à d'autres. Je me doute que vous devez en parler à vos différents directeurs, c'est pour cela que je vous laisse quatre jours de réflexion. Nous sommes lundi, donnez-moi votre numéro de portable, et je vous appelle vendredi. Nous nous reverrons, et je vous expliquerai les modalités de la transaction.

            — Attendez attendez ! Pas de précipitation. Ok pour votre histoire, ok. Mais nous parlons de quatre millions d'euros tout de même. J'ai donc une question fondamentale à vous poser.

Guillaume se positionna pour l'écouter avec attention.

— Je vous écoute madame Blondel… 

— Comment êtes-vous sûr qu'il s'agit bien du vrai Hitler ? Après tout, avec une petite moustache, une mèche, et un uniforme, le tour est joué, vous en conviendrez ?... 

            — Je vous le dirai lors de notre prochaine entrevue. Je vous expliquerai comment il a pu atterrir là, qui l'a embaumé, et quelles sont mes sources. Laissez-moi votre numéro de téléphone portable, je vous appelle vendredi, lui demanda-t-il une nouvelle fois plus pressant. 

            Gabrielle se rendit compte qu'elle n'en saurait pas plus aujourd'hui. Ce Guillaume, aussi charmant soit-il, restait avant tout un truand. C'était visiblement lui qui comptait mener la danse. Inutile d'insister… Elle ouvrit son sac à main et en sortit une carte de visite.

            — Voila, il y a mon portable en bas.

            — Parfait, lui répondit Guillaume en lisant la carte. Je vous appelle vendredi. D'ici là voyez les gens concernés. Et surtout n'oubliez pas que c'est le scoop de votre vie. Pour vous, et pour votre journal…

            — On verra, lui dit-elle pas très convaincue et frustrée de ne pas en savoir davantage.

Elle ouvrit la porte et descendit.

            — Bonne soirée madame Blondel, lui lançât poliment Guillaume en refermant la porte.

            — Bonne soirée.

Gabrielle marcha sur le trottoir. Guillaume rappela le chauffeur de taxi. Celui-ci remonta dans la voiture et démarra. Gabrielle par réflexe sortit son calepin marron de son sac, et inscrivit le numéro d'immatriculation du taxi qui s'éloignait. Tout en accomplissant les derniers mètres qui la séparaient de son domicile, elle ne pensait plus qu'aux photos qu'elle venait de découvrir et à cette conversation avec ce nébuleux Guillaume.

Elle avait pu voir et publier des centaines de photos dans sa vie, images de guerres, d'accidents, de révolutions, de catastrophes naturelles, et même de people heureux de devenir parents, des mariages princiers… Mais des photos comme celles-là, c'était bien la première fois. Des questions se bousculaient dans son esprit. Et si c'était vrai ? D'où sortait ce Guillaume ? Etait-ce un montage pour une réelle escroquerie ? Un canular pour se moquer des journalistes ? Pourtant ce Guillaume n'avait pas du tout l'air d'un étudiant potache. Il lui paraissait bien déterminé. Déterminé à gagner de l'argent surtout. Il fallait qu'elle dégrossisse cette histoire en posant les bonnes questions à la bonne personne. Cette bonne personne ne pouvait être que Pierre Levars.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gabrielle  arriva chez elle. Malgré son esprit confus, elle s'empressa de câliner le petit Lucas qui était ravi de voir sa maman. C'était un petit garçon avec des cheveux bouclés châtains clairs, au regard marron très malicieux. Elle embrassa sa sœur cadette Emma, une grande et belle jeune femme brune de trente-deux ans. Emma, conceptrice de sites Internet, travaillait à la maison, et pouvait donc aisément s'occuper de son neveu durant la journée. Ce travail à domicile arrangeait bien Gabrielle, en attendant que son fils soit scolarisé à la rentrée prochaine. Ils vivaient tous les trois dans un beau T4 d'une résidence de standing.

Elle avait promis à sa sœur de rentrer assez tôt pour la libérer, afin qu'elle puisse honorer un dîner galant sur Paris. Emma était déjà très apprêtée pour sortir. Gabrielle dans son for intérieur espérait bien que Emma remette à une autre fois son projet de soirée. Suite à sa rencontre avec Guillaume, elle avait l'intention de ressortir dans la foulée.

Gabrielle s'assit par terre sur le tapis du salon pour jouer avec Lucas, en faisant rouler un camion de pompier.

— Alors comment tu me trouves, demanda Emma.

— Tu es superbe ma chérie.

— Ah merci. C'est pas un peu too much quand même ? lui demanda-t-elle perplexe en se regardant devant le grand miroir du salon. 

— Non pas du tout. Séductrice, élégante, avec cette petite touche de glamour. C'est un sans-faute. Vraiment.  Comment s'est comporté ce petit ange aujourd'hui ? demanda Gabrielle en caressant Lucas. 

— La routine… C'est un amour ton fils tu sais. Il mange facilement, il fait de bons dodos, il est très câlin et joue aussi volontiers avec moi, ou même tout seul. L'enfant idéal… Nous sommes sortis une petite heure au jardin, ce qui m'a permis de m'aérer un petit peu moi aussi. 

Gabrielle constata que sa sœur continuait à s'observer dans le miroir.

            — Si ce soir il ne craque pas celui-là, il ne craquera plus… se dit tout haut Emma.

            — Et s'il craquait un autre soir ? Ça te poserait un problème ?

            — Comment ça un autre soir ? lui répondit Emma suspicieuse. Que veux-tu dire ?

            — Il va peut-être falloir que je ressorte.

            — Tu déconnes là ?

            — Pas du tout malheureusement. J'ai besoin d'informations suite à des révélations que l'on m'a faites tout à l'heure.

            — Des révélations de quel genre ?

            — Des révélations du genre scoop de ma vie. Ou pas… C'est bien là le problème. Il faut que j'en sache plus et rapidement. Je dois donc ressortir pour rencontrer un contact professionnel.

            — Et moi je dois rencontrer un contact genre amour de ma vie. C'est aussi important.

            — Ecoute, sans vouloir te vexer, on doit en être déjà à cinq ou six amours de ta vie cette année. A chaque rencart c'est l'emballement.

Emma lui jeta un regard noir malgré ses beaux yeux verts. Gabrielle sentit qu'elle exagérait. Sa sœur était contente et prête à sortir, elle ne pouvait pas encore exiger d'elle qu'elle restât pour s'occuper de son fils. Elle en faisait déjà beaucoup tous les jours.

— Ok, Emma, excuse-moi j'abuse. Je vais appeler une baby-sitter, même si c'est peut-être un peu tard pour en trouver une.

— Je n'aime pas trop cette idée de baby-sitter. Je n'ai pas trop confiance. Et son père ?

— Houlà ! Un lundi ? Tu n'y penses pas…

— Mais au fait Gabrielle, pourquoi ne demandes-tu pas à ce fameux contact professionnel de venir ici ? Après tout tu le connais. C'est plus simple pour toutes les deux. Pour le petit aussi non ?

— Ce n'est pas un monsieur tout jeune, c'est Pierre Levars, tu sais mon ami historien, et puis c'est moi qui lui demande un service. C'est délicat.

            Le téléphone d'Emma posé sur la table basse du salon se mit à émettre un son bref, celui d'une alerte SMS. Emma se pencha et saisit son téléphone pour lire ce message.

            — Connard ! Connard connard !!! hurla-t-elle. Quel connard ! conclue-t-elle en regardant énervée sa sœur.

Ah, je crois que je peux sortir, pensa Gabrielle.

            — Son ex-femme ne peut pas venir récupérer ses deux enfants, expliqua Emma à sa sœur. Il reporte… Et bien sûr il m'envoie un message… M'appeler ce serait trop courageux. Connard ! lança-t-elle encore une fois avant de se laisser tomber désabusée sur le canapé.

            — Désolée pour toi, sincèrement. Tu le verras un autre jour…

            — C'est pas sûr. Bon en attendant je crois que tu peux rejoindre ton ami, pour tes investigations.

            — Si cela ne te dérange pas, c'est bien volontiers. Je suis très perplexe concernant une bien étrange affaire, et j'ai besoin de ses lumières. 

            — Rassure-toi je vais passer une super soirée. Je vais peaufiner un site tout en regardant d'un œil la télé.

            — Je te remercie ma sœur chérie. Mais avant il faut tout de même que je l'appelle.

            Emma se pencha et prit Lucas dans ses bras. 

            — Allez viens consoler ta tante, futur bourreau des cœurs…

     Gabrielle se leva et sortit son téléphone de son sac. Après avoir passé en revue quelques contacts de son répertoire, elle appuya sur le bon, celui de Pierre Levars. Elle positionna le téléphone contre son oreille gauche et regarda par la fenêtre.

            — Bonjour Gabrielle, quelle bonne surprise. Vous allez bien ? s'exclama la voix de Pierre dans le combiné.

            — Très bien Pierre, et vous-même ? lui répondit Gabrielle d'une voix rassurante.

            — Tout va bien, je travaille actuellement sur l'histoire des services secrets russes, du Tsar à nos jours. J'ai beaucoup de travail.

            — Ah passionnant, lui répondit-elle feignant d'être intéressée par politesse. Je lirai ça quand ça sortira.

            — En espérant que votre confrère Librat de « Match » soit plus indulgent dans sa future critique, que pour celle de mon précédent livre sur les Templiers. 

            Gabrielle leva les yeux au ciel en soufflant légèrement. Effectivement, son confrère Librat n'avait pas été très tendre avec le précédent livre de Pierre. Mais le service impromptu qu'elle avait à lui demander ne pouvait pas être compromis pour si peu. Elle connaissait la sympathie que Pierre lui témoignait, elle avait espoir.

            — Vous connaissez Librat et son intérêt pour le Moyen Age…

            — Oui il préfère des époques plus contemporaines.

            — C'est justement à propos d'une époque contemporaine que j'aimerais m'entretenir avec vous, ou plutôt vous consulter.

            — Ah oui, pourquoi pas ? Cela nous fera une occasion de nous revoir, vous êtes toujours de bonne compagnie. Quand désirez-vous que l'on se voit ?

            Elle perçut que son interlocuteur était flatté. Elle en profita.        

            — Disons tout de suite.

            Pierre rit de bon cœur dans le combiné.

            — Tout de suite ?... lui répondit-il toujours amusé. Mais je ne compte pas sortir à cette heure là, et par ce froid. Allons Gabrielle, cela ne peut pas attendre demain ? Vous êtes dans l'urgence ?

            — Absolument Pierre, une urgence historique.

            — Ah bon ? Une urgence historique à cette heure là ?

            — Et oui. J'ai des questions à vous poser sur la seconde guerre mondiale en général et sur Adolf Hitler en particulier.

            — Vous avez des questions à me poser sur Hitler à cette heure là ? Consultez mes ouvrages en la matière, ce sera plus simple Gabrielle, lui suggéra-t-il raisonnablement.

            — Cela n'y figure certainement pas. C'est une sorte de scoop historique. Ou bien rien du tout, marmonna-t-elle. Mais j'ai besoin de votre science. Cela va beaucoup vous intéresser croyez-moi.

            — Bon... D'accord, venez chez moi alors, et l'on discutera de ça.

            — Ah merci Pierre. Merci beaucoup.  Mais je ne veux pas déranger votre épouse.

            — Odile est à la montagne pour la semaine, pas de problème.

— Bon très bien. Vous habitez toujours dans le quinzième ?

            — Oui, au 14, rue Lecourbe. C'est juste à côté d'un Picard. A cette heure là vous allez batailler pour vous garer, je vous préviens.

            — Aucune importance, je serais là dans moins d'une heure.

            — Très bien je vous attends.

            — Je pars de Levallois d'ici dix minutes.

            — Ah le code est 17, 17, A. C'est au troisième étage, porte de gauche en sortant de l'ascenseur. Mon nom est sur la porte, lui précisa-t-il.

            — Merci pour toutes ces précisions Pierre, je vous reconnais bien là. C'est noté. A tout à l'heure.

            — A tout à l'heure Gabrielle.

Gabrielle raccrocha. Elle sortit son calepin de son sac pour noter les éléments que Pierre venait de lui communiquer. Elle les nota juste  après le numéro d'immatriculation du taxi de Guillaume.

— Tu ne prends même pas le temps de dîner, lui demanda Emma en train de faire sautiller Lucas sur ces genoux.

— Non merci. Une urgence est une urgence.

— Tu peux m'en dire plus ?

— Pas encore, désolée. Et puis si ça se trouve il n'y aura rien à dire. Allez, je file. Le temps de sortir du parking, et direction le quinzième.

Emma posa Lucas au sol, qui se mit à courir vers sa mère. Gabrielle le récupéra pour le soulever et l'embrasser. Voyant à ses yeux tristes et à ses gémissements d'enfant  qu'il avait senti que sa maman allait repartir, Gabrielle le réconforta.

— Ne t'inquiète pas mon amour, maman va revenir très vite, lui dit-elle en le serrant très fort.

Emma se leva pour aider sa sœur en prenant Lucas dans ses bras, afin qu'il ne subisse pas trop le choc du départ.

— Voilà, va avec tatie, je vais revenir mon chéri…    

— Tu reviens vers quelle heure au fait ? questionna Emma.

— Avant minuit certainement.

— Ok à tout à l'heure, bisous.

— Bisous.

Gabrielle sortit de l'appartement et appela l'ascenseur. Elle était triste de ne pas pouvoir coucher son fils. Cela lui arrivait parfois en cas de bouclage tardif de « Paris Match », ou d'urgence journalistique.

 

            Durant le trajet qui la séparait de Pierre, Gabrielle songeait toujours aux photos de Guillaume. Elle s'interrogeait sur les différentes manières d'aborder le sujet avec Pierre. Elle opta finalement pour la solution directe. Cet historien était digne de confiance.

Ils s'étaient rencontrés tous les deux à la première du film « Argo » en 2012. Ils avaient sympathisé très rapidement. Une vingtaine d'années les séparait, mais les rapprochait au final. Sans doute une manière de combler une absence d'enfants pour Pierre, et un père décédé alors qu'elle était gamine pour Gabrielle.

Ils se côtoyaient souvent au cours de déjeuners, mais jamais à leur domicile respectif. Malgré cette relation de quelques années, ils continuaient à se vouvoyer, par respect mutuel certainement.

            Pierre Levars était un historien assez connu, qui avait publié une vingtaine d'ouvrages. Des livres traitant des civilisations amérindiennes, du Moyen Age, de la révolution française… Mais il était plus connu pour ses travaux sur la seconde guerre mondiale. On l'invitait parfois sur des plateaux télés, pour ses connaissances approfondies de cette période. C'était une pointure. Il pouvait aussi bien parler des faits ou des personnages connus couvrant cette époque, que citer des noms de résistants inconnus Polonais, Tchèques ou Serbes, ou bien encore énumérer tous les noms des membres du gouvernement collaborationniste norvégien.

            Gabrielle n'hésita donc pas à laisser son fils et à braver le froid pour rejoindre cette encyclopédie vivante. Elle mit une petite demi-heure pour atteindre la rue Lecourbe, et presque autant de temps pour trouver une place. Elle marcha jusqu'au numéro 14. C'était un immeuble assez récent. Elle composa le code de la porte d'entrée et sonna à l'interphone de la porte suivante. Pierre lui ouvrit. Elle prit l'ascenseur pour accéder au troisième étage. Lorsqu'elle sortit de l'ascenseur, Pierre était sur le pas de sa porte pour l'accueillir. Il était vêtu d'un jean et d'une chemise blanche. Il était assez grand et bien portant. Les cheveux blancs coiffés impeccablement.

            — Gabrielle, quel plaisir de vous voir, lui dit-il souriant ouvrant les bras pour se préparer à l'embrasser.

            — Pierre, tout le plaisir est pour moi, lui répondit-elle en l'embrassant par deux fois. Même si je dois vous avouer que ce rendez-vous est exceptionnellement intéressé.

            — Ce n'est pas grave Gabrielle, rassurez-vous. Venez, entrez, je vous en prie. Vous avez fait vite depuis Levallois.

            — Un lundi soir en plein mois de novembre, ça ne roule pas trop mal.

            — Et vous vous êtes garée facilement ?

            — Là aussi, comme un lundi soir en plein mois de novembre, reprit-elle avec humour.

            — Je vous avais prévenu.

En quelques coups d'œil  Gabrielle observa l'appartement à la décoration intérieure claire et moderne pendant que Pierre prenait son manteau pour la débarrasser.

— J'aime beaucoup votre intérieur Pierre, lâcha-t-elle.

— Oh ça c'est l'œuvre d'Odile, elle a carte blanche…

— D'accord… Elle est à la montagne vous m'avez dit ?

— Oui à la Plagne, à Montchavin plus exactement.

— A la montagne en plein mois de novembre ?

— La montagne pour Odile, c'est toute l'année. 

— Et vous la montagne ?

— Pas pour moi, lui répondit-il en grimaçant. Enfin, plus pour moi depuis plusieurs années. Il fait froid et je m'y ennuie rapidement. Comment se porte le petit Lucas ?

— Très bien, je vous remercie. C'est une merveille.  

— Quel bonheur vous avez là. Vous avez eu le temps de dîner Gabrielle ?

— Oui oui, je vous remercie, répondit-elle en mentant pour ne pas le déranger davantage.

— Vous boirez bien quelque chose alors ? J'ai du vin blanc dans le frigo, sec, comme vous l'aimez.

— Volontiers, si vous en prenez avec moi.

— D'accord, je vous accompagne.

Pierre la pria de s'asseoir sur le canapé du salon et se dirigea vers la cuisine. En l'attendant Gabrielle examina le salon. Elle était étonnée de n'y voir aucune bibliothèque et donc aucun livre. Seuls quelques magazines d'information étaient posés sur la table basse, notamment celui dont elle était l'une des rédactrices en chef. Elle pensait qu'un intellectuel comme son hôte, devait forcément avoir un bureau dans une autre pièce. Pierre revint en apportant deux verres de vin blanc. Il en tendit un à Gabrielle. Il s'assit sur un fauteuil en face d'elle. Ils trinquèrent à la santé de Lucas, avant d'en déguster une gorgée.  

— Alors Gabrielle, en quoi puis-je vous aider aussi urgemment au sujet d'Hitler ?

— J'ai besoin d'explications sur sa mort.

            Pierre regarda curieusement son amie. Il se demandait si elle était sérieuse.

            — Des explications sur sa mort ?...

Gabrielle observait l'étonnement sur le visage de son ami. C'était le moment de lui rapporter sa conversation avec Guillaume.  

— Je conçois que vous puissiez être surpris, mais vous allez vite comprendre les raisons qui m'ont poussée à vous rendre visite.

— Vous m'intriguez ma chère, dit Pierre attentif. 

Gabrielle raconta sa rencontre avec Guillaume. Elle relata avec exactitude tous les détails de la conversation, d'Hitler, jusqu'à la bien insolite proposition commerciale de Guillaume. Elle décrivit également en détail les deux photos qu'elle avait pu voir, avec les différents zooms sur les décorums et autres objets. Elle lui expliqua aussi le dégoût qu'elle avait pu ressentir en visualisant cette espèce de mausolée.

Durant tout le récit de Gabrielle, qui dura plusieurs minutes, Pierre ne l'interrompit pas. Il l'écoutait avec attention tout en sirotant son verre de vin. Son visage vacillait entre étonnement et curiosité. On pouvait aussi y percevoir une certaine forme d'inquiétude. Gabrielle lui fit part de son grand désarroi et des doutes quant à la sincérité de ce fameux Guillaume.

— J'ai donc une question simple et de la plus haute importance à vous poser, conclut-elle.

— Je suis tout ouïe Gabrielle.

— Est-ce possible ?

Pierre posa son verre sur la table basse, et vapota par deux fois sur sa cigarette électronique avant de lui répondre. Il semblait un peu déconcerté. Il ne pouvait visiblement pas lui répondre par « oui », ou par « non ». Cela paraissait plus complexe.

            — Est-ce possible qu'il existe un truc pareil caché quelque part ? lui demanda-t-elle avec plus d'insistance. C'est n'importe quoi n'est-ce pas ?

            — C'est une drôle d'histoire Gabrielle, une drôle d'histoire, lui répondit-il très pensif.

            Gabrielle sentit qu'elle avait créé un malaise. C'était la première fois qu'elle voyait son ami embarrassé par une question historique. Elle s'inquiétait de constater que Pierre avait l'air de douter. 

            — Vous me semblez perdu Pierre, c'est assez troublant.

            — En fait, Gabrielle, vous êtes venue me voir pour quoi au juste ? Pour que je réponde par la négative à votre question ? Cela vous soulagerait peut-être d'apprendre que tout ceci ne serait qu'une plaisanterie douteuse ou une escroquerie très originale et bien préparée ? Ou bien vous attendez que je vous livre une réflexion historique sur le sujet ? 

            Le malaise avait maintenant changé de camp. Pierre venait de mettre le doigt sur le point sensible. Il semblait bien que Gabrielle attendait un « non » de sa part. Elle aurait été ainsi débarrassée du problème « Guillaume-Hitler » qui la tourmentait depuis plusieurs heures, et pouvait même porter plainte pour tentative d'escroquerie. Un « oui » de la part d'un érudit de la seconde guerre mondiale, lui poserait beaucoup d'autres soucis d'ordre journalistiques et déontologiques, même si un scoop mondial était peut-être à la clé ?... 

            — Je vous prie de m'excuser Pierre. Ce type m'a endommagé le cerveau avec son histoire et ses horribles photos.

            — Oui je vois ça, et je comprends. Mais laissez-moi vous expliquer. A votre tour de m'écouter Gabrielle. Je connais bien le sujet, faites-moi confiance.

— Je vous écoute Pierre, je vous écoute.

            Gabrielle n'aurait donc pas une réponse simple, à sa question simple. L'historien allait parler. Elle devait l'écouter en espérant pouvoir lever ses incertitudes. 

 — Je vais essayer de synthétiser mon propos, et non vous faire une conférence de trois heures, rassurez-vous.  Donc, pour répondre à votre interrogation, je dirais qu'il existe un mystère sur la mort d'Hitler et par corrélation sur son cadavre. Trois hypothèses Gabrielle, trois hypothèses. Première hypothèse, il s'est suicidé dans son bunker en mordant une capsule d'acide d'hydro cyanure et en se tirant en même temps une balle dans la tête. Ses fidèles l'ont incinéré, lui et sa femme Eva Braun suicidée également, qui entre-temps d'ailleurs était devenue madame Eva Hitler. Les Soviétiques ont récupéré les cendres avec le crâne et les mâchoires à proximité du bunker. Ils ont détruit les restes quelques années plus tard dans une partie de Berlin qu'ils occupaient. Fin d'Adolf Hitler.  Deuxième hypothèse, il s'est suicidé dans son bunker, et ses fidèles, toujours eux, ont fait disparaître le corps sans le brûler. On ne sait pas comment il s'est suicidé, poison ? Pistolet ? Quoi qu'il en soit il serait bien mort le 30 avril 1945, mais avec une évacuation du corps en lieux sûr. Fin d'Hitler aussi, mais… pas de cadavre. Troisième hypothèse, la plus terrible et la plus troublante sans doute : il a quitté bien vivant son bunker avant l'arrivée des Soviétiques, pourtant positionnés à quelques dizaines de mètres seulement. Donc évasion d'Hitler à l'âge de cinquante-six ans. Il serait forcément mort, mais où ? Quand ? Et où se trouve son cadavre à l'heure actuelle ? Voila des interrogations auxquelles on ne peut pas répondre.  

— C'est complètement fou ! s'exclama Gabrielle, choquée.

— Je sais bien oui.

— Et votre choix se porte sur quelle hypothèse alors ?

— Je pencherais plutôt vers la seconde.

— Il s'est suicidé, mais évacuation du cadavre par ses fidèles, c'est bien ça ?

— Tout à fait.

— Mais enfin, la version officielle, la version historique, c'est quand même bien celle de votre première hypothèse.

— On va dire que c'est la version historique quasi officielle. La version que l'on retrouve dans les films, les principaux livres, et dans tous les manuels scolaires. C'est la version qui plaît et soulage tout le monde. Mais quand on fouille un peu, tout n'est pas aussi limpide. C'est la version que j'ai moi-même soutenue durant des années, jusqu'à que des éléments nouveaux viennent la contredire.

— Les Soviétiques auraient menti alors ?

— Oh… Gabrielle, votre naïveté est presque attendrissante. Allons ma chère, une professionnelle comme vous… Vous pensez que les Soviétiques, je vous précise sous Staline, n'auraient pas pu mentir, pour masquer leur échec et la honte mondiale d'avoir laissé filer Hitler ? Ou tout simplement pour semer le doute, voire accuser ses alliés de circonstance de le détenir eux-mêmes ? Tout de même Gabrielle…

— Mais ils ont bien exposé les restes d'Hitler il y a quelques années ?

— Absolument, à Moscou en 2000 je crois. C'est le FSB, qui a remplacé le KGB, qui a rendu public les restes d'Hitler, notamment son crâne et quelques uniformes.  

— Ah ! Alors ?! lui rétorqua Gabrielle sûre d'elle.

— Sauf qu'après expertise par des chercheurs de l'Université du Connecticut, il s'est avéré que c'était le crâne d'une femme âgée entre vingt et quarante ans et non celui d'Hitler. Ils n'ont d'ailleurs laissé personne expertiser les mâchoires avec les dents d'Hitler. Vous voyez bien, ils doutent eux-mêmes probablement. Joukov avait pour principale mission de s'emparer de Berlin, mais il se devait de ramener Hitler à Staline. La peur l'aurait-elle forcé à rapporter n'importe quels restes humains ?... Tout est possible.  

— C'est énorme… Mais vous avez raison, des confrères ont publié des articles sur l'affaire du faux crâne. Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ? se dit-elle insatisfaite de cet oubli pourtant si important.

— Ah mais ce n'est pas tout Gabrielle. A la conférence de Potsdam en juillet 1945, Staline qui n'était pas sûr de la réussite de Joukov, aurait avoué à Truman, qu'il ne savait pas ce qu'était devenu Adolf Hitler. Il pensait qu'il se serait enfui en Espagne ou en Argentine. C'est peut-être d'ailleurs pour ça que le FBI l'a traqué dans le plus grand secret jusqu'en 1956.

— En Espagne ? Aussi près ?

— Beaucoup de nazis ont trouvé refuge en Espagne. N'oubliez pas qu'elle était franquiste à l'époque.

— C'est vrai oui…

— Léon Degrelle, le chef des nazis belges et des combattants de la Waffen SS belge y est mort paisiblement en 1992, malgré sa condamnation à mort par contumace dans son pays natal. Quant à l'Amérique du Sud, c'est probablement des milliers de nazis recherchés qui s'y sont réfugiés. Et des célèbres… Souvenez-vous de Josef Mengele, d'Adolf Eichman, et de Klaus Barbie. Sans parler aussi du sanctuaire que représentaient la Syrie et l'Egypte. Certains ont même eu des postes bien placés dans l'entourage de Nasser. En Syrie il y a eu le cas d'Aloïs Bruner criminel de guerre nazi, conseiller d'Hafez El Assad pour ses services secrets. Les El Assad, père et fils n'ont jamais voulu l'extrader, malgré plusieurs demandes. Il y est mort en 2010. On raconte que tous ces nazis au Moyen Orient auraient eu une influence sur le regain d'antisémitisme et d'antisionisme dans cette région.

— Mais comment ont-ils fait pour fuir dans une Europe libérée ? Ça parait impossible, lui dit-elle choquée.

— Disons qu'il y a eu des complicités, bien évidement. Deux sont connues d'ailleurs, celles du Vatican et de la CIA.

— C'est vrai. Mais tout cela me semble tellement loin.

— Beaucoup de prêtres ont aidé des nazis à fuir. Ante Pavelic, le Führer Croate, a pu échapper à la pendaison grâce à eux. La CIA, elle, cherchait plus à les utiliser. Un type comme Barbie a négocié son exil, car il possédait un grand fichier de communistes Européens. De même que des scientifiques nazis ont été protégés par les américains. Je n'excuse rien, mais n'oublions pas le contexte de l'époque, une fois la peste brune réduite à néant, le choléra rouge représentait une nouvelle menace pour les Américains, comme pour le Vatican. Et puis il y a l'argent. Le réseau Odessa qui servait à exfiltrer les nazis, avaient les poches pleines d'or. Pensez à tout ce qu'ils avaient volé pendant toutes ces années. Tout s'achète ensuite, faux papiers, planques, billets de bateau pour le nouveau monde, complicité administrative, etc. Deux illustres nazis, comme Otto Skorzeny, chef des commandos SS, et Martin Bormann, chef du parti nazi et secrétaire personnel d'Hitler, sentant la guerre perdue, ont constitué un véritable trésor pour s'exfiltrer eux-mêmes et bon nombres de leurs camarades. Un trésor qu'ils ont constitué dans le dos de leur Führer. Otto Skorzeny a trouvé refuge en Espagne, en Amérique du Sud, et même en Irlande.

— En Irlande ?...

— Eh oui en Irlande comme une bonne centaine de nazis Européens. Quelques nationalistes bretons collaborateurs furent aussi du voyage.  

            Gabrielle restait sans voix devant toutes ces révélations hallucinantes, mais néanmoins historiques. Son esprit demeurait embrouillé. Elle venait pour un éclaircissement, mais Pierre ajoutait davantage de doutes. Elle ne pouvait pas se permettre de repartir ainsi. Il fallait qu'elle en sache plus. 

            — Mais au sujet d'Hitler, personne n'aurait pu l'aider à s'enfuir, c'est trop gros. Des seconds couteaux aux visages quasi inconnus, je veux bien, mais pas Hitler, lui dit-elle convaincue.

            — Je suis de votre avis. C'est pour cela que je pense qu'il s'est suicidé, mais que le cadavre a été évacué vers un pays sûr, par ses derniers fanatiques. Vous savez, il venait d'apprendre la mort de son ami Mussolini, qui a fini exposé pendu par les pieds à un croc de boucher sur une place de Milan. Il ne voulait sûrement pas subir le même sort à Moscou.

            — La thèse de la crémation reste donc parfaitement logique. 

            — Vous avez raison, bien sûr. Sauf que les Russes qui prétendent détenir ses restes, ne nous montrent pas les bons. De même que le jeune téléphoniste SS du bunker, Rochus Mish, dit avoir vu le cadavre d'Hitler enroulé dans une couverture, et porté à l'extérieur du bunker par d'autres SS. Mais il n'a pas assisté à la crémation. Il y a eu des témoignages contradictoires de la part des derniers fidèles qui ont été capturés par les Soviétiques. Peut-être ont-ils voulu protéger leur Führer, même mort ?... Le témoignage de ce Rochus Mish est important, car il a souvent parlé dans des émissions historiques. Il est mort seulement en 2013. Vous pouvez l'écouter dans les bonus du film « La Chute ». C'est le dernier à avoir quitté le bunker.

            — J'ai vu ce film. Terrifiant.

            — Mais l'on voit bien à travers ce film tout le fanatisme de beaucoup d'Allemands, et des SS de Berlin notamment. Ils étaient prêts à tout.

            — Même à transporter le cadavre d'Hitler, à l'embaumer Dieu sait où, et le laisser reposer dans un mausolée ?

            — Qui peut savoir ? rétorqua Pierre perplexe.

            Gabrielle connaissait bien Pierre. C'était un passionné. Et comme tout passionné, il pouvait parler de son sujet pendant des heures. Les anecdotes sur Barbie et la CIA, la complicité de certains membres du Vatican, les nazis au Moyen Orient, cela lui avait certes rafraîchi la mémoire, mais elle attendait plus de réponses précises sur la raison de sa visite.

            — Justement Pierre, excusez-moi de revenir encore à mon histoire, mais moi j'ai rencontré quelqu'un qui prétend savoir où il se trouve. 

            — Ce corps embaumé, ressemblait-il vraiment à Hitler ? 

            — Sûre et certaine. Une ressemblance des plus troublantes. Mais bon, comme je l'ai sous-entendu à ce Guillaume, ressembler à Hitler, ce n'est pas trop compliqué.

— Mais le visage, vous paraissait-il réellement embaumé ?

— Oui et en excellente conservation. On voyait bien que c'était un visage sans vie. Cela m'a du reste beaucoup troublée.

— Je vous crois sans peine. Il était bien dans une vitre ?

— Oui j'en suis sûre, un cercueil en verre même. 

— D'accord. Il faut toujours un cercueil hermétiquement clos pour conserver un corps embaumé, et bien sûr en verre pour pouvoir l'admirer. Etes-vous sûre que sur l'étendard que vous m'avez décrit, il y avait bien inscrit : « ADOLF HITLER » ?

— Oui j'en suis certaine. C'est pour cela aussi que je tenais tant à vous voir rapidement, tout est encore bien frais dans ma mémoire. Pourquoi c'est si important ?

— Il pourrait s'agir de l'étendard personnel du Führer. Cela parait être un détail, mais c'est une information très importante.

Gabrielle le regarda pas très rassurée. Elle commençait à comprendre que Pierre pourrait croire à cette histoire. 

— Attendez Pierre, vous pensez que cette histoire pourrait être vraie alors ?

— Je n'y crois pas bien sûr à cent pour cent. Il n'en demeure pas moins une très très faible éventualité.

— Donc une éventualité tout de même ?...

— Venez dans mon bureau Gabrielle, je vais vous montrer deux ou trois choses.

Les deux se levèrent de leur siège. Gabrielle suivit Pierre jusque dans son bureau. Le bureau de Pierre était assez grand. Sans doute à l'origine deux chambres avec la cloison mitoyenne abattue pour ne former plus qu'une grande pièce. La décoration avait changé. Le mobilier moderne de l'entrée et du salon, avait fait place à de vieux meubles en bois marron.

Apparemment Odile Levars n'avait pas carte blanche pour la décoration de cette partie de l'appartement. Un grand bureau était posé au milieu. Des bibliothèques allant du sol au plafond, remplies de livres, cachaient pratiquement tous les murs. Il y avait des centaines de livres, et plusieurs dizaines de DVD et de cassettes VHS. Sur le bureau était posé le dernier modèle d'ordinateur iMac d'Apple flambant neuf. La vision de cet outil de travail ultra moderne interpella Gabrielle.

— Quel bel ordinateur Pierre, lui dit-elle en touchant les rebords de l'écran. 

— Merci oui. Vous semblez étonnée de voir une telle machine chez moi ?

— Euh… non… lui répondit-elle embarrassée.

— Vous pensiez qu'un vieil historien comme moi écrivait à la plume d'oie, ou encore sur une Remington portative ? lui demanda-t-il amusé.

— Non quand même Pierre…

— Bon, je vais vous montrer une photo, attendez que je retrouve le bouquin.

Il se mit à chercher sur les rayons de sa bibliothèque. Puis il en saisit un. Un grand livre illustré1.

— Je pense que c'est dans celui-ci, lui dit-il en tournant les pages. Ah voilà, s'exclama-t-il satisfait. Tenez regardez Gabrielle, est-ce cet étendard ?

 

                                           

Gabrielle regarda avec attention la photo que lui présentait Pierre. Elle n'appréciait pas trop cette mise en scène nazie, assez dérangeante.

— Non ce n'est pas tout à fait ça. Le drapeau était différent. Il n'y avait pas d'inscriptions, mais plusieurs aigles autour d'une grosse croix gammée.

            — Ah bien sûr, je vois. Evidemment. Attendez…

            Pierre chercha à nouveau dans sa bibliothèque. Il en retira un autre livre. Un livre plus petit en langue anglaise2.

            — J'aurais dû commencer directement par celui-ci, regretta-t-il en tournant les pages.

            Il présenta une illustration à Gabrielle.

                                                  

 

— Alors Gabrielle, si ce n'est pas celui de gauche, est-ce celui de droite ?

— Absolument ! lui répondit Gabrielle sans la moindre hésitation.

— C'est l'étendard du Führer dans sa deuxième version. C'est Hitler lui-même qui l'avait dessiné. Le premier en revanche, celui de gauche, a été pris par les Soviétiques. Tenez regardez…

Il lui montra une photo toujours tirée de ce livre en lui commentant la légende.

 

                              

 

— Au cours d'une grande parade de la victoire, les Soviétiques défilèrent à  Moscou avec un grand nombre de drapeaux qu'ils avaient pris aux Allemands. Vous observerez Gabrielle au premier plan, les restes de l'étendard d'Hitler, mais, dans sa première version, précisa-t-il.

— Et celui de la deuxième version, celui que j'ai reconnu ? questionna Gabrielle intriguée par cette histoire d'étendard.

— Disparu ! répondit brutalement Pierre.

— Disparu ?

— Oui disparu.

— Vous pensez que celui de la photo de Guillaume pourrait être le vrai étendard personnel d'Hitler ?

Pierre réfléchit quelques secondes.

— C'est possible, lui répondit-il en soufflant. Mais il existe de nombreuses répliques à travers le monde, pour le cinéma, le théâtre, diverses reconstitutions historiques, et aussi hélas pour des collectionneurs néo-nazis. Donc rien ne prouve qu'il s'agisse de l'authentique. Mais bon, une incertitude de plus.

Il rangea les deux livres dans la bibliothèque. Il en cherchait visiblement un autre. Il le trouva rapidement et le présenta à Gabrielle.

— « L'évasion d'Adolf Hitler3 », de Jacques Robert, dit-elle en lisant la première de couverture.

            — Vous connaissez Jacques Robert ?

            — C'était un journaliste me semble-t-il ?

            — Entre autre, un écrivain aussi. Une sorte de touche-à-tout dans le monde littéraire. 

            — Quel est ce livre au titre qui fait froid dans le dos ? 

            — Jacques Robert est le seul journaliste occidental à avoir eu accès au bunker juste après les évènements. Il prétend n'y avoir vu aucune trace de sang. Il est persuadé après enquête, qu'Hitler s'est bel et bien échappé. Sans doute en avion piloté par Hanna Reitsch, une véritable as de l'aviation, mais aussi nazie fanatique.

            — Ça alors, dit Gabrielle en prenant le bouquin tout en s'appuyant contre le bureau.

            — Le livre date de 1989, vous n'étiez qu'une adolescente à l'époque.

            — Et vous n'y croyez pas donc ? questionna-t-elle en feuilletant machinalement la table des matières.

            — Son récit n'apporte aucune preuve concrète sur cette évasion. Il regroupe simplement des faisceaux d'indices. Des simples présomptions qui sèment le doute… Disons que d'un point de vue journalistique, c'est une très bonne enquête. Mais d'un point de vue historique, et nonobstant ses révélations, c'est dur à croire.  Et puis Hitler était très affaibli et démoralisé. Aurait-il eu la volonté de s'enfuir ? Et pour faire quoi ensuite, se terrer dans un trou comme Saddam Hussein ? La fuite du Führer du Troisième Reich, est dure à admettre, cette fois-ci d'un point de vue psychologique. Mais après tout, l'instinct de conservation étant inhérent à chaque être vivant, on ne sait jamais…

            — Avec tout ça je suis bien avancée, murmura-t-elle blasée.

            — Surtout que ce n'est pas tout. En début d'année il y a eu une série d'émissions de télé, intitulée « Hunting Hitler : les dossiers déclassifiés ».

            — Jamais entendu parlé…

            — C'était vraiment passionnant. Bob Baer, un ancien agent de la CIA, décortique les dossiers déclassifiés secrets du FBI, ayant un rapport avec la mort d'Hitler. Il envoie plusieurs équipes à travers l'Amérique du Sud et l'Espagne, pour essayer de remonter les différentes pistes d'évasion du dictateur.

            — Et qu'en concluent-ils ?

            — Il n'y a pas vraiment de conclusions. Mais ces équipes de chercheurs croient dur comme fer qu'Hitler s'est bel et bien évadé de Berlin.

            — Quelque chose me dit qu'on n'en saura jamais rien.

            — En Histoire il ne faut jamais dire jamais… Surtout sur cette affaire. Il y a eu tellement de mensonges soviétiques, de témoignages contradictoires nazis pour peut-être brouiller les pistes, d'hypothèses originales comme dans ce livre, ou cette série d'émissions, qu'affirmer quoi que ce soit en l'espèce serait un peu prétentieux. Depuis quelques années, personne n'est plus sûr de rien, à part qu'il est mort à présent, c'est l'unique certitude. 

            — C'est quand même fou d'avoir des doutes sur la mort du plus grand criminel de tous les temps.

            — Je suis bien de votre avis. Mais l'Histoire est l'Histoire. On ne peut la raconter qu'avec des preuves. Sans véritables preuves, on ne peut que supputer, comme le font Jacques Robert, et de nombreux chercheurs.  

            — Oui, mais ce mausolée tout de même, ce n'est pas un peu fort ? Doit-on supputer aussi de son existence ?

            — Quand on pense aux pyramides égyptiennes, construites pour certaines, que pour n'y faire reposer qu'un seul homme, la thèse d'un petit mausolée au fond d'une cave pour Hitler construit par des fanatiques eux-mêmes en fuite, n'est pas si surréaliste que ça.

            — Vous trouvez ?...

            Pierre sentit la gêne et le trouble de Gabrielle. Mais en tant qu'historien et ami, il se devait de lui livrer le fond de ses pensées.

            — C'est une très faible éventualité Gabrielle, une très très faible éventualité. Les derniers fidèles d'Hitler évacuent son cadavre avec quelques unes de ses affaires personnelles et en profitent également pour prendre la tangente. Ils arrivent avec ce corps dans un pays sûr comme l'Espagne, ou un autre lieu en Amérique du Sud, ils embaument le corps, et le placent dans une espèce de mausolée. Tout ce décorum que vous m'avez décrit, est d'ailleurs dans le plus pur esprit nazi quand on y réfléchit. Dans de pareilles circonstances, de vrais nationaux-socialistes n'auraient pas fait mieux. Si Hitler était mort en 1940 par exemple, il aurait eu droit à un mausolée monumental à Berlin, comme pour Lénine à Moscou. Mais là, avec ses fidèles en fuite, et pour des raisons de discrétion évidentes, un petit mausolée dans un endroit secret, c'est une hypothèse folle, mais envisageable.

            — Que dois-je faire alors ? lui demanda-t-elle déconcertée.

            — Il faut que vous essayiez d'en savoir plus. C'est peut-être aussi une tentative d'escroquerie. En quelques clics sur Internet, ou en chinant dans des bourses aux armes pour collectionneurs, vous pouvez faire un mausolée à l'identique. Rappelez-vous les faux carnets d'Hitler, publiés dans les années 80 par vos confrères allemands du « Stern ». Après expertises on s'aperçut qu'ils étaient faux. Ce qui touche à Hitler fascine et attise tous les fantasmes. Comme pour tout ce qui est relatif au Mal d'ailleurs.

            — Oui mais là ça va bien plus loin que des faux carnets. Les faux carnets étaient des petits pétards, par rapport à la bombe nucléaire que pourrait détenir ce Guillaume.

— Effectivement. J'aurais tellement aimé vous apporter plus de réponses concrètes, vous aider davantage, lui dit-il un peu désemparé.

— Ne vous inquiétez pas Pierre, vous m'avez considérablement aidé.

— Mouais, si on veut…

            Pierre n'était vraiment pas convaincu et faisait une moue de déception. Gabrielle lui prit le bras affectueusement.

            — Si si Pierre. Je repars de chez vous en sachant qu'au vue de l'histoire c'est une éventualité. Donc c'est possible. Et puisque c'est possible je dois enquêter. Il se fait tard, je dois rentrer. 

            — Tenez-moi informé, s'il vous plait. Cette affaire m'intéresse au plus haut point.

            — Je n'y manquerai pas. A ce propos, j'espère compter sur votre discrétion absolue ?... lui demanda-t-elle dans les yeux.

            — Bien plus que ça Gabrielle, sur mon secret le plus absolu ! surenchérit-il en la regardant aussi dans les yeux.

            Pierre d'un geste de la main invita Gabrielle à retourner dans le salon. Elle le suivit. Gabrielle sortit son petit carnet marron du sac qu'elle avait laissé sur le canapé.

            — Vous permettez que je note deux ou trois choses avant de vous laisser ?

            — Je vous en prie, bien évidemment. 

            Il emporta les deux verres vides vers la cuisine. Gabrielle inscrivit en vrac sur son carnet quelques futurs axes de recherche : 

- affaire des faux carnets

- cadavre

- affaire du crâne

- achat étendard Hitler

- évasion ? destination ? moyen de locomotion ?

- appeler Sandrine pour pilleur de château / trafic / collectionneur

Pierre revint dans le salon.

            — Ah Pierre, pouvez-me rappeler le nom du téléphoniste du bunker s'il vous plait ?

            — Rochus Mish, prononça-t-il rapidement et avec un accent allemand correct. 

            — Ah d'accord… Et vous l'orthographiez comment ?

            — R.O.C.H.U.S et Mish, M.I.S.H. Rien n'est simple avec les nazis, plaisanta-t-il.

            — Ya mein Pierre, répliqua Gabrielle en imitant difficilement l'accent allemand. 

            Ils rirent amicalement comme pour dédramatiser la situation vécue par Gabrielle. Après avoir écrit péniblement ce nom, elle rangea son carnet dans son sac. Pierre lui approcha galamment son manteau, qu'elle enfila. Les deux amis se dirigèrent vers la porte de sortie que Pierre ouvrit.

            — Merci encore pour m'avoir reçue au pied levé. 

            — Gabrielle, c'est toujours un plaisir de vous voir, et un devoir de vous rendre service. Même si je ne suis qu'un historien en proie au doute au sujet de votre affaire.

            — Mais non Pierre, vous m'avez bien éclairée et bien expliqué les choses. Ne dévalorisez pas votre travail. A présent c'est à moi de poursuivre le mien.

            — Bon courage alors ma chère amie, conclut-il. 

            Ils se quittèrent en s'embrassant. Gabrielle lui promit de le tenir informé sur l'évolution de cette affaire historico journalistique. Pressée, elle ne prit pas cette fois l'ascenseur, mais dévala les escaliers. Elle quitta l'immeuble pour récupérer sa voiture, stationnée à plusieurs pâtés de maisons.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Guillaume était attablé à l'intérieur de la brasserie « le Victor Hugo », face à l'entrée, un verre de bière pression légèrement entamé. Il y avait quelques clients, mais la brasserie était loin d'être pleine. Il avait choisi un box discret. Il attendait quelqu'un pour l'apéritif, un homme qu'il n'avait jamais vu. Il donnait parfois ses rendez-vous « d'affaires » dans cette brasserie. Personne ne pouvait se tromper de lieu, y compris les gens venant de province.

Le « Victor Hugo » était situé dans le seizième arrondissement de Paris, Place Victor-Hugo, station de métro Victor-Hugo. Il regardait discrètement une nouvelle fois les photos du mausolée. Il paraissait satisfait de ces dernières. Il espérait que Gabrielle, qu'il venait de laisser deux heures auparavant, et la Direction de « Paris Match », allaient le croire et lui verser l'argent qu'il leur réclamait. Mais il savait qu'il devrait encore fournir des explications avant d'empocher cette somme. La partie ne faisait que commencer. Il jouait un peu avec le feu, car il ne s'agissait pas de vendre le cliché d'un « people » en maillot de bain en vacances. Il devait continuer à être prudent. Mais en attendant de conclure cette affaire, il devait continuer à gagner de l'argent.

Un homme entra dans la brasserie. C'était un homme d'une trentaine d'années, élégamment vêtu lui aussi. Il portait une sacoche. Guillaume leva les yeux, et l'aperçut. Il comprit instinctivement que c'était celui qu'il attendait. Il lui fit signe de la main, et rangea son téléphone dans la poche intérieure de sa veste. L'homme s'approcha de sa table.

— Monsieur Gérard Viccini ? demanda-t-il à voix basse à Guillaume.

— Oui, répondit Guillaume.

— Je suis monsieur Charles de Marval. Nous avons une connaissance commune je crois, la Geisha… 

— Tout à fait. Enchanté, lui dit Guillaume en lui tendant la main droite et en l'invitant à s'asseoir de la gauche.

Charles prit place en face de Guillaume, mais sans lui serrer la main. Il ne semblait pas être venu volontiers à ce rendez-vous. Ce refus de politesse avait jeté un froid. Guillaume resta silencieux. Après ces présentations assez mystérieuses, il attendait que Charles « l'impoli » parle. Après tout, c'était lui le demandeur. 

— Vous savez pourquoi je suis là je suppose ? commença Charles.

— La Geisha m'a parlé de vous. Il m'a dit que vous souhaiteriez récupérer des biens dont vous avez été dépossédés. Il me les a décrits également, et m'a parlé des conditions.

— Absolument. J'ai dû vendre mon château familial, avec de nombreux objets de valeur qu'il contenait. Un ami proche m'a permis de rencontrer la Geisha, qui m'a ensuite parlé de vous. Je dois dire avant de poursuivre, que je suis venu à cette rencontre à contrecœur. Sachez que je n'apprécie pas les voleurs.

— Mais vous en avez besoin visiblement, lui rétorqua instantanément Guillaume.

— Vous représentez tout ce qui m'horripile. Vous avez sans doute causé du tort et du chagrin à certaines de mes connaissances, jadis cambriolées.  

            Guillaume comme à son habitude resta silencieux tout en soutenant du regard son interlocuteur impoli, et à présent jugé méprisant. La tension était montée encore d'un cran.

— Moi voyez-vous monsieur de Marval, reprit Guillaume avec calme, ce qui m'horripile ce sont les joueurs dégénérés comme vous, qui sont forcés de vendre leur demeure magnifique pour assouvir leur vice de merde…

— Je ne vous permets pas, lui dit Charles choqué par cet écart de langage.

— …Et qui ensuite viennent pleurnicher auprès de méchants voleurs comme moi pour récupérer leurs vieilleries, poursuivit Guillaume. Vous devriez baisser d'un ton avec moi l'aristo, ce n'est pas moi qui suis ruiné.

Le dialogue était compliqué entre les deux hommes. Le silence qui suivit cet échange verbal houleux, fût brisé par l'arrivée d'un serveur venu prendre la commande du nouveau client de la brasserie. Charles lui expliqua poliment qu'il ne désirait rien boire, car il ne resterait pas longtemps. Guillaume en profita pour boire une petite gorgée de bière avec désinvolture, tout en continuant de fixer Charles. Il songeait à mettre un terme à cet entretien. Guillaume avait peut-être un métier de voyou, mais il aimait le pratiquer en gentleman. Le refus de Charles de lui serrer la main mêlé à son arrogance avaient fini par l'agacer. Charles sentit qu'il était allé trop loin. Il revint dans la conversation avec un changement de ton.

— Ecoutez monsieur Viccini, je regrette mes propos. Veuillez m'en excuser. Je suis sous tension actuellement.

— Bon, passons… soupira Guillaume. Je vous écoute.

            Charles prit sa sacoche sur les genoux et en sortit une grande enveloppe marron assez plate.

            — Voila monsieur Viccini, à l'intérieur vous avez les photos des œuvres à récupérer, ainsi que des plans et des photos du château.

            — Il est ouvert au public ? questionna Guillaume en prenant l'enveloppe.

            — Non, à usage strictement privé. Cela vous pose un problème ?

            — C'est plus compliqué, et donc plus cher pour vous, lui lança logiquement Guillaume.     

 — La Geisha m'a indiqué votre prix pour cette prestation. J'ai d'ailleurs la moitié de la somme avec moi comme convenu. 

Guillaume ne répondit pas tout de suite. Il examinait discrètement mais avec attention les photos. Beaucoup d'objets étaient du dix-huitième siècle, candélabres, épées, dagues, encriers, petite horloge…  

— La Geisha ne m'avait pas parlé d'un bureau Louis XV ? interrogea soudainement Guillaume.

— Effectivement, je l'ai rajouté par la suite. Pourquoi c'est ennuyeux ?

— Non, encombrant !

— Et quel est le problème, vous êtes un professionnel non ? 

— Oui mais pas du déménagement. Pour les objets présentés en photos, je peux m'en charger seul avec plusieurs grands sacs. Mais pour ce bureau Louis XV, il faut être deux.

— Vous n'avez pas de complices ?

— Je n'ai pas d'associés, lui rétorqua Guillaume. J'agis seul. Si je dois déménager un tel meuble, il va falloir que je paye un assistant.

— Je ne peux pas donner plus, annonça Charles. Je suis acculé. 

— Alors pas de bureau ! trancha Guillaume.  

— Et pour le reste ?

— Pour le reste pas de problèmes.

— Et pour les délais ? demanda anxieusement Charles.

— Il faut que j'étudie le site. Mais cela devrait aller vite.

— J'ai vraiment besoin de récupérer tout ceci au plus vite. Je les ai promis à des créanciers peu recommandables.

— Décidément vous êtes entourés de truands, ça doit vous changer.

— Un drôle de milieu en effet. 

— Vous avez autant de dettes monsieur de Marval ? 

— Comme tout bon joueur dégénéré monsieur Viccini.

Voyant que le dialogue allait une fois de plus se corser, Guillaume préféra abréger l'entretien. Les problèmes de Charles et son hostilité à son égard, il n'en avait que faire.  Ce qui l'intéressait c'était l'argent.

— Vous m'avez parlé de la moitié de la somme, je crois ?

— Oui, trente mille euros dans une autre enveloppe.

— Vous pouvez la glisser dans ma sacoche, lui demanda Guillaume en lui indiquant de l'index qu'elle était au sol. 

Charles se pencha sur le côté gauche et vit la sacoche ouverte de Guillaume posée à son pied droit. Il prit de sa sacoche une autre enveloppe plus épaisse que la précédente, et la glissa discrètement dans celle de Guillaume.

— Très bien, conclut Guillaume, la Geisha vous contactera pour les échanges quand le travail sera fait. Il a vos coordonnées n'est-ce pas ?

— Oui.

— Considérez cette opération comme lancée.

— Et pour les délais, vous n'avez pas une date, même approximative ?

— Nous allons agir rapidement monsieur de Marval, rassurez-vous.

— Très bien j'attends l'appel de la Geisha alors.

— Voilà… conclut une nouvelle fois Guillaume.

Charles se leva pour partir et tendit sa main droite en direction de Guillaume. Ce dernier, resté assis, le regarda en levant la tête et accepta sa poignée de main avec un sourire en coin.

— Au revoir monsieur Viccini.

— Bonne soirée monsieur de Marval.

Charles se tourna et prit la direction de la sortie. Il franchit la porte et se dirigea vers la station de taxi de la place Victor-Hugo. Guillaume prit sa sacoche et alla surveiller la porte pour s'assurer que Charles n'était plus dans le secteur. Il posa sa sacoche sur une  chaise à une table occupée par un homme. Il retourna à sa place précédente pour récupérer son verre. Il revint avec sa consommation et s'assit en face d'un homme qui buvait lui aussi une bière pression. Les deux hommes se sourirent.

— T'as l'air satisfait mon Ghislain, lança l'homme à Guillaume.

— Satisfait Eric ?! Ravi tu veux dire. Des pigeons comme ça j'en veux tous les jours dans mon assiette, dit Guillaume moqueur. T'imagine le mec, il me donne trente mille euros pour récupérer des trucs qui étaient à lui, et trente milles euros après. Total soixante mille euros, alors que la Geisha m'affirme que cela en vaut au moins le double. Donc on va faire peut-être le coup, mais cet aristo de mes deux ne reverra jamais rien. Et les trente mille déjà donnés, in the pocket !

— Ah le con, pouffa Eric.

— Attends, avec les trente mille il m'a fourni les photos, les plans du château, et tout le toutim, insista Guillaume amusé.

— J'y crois pas… s'étonna Eric.

— Et en plus il irait se plaindre à qui ? Aux flics ? A ses amis Barons ou Ducs ?

— Fais gaffe, il pourrait te provoquer en duel, plaisanta Eric.

— Alors là je suis tranquille parce qu'avec le pognon qu'il doit aux Corses, il va devoir se tirer rapidos s'il ne veut pas s'en manger une.

— Ah le pauvre… dit Eric en ricanant. Bon et pour notre affaire, t'as vu la femme ?  Comment ça se présente pour notre découverte ? questionna Eric.

— Ça ne va pas être facile avec cette rédactrice.

— Rappelle-moi son nom déjà ?

— Gabrielle Blondel.

— Ah oui c'est vrai. Quel est le problème ?

— Plutôt quels sont les problèmes. Elle pose beaucoup de questions. Il va falloir leur donner un peu plus d'éléments. En tout cas une chose est sûre, c'est qu'ils ne lâcheront pas le pognon comme ça.

— Il fallait s'y attendre. Et si on s'était trompé de canard ? « Paris Match » donne peut-être trop dans le people ?...

— Pourquoi Hitler c'est pas un people aussi ? demanda Guillaume en plaisantant. Il y a eu sûrement autant d'articles sur lui et sa femme Eva, que sur les Kennedy, ou Sarko et Carla.

Cette comparaison amusa Eric. Mais il voulait aller au bout de son idée.

— Arrête de déconner Ghislain. Je pense qu'on aurait dû vendre ça au « Point », ou à « l'Express », qui sont plus politiques et historiques.

— N'oublie pas aussi que « Match » a publié huit pages sur Rudolf Hoess, le commandant d'Auschwitz, il y a deux ans4. Donc tu vois bien que les sujets sur la deuxième guerre mondiale peuvent aussi intéresser leurs lecteurs. Et puis on a choisi « Paris Match », parce que c'est eux qui ont le plus de pognon, y'a Filipacchi et Hachette derrière tout ça. Non c'est pas forcément une question de ligne éditoriale, mais de crédibilité.

— On demande peut-être trop cher ? s'inquiéta Eric.

— Mais non justement, si on demande un pourboire on ne sera pas pris au sérieux. Je lui ai laissé jusqu'à vendredi pour étudier cette affaire avec sa direction. On verra bien…

— Pognon mis à part, elle y a cru ou pas à cette histoire de mausolée ?

— J'ai réussi je pense à semer le doute. Mais j'ai encore un gros travail à lui faire pour finir de la convaincre.

— Et s'ils n'en veulent pas de notre histoire ?

— On essaiera ailleurs, à l'étranger par exemple. 

— Et qu'est-ce qu'on fout en attendant ? On s'occupe du château de l'aristo ?

— Franchement Eric, est-ce que ça vaut vraiment la peine de prendre des risques pour quelques dizaines de milliers d'euros, alors qu'on est sur une affaire de plusieurs millions ? demanda Guillaume déjà convaincu. On garde ce plan sous le coude. On verra plus tard…

— Mouais, peut-être… Mais la Geisha va vouloir sa part, c'est lui qui nous a rabattu l'aristo.   

— La Geisha, j'en fais mon affaire. No problemo. Je vais aller le voir, déjà pour lui filer les dix mille euros qui lui reviennent, et pour le faire lanterner en lui inventant un bobard.

— Putain mais c'est vrai, y'a dix mille pour moi aussi, s'exclama joyeusement Eric.

— Ben oui mon poulet !

Eric leva son verre et lança un toast.

— À la noblesse française !

— À la noblesse française, et à leurs biens ! rajouta Guillaume.

Les deux hommes trinquèrent et rirent en échangeant des regards malicieux. La complicité entre les deux hommes était à la fois affective et professionnelle. Eric Joubert avait quarante-trois ans tout comme Guillaume. Il était plus grand, mais aussi plus dégarni. Ses cheveux rasés ne camouflaient pas leur blondeur. Les deux hommes se connaissaient depuis trente-trois ans. Ils avaient grandi dans le même immeuble d'un quartier populaire du dix-neuvième arrondissement de Paris. Ils fréquentèrent le même collège, et plus tard le même lycée. Mais Eric ne termina pas le premier trimestre de sa seconde. Il s'orienta vers un CAP puis un BEP de serrurier. Il excella dans l'apprentissage de ce métier.

Après avoir travaillé épisodiquement pour plusieurs patrons, il avait créé sa société, la Sep (Serrure Express Paris) en 2004. Il en vivait très bien, et aurait pu largement s'en contenter. Mais ce qui lui plaisait par-dessus tout, c'était l'action, et le vol. Grâce à son métier il avait une certaine facilité pour ouvrir les serrures et les trafiquer ensuite pour faire croire à une réelle effraction. Il s'appliquait à les trafiquer de manières différentes à chaque cambriolage pour brouiller les pistes, rendant ainsi plus compliqué le travail de la police. D'autant plus que certaines fois avec son ami Guillaume, il passait par des fenêtres ou des portes qu'il forçait.

Guillaume, de son vrai nom Ghislain Gagligani, s'était montré un peu plus studieux que lui. Après l'obtention d'un bac A1, il s'était retrouvé sans grande conviction à la Sorbonne en Histoire de l'Art. Il s'y ennuya prodigieusement et ne termina pas sa première année. Selon lui, « l'art ne devait pas s'apprendre, mais s'admirer ». Malgré cette année inachevée, il s'intéressa toute sa vie à l'art. Il s'inscrivit l'année suivante à Assas en Droit, où il fût ajourné aux examens. Sa nature rebelle l'empêchait d'apprendre les textes de lois, et autres articles des différents Codes, sans les remettre en question. Il préférait sa propre loi. Au grand désespoir de ses parents, il arrêta ses études supérieures pour se consacrer à « l'étude de la vie », comme il se plaisait à le répéter.

Pour prétendre étudier correctement la vie, il faut auparavant la gagner. Il commença par être caissier dans un hypermarché. C'est là qu'il franchit le pas vers l'illégalité, un petit pas somme toute… Certains de ses amis, complices de circonstance, passaient à sa caisse en faisant semblant de ne pas le connaître. Guillaume évitait de scanner certains articles, en les passant certes devant le scanner, mais pas du côté du code barre. Il se montrait aussi bien rapide que discret. Il utilisait aussi une autre technique. Quand un complice posait 3 articles identiques sur le tapis de caisse, il tapait sur les touches « 2 » et « multiplier » sur le clavier. Il en passait trois, mais seulement deux étaient facturés. Quelques bouteilles d'alcool, films VHS, jouets, boites de chocolats… furent ainsi revendus sous le manteau dans son quartier. Il ne s'était jamais fait prendre car il était prudent et raisonnable. Par son côté charmeur, la redoutable responsable des caisses l'avait à la bonne. Elle passait plus de temps à gérer les conflits entre caissières, qu'à se méfier de ce beau jeune homme si aimable avec la clientèle. Il resta trois ans à ce poste avant de se faire licencier pour faute. Il accumula  volontairement des avertissements pour retards dans ce but. Il put ainsi bénéficier des indemnités Assedic.

En vivant toujours chez ses parents il avait économisé une petite somme pour s'offrir un voyage en Thaïlande. Les indemnités Assedic viendraient compléter mensuellement son pécule. Eric n'ayant pas suffisamment d'argent pour le suivre, Guillaume prit à sa charge les billets d'avion de son ami. Il était hors de question pour Guillaume de ne pas partager cette aventure avec Eric.

Sur place ils s'amusèrent comme tous les jeunes de leur âge : plage, fêtes, et filles. Mais plutôt que de dépenser tout leur argent, ils décidèrent d'acheter des contrefaçons pour les revendre en France à leur retour, et écourtèrent leur séjour. Ils jetèrent le contenu de leur valise et les remplirent de ces fameuses contrefaçons asiatiques. Ils en achetèrent trois sortes : vêtements de marque, maroquinerie et montres de luxe. Avec un anglais assez approximatif, ils réussirent néanmoins à obtenir un bon rabais chez un  grossiste, plutôt que de payer le prix « touriste » sur un marché quelconque de Bangkok. Par chance, et avec un sang froid d'homme mûr, les deux jeunes amis ne furent pas fouillés à la douane de Roissy. Durant plusieurs semaines ils écoulèrent leur stock. Leurs clients faisaient partie de toutes les couches sociales, de la petite frappe de quartier, au bon bourgeois installé, et même des policiers. Ils ne vendaient pas toujours directement, certaines connaissances leur servant d'intermédiaires.

Après cette revente, Eric retourna exercer son métier de serrurier au sein d'une entreprise de dépannage. Guillaume passait plusieurs heures par jour à écrire des lettres de candidatures à des entreprises. Il répondait à des offres d'emploi ne correspondant pas du tout à son profil, dans le seul but d'accumuler des lettres de refus qu'il pourrait présenter en cas de contrôle ou de convocations de l'ANPE, pour justifier ses recherches d'emploi. Il avait assuré ses arrières pour rien, car il ne fut jamais contrôlé jusqu'à la fin de sa période d'indemnisation. Tout en écrivant ces « vraies fausses » demandes d'emploi, il travailla parfois au noir comme serveur dans un bar de nuit, laveur de carreaux, ou encore déménageur.

Il n'arrivait pas à trouver sa voie, et sa jeunesse se passait ainsi. Il vivait toujours chez ses parents. Ce qui le dérangeait le plus, ce n'était pas la précarité de ses différents emplois, mais le fait qu'il voulait plus d'argent. Il savait qu'avec son seul Baccalauréat, il ne pourrait pas prétendre à un gros salaire pour vivre confortablement, surtout sur Paris. La formule « métro boulot dodo », il préférait la laisser aux autres. Il lui fallait donc utiliser le système de l'illégalité, non seulement pour essayer de gagner beaucoup d'argent mais surtout pour s'accomplir psychologiquement. L'illégalité étant la seule chose qui le motivait vraiment. Il sentait au fond de lui-même qu'il était fait pour ça. Mais il n'avait plus de « bons » plans en tête depuis longtemps. 

Au cours d'une fête de famille pour Noël 1999, Guillaume retrouva son oncle Philippe de retour du Congo Brazzaville. Ce dernier lui proposa de venir avec lui en Afrique pour le seconder dans son restaurant qu'il venait de rénover, après la guerre de 1997. Guillaume accepta tout de suite. Son père n'était pas forcément enchanté, mais rassuré tout de même qu'il parte avec son frère aîné qui veillerait sur lui. Guillaume partit en janvier 2000 pour Brazzaville.

La ville portait encore les stigmates des deux guerres civiles récentes : voitures calcinées sur les trottoirs, trous de lance-roquettes dans certains immeubles, coupures d'électricité quotidiennes, et militaires en armes dispersés dans toute la ville.

Philippe possédait un restaurant connu de tous, « le Soleil ». Ce restaurant proposait à sa clientèle des plats français, et africains. Il était fréquenté par des expatriés, notamment français et belges, mais aussi par des notables et militaires hauts gradés congolais. Guillaume s'occupait de l'approvisionnement et de la logistique du restaurant. Dans un pays en voie de développement sortant de deux guerres, il lui fallait faire preuve de patience, d'habileté, et parfois de corruption pour accomplir sa mission. Il s'en sortait d'ailleurs plutôt bien.

Le soir il sortait au « Hong Kong », boîte de nuit où les expatriés se retrouvaient pour boire et danser. Ils formaient une entité européenne très hétéroclite. Il y avait des hommes d'affaires, des jeunes idéalistes des Organisations Non Gouvernementales, du personnel des ambassades, des mercenaires, des membres des services secrets français, et divers aventuriers cherchant fortune. Tous ces européens se mélangeaient également aux Congolais, dans le plus pur esprit festif africain.

Tout en continuant à travailler au restaurant, Guillaume essaya de combler les besoins des Africains, à sa manière. Il se fit expédier par Eric depuis Paris, des lots neufs ou d'occasions, de musicassettes, de films VHS, toutes sortes de petits équipements audio comme des baladeurs ou transistors, qu'ils revendaient à des commerçants congolais ou libanais.

Guillaume fit la connaissance au « Soleil » de Gladys Massengo, la sœur du célèbre sculpteur sur bois de Brazzaville. Elle l'invita à visiter l'atelier de son frère pour y découvrir les œuvres exposées. Guillaume qui ne connaissait rien à l'art africain fut enchanté par cette visite. Il apprécia les petits meubles, masques, et statuettes, que le sculpteur réalisait avec talent. Pour lui tout ceci devait forcément avoir de la valeur.  Le lendemain il questionna son oncle pour savoir si importer en France ces sculptures lui paraissait être une bonne idée. Philippe après réflexion fut emballé par l'idée de son neveu. Il lui conseilla d'abord de sonder le marché parisien, avant d'acheter tout un stock qui s'avérerait peut-être invendable.

Guillaume écouta son oncle. Il retourna dans l'atelier en sa compagnie pour discuter de son projet avec le sculpteur. Philippe connaissait un peu Massengo. Tous les trois discutèrent du projet. Le sculpteur trop heureux de voir ses œuvres vendues en France, et contre la promesse de quelques repas offerts au « Soleil », ne se montra pas trop exigeant sur les prix. Guillaume photographia les sculptures les plus remarquables de l'exposition. Ces photos lui serviraient à la création de plusieurs catalogues pour les diffuser sur Paris, et ainsi apprécier l'accueil que témoigneraient certains amateurs de cet art. Il n'acheta que deux sculptures, une statuette et un masque, pour les rapporter en guise d'échantillons.

Philippe laissa donc partir son neveu quelques mois seulement après son arrivée. Il savait qu'un jeune homme plein d'entrain et cherchant sans cesse à faire de l'argent, ne resterait pas très longtemps à ses côtés. Il aurait peut-être l'occasion de le revoir à Brazzaville, si son projet aboutissait. Guillaume rentra sur Paris par un vol de la compagnie « Air Afrique », rebaptisée « Air Peut-être ? » par les Africains, en raison des nombreux retards de ses avions, allant de plusieurs heures à plusieurs jours.

Guillaume arriva chez ses parents et passa sa première soirée en leur compagnie. Après la distribution de petits cadeaux, un mortier de cuisine en bois et un boubou pour sa mère, et un cendrier en malachite pour son père, il leur raconta son semestre congolais. Il leur fit part de son projet de vente d'art africain, ce qui ne les mit pas trop en joie. Ils voyaient encore un travail provisoire se profiler à l'horizon des 30 ans de leur fils, vivant toujours  chez eux.

Le lendemain Guillaume retrouva son meilleur ami Eric. Après avoir écouté son ami lui débiter ses aventures africaines, Eric se confia à lui. Il lui avait déjà expliqué lors d'une conversation téléphonique « Paris-Brazzaville », qu'il vivait à présent avec une fille, Brigitte, et qu'il allait bientôt être papa. Il expliqua à Guillaume son ras-le-bol de sa situation professionnelle. Il en avait assez de se lever tôt tous les matins pour un « salaire de merde » selon ses propres mots. Il comptait sur le retour de son meilleur ami pour changer les choses. Guillaume lui fit part de son idée. Bien qu'il émit des doutes sur la vente d'art africain, qu'il jugeait trop compliquée, il promit à Guillaume de lui apporter toute son aide. Guillaume le rassura en lui expliquant son vrai plan. Il s'agissait de vendre des sculptures sur catalogue en prenant des acomptes, mais sans honorer les commandes. Eric reconnut bien là son magouilleur d'ami. 

Une fois les dossiers de présentation achevés, Guillaume, tel un commercial, sillonna les quartiers de la capitale à la recherche de magasins susceptibles de lui acheter les sculptures de Massengo. S'il s'intéressait à l'art depuis son court passage à la Sorbonne, il se rendit vite compte de sa méconnaissance du marché de l'art parisien. Après avoir essuyé plusieurs échecs dans des magasins spécialisés, il s'orienta vers des boutiques de décoration, mais là aussi sans succès. Il rencontra malgré tout un commerçant empathique qui lui expliqua que ce genre de choses se vendrait plus facilement en les exposant dans une galerie, que dans un catalogue. Peut-être ?... Mais exposer dans Paris, Guillaume n'en avait pas les moyens. Louer une salle, faire de la publicité, organiser un vernissage et surtout acheter les œuvres à Brazzaville n'étaient vraiment pas d'actualité pour lui. Il avait un peu d'argent, mais pas suffisamment pour un tel investissement. De toute façon ce n'était pas le but de son véritable projet, qui s'avérait finalement au fil des visites assez bancal.

Après plusieurs jours, il se balada avec beaucoup d'incertitudes dans le septième arrondissement de Paris, réputé pour ses antiquaires. Il se doutait qu'il ne visait plus les bonnes cibles, mais après tout c'était sa dernière journée de démarchage, il verrait bien. Il en profita pour passer par la rue de Verneuil afin d'y admirer les centaines de dédicaces de fans qui figuraient sur le mur de la maison d'un de ses chanteurs préférés, Serge Gainsbourg. Il rentra au culot successivement chez deux antiquaires de la rue des Saints-Pères, et en ressortit sans bon de commande, il fallait s'en douter…

Déçu et découragé, il décida néanmoins d'essayer une dernière fois avant de jeter l'éponge et ses catalogues, et de passer à autre chose. Il continua dans la même rue. Il poussa la porte de la galerie : « La Valeur du Temps ». A l'intérieur il y avait une femme et un homme en grande discussion assis autour d'un bureau. Lorsqu'ils aperçurent Guillaume, ils se turent brusquement. Ils semblaient soudainement dérangés. La confidentialité de leur propos ne devait apparemment pas être compromise par cet intrus.  La dame, qui était l'antiquaire gérante de cette galerie, demanda poliment à Guillaume ce qu'il désirait. L'homme se leva et s'écarta du bureau pour les laisser discuter tous les deux. Il faisait mine de s'intéresser aux divers objets et vieux tableaux exposés dans la galerie. Il attendait que ce jeune homme quitte les lieux pour reprendre la conversation. Il prêtait tout de même attention à ce qui se disait, en observant Guillaume par des regards en coin. Après avoir écouté quelques minutes Guillaume, et regardé par gentillesse son catalogue de présentation, l'antiquaire lui fit comprendre qu'il se trompait d'adresse pour ce genre d'art. Guillaume remercia et salua son interlocutrice, et prit, résigné mais non surpris, la direction de la sortie. Au moment d'ouvrir la porte Guillaume stoppa son geste, car l'homme présent dans la galerie l'interpella.

— Vous pouvez m'attendre dehors jeune homme s'il vous plaît ? J'aimerais vous parler.

Guillaume se retourna sur cet homme qui allait changer sa vie. Cet homme, c'était la Geisha. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En conduisant pour regagner son domicile, Gabrielle repensait sans cesse à l'entretien qu'elle venait d'avoir avec Pierre. Elle avait des images d'Hitler plein la tête. Elle l'imaginait tour à tour se suicidant dans son bunker, s'échappant en avion et atterrissant librement en Espagne, ou bien encore des SS vêtus de noir protégeant religieusement son cadavre en l'évacuant pour l'étranger. Elle comprit qu'elle manquait de concentration pour rouler en toute prudence. Pour exorciser son esprit envoûté, elle alluma son autoradio à la recherche de musique. Quelques minutes après elle pénétra dan son parking souterrain. 

Une fois dans son appartement elle alla voir son fils dans sa chambre. Il dormait paisiblement. Elle le contempla avant de l'embrasser sur la joue. Ce bisou maternel ne réveilla pas le petit Lucas. Elle retrouva Emma qui s'était endormie allongée sur le canapé du salon devant la télé allumée. Gabrielle constata qu'elle était recroquevillée traduisant des signes de frilosité. Elle décida alors de la réveiller plutôt que de la couvrir et lui laisser faire sa nuit.

— Ma chérie, chuchota-t-elle en se penchant et en lui caressant tendrement les cheveux.

— Ah t'es rentrée ?... lui dit Emma en ouvrant péniblement ses yeux.

— Oui, il y a cinq minutes.

Emma se releva pour s'installer en position assise. Elle prit la télécommande et appuya sur la touche « silence ».

— Hou ! Je suis gelée moi, dit-elle en s'exprimant en haute voix. Alors comment ça c'est passé avec ton ami Pierre ?

— J'en sais un peu plus sur cette nouvelle histoire qui me poursuit depuis des heures.

— Et tu peux toujours rien me dire ?

— Pas encore ma chérie, répondit Gabrielle. Dans quelques jours…

— Bon c'est pas grave. De toute façon je suis trop crevée pour t'écouter. Je vais me coucher, annonça-t-elle en se levant. 

Les deux sœurs s'embrassèrent pour se souhaiter une bonne nuit.

— Tu ne vas pas te coucher toi aussi ? demanda Emma.

— Non pas tout de suite. Je dois d'abord poursuivre mon enquête.

— Ne te couche pas trop tard quand même, lui dit Emma en quittant le salon pour regagner sa chambre.

— Ne t'inquiète pas. Bonne nuit.

— Bonne nuit à toi aussi.

Gabrielle tiraillée par la faim, se confectionna dans la cuisine un club sandwich des plus légers, qu'elle déposa sur une petite assiette. Elle prit également une boite de Coca zéro.  Elle revint dans le salon avec ce festin dans les mains. Gabrielle s'empara ensuite de son ordinateur posé sur la table à manger, pour s'asseoir sur le canapé et le placer sur ces jambes. Elle avait hâte d'effectuer des recherches sur Internet pour approfondir le sujet de la mort d'Hitler. Il fallait qu'elle sillonne les pistes historiques, tracées par Pierre. Elle ouvrit son carnet à la page des notes qu'elle avait rédigées chez lui. C'est dans un silence absolu qu'elle se mit au travail.

Elle commença par taper sur Google « faux carnets d'Hitler ». Elle connaissait un peu cette affaire qu'elle avait étudiée en école de journalisme. Elle cliqua sur la page Wikipédia5. Elle se remémora cette célèbre escroquerie. Le magazine allemand « Stern » avait publié des extraits de carnets d'Hitler à partir de 1983. Ces carnets étaient en fait écrits par un falsificateur allemand, Konrad Kujau, qui leur donnait l'apparence visuelle de vieux papiers. C'est un chimiste qui affirma après analyse que ces carnets ne dataient pas de l'époque nazie. Mais c'était trop tard, le « Stern » en avaient déjà publié moult extraits en achetant les droits pour un total de dix millions d'euros actuels.

— Méfiance et vigilance, se dit-elle après la lecture de cet article.

Elle continua en lançant une nouvelle recherche : « Hitler cadavre ». Elle ouvrit tout de suite une page du site Web de ses confrères du « Point6 ». Elle lut un article où Staline aurait semé le doute sur la fuite possible du Führer en Argentine. Elle poursuivit en constatant qu'effectivement le crâne d'Hitler détenu par les Russes, était en fait celui d'une femme. La page se termina par les affirmations d'une universitaire brésilienne, Simoni Renee Guerreiro Dias, qui prétendait  qu'Hitler serait mort à 95 ans en Amérique du Sud, sous le nom d'Adolf Leipzig. Ces propos étaient illustrés par une photo de mauvaise qualité montrant un vieil homme qui pourrait être Hitler.

 

                               

   

            — N'importe quoi, chuchota Gabrielle en tournant la tête pour souligner le ridicule de cette photo. Elle enregistra cette photo dans un dossier. 

Elle cliqua sur un autre site, celui de « Planet.fr7 ». Ce site reprit également les affirmations de la Doctorante brésilienne avec plus de détails. Toujours sur la page 1 de Google, elle ouvrit un curieux site : « stopmensonges.com8 ». En tant que journaliste professionnelle elle s'aperçut rapidement que ce site faisait partie de la nébuleuse de sites « conspirationistes ». Ce site affirmait qu'Hitler s'était échappé en avril 1945 pour l'Amérique du Sud. Le rédacteur de cet article s'appuyait sur des éléments divulgués par le FBI. Pour corroborer ces affirmations, un lien renvoyait sur le site du FBI9. Gabrielle cliqua dessus. Elle lut un rapport de 1945 destiné à Edgar Hoover, où, après enquête, les inspecteurs prétendaient qu'Hitler fut accueilli par des Argentins, et qu'il s'était rasé la moustache. Il aurait accosté sur les côtes argentines en sous-marin. Gabrielle qui n'avait pas pris au sérieux « stopmensonges.com », fut très perturbée après la lecture du rapport du FBI, sur leur propre site. Elle épingla l'onglet du site du FBI. Elle savait qu'elle en aurait éventuellement besoin en comité de rédaction. Avant de fermer le site qui l'avait entraîné vers celui du FBI, elle examina de prés la photo d'un Hitler sans moustache qui illustrait cet article. Elle était accolée à une photo du dictateur.

 

 

— Bof… se dit-elle pas vraiment convaincue par la ressemblance.

Toujours en suivant ses notes, elle tapa « Hitler crâne » sur Google. Elle connaissait mieux cette histoire car récemment des confrères y consacrèrent des articles. Elle y avait d'ailleurs repensé chez Pierre. Effectivement, les trois premiers sites référencés étaient ceux du « Point6 », de « Libération10 », et du « Figaro11 ». Comme Gabrielle venait de lire l'article du « Point » il y a quelques minutes, elle ouvrit successivement les deux suivants. Les deux rapportant quasiment la même chose : le crâne présenté par les Russes comme celui d'Hitler, était celui d'une femme âgée de vingt à quarante ans. « Libération » parlait également dans son article d'un documentaire consacré à la fuite d'Hitler. Elle retint le titre pour le voir plus tard. La page du « Figaro » insinua que cette affaire du crâne décrédibilisait la thèse selon laquelle Hitler se serait tiré une balle dans la tête. L'article précisait que les Russes n'avaient pas autorisé les scientifiques américains à examiner les mâchoires issues des restes d'Hitler. Un gros doute subsistait.

Après en avoir terminé avec le crâne et avec son club sandwich, elle découvrit sur « You Tube » les extraits proposés par ce célèbre site, en inscrivant : « fuite d'Hitler ». En parcourant des yeux les résultats de sa requête, elle observa qu'en cinquième position figurait une interview de Jacques Robert, l'auteur du livre dont Pierre lui avait parlé. Avant de découvrir ce que ce journaliste prétendait, elle commença par le premier documentaire d'une durée de cinquante minutes, tiré d'une diffusion de « RMC Découverte » intitulé : « Hitler s'est-il vraiment suicidé ?12 ». Malgré l'heure avancée, elle décida tout de même de le visionner.

Elle apprit qu'une grande confusion régnait quant à la découverte d'Hitler, lorsque les Soviétiques s'emparèrent de la ville. Ils présentèrent tout d'abord un cadavre lui ressemblant étrangement. Pour attester de cette ressemblance ils posèrent sur le corps une photo d'Hitler. Peu de temps après, une information infirma l'authenticité de cette découverte. Il s'agissait en fait d'un sosie.

 

                                  

 

En poursuivant le documentaire, elle apprit que le dictateur aurait pu effectivement se sauver, en montant dans un avion s'envolant par une piste aménagée dans le centre de Berlin. Puis cet avion se serait posé en Norvège, pays toujours occupé par les Allemands. De là il aurait embarqué dans le sous-marin U977, qui quitta ce pays le 2 mai 1945. Ce mystérieux sous-marin ne refera surface que deux mois et demi plus tard, sur les côtes argentines, mais sans Adolf Hitler à son bord. Des experts jugèrent trop longue la traversée de l'Atlantique de ce sous-marin. Pour certains il aurait fait un crochet par l'Antarctique, afin pourquoi pas, de débarquer Hitler. Chaque sous-marinier fut interrogé. Tous affirmèrent que leur Führer déchu n'était pas du voyage. Le FBI mena tout de même une enquête durant dix ans. La présence d'Hitler fut signalée un peu partout en Amérique du Sud. Certaines de ces informations pouvant être jugées crédibles, et d'autres très farfelues. Le documentaire se termina après qu'un dentiste affirma que les Russes détenaient les bonnes mâchoires, et qu'Hitler n'avait pas pu s'échapper. Mais l'affaire du faux crâne venait encore tout chambouler…

Le documentaire terminé, et en dépit de quelques bâillements, Gabrielle lança un extrait de l'émission « Ciel mon mardi » datant de 198913. Sur le plateau de Christophe Dechavanne, l'historien Pierre Miquel était opposé à Jacques Robert, l'auteur du livre « L'évasion d'Adolf Hitler3 ». Pierre Miquel « représentait » la version officielle et historique du suicide d'Hitler. Pour Jacques Robert c'était une pure mise en scène des SS. Il précisa que ce furent d'ailleurs les Allemands, toujours sous régime nazi, qui annoncèrent les premiers la mort d'Hitler. Miquel reconnut que les Soviétiques étaient sceptiques au sujet du suicide. Selon Robert, Hitler parvint à s'évader. Des SS complices l'entourèrent d'une couverture, et le sortirent du bunker, après un faux suicide. Etant atteint de tremblements, Hitler ne pouvait feindre d'être mort. La couverture servit de subterfuge pour cacher ces tremblements et tromper les Allemands présents. Malgré le temps assez court accordé par Christophe Dechavanne à Jacques Robert, ce dernier rappela qu'en tant que grand reporter, il fut le seul occidental à descendre dans le bunker. Il ne trouva pas la moindre goutte de sang dans le bureau du Führer. Pour lui Hitler quitta Berlin en avion piloté par une aviatrice fanatique (Hanna Reitsch), pour atterrir à Hambourg. 

— C'est en partie ce que m'a dit Pierre, pensa Gabrielle.

            Pierre Miquel ne fit rien pour contrarier cette hypothèse. Ou peut-être manqua-t-il de temps lui aussi ?... Bien au contraire, il précisa, en gaffant ou pas, qu'il n'y a pas eu de témoins directs de la crémation d'Hitler.

L'extrait d'émission fini, Gabrielle resta prostrée quelques instants, le regard figé sur son écran d'ordinateur. Elle semblait désorientée. Mais toujours à la recherche de la vérité, elle reprit avec force et vigueur ses travaux d'investigations. Elle tapa à présent « achat étendard Hitler ». Elle ouvrit une page du site du journal « Nice Matin14 ». Ce journal parlait d'un brocanteur qui exposait en vitrine un exemplaire, datant de 1937, de « Mein Kampf », le célèbre livre d'Adolf Hitler.

— Facile à se procurer finalement, pensa-t-elle, en référence à l'exemplaire de la vitrine du mausolée qu'elle avait pu observer.

 Elle poursuivit en cliquant sur un autre site au nom évocateur : « Militaria Allemand – Militaria World War II15 ». Ce site proposait à la vente toutes sortes d'authentiques reliques nazies de l'époque du Troisième Reich.

— Qu'est ce que c'est que ce marché aux puces de merde ? lança-t-elle à haute voix, en découvrant la page d'accueil de ce site.

En effet c'était un vrai marché aux puces, mais version Allemagne nazie. Sur un parcours de dix-neuf pages, Gabrielle fut choquée par ce qu'elle voyait défiler sous ses yeux. On pouvait acheter librement des dagues, des casques, des centaines d'insignes aussi bien du parti national-socialiste que militaire, des boucles de ceinture, des drapeaux, des écussons, des casquettes, des cartes postales à la gloire du Führer et du régime... Il y avait même tout un tas d'objets insolites comme un chronomètre à croix gammée, un fez orné d'une tête de mort de la division SS musulmane Handschar, ainsi qu'une bannière de trompette des Hitlerjugend, les jeunesses hitlériennes.

En fermant la dernière page du site qui ne vendait aucune réplique, mais des objets d'époque, elle eut l'idée de pousser un peu plus loin les recherches sur l'étendard du Führer. Etait-il possible de se procurer une telle reproduction ? Elle ne trouva rien en français sur Google. Elle réfléchit un instant.

— Les Etats-Unis, bien sûr, pensa-t-elle. 

Effectivement peut-être qu'aux Etats-Unis où la liberté d'expression est totale, elle trouverait cette marchandise ? Elle tapa alors : « Purchase answers banner to Hitler ». Elle se rendit sur un site de vente de répliques16. Elle fut assez effrayée par ce qu'elle découvrit : un site néo-nazi entièrement dédié à la gloire du Troisième Reich. Avec sans doute un humour typiquement national-socialiste, car il y avait une animation d'un chien Berger Allemand gambadant sur des barbelés. N'importe qui pouvait aisément acquérir toutes sortes de reproductions nazies. C'est sur la page dédiée aux drapeaux, qu'elle trouva le drapeau à croix gammée de l'étendard personnel d'Hitler pour la modique somme de trente-cinq dollars. Ce drapeau n'était pas fixé sur l'ensemble formant l'étendard complet.

En parcourant cette page elle observa qu'un drapeau de l'Italie fasciste était à vendre. Se rappelant que l'extrême droite était très puissante et bien organisée dans ce pays, c'est en toute logique qu'elle ouvrit une nouvelle page de recherche : « acquisto bandiera personale Hitler ». Elle cliqua sur un site17, apparemment encore néo-nazi, où le drapeau personnel d'Hitler était aussi à vendre pour vingt euros. Là encore il ne s'agissait que du drapeau, mais non de l'ensemble de l'étendard.

Elle referma consternée ce site. Ces derniers sites qu'elle venait de parcourir, donnaient raison à Pierre quand il affirmait qu'en quelques clics sur Internet, on pouvait effectivement monter un petit mausolée. Tout ce qu'elle venait de voir, drapeaux, statuettes, médailles, vaisselle, exemplaire de Mein Kampf d'époque… et bien sûr la reproduction du drapeau de l'étendard d'Hitler, Guillaume aurait très bien pu se les procurer pour peaufiner son escroquerie.  

Que penser de toute cette affaire ? Elle regarda sa montre : 2h57. Devait-elle continuer à surfer sur d'autres liens qui parlaient toujours de la même chose ? Il lui restait encore un nom à taper, celui de Rochus Mish, qui était inscrit sur son carnet. 

— J'en ai ma claque, se dit-elle en soufflant copieusement.

Pierre lui avait dit certainement l'essentiel sur ce téléphoniste SS. Il a vu Hitler entouré d'une couverture, porté par des SS à l'extérieur du bunker. Mais il n'a pas assisté à la crémation. Encore un témoin, mais indirect… Elle en avait probablement suffisamment appris sur la mort d'Hitler. A présent, entre l'entretien avec son ami Pierre, et ses lectures sur Internet, les incertitudes la gagnaient de plus en plus.

Elle décida d'aller se coucher. Avant de se retirer, elle s'assura que son fils dormait bien. Elle admira son petit bout de chou, et prit la direction de sa chambre. Assise sur son lit elle brancha son téléphone pour recharger la batterie tout en programmant sa sonnerie sur 6h00. Ce qui lui faisait moins de trois heures de sommeil. Tant pis… Elle voulait se réveiller tôt pour appeler Frédéric Coste, son directeur de rédaction. Gabrielle désirait lui proposer un rendez-vous ce mardi matin dès la première heure et en dehors de la salle de rédaction, pour lui raconter toute cette affaire. Elle se coucha très perturbée. Avant de s'endormir elle repensa à Guillaume. Escroquerie, ou véritable trouvaille ?...

 

 

 

 

 

 

Eric Joubert au siège de la « SEP » dans le neuvième arrondissement, s'employait à résoudre des problèmes de planning. Il jonglait sur deux tableaux informatiques, celui des chantiers programmés et celui des dépannages express. Il devait répartir le travail pour ses quatorze techniciens. Alors qu'il était hypnotisé par l'écran de son ordinateur, il regarda en direction de la porte de son bureau qui venait de s'ouvrir. Il sourit tout de suite à cet intrus qui l'interrompait dans son travail. Guillaume venait lui rendre une petite visite. 

— Ça alors ?! Ghislain ?! Un Ghislain bien matinal dis donc, lança-t-il à Guillaume tout en l'embrassant après s'être levé de son siège. 

— Comment ça va depuis hier soir mon poulet ?

— Impeccable. Je me fais toujours chier avec ces problèmes de planning, mais à part ça, tout va bien. L'activité tourne à plein régime.

— Super… Tiens je nous ai pris des pains au chocolat.

— Ça c'est sympa. Que me vaut l'honneur de cette visite ? T'es tombé du lit ou quoi ? questionna Eric amusé.

Guillaume alla refermer la porte, et s'assit en face d'Eric. 

— Ben non, je suis venu t'apporter tes dix mille de l'aristo, répondit Guillaume à voix basse.

— Des pains au chocolat et dix mille euros… La journée commence bien, dit Eric satisfait en reprenant sa place assise à son bureau. 

— Ainsi que les charges et mon salaire pour le mois d'octobre, continua Guillaume. Et puis tu m'as dit de venir plus souvent pour que tes gars me remarquent, et qu'ils puissent attester en cas de contrôle que je travaille bien ici. 

Guillaume était un employé de la « SEP ». Il avait un contrat de responsable commercial depuis plusieurs années. C'était un emploi fictif à quatre mille deux cents euros bruts, hors primes. Ce « vrai-faux » contrat de travail lui permettait de jouer au bon citoyen, qu'il n'était pas. Guillaume disposait ainsi d'une couverture sociale, il cotisait pour la retraite, il pouvait obtenir des crédits, et payer des impôts sur le revenu sans éveiller des soupçons. En contrepartie il restituait en espèces à Eric les charges patronales que ce dernier versait tous les mois à l'Etat pour le maintenir à ce poste. Le salaire net était récupéré également en espèces par Eric sur la part que Guillaume percevait sur les différentes affaires illégales qu'ils menaient de concert. C'était un petit arrangement entre amis… Guillaume déposa une enveloppe remplie d'espèces sur le bureau d'Eric.

— Merci beaucoup, lui dit Eric en plaçant cette enveloppe dans un tiroir de son bureau, sans en vérifier le contenu.

— Merci de quoi ? C'est bien normal. Je t'ai mis des billets de cent. En ouvrant l'enveloppe de l'aristo pour recompter son pognon, j'ai trouvé de tout comme billets. Il y avait des billets de dix, de vingt, de cent, et de deux cents.

 — Des billets de dix ? Quel clodo cet aristo !

— Tu l'as dit mon poulet !

— Qu'est-ce tu vas foutre aujourd'hui ? demanda Eric.

— Je vais déjà passer trois heures ici, pour commencer… répondit Guillaume légèrement dégoûté. 

— Trois heures !? Un record dis-moi.

— Ben je sais oui, mais tu insistes tellement pour que je passe du temps à la boite.

— C'est plus prudent, on ne sait jamais. Les gars penseront comme ça qu'on est en réunion pour discuter des nouveaux chantiers que tu apportes. Et tu vas faire quoi après cette longue séance de brainstorming ?

Les deux amis rirent en se tapant dans la main.

— Et bien je t'inviterai à déjeuner, et j'irai voir la Geisha après.

— Pour lui remettre ses dix mille…

— Absolument, confirma Guillaume. Et aussi pour lui dire que nous ne sommes pas encore prêts pour le château de l'aristo. Je vais réfléchir à une excuse. 

— On pourrait se le faire ce coup quand même Ghislain. Ce sera une promenade de santé. Tu as un dossier complet non ? Avec tous les plans, les photos… On a le pain et le couteau sur ce coup tu ne trouves pas ?

— Putain Eric, s'il te plaît, on en a déjà parlé hier soir, lui répondit Guillaume blasé. On est sur un coup de quatre briques avec « Paris Match ». Quatre briques ! Alors patiente quelques jours merde... On n'est pas dans le besoin quand même.

— Bon ok, j'arrête de t'emmerder avec ça.

— Mais tu ne m'emmerdes pas. C'est simplement que j'ai l'impression que notre coup avec « Paris Match », tu n'y crois pas beaucoup ? 

— Non c'est pas ça… Mais ce sera compliqué quand même de leur faire avaler une histoire comme ça. Alors que le coup de l'aristo, c'est du fric concret et rapidos.

— Ils vont casquer, fais-moi confiance ! Quel journal refuserait de publier un scoop pareil ? Je te connais Eric, je sais que tu es plus dans l'action que dans la négociation, mais sois raisonnable et temporise.  

— Ok ok. No problemo. Tu as sûrement raison. Je temporise.

— Ben ouais quoi… T'es un chef d'entreprise merde, tu sais ce qu'est la gestion. Parfois on dirait que j'ai affaire à un dingue. Je te proposerais de fraquer le Louvres tu dirais « oui ».

— C'est mon rêve...

— Tu vois, un vrai dingue !

— Bon et qu'est-ce qu'on fait alors ?

— Commence par nous faire du café et mangeons les pains au chocolat, répondit logiquement Guillaume.

— Bon ok, je fais les cafés.

— Et bien voilà… Fais les cafés.

Eric se leva et actionna la cafetière située sur un meuble de rangement.

— Quatre millions d'euros, deux briques chacun, c'est sûr que si ça marche, c'est autre chose que le château de l'aut'con, se persuada  Eric à haute voix. 

— Enfin quatre millions, ou moins… rétorqua Guillaume.

— Comment ça moins ?

— Ben ils vont sûrement négocier le prix. On verra…

— S'ils publient les photos, on aura intérêt à raser les murs après. Tous les services secrets vont vouloir récupérer le cadavre.

— N'oublie pas que dans la deuxième phase on communiquera l'adresse aux journaleux, et nous on se sera envolés. Donc on s'en fout des services secrets. On n'est pas dans un « James Bond » ça va… Et puis il faudrait d'abord qu'ils nous trouvent. On est encore plus secrets qu'eux. Nous sommes de bons citoyens, jamais arrêtés, jamais condamnés, même pas fichés.

— Oui à condition qu'on n'ait jamais été photographiés avec la Geisha, parce que lui il est connu, rétorqua Eric en déposant les cafés sur le bureau.

Il reprit sa place et s'alluma une cigarette. 

— Les flics ont autre chose à foutre que de filer des mecs comme lui, ou comme nous. Avec tous ces attentats et cette guerre contre Daesh, on est peinards. « Charlie », « Bataclan », « Nice », « Gare Lyon-Part-Dieu », « Mucem de Marseille », tous ces attentats c'est une aubaine pour nous, crois-moi. Je te garantis qu'ils n'en ont plus rien à foutre de nous. Tant qu'il y a cette guerre et ces attentats, on a carrément un permis de piller. Regarde aux Etats-Unis, toutes les mafias ont repris de plus belle leurs activités après le 11 septembre.

— C'est vrai ce que tu dis. Tous les efforts ont été concentrés sur Ben Laden et ses amis. Le FBI et la CIA ont lâché la grappe aux mafieux qui en ont bien profité.

— Et chez nous c'est pareil. Tous les gouvernements en France font de la « com ». En arrêtant un terroriste, ou en déjouant une tentative d'attentat, ils font la une de tous les journaux. S'ils coffrent des mecs comme nous, tout le monde s'en branle. On n'en parlerait même pas je suis sûr. 

— Sauf si on volait la Joconde, plaisanta Eric.

— T'arrête jamais toi ! lança Guillaume amusé.

Les deux hommes burent le café tout en savourant leur pain au chocolat.

— Hum, fameux, tu devrais venir me voir plus souvent, marmonna Eric, la bouche pleine. 

— Ben voyons...

Eric reçut un SMS. Il lut le message et y répondit dans la foulée. Il reposa son téléphone tout en faisant une moue de contrariété.

— T'as un problème ? interrogea Guillaume.

— Non, c'était Brigitte. Elle vient de m'annoncer que sa sœur et son mari viendront dîner ce soir. Fait chier ! La journée avait pourtant bien commencé.

— Ça va ils sont sympas, minimisa Guillaume.

— Ouais, mais leurs histoires de Français moyens m'emmerdent prodigieusement. Enfin, ça fera toujours plaisir à Lina de voir sa cousine, se résigna Eric.

— Tiens c'est vrai, avec toutes nos histoires j'ai oublié de te demander comment va ma filleule ?

— Comme une gamine de 14 ans qui ne lâche jamais son téléphone, qui ne s'intéresse qu'à des conneries, et qui veut faire sa loi.

— Il faudra que je passe la voir un peu ma Lina.

— Et bien viens ce soir. Puisque tu les trouves sympas ces cons-là. Ce sera une bonne occasion de les apprécier.

— Désolé mais ce soir je ne peux pas.

— Ah voilà ! Ils sont sympas, mais que pour moi.

— Non c'est pas ça, mais je vois ma copine ce soir.

— Ah j'y crois pas, lança Eric amusé, il emploie encore le mot « copine » à 43 balais. Pourquoi pas « petite amie » aussi, ou « flirt » pendant que tu y es !

— Tu veux que je dise quoi ?

— J'en sais rien moi, « ma femme », « ma compagne » par exemple ! C'est plus sérieux.

— Oui mais justement ça ne l'est pas !

— Ah v'là autre chose. Comme d'hab quoi. Je me demande vraiment quand tu vas te fixer toi ?

— Aux calendes grecques… Je te rappelle que je vis déjà en colocation avec trois chats.

— Ah oui ne les perturbons surtout pas… plaisanta Eric. Et pourquoi ne viendrais-tu pas dîner avec ta copine ? 

— Ah non la galère !

— Tu vois j'avais raison, ils sont sympas, mais que pour moi.

— Mais non je la connais à peine. Je ne vais pas la convier à un dîner de famille quand même… En plus avec ta belle-sœur et ton beau-frère, rajouta Guillaume en riant.

— Tu la sors d'où d'ailleurs ? reprit Eric, après avoir ri lui aussi.

— Qui ça, ma copine ?

— Ben oui…

— D'Internet.

— Internet, sacré Ghislain ! Fais gaffe quand même avec ces sites de rencontres, ne te dévoile pas trop. Ça laisse des traces. On peut te repérer avec ton adresse « IP ».  

— Ne t'inquiète pas. Sur ce genre de sites les flics ne traquent que les pédophiles et les réseaux de prostitution. Et moi je ne cherche que des filles majeures, et bénévoles.

Ces détails amusèrent Eric. 

— Et puis n'oublie pas que je m'appelle Guillaume… 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

6h00, la chanson d'Aretha Franklin, « Son of a preacher man18 », retentit. Elle était programmée comme sonnerie de la fonction « réveil » du téléphone de Gabrielle, posé sur sa table de nuit. C'était une de ses chansons préférées. Mais après seulement trois heures de sommeil, l'écoute de ce classique de la soul n'était pas vraiment bienvenue. Gabrielle se réveilla très péniblement. Elle empoigna son téléphone pour couper la sonnerie, et très courageusement s'assit sur le bord de son lit par crainte de se rendormir. Tout en émergeant elle se rappela vaguement d'avoir rêvé d'Adolf Hitler, mais ignorait précisément dans quelles circonstances. 

Son fils et sa sœur dormaient toujours. Elle se fit un café et prit deux pains au lait rangés dans un placard. Elle s'installa sur la table haute de la cuisine. La prise de ce petit déjeuner lui fit recouvrir progressivement ses esprits. Elle envoya un SMS à Frédéric Coste son Directeur de rédaction : « Bonjour Frédéric. Appelle-moi dès que tu auras lu ce mess. C'est une urgence… Merci. A+ ». Elle opta pour ce moyen de communication plutôt  que de l'appeler directement. Il était encore assez tôt. 

Son petit déjeunerterminé elle se précipita dans sa salle de bain pour y prendre une douche, qui finirait, espérait-elle, par la réveiller totalement. Elle plaça son téléphone sur le rebord du lavabo jouxtant la douche. Elle ne voulait pas rater l'appel de Frédéric. A la suite  de cette douche, Gabrielle s'appliqua une crème régénératrice sur le visage, pour essayer de camoufler son manque de sommeil. Elle se coiffa et se maquilla, sans oublier de se parfumer. Elle conclut cette séance en mettant sa montre, et un bracelet.

Durant toutes ces étapes de toilette et de coquetterie,  elle observa son téléphone par deux fois pour contrôler qu'elle n'avait pas manqué d'appels ou de SMS. Elle se dirigea vers sa chambre avec son téléphone dans la main. Elle se vêtit d'un chemisier et d'un jean, et se chaussa d'une paire de bottes noires qui recouvraient ses mollets. Elle regarda encore une fois son téléphone. 6h53, toujours rien…

— Mais qu'est-ce qu'il fout ! proféra-t-elle.

Elle alla voir le petit Lucas qui entre temps s'était réveillé. Il regardait le plafond de sa chambre les yeux encore plein de sommeil. Sa maman le prit dans ses bras pour le cajoler et finir de le réveiller en douceur.

— Alors mon petit chéri tu as fait de beaux rêves ? lui demanda-t-elle en l'embrassant. Pas comme maman j'espère…

 Sur ces entrefaites Emma rentra dans la chambre.

— Bonjour tous les deux, dit Emma, en embrassant Gabrielle sur une joue, et Lucas sur le front. Quelle merveille ! s'exclama-t-elle en regardant son neveu.

— Bonjour, répondit Gabrielle.

— Tu es déjà prête, constata Emma. Encore une urgence ?

— Toujours la même, répondit Gabrielle.  

Le téléphone de Gabrielle sonna enfin.

— Ah quand même ! Tiens tu peux prendre Lucas s'il te plait ?

Emma le prit dans ses bras. Gabrielle sortit son téléphone de la poche arrière droite de son pantalon, et décrocha avec empressement après avoir constaté rassurée que l'appel venait de Frédéric.

— Ah bonjour Frédéric, je m'impatientais, lâcha-t-elle soulagée.

— Bonjour Gaby, désolé je ne viens de lire ton message que maintenant, s'excusa Frédéric. Que se passe-t-il ? Rien de grave j'espère ? demanda-t-il inquiet.

— Non tout va bien, rassure-toi. 

— C'est quoi cette urgence alors ?

— Ce serait trop long à t'expliquer au téléphone. Il faut que je te voie rapidement pour te parler d'une affaire.

— Bien sûr. Mais je ne comprends pas ta précipitation et ton message. Je te rappelle qu'on est censés se voir dans une heure à la rédac.

— Non pas à la rédac justement. Il faut que je t'entretienne en tête à tête.

— Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu n'as plus confiance dans tes collègues ?

— Non c'est simplement pour te parler tranquillement, sans être dérangés toutes les cinq minutes. Et puis oui c'est vrai je recherche une certaine discrétion aussi.

— Tu es bien mystérieuse dis-moi.

— C'est une affaire délicate et surprenante.

— T'es sur un scoop ?

— Peut-être ?... 

— National ou international ?

— International.

— Politique ou people ?

— Historique, répondit Gabrielle en soufflant discrètement d'exaspération.  

— Quelle période ? poursuivit Frédéric. 

— Excuse-moi Frédéric, mais tu ne préfères pas qu'on en parle dans un endroit discret, plutôt que de passer une heure au téléphone ? proposa Gabrielle agacée par toutes ces questions.

— Oui mais où ça ? accepta sans hésiter Frédéric qui savait que Gabrielle n'était pas le genre de femme à le solliciter sans raison.

— Dans un café, ce serait bien.

— A cette heure là on ne trouvera pas de café discret.

— Merde c'est vrai. Attends une seconde s'il te plait.

Elle boucha de sa main le micro de son téléphone, et se tourna vers Emma.

— Ça t'ennuie si Frédéric vient ici une heure pour discuter ? demanda à voix basse Gabrielle à sa sœur. 

— Non pas de problème. Mais quand ?

— Tout de suite.

— Mais je ne suis pas prête, opposa Emma.

— On s'en fout, c'est moi qu'il vient voir.

— Ok, je resterai dans la chambre avec le petit.

— Bon si tu veux, acquiesça Gabrielle en levant les yeux au ciel. 

— Ben oui quoi, je ne vais pas le recevoir en culotte tout de même, protesta Emma.

Gabrielle reprit la conversation avec Frédéric.

— Oui excuse-moi Frédéric. Et si tu venais chez moi ?... Ce serait beaucoup plus simple.

— Si tu veux, ce sera peut-être mieux pour la discrétion.

— Et ensuite de chez moi on se rendra au journal à pied.

— C'est d'accord. C'est quoi ton code déjà ?

— La porte extérieure est ouverte dans la journée. Tu as l'interphone sur celle de l'entrée ensuite. 

— Bon et bien j'arrive dans une vingtaine de minutes.

— Super je t'attends.

— Je me demande vraiment de quoi il peut s'agir pour que tu fasses preuve d'autant de prudence.

— Tu verras bien Frédéric.

— Bon je pars, à tout de suite…

— A tout de suite, dit Gabrielle en raccrochant.

— Quand même Gabrielle tu as pété les plombs ou quoi ? questionna Emma contrariée. Je ne vais pas le recevoir comme ça allons. Tu as l'air surprise que je veuille rester dans ma chambre. Depuis hier soir tu es un peu chamboulée. Il faudrait que tu souffles un peu.

— Je sais, mais on doit prendre une décision très rapidement.

— Prends-la vite alors, et passe à autre chose.

— Allez viens voir maman, dis Gabrielle en reprenant son fils dans les bras. Je vais lui préparer à manger. Quand Frédéric arrivera je te le confierai à nouveau pour pouvoir discuter tranquille.

— Ok, je prendrai mon petit déj quand vous serez partis.

Gabrielle amena son fils dans la cuisine pour lui préparer son petit déjeuner. En bonne sœur aînée elle prépara également du café pour Emma, ainsi que deux tartines de pain grillé beurrées. Elle accompagna Lucas dans la chambre d'Emma, avec les collations pour les deux, posées sur un plateau.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Frédéric sonna à l'interphone de Gabrielle. C'était un homme de cinquante-quatre  ans, assez dégarni. Il portait une sacoche informatique. Gabrielle lui ouvrit la porte d'entrée. Après les bonjours protocolaires, elle lui demanda de la suivre dans la cuisine pour lui offrir un café. Les deux s'installèrent, face à face sur les tabourets de la table haute, sur laquelle Gabrielle avait disposé son ordinateur portable.

— J'ai prévenu le journal qu'on serait un peu en retard, prévint Frédéric. 

— Tu as bien fait. J'ai à te parler une bonne heure.

— Ok Gaby, que se passe-t-il ?

— Je te préviens c'est vraiment une drôle d'histoire…

— Raconte-moi, lui demanda Frédéric.

Gabrielle mit son téléphone en mode silencieux et commença son récit. Comme pour Pierre elle s'efforçât de n'oublier aucun détail. Habituellement Frédéric coupait souvent la parole de son interlocuteur, pour lui poser des questions, et le forcer à en dévoiler davantage. Ce que lui relatait Gabrielle lui semblait si surprenant, qu'il ne pipait mot, et l'écouta jusqu'à la fin. 

— Ça ne tient pas debout cette histoire Gaby. Ta source pue l'escroquerie. Je suis sûr que ce Guillaume a tout bidonné. Un mausolée à la gloire d'Hitler, enfin… L'esprit tordu qu'il faut avoir pour imaginer un truc pareil. C'est complètement fou. Et puis la somme… quatre millions ! Non mais tu te rends compte ? lui demanda Frédéric choqué.

— S'il te plait pas de conclusions hâtives. Je ne me suis pas contentée d'écouter et de croire cet homme. J'ai couru chez Pierre Levars tout de suite après…

— Ton ami historien ?

— Oui tout à fait. Pendant plus d'une heure il m'a expliqué les doutes, historiques, concernant la fin d'Hitler, et donc un certain mystère sur ce qu'a pu advenir de son cadavre.

— Tu lui as déjà tout raconté ? demanda Frédéric insatisfait.

— Ben oui, répondit en toute logique Gabrielle.

— Avant moi ?

— J'avais besoin d'explications historiques. Qui mieux que Pierre Levars aurait pu me les fournir ? Il fallait que j'approfondisse le sujet avant de t'en parler histoire de gagner du temps, rétorqua Gabrielle pour sa défense.

— Mais enfin il n'y a pas besoin d'explications historiques sur ça ! Il s'est suicidé le 30 avril 1945, ensuite ils l'ont brûlé, end of the story !

— Ce n'est pas si simple que ça, d'après Pierre.

— Et que t'a-t-il raconté alors ?

Gabrielle durant plusieurs minutes exposa toutes les différentes théories sur la mort d'Hitler. Elle lui montra ensuite, à l'aide de son ordinateur, les différents sites traitant de la mort d'Hitler, qu'elle avait parcourus durant une bonne partie de la nuit. Frédéric qui doutait de la véracité de cette affaire, regarda néanmoins avec attention les sites. Elle lui résuma le documentaire sur l'éventuelle fuite en sous-marin du dictateur, et le débat de l'émission « Ciel mon mardi » de 1989.

— Et Jacques Robert, imminent journaliste, un modèle pour beaucoup d'entre nous, prétendait en 1989 qu'Hitler s'était évadé ? interrompit Frédéric.  

— Absolument. Et puis comme tu viens de le voir, il y a cette affaire du faux crâne que des confrères ont relatée, Staline qui affirme qu'Hitler se serait échappé en Amérique du Sud, le FBI qui enquête pendant dix ans, le sosie d'Hitler que l'on expose à la va-vite, les Soviétiques qui changent plusieurs fois les restes du cadavre de place dans la partie de Berlin qu'ils occupaient, sans jamais les faire parvenir à Moscou… Tu avoueras quand même qu'il y a de quoi douter un petit peu.

— Tu as très bien hiérarchisé les infos, félicitations. Effectivement il faut prendre en compte tous ces paramètres. Même s'ils sortent du cadre historique traditionnel.

— Ou justement, parce qu'ils sortent du cadre historique traditionnel, insista Gabrielle. 

— En effet Gaby, en effet. J'ai conclu trop vite. Levars, quel est son avis sur la question ? 

— Selon lui Hitler s'est bien suicidé le 30 avril 1945, mais le corps a disparu.

— Et ce Guillaume prétend l'avoir retrouvé…

— Ben oui…

— Par hasard dans une cave en voulant dérober des antiquités ?

— Par hasard oui, reprit Gabrielle.

— Mais Levars ne croit tout de même pas à cette histoire de mausolée ?

— Il a exprimé : « une très très faible éventualité ».

— J'ai peur que ton scoop soit un « Stern » bis. Tu te souviens de cette affaire des faux carnets d'Hitler ? 

— Bien sûr. Surtout qu'en plus comme me l'a suggéré Pierre, en  quelques clics et avec quelques centaines d'euros, tout le monde peut se faire un petit mausolée. Tiens regarde…

Elle lui ouvrit à présent les sites d'achat de reliques et de reproduction d'objets du Troisième Reich, sur lesquels elle s'était penchée. 

— Putain quelle horreur, j'hallucine ! s'exclama Frédéric en découvrant les différentes pages que Gabrielle ouvrait. Je savais qu'on pouvait acheter ce genre d'horreurs, mais je n'avais jamais approfondi la chose. Je constate que ces nazis sont toujours aussi bien organisés. Décidément tu as exploré toutes les pistes.  

— Qui ont de quoi nous désorienter Frédéric, dit Gabrielle en refermant la dernière page.

— Tu m'étonnes… Mais tu n'as pas dormi alors cette nuit ?

— Trois petites heures…

— Bravo, toujours à fond notre Gaby ! constata Frédéric avec enthousiasme.  Bon, et bien tu m'as parfaitement expliqué et résumé la situation. Et toi, quel est ton avis, sincèrement, en excluant tes propres incertitudes ?

— Je suis complètement paumée Frédéric. Ce qui m'intrigue le plus, même si c'est facile de ressembler à Hitler, c'est l'expression du visage sur la photo. Cela faisait réellement cadavre embaumé. C'était vraiment bluffant.

Frédéric orienta l'ordinateur vers lui et tapa sur le clavier : « Lénine embaumé image ». Une série de photos étaient en ligne sur Google. Il en choisit une, significative.

— Comme ce bon vieux Lénine ? demanda Frédéric en déplaçant l'ordinateur vers Gabrielle pour lui montrer la photo.

 

                       

 

— Oh merde c'est tout à fait ça ! s'écria Gabrielle. Il n'avait plus rien d'humain, il sentait la mort comme lui. Je n'avais pas pensé à le comparer avec celui de Lénine.

— Tiens regarde il y en a d'autres, dit Frédéric en faisant défiler la page. Ah je n'y crois pas, ils ont même embaumé le dictateur Marcos, n'importe quoi…

— Ce Lénine me fait douter encore plus. Cela devient insupportable.

— Oui surtout que je ne partage pas vraiment ton avis sur la facilité avec laquelle on pourrait ressembler à Hitler. Regarde dans certains films, il y a eu de très mauvais sosies.

— Hormis l'acteur allemand qui l'incarnait dans « la Chute ».

— C'est vrai, celui là était saisissant de ressemblance. Fais voir d'ailleurs…

Frédéric reprit l'ordinateur et chercha toujours sur la page « image » de Google, « Hitler la chute ». Il regarda les photos.

— Ah oui, effectivement c'est remarquable. Tiens regarde, demanda-t-il à Gabrielle en orientant à nouveau l'ordinateur vers elle.

— Impressionnant… dit-elle.

— Alors qu'en revanche Robert Carlyle dans son rôle sur l'ascension d'Hitler, n'était pas si ressemblant que ça, malgré une très bonne interprétation du personnage. 

Gabrielle tapa sur le clavier « Robert Carlyle Hitler ».

— Oui en effet il y a quelque chose qui ne va pas. Cela saute aux yeux tout de suite, lâcha-t-elle en observant les photos.

— Celui qui joue Hitler dans « Walkyrie », le film avec Tom Cruise, la ressemblance n'était vraiment pas terrible.

— Tu as raison. De même que le Hitler de « Inglorious Bastard », pas très ressemblant non plus. En définitive ce n'est peut-être pas si simple que ça de se grimer en Hitler. Moi aussi tu vois je conclus parfois un trop vite. Je sais que je me répète, mais le Hitler de Guillaume était impressionnant de vérité. 

— C'est pour ça que je veux voir les photos de cet Hitler embaumé, et rencontrer ce Guillaume. Les yeux dans les yeux je saurai à qui j'ai à faire.

— Mais il est très méfiant, objecta Gabrielle.

— Normal comme tous les voleurs. Le cadavre d'Hitler, embaumé dans un mausolée, et découvert par un pilleur de château, lança-t-il… C'est dramatique, surréaliste, et tellement farfelu… Ça ferait peut-être un bon sujet…

— Que fait-on alors ?

— Deux millions pour les photos, deux autres pour nous accompagner sur place, total quatre millions d'euros ! Cette demande est bien trop excessive ! s'exclama Frédéric.

— Le « Stern » avait déboursé environ dix millions d'euros actuels.

— Justement, que cela serve d'exemple à tous les journalistes. Soyons toujours vigilants avec nos sources. Si tout cela est vrai, c'est nous qui devrions  photographier ce mausolée, et non pas acheter les photos à n'importe qui. De plus on le rémunérerait comment ? Certainement pas en salaire.

— Il voudra sûrement du cash en plus.

— Ben voyons…    

— J'ai oublié de te dire que si nous refusons sa proposition, il n'hésiterait pas à contacter des journaux étrangers, précisa Gabrielle. Il m'a parlé du « Time Magazine » d'ailleurs.

— Ah !... Merde ! Les anglo-saxons auraient peut-être moins de scrupules que nous ? Sans compter tous ces mauvais tabloïds anglais. C'est embêtant tout ça. Mais quatre millions on ne peut pas.

— C'est deux millions dans un premier temps, uniquement pour lui acheter ses photos, rappela Gabrielle.

— Et si on ne le revoit plus après le premier versement ? On aura l'air de quoi si c'est un escroc ?

— Si c'est un escroc, c'est un champion. Passe encore le décorum du mausolée, mais le cadavre en lui-même, c'est à se casser le nez. Sans compter l'idée du thème de l'escroquerie…

— C'est peut-être un escroc de génie… Mais cela ne mérite pas quatre millions en guise de médaille pour la meilleure idée d'arnaque de l'année, ironisa Frédéric. Tu me sembles de plus en plus convaincue. Tu m'inquiètes…

— Je te l'ai déjà dit, je suis perdue au sujet de cette affaire, et de toutes ces contradictions historiques. Je manque en plus considérablement de recul.

— Et si c'était tout bêtement un canular pour prouver jusqu'où les journalistes sont capables d'aller pour publier un scoop ?

— Je ne l'ai pas du tout ressenti comme un plaisantin ce Guillaume, mais plutôt comme un homme qui n'est intéressé que par l'argent. Je dois te dire que bien qu'il soit charmant, il a du mal à dissimuler des manières et un vocabulaire de truand. Il se donne une apparence assez BCBG en jouant sur son physique, mais il ne vient pas du sérail, ça c'est sûr. 

— J'ai confiance en ta perception féminine des hommes, confia Frédéric. Tu crois qu'il pourrait s'avérer dangereux ?

— Je ne crois pas. Sincèrement je ne connais pas du tout le milieu des pilleurs de château. Je demanderai à ma copine Sandrine, tu sais celle qui est aux stups. Elle pourra peut-être me renseigner ?... Une visite exceptionnelle à la police s'impose.

— Tu as des contacts dans tous les milieux décidément.

— Ça aide dans notre métier…        

— Il doit te contacter vendredi c'est ça ?

— Oui vendredi.

— Cela nous laisse le temps de réfléchir à une contre-proposition.

— Une contre-proposition ?

— Oui. On baisse la somme initiale, et on lui promet le solde plus tard.

— Je ne comprends plus Frédéric, si on baisse la somme, cela signifie qu'on lui achète alors ?

— Oui éventuellement, il faut encore en discuter.

— Mais si on les achète c'est pour les publier ? s'étonna Gabrielle.

— Pas forcément, on prendra d'autres avis. Mais on peut parvenir à le bloquer comme ça, et ainsi gagner du temps.

— Le bloquer dans quelle mesure ?

— Il croira que l'on va publier ses photos, et n'ira pas les proposer à d'autres confrères à l'étranger. Cela nous laissera le temps de nous renseigner sur ce gars, et d'investiguer plus sur ce prétendu mausolée. De toute façon c'est de l'info froide, on a le temps.

Frédéric décela une grande interrogation chez Gabrielle. Elle avait du mal à saisir le plan de son directeur de rédaction. Il alla jusqu'au bout de sa pensée.

— Comprends Gaby, on lui achète ses photos par exemple deux cent mille euros, en lui faisant miroiter le reste après publication. Lui, comme il attend le solde de la transaction, il sera donc dans l'impossibilité de les vendre ailleurs, sinon pas de solde. Voilà l'idée.

— Mais pourquoi ne chercherait-il pas à les vendre à d'autres ? C'est un voyou Frédéric enfin ! s'offusqua Gabrielle. Il s'en balance que tel ou tel journal ait le scoop. Ce qu'il désire c'est de ramasser le plus d'argent avec son histoire. D'ailleurs rien ne nous prouve qu'il ne les ait pas déjà vendues. Si on lui achète les photos c'est pour les publier, et rapidement pour ne pas être pris de court par d'autres.

Frédéric restait songeur. Effectivement il ne fallait pas perdre l'idée que Guillaume était un truand. Il ne méritait donc pas la moindre confiance.

— Tu as sans doute raison Gaby. C'est peut-être pour cela qu'il est aussi pressé, et qu'il ne t'a donné que quatre jours pour accepter son marché.

— Eh oui Frédéric ! Ce coup-ci nous n'avons pas à négocier avec un paparazzi connu. Imaginons un seul instant que cette histoire soit vraie. On passerait à côté du scoop du siècle peut-être ? Quel ratage ! Et si les photos nous appartiennent par la suite, pense un peu à la revente en termes de droit de diffusion, sans compter la notoriété de « Match » à travers le monde.

Frédéric silencieux, réfléchissait de nouveau. Il analysait les propos de Gabrielle, non dénués de sens. Mais en tant que directeur de la rédaction, il devait trancher.

— Bon écoute Gaby, toutes les infos que tu as regroupées sont excellentes et je reconnais bien là ton sens de la précision. Je te félicite aussi pour m'avoir convié à cette entrevue matinale confidentielle, mais maintenant il va falloir décider. C'est pour cette raison que nous allons exposer à présent tout ça au comité de rédac, pour que les collègues nous donnent leurs avis. Tu leur raconteras tout ce que tu viens de me dire, et tu mettras en avant tous ces sites Internet, comme si tu faisais une mini visioconférence. Tu vas demander aussi à ton ami Levars d'y participer en tant qu'expert historique. Nous consultons habituellement Philippe Richardot, mais comme Levars est déjà au courant, inutile d'ébruiter davantage cette affaire. Il pourra se libérer tu penses ?

— Sans problèmes, il sera ravi. Il pourrait parler de ce sujet pendant des heures face à un mur, plaisanta Gabrielle.

— J'espère qu'il sera concis tout de même, s'inquiéta Frédéric.  

— Rassure-toi, je le brieferai en amont.

— Bon très bien. On va partir au journal, et je vais organiser cette réunion pour cet après midi, disons 15h00.  Cela nous ne pénalisera pas trop pour le bouclage du numéro de jeudi, quitte à redoubler de travail demain matin.

— Ok, let's go ! lança Gabrielle en refermant son ordinateur.  

— Ah j'oubliais, s'écria Frédéric, pense aussi à appeler ta copine qui bosse aux stups. Elle pourra éventuellement te renseigner sur ces pilleurs de châteaux, au sujet de leur process, de leur mentalité et surtout de leur dangerosité.

— Je l'appellerai au journal.

— Super. En route !  Je me demande ce que vont penser les collègues de ton histoire ? s'interrogea Frédéric à voix haute.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Guillaume et Eric terminèrent leur déjeuner dans un restaurant chinois du neuvième arrondissement, non loin de la « SEP ». Après avoir réglé l'addition à la caisse, Guillaume rejoignit son ami qui fumait une cigarette à l'extérieur devant le restaurant. Ils discutèrent encore une fois de « Paris Match » et du mausolée d'Hitler. Les deux hommes se séparèrent après s'être embrassés amicalement. Eric retourna à pied travailler et Guillaume monta dans son 4x4 pour se rendre au domicile de la Geisha, boulevard des Invalides dans le septième arrondissement.

Durant cette traversée Nord-Centre de Paris, Guillaume se remémora sa rencontre avec monsieur Gyokusho Yamaguchi, surnommé la Geisha. Il rencontra ce Japonais en septembre 2000, dans une galerie d'antiquités, Guillaume s'essayant à la vente d'art africain. Gyokusho remarqua Guillaume, et émit le désir de lui parler. Leur première conversation eut lieu sur le trottoir à quelques mètres de cette galerie.

— Jeune homme, vous vous trompez complètement de cible d'acheteurs pour vendre vos objets, lança Gyokusho dans un français parfait teinté d'un léger accent japonais.

— Je sais bien monsieur que c'est un peu une cause perdue, mais les bonnes cibles ne sont pas intéressées non plus. De toute façon c'était ma dernière démarche commerciale. Personne ne veut acheter d'art africain visiblement, dit Guillaume blasé.

— Non, il y a des amateurs de cet art je vous assure. Montrez-moi un peu votre catalogue s'il vous plait.

— Tenez, vous pouvez même le garder car je vais tous les mettre à la poubelle. Vous aurez un collector comme ça.

 Gyokusho feuilleta rapidement le catalogue que venait de lui donner Guillaume.

— Ah jeune homme, même si ce Massengo à visiblement du talent vous ne pourrez pas gagner beaucoup d'argent avec ça. Combien peut coûter ce masque par exemple ? questionna Gyokusho en montrant une photo du catalogue à Guillaume.

— Six mille cinq cents francs (environ neuf cent quatre vingt dix euros), répondit sans réfléchir Guillaume.

— Allons allons mon jeune ami, un amateur digne de ce nom connaît les prix. Vous êtes allé en Afrique ?

— Oui je reviens du Congo.

— Vous aimez les voyages alors ?

— J'adore.

— C'est très bien un jeune homme qui a le goût de la découverte, de l'aventure. Mais je reste persuadé que vos tarifs sont très excessifs.

— Mais ce sont des pièces uniques, rétorqua Guillaume.

— Ce n'est pas du bronze, il n'y pas de perles, ce n'est pas non plus une statuette « Fang », et encore moins une fameuse tête en terre cuite « Nok ». Vos œuvres sont trop récentes pour espérer les vendre à de tels prix exorbitants.

Guillaume s'étonna de la connaissance de l'art africain que semblait avoir cet Asiatique.

— Vous êtes dans le milieu de l'art africain monsieur ? demanda timidement Guillaume.

— Dans le milieu de l'art en général. J'ai quelques notions d'art africain, mais sans plus. Je sais surtout que c'est le mobilier de l'époque coloniale qui rapporte de l'argent.

— Oui mais là je n'ai pas ça en catalogue.

— Et tout le reste vous l'avez alors ?

La question directe de Gyokusho embarrassa Guillaume.

— Euh… Disons que je peux l'avoir avec un certain délai, répondit Guillaume. 

— Après qu'on vous ait versé un acompte bien évidemment ? demanda ironiquement Gyokusho.

— Bien évidemment.

— Et en liquide bien évidemment ?

— De préférence…

Guillaume sentit que son interlocuteur avait saisi l'arnaque.

— Votre combine est vieille comme le monde. Vous m'amusez beaucoup jeune homme.

— Mais… Je vous assure que…

— Allons mon jeune ami, pas à moi, interrompit Gyokusho. Un acompte, et puis vous disparaissez. Mais ne vous inquiétez pas, je ne suis pas une balance. Nous sommes entre gens de bonne compagnie.

Guillaume ne chercha pas à plaider son honnêteté, Gyokusho l'avait démasqué.    

— En dehors de jouer les apprentis escrocs, vous vous intéressez vraiment à l'art vous aussi ? demanda Gyokusho

— Oui depuis tout jeune. J'ai même un diplôme en Histoire de l'Art mentit Guillaume pour se faire valoir.

— Tiens donc, j'ai suivi moi aussi des cours d'Histoire de l'Art.

— En Chine ?

 Gyokusho éclata de rire.

— Mais je ne suis pas Chinois, je suis Japonais. D'ailleurs je me présente, Je m'appelle Gyokusho Yamaguchi, annonça-t-il à Guillaume en lui tendant la main droite. Mes amis me surnomment la Geisha.

L'annonce de ce surnom étonna et perturba Guillaume. 

— Enchanté monsieur Yama… geisha ?... hésita Guillaume.

— Yamaguchi, reprit Gyokusho. 

— Ah voila, monsieur Yamaguchi. Moi c'est Ghislain Gagligani, dit Guillaume en lui serrant la main. 

— Vous êtes Italien ? demanda Gyokusho.

— D'origine, précisa Guillaume.

— Je parle aussi couramment italien.

— Et bien dites donc, français, italien. D'autres langues aussi peut-être ?

— Anglais aussi couramment, et je pratique un peu le hollandais.

— Mais vous êtes qui monsieur en définitive ? Vous faites quoi dans la vie ?  interrogea Guillaume intrigué par ce personnage rocambolesque qui l'avait percé à jour.

— Je suis celui qui peut vous proposer beaucoup mieux que vos plans douteux. Vous avez quelques minutes ?

— J'ai même quelques heures monsieur Yamaguchi. Vous venez d'assister en direct à ma dernière tentative de vente. Je n'ai même plus de projets.

— Il ne faut pas dire cela jeune Ghislain.  L'échec est la voie du succès, chaque erreur nous apprend quelque chose.Même les singes tombent des arbres.Parfois il suffit d'une bonne rencontre au bon moment. J'ai eu cette chance à plusieurs reprises dans ma jeunesse.

Gyokusho Yamaguchi naquit à Okayama au Japon en 1947. Son père était passionné d'art. Il appela son premier fils Gyokusho, en hommage au peintre japonais, Gyokusho Kawabata, dont il admirait l'œuvre. En 1965 Gyokusho se rendit avec son père à Kurashiki, petite ville de cinq cents mille habitants. La célébration des trente-cinq ans du Musée d'Art Ōhara de Kurashiki, fut le prétexte à la visite de ce musée où les Japonais pouvaient contempler la première collection d'art occidental de leur pays. Le jeune Gyokusho se trouva transcendé devant le « Waterlilies » de Claude Monet, et des œuvres de Gauguin, Matisse, ou encore d'El Greco. Cette découverte de la peinture occidentale et de l'impressionnisme fut une révélation. Sans pratiquement rien connaître de la France, il tomba amoureux de ce pays.

Gyokusho s'inscrivit à l'Université Waseda de Tokyo en 1966, pour y suivre un cycle de langues occidentales. Ce qui motiva son choix pour l'Université à Tokyo, alors qu'il aurait pu s'inscrire à celle d'Osaka plus proche de ses parents et moins coûteuse pour eux, c'est qu'à Tokyo se trouvait l'Institut Franco-japonais. Très doué pour l'apprentissage des langues françaises et anglaises, il s'inscrivit par la suite aux cours d'italien. Sa première année fut perturbée par le blocage de l'Université due à des revendications étudiantes.

En 1967 lors de la biennale de Tokyo, il fit la connaissance du sculpteur Kanō Minoru. Après quelques entrevues, ce dernier voulu aider Gyokusho qui cherchait un stage. Par le biais des connaissances de Kanō, Gyokusho entra comme stagiaire à la Galerie d'Art Yoshii de Tokyo. C'est donc en 1967 que  Gyokusho commença sa carrière professionnelle dans l'art.

Comme la plupart des japonais, Gyokusho était un forcené du travail. Il suivait des cours pour l'apprentissage de trois langues, ainsi que des cours d'Art à l'Université. Il fréquentait assidûment l'Institut franco-japonais où il découvrait les classiques cinématographiques français, et passait plusieurs heures par semaine à travailler à la Galerie d'Art Yoshii. Il profitait du peu de temps libre dont il disposait, pour lire Sartre, qui avait fait une tournée japonaise en 1966, « l'Etranger » de Camus, et le « Petit Prince » de Saint-Exupéry. Il connaissait presque par cœur les chansons de Brel, Piaf, Montand, Aznavour, ou encore Mireille Matthieu. Passionné d'art et de culture française, son rêve était de vivre à Paris.

En 1972, alors jeune diplômé, il accepta avec enthousiasme de partir vivre à Paris, afin de devenir l'assistant du directeur de la galerie d'Art Yoshii, qui ouvrait ses portes dans la capitale française. En 1973, au Symposium de Sénart, en Seine et Marne, il retrouva son ami le sculpteur Kanō Minoru, installé lui aussi en France. Il fit la connaissance à Paris d'un autre artiste japonais amoureux de la France, le peintre Akira Tonaka. En fréquentant ces deux artistes, tout en travaillant à la Galerie, il développa très vite son carnet d'adresses. Il connaissait en quelques mois tout le gratin du marché de l'art parisien, japonais, et même international.

Plus tard il commença à servir d'intermédiaire à de riches japonais, pour négocier en leur nom, des œuvres lors de ventes privées, ou d'enchères publiques. Il encaissait des commissions occultes sur chaque opération qu'il menait pour ses différents clients. Il démissionna de la Galerie Yoshii en 1980 pour fonder la sienne, la Galerie Okayama, toujours à Paris. Il continua aussi à jouer les intermédiaires. Il gagnait beaucoup d'argent avec ces deux activités. Mais cela ne suffisait pas à assurer un train de vie auquel il prétendait. Au contact de ce milieu parisien des quartiers chics, il était devenu amateur de vêtements et de montres de luxe, de repas dans les grands restaurants, de dégustation de grands vins, de sorties nocturnes coûteuses… De plus, il s'était mis à fréquenter les cercles de jeux parisiens, et ne détestait pas non plus les casinos de Deauville, et d'Enghien-les-Bains.

C'est en 1982 qu'il bascula dans le marché noir de l'art. Lors d'une soirée aux « Bains Douches », la boite de nuit parisienne très branchée de l'époque, il rencontra au hasard d'un verre, un truand d'une trentaine d'années surnommé Dédé « Pied de biche ». Ce dernier apprit à  Gyokusho qu'il était en possession de deux pistolets de Conquistadors espagnols du quinzième siècle, mais sans certificat légal de vente. Gyokusho comprit tout de suite qu'il s'agissait de pistolets volés. Sans s'offusquer par la révélation de Dédé, il lui proposa une rencontre dès le lendemain pour découvrir ses armes. Gyokusho connaissait un Japonais collectionneur d'armes anciennes qui serait ravi d'en faire l'acquisition, même illégalement.

La rencontre Gyokusho et Dédé, c'était un peu le Ying et le Yang, deux oppositions qui finiraient par se compléter. Dédé était très costaud à la mine de voyou. Il ne prononçait pas une phrase sans grossièreté ou argot très « banlieue rouge ». Gyokusho était mince, très sophistiqué, toujours très bien coiffé, très parfumé, et parlant un français des plus châtiés.  Il portait fréquemment des lavallières autour de ses cols de chemise. Ses doigts étaient encombrés par de grosses bagues tendance Cardinal. C'était un vrai dandy, même si pour Dédé, Gyokusho paraissait plus efféminé que dandy. D'ailleurs il ne faisait guère la distinction entre les deux mots. Après plusieurs semaines de fréquentation mutuelle, Dédé surnomma Gyokusho, « la Geisha », en raison de ses origines japonaises, de son allure, et de ses manières. Gyokusho en rit lorsque ce surnom parvint à ses oreilles, et l'accepta sans s'en offusquer.

Dédé et sa bande volaient des antiquités un peu partout en France. Gyokusho revendait les butins à divers collectionneurs et amateurs, français, japonais, italiens, monégasques, américains... Sa galerie lui servait de couverture et de relais. Gyokusho indiquait très souvent à Dédé où se trouvaient des pièces intéressantes à dérober. Il lui interdisait cependant de cambrioler des galeries d'art. Il ne voulait pas que des amis à lui soient victimes de ces méfaits. Il ne voulait pas non plus de violences ou de menaces. C'était son « code Bushido », du trafiquant d'art. L'association du Ying et du Yang formaient donc une redoutable bande de trafiquants d'art internationaux très bien organisée. 

De 1982 à 2001, Gyokusho fut interrogé sept fois par la police, aussi bien dans sa galerie, qu'au commissariat sur convocation. A chaque fois les policiers lui posèrent des questions sur des œuvres volées qui seraient susceptibles d'être revendues. En 1992, alors que Dédé était en garde à vue pour tentative de cambriolage, ils lui montrèrent aussi des photos où on le voyait rire avec Dédé attablé dans une grande brasserie parisienne, autour d'un immense plateau de fruits de mer. Ils voulaient savoir quel était le degré de relation qu'il entretenait avec leur prisonnier. Gyokusho signala aux policiers qu'il trouvait leur attitude fort déplaisante. Il se retrouvait presque suspecté de complicité, alors qu'il s'était rendu avec ponctualité à leur convocation, et en toute innocence bien entendu. Son honneur de japonais étant en jeu, il décida de biaiser par l'humour.  

— Vous complotez quoi avec ce type ? Il n'est pas collectionneur pourtant ? demanda brutalement un policier à Gyokusho.

— Si, de coquillages apparemment, répondit Gyokusho en montrant du doigt la photo. 

— On le soupçonne d'être une sorte de pilleur de château, de trafiquant d'œuvres d'art, relança un autre policier.

— Mais ces coquillages m'ont l'air authentiques, monsieur l'inspecteur. Il n'a donc pas volé « Nature morte aux coquillages et au corail » de Jacques Linard. Appelez mon ami Michal Hornstein et il vous confirmera certainement être toujours en possession de ce chef d'œuvre.

Les policiers qui ne comprirent rien aux références artistiques, ni à l'humour de Gyokusho, jugèrent qu'ils perdaient leur temps, et mirent fin à cet entretien complètement surréaliste. Dédé ne balança pas Gyokusho, et fit six mois de prison. Gyokusho demeura tout de même dans la ligne de mire des policiers. Après la libération de Dédé, les deux hommes firent preuve de plus de prudence. Dédé « pied de biche » mourut dans un accident de moto en 1996. Gyokusho continua à organiser le trafic avec un membre de la bande de Dédé. 

Gyokusho Yamaguchi, alias la Geisha, ce dandy trafiquant d'art, invita Guillaume à prendre un verre pour faire plus ample connaissance. La conversation amorcée sur le trottoir, se poursuivit dans un café.

— Que font vos parents dans la vie jeune homme ?

— Mon père est retraité de la SNCF, et ma mère est prof de maths au lycée. 

— Très bien. Dites-moi, si vous revenez d'Afrique, votre passeport est donc toujours valable ? demanda la Geisha.

— Absolument.

— Et vous parlez anglais ?

— Pas couramment mais je me défends.

— Cela vous tenterait un voyage au Japon ?

Guillaume se demandait ce que cachait cette proposition. Il hésita un instant avant de lui répondre. Il cherchait ses mots pour ne pas le vexer.

— Euh… écoutez monsieur je pense que vous faites erreur, je ne suis pas… enfin vous me comprenez ?

— Vous n'êtes pas homosexuel c'est ça ?

— Voila c'est ça je ne suis pas homosexuel, confirma Guillaume soulagé.

— Mais moi non plus mon jeune ami !

— Ah d'accord, je pensais que c'était un plan drague.

— Mais pas du tout. Je sais que je suis un peu maniéré comme vous dites en France, mais je préfère les femmes pour certaines activités, assura la Geisha. Mais pour celles que j'ai à vous proposer, je préfère m'entourer d'hommes.

— Ok, moi ça m'est égal de toute façon, vous pouvez préférer qui vous voulez.

— Ne vous fiez pas aux apparences, elles sont souvent trompeuses. Celui qui ne regarde que le bateau en oublie l'océan. 

— Bien sûr, mais il y aussi le fait que vos amis vous surnomment la Geisha. Pas très hétéro comme surnom pour un homme, vous en conviendrez ?

— Effectivement j'en conviens, répondis la Geisha amusé. Mais c'est de l'humour. C'est un peu comme si je vous surnommais l'Africain, alors que vous ne l'êtes pas, mais tout simplement parce que vous y avez séjourné. Et puis je ne vous ai pas précisé que je souhaitais partir avec vous. Voyez-vous jeune Ghislain, je ne vous propose pas un voyage à deux que vous avez apparemment interprété comme une sorte de lune de miel, mais je vous offre un voyage d'affaire en solitaire.

— Un voyage d'affaire ? répéta Guillaume.

— Oui un voyage d'affaire, confirma la Geisha.

— Quelle genre d'affaire ?

— Du genre transport de valise remplie d'affaires de valeur.

Guillaume comprit que ce qu'il pensait être au départ un plan drague s'avérait être un plan magouille.

— Et pourquoi vous n'y allez pas vous même au Japon, après tout c'est votre pays non ?

— Ecoutez il s'agit simplement de bibelots anciens, pas de drogues ou d'armes. Vous verrez bien, puisque ce sera dans votre valise… J'ai besoin d'un charmant jeune homme comme vous, qui ne ressemble ni à un criminel, ni a un drogué, pour passer tranquillement la douane.  

— Et si j'étais moi-même fiché ?

— Impossible je l'aurais senti tout de suite.

— Comment cela ? demanda Guillaume intrigué.

— Je ne peux pas l'expliquer, c'est une question de feeling.

— Vous ne m'avez pas l'air très honnête vous non plus ?

— Je suis un honnête commerçant qui parfois utilise des chemins nébuleux pour ses affaires.

— Je gagne combien dans cette histoire ?

— Ah !... voila un langage direct qui me sied bien, s'exclama la Geisha. Je vous donne trente mille francs (Quatre mille cinq cent soixante treize euros), quinze mille avant votre départ, et quinze mille à votre retour. Vous aurez votre billet d'avion pour Tokyo aller-retour, une réservation dans un deux étoiles en plein centre, et des yens que vous pourrez utiliser pour vous amuser sur place.

— Et que dois-je faire pour mériter tout cela ? demanda Guillaume toujours intrigué. 

— Pratiquement rien. Quand vous récupèrerez votre valise et après avoir passé les formalités douanières, vous irez au toilettes. Là un homme prendra votre valise et vous en donnera une autre identique contenant quelques affaires pour passer deux nuits sur place dans une grande commodité. Ensuite vous prendrez un taxi pour vous rendre à votre hôtel. Vous reviendrez dans deux jours. Fin de la mission.

— Et je le reconnaîtrais comment cet homme ?

— Lui vous reconnaîtra !

— Ce ne serait pas un homme avec une ou deux phalanges en moins et tatoué de la tête au pieds par exemple ? suspecta Guillaume.

 Cette question amusa la Geisha.

— Je constate que vous connaissez certaines traditions « Yakuzas » apparemment. 

— J'ai toujours été fasciné par les sociétés secrètes, particulièrement les criminelles. Et puis j'aime bien savoir à qui j'ai à faire, avertit Guillaume. 

— Vous posez beaucoup trop de questions l'Africain, mais finalement cela me plaît bien. C'est la preuve que vous êtes prudent et que vous ne voulez pas vous embarquer dans une aventure à la légère. Pour répondre à votre question, ou plutôt à votre insinuation, je fais des affaires avec tout le monde. Ce qui m'intéresse en observant les mains d'un client, ce ne sont pas le nombre de phalanges en moins, mais plutôt leur capacité à me distribuer de l'argent.  

— Oui je comprends, vous avez raison. En parlant de distribution d'argent, il faudra que je vous en rapporte ?

— Non, pourquoi ?

— Pour la vente des bibelots de la valise…

— Non les règlements s'effectuent par d'autres voies.

— Des voies royales alors, plaisanta Guillaume.

— Impériales ! N'oubliez pas que vous êtes au Japon.

— Bien sûr, le dernier empire au monde. Mais si l'on me demande ce que je viens faire au Japon ?

— Vous avez un entretien d'embauche dans une société à Tokyo. Je vous fournirai les noms de la société et de la personne qui sera chargée de ce faux entretien, répondit sans hésitation et très sérieusement la Geisha.

— Je dois me rendre aussi à cet entretien ?

— Pas du tout. C'est un simple alibi, au cas où. Mais l'on vous ne demandera rien. Vous avez une bonne tête. Vous avez une copine, ou une femme ?

— Non je ne suis pas fixé.

— C'est bien, car je pense qu'à Tokyo vous allez avoir beaucoup de succès auprès des jeunes japonaises. Vous n'êtes pas blond, mais vous serez tout de même exotique pour elles. Elles raffolent des Français.

— Ce serait pour quand le départ ?

— Après demain, par le vol de 10h45, heure française.

— J'ai jusqu'à quand pour vous donner une réponse ?

— Demain matin j'attends votre appel à 11h00 précises. Tenez, prenez cette carte, mon numéro est dessus.

Guillaume regarda la carte que venait de lui donner la Geisha. Il n'y avait d'inscrit qu'un numéro de téléphone portable, sans nom, ni mention d'adresse.

— Bon c'est d'accord pour demain 11h00 alors, acquiesça Guillaume.

 La Geisha se leva de son siège en laissant vingt francs (environ trois euros) sur la table, pour le règlement des cafés. Il tendit la main à Guillaume.

— A demain au téléphone.

— A demain au téléphone, confirma Guillaume en lui serrant la main.

La Geisha avant de partir se pencha vers Guillaume et tout en lui serrant toujours la main lui dit à voix basse…

— Croyez-moi l'Africain, avec moi vous allez gagner beaucoup d'argent. Cette mission, ce n'est que le départ d'un long chemin, et comme on dit au Japon : « Aucune route n'est longue aux côtés d'un ami. ».

Il laissa Guillaume et sortit. La Geisha était persuadé que Guillaume accepterait son offre. Il détectait chez Guillaume de bonnes prédispositions pour le faire entrer dans son organisation. Il avait aussi volontairement mis en avant des arguments qui devaient faire mouche auprès d'un jeune homme, la perspective de gagner de l'argent, voyager, et également faire de belles rencontres féminines.

Guillaume n'eut pas besoin de beaucoup de temps pour réfléchir et peser le pour et le contre. Cette proposition l'excitait. L'appât du gain et l'illégalité le stimulait. Il allait tout naturellement dire « oui » à la proposition de la Geisha. Le lendemain matin Guillaume lui téléphona  à 11h00 précises pour lui annoncer qu'il était d'accord pour effectuer ce voyage.

La Geisha lui fixa rendez-vous pour l'après midi pour approfondir plus en détail son voyage. Pour la Geisha il s'agissait d'un voyage « test ». La valise que Guillaume transporterait ne contiendrait pas d'objets volés, mais seulement des objets déclarés et sans grande valeur. Il voulait voir comment sa jeune recrue s'en sortirait avant de lui confier des missions plus illégales. Ce premier voyage fut un succès pour Guillaume. La Geisha, satisfait, pouvait désormais lui remettre des valises un peu plus délicates…  

Guillaume voyagea beaucoup durant un an pour le compte de la Geisha. Il se rendit en voiture en Italie, sur la Côte d'Azur, en Belgique, en Hollande, en Suisse, et souvent au Japon en avion. Il effectua aussi des livraisons sur Paris intra-muros. Après cette année passée au service de l'organisation de la Geisha, il avait gagné beaucoup d'argent, et la confiance de son commanditaire.

La Geisha lui proposa de rentrer en « apprentissage » auprès de l'ancien complice de feu Dédé « Pied de biche », afin qu'il lui montre les différentes techniques de l'art de la cambriole. Cet homme commençait à vieillir et voulait décrocher. Cela inquiétait la Geisha qui avait toujours besoin de cambrioleurs. Les risques étant plus importants, la Geisha augmenta bien naturellement la rémunération de son apprenti cambrioleur.

Guillaume présenta alors son ami Eric à la Geisha qui l'engagea, car il savait l'importance que pouvait avoir un serrurier dans ce genre d'entreprise. Eric démissionna de son poste au sein d'une entreprise de dépannage en 2002. Il fonda ensuite sa société en 2004 sur les conseils de la Geisha.

La Geisha lui répétait sans cesse qu'en ne vivant qu'avec du cash, il se ferait prendre un jour ou l'autre. Il avertit aussi plus d'une fois Guillaume de ce problème. Il leur parlait souvent d'Al Capone envoyé en prison par la brigade financière pour fraude fiscale. Eric embaucha Guillaume en 2006, lorsque sa société commença à faire des bénéfices, et qu'il puisse ainsi justifier la création d'un poste de responsable commercial.

Tous les trois officièrent ensemble dans le trafic d'art. Les cambriolages avaient lieu un peu partout en Europe. Certains étaient très faciles. D'autres nécessitaient plus d'habileté et de temps de repérage. Parfois Guillaume et Eric prenaient l'avion pour se rendre à l'autre bout de l'Europe, et ne rapporter qu'un seul objet volé.  Tout se passait très bien dans un grand respect mutuel.

Guillaume et Eric n'avaient jamais fait de coup de leur côté. Mais pour le mausolée d'Hitler, ils décidèrent de ne pas en parler à leur complice nippon. Ils voulaient garder cette affaire pour eux et en profiter pour décrocher de ce système, au risque de se brouiller avec la Geisha. Guillaume arriva au domicile de la Geisha cemardi 14 novembre 2017. Il devait trouver une excuse pour repousser le cambriolage du château de l'aristo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au siège de « Paris Match », à Levallois-Perret, en présence de quatre rédacteurs en chef, de Gabrielle et de Pierre Levars, qui avait accepté au pied levé de leur servir d'expert historique, Frédéric Coste exposa brièvement les raisons qui l'avaient poussé à provoquer ce comité de rédaction exceptionnel.

Tous étaient assis autour d'une grande table ovale, il fit part à ses collaborateurs de l'entretien qu'il avait eu le matin avec Gabrielle à son domicile. Il demanda aux personnes présentes d'écouter sans interrompre le récit de Gabrielle, en prenant des notes pour de futures questions. Il leur expliqua aussi que pour une meilleure compréhension, elle leur présenterait sur le grand écran fixé au mur, les différentes informations qu'elle avait pu récolter durant la nuit, reportages et sites Internet. Il présenta Pierre Levars, que certains connaissaient déjà de notoriété, convié en tant qu'expert afin d'apporter des informations historiques et donner un avis éclairé.

Gabrielle prit la parole durant une petite heure. Elle commença par leur relater sa rencontre impromptue avec Guillaume, en leur expliquant qui était ce personnage. Puis elle décrivit les photographies dans les moindres détails. Les visages de ses collègues trahissaient une certaine surprise. Ils restèrent néanmoins très attentifs aux propos de Gabrielle, qui enchaîna en leur parlant de sa visite chez son ami Pierre. Elle profita de cette occasion pour le remercier encore une fois de l'avoir reçu si tardivement. Gabrielle  ne leur cacha pas qu'elle était assez partagée au sujet de cette histoire, voire même un peu perdue. Elle insista sur le visage d'Hitler criant de ressemblance, élément qui la perturbait beaucoup.

Gabrielle continua son exposé en s'appuyant sur les sites Internet dont les onglets étaient consciencieusement épinglés sur sa page. Elle expliqua en images l'histoire récente du faux crâne d'Hitler. Elle montra ensuite à ses collègues le rapport du FBI, et toutes les pistes d'une présence supposée d'Hitler en Amérique du Sud. Elle fit un résumé du documentaire qui retraçait la traversée du sous-marin allemand U977, et diffusa en intégralité le débat entre Pierre Miquel et Jacques Robert. Elle termina son exposé Internet en montrant les différents sites néo-nazis d'achats en ligne, qui semèrent la consternation parmi les rédacteurs.

Frédéric donna alors la parole à Pierre. L'historien fournit les mêmes explications que la veille au soir à Gabrielle, notamment ses trois hypothèses sur la mort d'Hitler. Comme le lui avait demandé Gabrielle en l'invitant par téléphone, Pierre fut très concis dans sa prise de parole. Il se borna à des explications historiques simples relatant les mystères qui entouraient la mort du dictateur, et montra au comité de rédaction la photo de l'étendard. Il interpella à ce sujet Gabrielle en lui signalant que les reproductions sur les sites néo-nazis, lui semblaient de bien piètre qualité. Il sollicita son amie pour qu'elle fasse un réel effort de mémoire sur l'étendard de la photo présentée par Guillaume. 

Frédéric lui demanda quel était son avis objectif sur la possibilité de l'existence d'un tel mausolée. Pierre confia à l'assistance que malgré une découverte qui pouvait paraître complètement invraisemblable, il y avait cependant une très très faible possibilité pour que ce soit vrai. Pour lui Hitler s'était suicidé dans son bunker, mais le cadavre avait bel et bien disparu. Il évoqua le fanatisme de ses derniers fidèles, et rappela que l'idéologie nazie malheureusement perdurait toujours. Selon lui, même si tous les nazis de l'époque étaient à présent décédés ou extrêmement âgés, ils auraient très bien pu passer le relais pour la surveillance de ce mausolée, à des nazis de nouvelle génération. Il se permit toutefois de les mettre en garde contre une éventuelle arnaque. Frédéric en profita pour évoquer l'escroquerie du « Stern ». Puis  il ouvrit les débats.

 — Bon maintenant que vous êtes au courant de cette histoire, la parole circule, nous vous écoutons les amis, lança Frédéric. Que pensez-vous de tout ça ? 

Les différents rédacteurs se regardèrent, chacun hésitait à ouvrir les débats. Dauffier, connu pour ne pas avoir sa langue dans sa poche se décida à parler. 

— On est là pourquoi exactement Frédéric ? Je ne comprends pas le sens de cette réunion.

— Tout simplement pour décider si on publie de telles photos, ou pas… rappela Frédéric.  

— Mais enfin, pour moi la question ne se pose même pas, le dossier est vide. On ne sait pas où se situe ce mausolée. Le cadavre est-il vraiment celui d'Hitler, en supposant qu'il ait pu échapper aux Soviétiques ? Enfin,  la source est plus que douteuse, car il s'agit d'un cambrioleur. On ne peut pas publier un truc pareil, c'est de la folie pure, argumenta Dauffier.

— La source menace de vendre les photos à l'étranger, prévint Gabrielle.

— Et c'est bien là le problème, on risque un gros ratage, avertit Frédéric.

— Un ratage de rien, n'est pas un ratage, insista Dauffier.

— Et sous quel angle pouvons-nous aborder le sujet ? interrogea madame Perez.

— Sous l'angle de l'interrogation, répondit Frédéric. Puisque nous sommes dans l'interrogation quant au cadavre d'Hitler, d'après monsieur Levars. Nous pouvons surfer sur la vague du mystère.

Pierre acquiesça de la tête pour confirmer les propos de Frédéric.

— Si ma mémoire est bonne, il me semble que dans notre numéro hors série consacré à Staline19 il y a deux ans, Philippe Richardot affirme qu'Hitler s'est suicidé dans son bunker, rappela madame Perez. C'est ce qui était écrit dans nos colonnes. On ne peut pas prétendre l'inverse à présent.

— Absolument madame, répondit Pierre. Philippe Richardot est un grand spécialiste de l'histoire militaire et d'Hitler. Je me rappelle que son article dans votre hors-série, était assez remarquable. Mais comme vous l'aviez lu vous aussi, Philippe Richardot disait qu'Hitler s'était suicidé, mais ne s'aventurait pas sur le mystère de son cadavre.

— C'est possible monsieur Levars, là je ne m'en rappelle plus vraiment, hésita madame Perez.

— Donc si l'on publie ça, on ne se contredira pas, conclut Frédéric. Et puis Richardot affirme librement ce qu'il veut, il ne fait par partie de l'équipe. 

— Tout comme ce Guillaume, observa Dauffier. Quant au cadavre d'Hitler, ce n'était pas non plus le thème de ce hors-série. Pour moi le cadavre ne s'est pas volatilisé, c'est bien les Soviétiques qui l'ont récupéré. Tu as passé une nuit presque blanche pour rien Gaby.

Gabrielle ne répondit pas à son collègue au sujet de ses recherches nocturnes qu'il jugeait inutiles. Elle réfléchissait à la manière d'aborder ce sujet sous un angle journalistique. 

— On pourrait mettre un point d'interrogation sur la photo comme accroche par exemple, envisagea Gabrielle.

— Et pourquoi pas ? reprit Frédéric, qui semblait enthousiasmé par cette idée.

— Un point d'interrogation en guise d'accroche ? répéta Trincourt, resté silencieusement attentif jusqu'à présent.

— Je trouve que ce serait bien, dit Frédéric.

— On se couvre comme ça, affirma madame Perez.

Un silence de réflexion s'installa dans la salle de rédaction. Dauffier reprit la parole.

— Mais enfin les amis, on est là pour apporter une information, pas des interrogations. Si justement il subsiste le moindre doute, on ne publie pas. Surtout s'il s'agit d'Hitler, il y a de quoi choquer. Je ne vais tout de même pas vous rappeler notre déontologie.

Pierre Levars leva sagement la main pour demander la parole.

— Oui monsieur Levars ? dit Frédéric.

— Ecoutez mesdames et messieurs, je sais que je ne suis là que pour vous apporter des éléments historiques, et je ne voudrais pas me mêler de votre discussion entre professionnels du journalisme. Mais je suis aussi un vieux lecteur de votre journal et de toute la presse qui traite des sujets pouvant m'intéresser. J'archive beaucoup de choses. Comme vous êtes tous bien jeunes pour vous en souvenir,  je me permets de vous rappeler un numéro de votre magazine de novembre 197720, qui parlait d'une éventuelle descendance d'Adolf Hitler. Votre article reprenait les affirmations d'un professeur allemand sur l'existence d'un fils d'Hitler. Il supposait qu'il aurait eu un fils en 1918 durant la guerre, avec une jeune française.

— Vous êtes sûr de ça monsieur Levars ? demanda Frédéric très intrigué.

— Absolument, je vous ai même apporté ce numéro au cas où, pour vous éviter de perdre du temps en fouillant vos archives.

Dans un grand silence, Pierre ouvrit sa sacoche et sortit ce vieux numéro. Tout le monde s'échangeait des regards intrigués.  

— Tenez le voici, dit Pierre en l'exposant aux différentes personnes présentes. Vous voyez, vous faites la une sur la mort de Goscinny, mais en haut à droite vous mentionnez en gros : «  Fils d'Hitler, des photos troublantes ». A l'intérieur, page 88, vos prédécesseurs journalistes se contentent de publier les affirmations du professeur Werner Maser, sans jamais apporter la moindre preuve qui attesterait ses dires. Cet article est illustré par des photos du pseudo fils d'Hitler dans des postures hitlériennes assez grotesques. J'ai relu cet article tout à l'heure dans le métro en vous rejoignant.

— Excusez-moi monsieur Levars, mais vous voulez en venir où avec ce vieux Match ? demanda Dauffier impatient.

— Que l'on peut peut-être simplement évoquer des possibilités, tout en conservant une certaine déontologie, lorsqu'il s'agit d'Histoire bien entendu, précisa Pierre. Ça c'est à vous de voir…

 — Passez-moi ce journal s'il vous plait monsieur Levars, demanda Frédéric.

— Tenez monsieur Coste.

— Bon et bien je vais lire cet article à haute voix pour tout le monde, on y verra plus clair, se résigna Frédéric.

Après quelques minutes de lecture, Frédéric reprit la parole.

— Merci monsieur Levars, non seulement pour vos précisions historiques, mais aussi journalistiques. Vous êtes à deux doigts de nous rappeler certaines bases de notre métier.

— Loin de moi cette prétention monsieur Coste, dit Pierre en toute modestie.

— Ce serait bien de voir les photos, et non de se contenter des souvenirs de Gaby, proposa Trincourt.

— Souvenirs d'hier soir encore très frais, je tiens à te le préciser, objecta Gabrielle.

— Oui effectivement, se ravisa Trincourt. 

— On doit publier ! s'exclama soudainement madame Martens. Il faut pour cela reprendre la trame de notre numéro de 1977.

— C'est-à-dire ? lui demanda Gabrielle.

— On conserve notre forme de couverture habituelle avec un personnage d'actualité, ou un évènement, avec son gros titre, et en haut on annonce ce scoop avec précaution. Je pense que c'est un bon compromis.

— Absolument, confirma Frédéric. A l'intérieur on met la photo du mausolée, avec un point d'interrogation dessus. Gaby reprendra pour l'occasion la plume pour raconter au lecteur qu'un pilleur de château prétend avoir retrouvé le cadavre d'Hitler. Elle parlera de sa rencontre avec ce Guillaume, comme une sorte d'intrigue.

— Avec à suivre dans un prochain numéro un reportage sur les lieux, ajouta Trincourt.

— Oui si les lieux existent… Sinon on sera bon pour présenter des excuses et publier un démenti, ironisa Dauffier.

— En tout cas personne ne nous attaquera en diffamation plaisanta Frédéric.

Cette boutade fit pouffer de rire tout le monde, sauf Dauffier, et permit de détendre un peu l'atmosphère.  

— Le sujet présenté de cette façon, je trouve que cela tient la route, dit madame Perez convaincue. 

— Mais ta route finit dans le mur ma chère, objecta Dauffier. Vous êtes tous devenus fous ma parole !  Vous êtes en train de confondre « scoop journalistique » avec « buzz de merde ». Quelqu'un prétend avoir retrouvé Hitler, on ne peut pas prendre ça à la légère. Il ne s'agit pas du trésor des Templiers, ou d'une énième soucoupe volante. C'est autre chose là… C'est grave !

— Mais on a publié, je ne sais plus quand, un article sur les arrières petits-neveux d'Hitler vivant aux Etats-Unis, objecta madame Perez.

— Mais c'était vrai ! protesta Dauffier énervé. Les arrières petits-neveux d'Hitler sont Américains, tout le monde le sait. Je ne dis pas qu'il faut s'interdire de publier  des informations sur Hitler ou le nazisme, ce n'est pas mon propos. Je ne veux pas qu'on se compromette dans une recherche de « buzz » forcené. Et pour le crédit photo, on va mentionner qui, « Guillaume X, pilleur de château » ? Cela ne tient pas debout !

— Et tu proposes quoi alors ? demanda madame Perez.

— Un truc de base. Que l'on se rende sur place et que l'on publie un vrai reportage, et non pas une photo prise par un cambrioleur sur un téléphone portable, répondit logiquement Dauffier.

Cette proposition se heurta à un silence. Etonné par la non réaction des ses confrères et consœurs, Dauffier insista.

— Enfin c'est comme cela qu'on travaille. Cela n'a rien d'extraordinaire.

— C'est cette histoire qui est surtout extraordinaire, enchérit Frédéric. C'est ce qui la rend intéressante et donc publiable. Publiable, mais sous conditions ! Tout sera dans la nuance de l'article de Gaby. Un peu comme dans cet article sur le pseudo fils d'Hitler.

— Bon, une supposition, reprit Dauffier, demain un vieux monsieur frappe à notre porte et prétend être le vrai meurtrier de Kennedy, et nous dit qu'il connaît les commanditaires. Doit-on publier son interview comme ça, brut, sans rien vérifier ?

— Excuse-moi mais l'affaire est très différente, affirma Gabrielle. Guillaume ne nous laisse pas la possibilité de vérifier quoi que ce soit. Il veut vendre ses deux photos dans un premier temps, et ensuite nous conduire sur place.

— Tu es en train de m'expliquer qu'il ne nous laisse donc pas le choix ? dit Dauffier cherchant à comprendre.

— Tout le problème est là, c'est son deal.

— Ces pilleurs de châteaux, que sait-on de leur organisation ? questionna madame Perez.

— Je vais me renseigner sur ce milieu auprès d'une amie dans la police, répondit Gabrielle.

— Et si cet homme était dangereux ? continua madame Perez. 

— Il ne me fait pas peur du tout. J'ai croisé beaucoup de criminels lors de mes grands reportages à l'étranger, celui là n'a pas trop le profil du tueur. Mais on ne sait jamais, je resterai méfiante quand je le reverrai pour discuter de son prix.   

— A ce propos Gaby, il en demande cher au fait de ses photos ? demanda madame Martens.

— C'est vrai Gaby tu ne nous as pas parlé de ça, interpella Trincourt méfiant.

— Très cher répondit Frédéric. Il faut d'ailleurs que j'en réfère à qui vous savez. Mais on va faire une contre-proposition.

— Et très cher c'est combien ? insista madame Martens.

— Deux millions ! divulgua brutalement Frédéric.

Cette information monétaire provoqua une cacophonie au sein de la rédaction. Les participants furent très choqués par l'annonce de ce chiffre. Les discussions jusqu'à présent harmonieuses firent place à une protestation générale. Pierre Levars qui était déjà au courant de la somme réclamée par Guillaume, s'amusa discrètement de ce vacarme.  

— Calmez-vous, calmez-vous, on va faire une contre-proposition, réaffirma Frédéric qui s'évertuait à rétablir le silence. Vous pensez bien que l'on ne va pas lâcher une telle somme comme ça sans négocier.

— Y'a intérêt oui ! cria Dauffier de plus en plus énervé.

— Ecoute Dauffier, baisse d'un ton s'il te plait, ordonna fermement Frédéric. Tu deviens particulièrement agaçant. Reprenons notre réunion dans le respect. Il faut avancer. Ce Guillaume ne nous laisse que jusqu'à vendredi pour nous décider.

— Ah parce qu'en plus il y a un ultimatum, protesta Dauffier. Tu ne nous avais pas parlé de ça non plus Gaby.

— C'est bon Dauffier, je ne vous ai rien caché. J'ai fait un résumé de l'ensemble, en allant à l'essentiel, précisa Gabrielle.

— Et puis on est bientôt en bouclage, on ne peut pas se réunir pendant trois jours non plus, on a du boulot, y'a pas qu'Hitler, insista Frédéric. Bon reprenons… Mettons dans la balance le « pour » et le « contre ». Je vais essayer de synthétiser tout ça. Si j'oublie des éléments n'hésitez pas à m'en faire part.  Donc, partons de ce postulat, on publie les photos avec l'article de Gaby et sa rencontre avec Guillaume. Le « pour », il s'agit peut-être d'un scoop mondial. Nous aurons l'exclusivité des photos pour les revendre à tous les journaux du monde. Nous allons augmenter considérablement nos ventes, et diversifier encore plus notre lectorat. Même si nous payons cher ces photos, on rentabilisera tout ça très vite, et l'on gagnera beaucoup d'argent au final. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que la presse écrite se porte mal. « Match » aura aussi une renommée internationale jamais atteinte. Gaby sera très certainement demandée sur tous les plateaux télés du monde. De plus, on pourra dans un deuxième temps se rendre sur les lieux de ce mausolée nauséabond, qui fera l'objet d'un reportage dans un prochain tirage. Encore un scoop mondial peut-être, et des photos à revendre etc. comme pour la première publication. Enorme les amis. Le « contre » maintenant. Effectivement tout est peut-être bidonné, et cela se résumerait à une escroquerie bien montée. On passerait pour des cons, des cons certes avec les poches pleines, mais pour des cons quand même. Notre image en souffrirait. Il y aurait sans doute de mauvaises répercussions sur les futures ventes. Ensuite toujours dans le « contre », comme nous l'a rappelé notre ami Dauffier avec son calme habituel, il s'agit tout de même d'Adolf Hitler. L'homme qui a déclenché une guerre qui a fait cinquante millions de morts. L'homme qui a décidé d'exterminer six millions de juifs de façon systématique. On pourrait aussi évoquer les Tziganes, les communistes, les homosexuels et bien d'autres communautés hélas. Donc attention où nous mettons les pieds. C'est peut-être un scoop, mais un scoop sulfureux qui va attrister et scandaliser la planète entière. Songeons un instant aux descendants de déportés, et aux rescapés. Si cette histoire est vraie, c'est notre devoir d'informer que le plus grand monstre de tous les temps repose paisiblement embaumé quelque part en Amérique du Sud, voire en Espagne, quitte à recevoir des millions de mails d'insulte. Si c'est une connerie, la Terre entière va nous maudire de chercher à faire du fric avec ça. Voila, je crois avoir résumé notre affaire. C'est une décision compliquée à prendre.  J'ai besoin que soyez francs. Je vous écoute…

— Je suis ravi d'entendre que tu mesures toutes les conséquences d'une telle publication en l'état, dit Dauffier redevenu calme.

— Tu en doutais ? demanda Frédéric légèrement vexé.

— Ben quand je vous vois tous vous emballer comme ça, j'ai l'impression que les garde-fous ont sauté. Je m'en inquiète.

— Rassure-toi, ils sont toujours là, dit Frédéric. L'emballement n'exclut pas le discernement et l'analyse. Mais pour ma part je pense que nous devons malgré tout publier cette histoire avec les photos pour preuves. On n'a pas le droit de rater l'évènement.   

— Je suis aussi de ton avis Frédéric, confia madame Martens. On ne peut pas se permettre de laisser filer un scoop mondial. Il faut prendre le risque. Il y a visiblement plus à gagner qu'à perdre.

— C'est ok pour moi aussi, reprit madame Perez. Je fais confiance aux talents de Gaby pour nous rédiger un papier qui exclura notre responsabilité. Il s'agit simplement de répéter les affirmations d'un tiers. Si cette photo est si criante de vérité comme nous le certifie Gaby, on ne pourra rien nous reprocher au final.

— C'est exact, lança Trincourt. Avec une telle photo, on peut même se passer d'accroche. L'accroche c'est la photo, qu'il y ait un point d'interrogation ou pas. Tout le monde va se passionner pour cette histoire. Si on a la chance par la suite de voir vraiment ce mausolée, et de le photographier, on pourra même en faire la couverture d'un futur numéro. En l'espèce positionnons l'article et les photos en fin de magazine, en annonçant ce scoop en couverture. Les lecteurs se précipiteront sur le sommaire pour trouver la bonne page.

Frédéric remarqua le silence inhabituel de Dauffier. Tout le monde connaissait sans doute sa conclusion, mais espérait l'entendre. Frédéric l'interpella.

— Et Dauffier alors, qui semble faire preuve à présent de plus de tempérance, qu'en pense–t-il ?

— Dauffier reste sur ses positions Frédéric. Je suis désolé monsieur Levars, mais pour moi le cadavre d'Hitler n'est pas du tout un mystère. Et même en admettant qu'Hitler ou son cadavre aient vraiment disparu, on publie que si l'on a accès à ce mausolée. Pour l'instant ce n'est probablement qu'un montage photo, fabriqué par un escroc, voila mon avis. Mais bien entendu s'il est décidé à la fin de cette réunion d'acheter les photos et de les publier, je resterai solidaire de la rédac, et je défendrai ce projet si l'on m'interroge sur ce sujet. 

— Le contraire m'eut étonné, avoua Frédéric. Et toi Gaby alors, celle par qui tout arrive, tu en penses quoi ? Ton avis est capital, car tu es celle qui a rencontré Guillaume, tu as donc pu le cerner.  

— J'ai surtout retenu les photos assez marquantes, insista Gabrielle. Sinon pour le gars, je vous en ai parlé en préambule de cette réunion, c'est un truand. Un truand élégant, mais pas très raffiné quand on le pousse dans ses retranchements. Il prétend avoir découvert ce mausolée par hasard, pourquoi pas, je ne sais pas…

— Excuse-moi de t'interrompre Gaby, dit madame Martens, j'ai une question pour monsieur Levars. Y-a-t-il beaucoup de découvertes historiques dues au hasard comme ça ?

— Enormément madame, vous n'avez même pas idée. Pour les plus connues je pourrais vous citer de nombreuses îles ou régions découvertes suite à des erreurs de navigation. Nous avons aussi les ruines de Pompéi, la Pierre de Rosette, la Vénus de Milo, les grottes de Lascaux et de Chauvet, les manuscrits de la Mer Morte découverts par deux jeunes bédouins, les fameuses trois mille statues de soldats chinois découvertes par un paysan qui voulait simplement creuser un puits, la gourmette de Saint-Exupéry, une fortune en monnaies romaines retrouvées dans des eaux peu profondes récupérées par des pêcheurs d'oursins corses. 

— Le Titanic aussi me semble-t-il, ajouta Trincourt.

— Absolument, confirma Pierre. Le Titanic a été découvert par hasard alors qu'on recherchait des sous-marins. Et je ne vous parlerai pas des découvertes qui n'ont rien à voir avec l'histoire mais qui concernent la science. C'est gigantesque ce que le hasard peut engendrer.

— Donc pourquoi pas le cadavre d'Adolf Hitler ? conclut Frédéric.

— Pourquoi pas en effet ? répondit Pierre.

— J'aimerai tout de même que Gaby termine de nous donner son ressenti, demanda Dauffier.

Gabrielle souffla avant de poursuivre ses propos interrompus par la question de madame Martens adressée à Pierre. Elle était embarrassée et commençait à présenter des signes de fatigue physique et intellectuelle. Sa courte nuit de trois heures se faisait ressentir.

— Ecoutez, partons sur l'idée de publier, j'en saurai plus lors de ma prochaine entrevue avec ce type. Je vous en ferai part alors. Comme je vous l'ai dit, il doit me contacter vendredi. Ce sera donc assez rapide. J'ai encore beaucoup de questions à lui poser. Il m'a aussi promis de me communiquer plus d'éléments, notamment : qui l'aurait embaumé ? Comment est-il parvenu dans cet endroit ? Et surtout quelles sont ses sources ? Il se doute bien que l'on ne va pas le payer sans en savoir davantage.

Frédéric se leva de table, il désirait conclure et mettre un terme à cette réunion, en prenant une nouvelle fois la parole.

— Bon, à part Dauffier nous sommes tous d'accord pour une publication en  nuance de cette histoire, dans les formes que nous avons évoquées. On approfondira la mise en page et le style le moment venu. Cela fera l'objet d'une seconde réunion. Je vous demande comme bien souvent, mais peut-être davantage qu'à l'accoutumée, de faire le silence le plus total sur cette affaire. Vous n'en parlez à personne, ni aux collègues, ni à la famille, ni aux amis… A strictement personne. Rien ne doit filtrer de cette réunion.

Tout le monde acquiesça, y compris Pierre Levars. Frédéric reprit sa conclusion.

— A présent retournons au travail pour préparer la sortie du numéro de jeudi. Monsieur Levars, au nom de toute la rédaction et de l'ensemble du journal, je vous remercie pour votre aide si précieuse. Vous êtes désormais ici chez vous. N'oubliez pas de reprendre votre numéro de « Match ». Nous nous servirons de nos archives si besoin est. Gaby, rejoins-moi dans mon bureau, nous devons continuer cette réunion tous les deux pour te préparer à ton futur rendez-vous. A tantôt les amis.

Tous les participants quittèrent la salle de réunion, sans oublier de serrer la main de Pierre en le remerciant une nouvelle fois. Dauffier profita de ce court instant pour lui asséner une dernière remarque à voix basse.

— C'est n'importe quoi monsieur Levars, n'importe quoi…

    Ce dernier lui serra la main en le fixant dans les yeux mais sans lui répondre. Il ne voulait pas relancer la polémique. Il était ravi d'avoir assisté à ce type de réunion. Il s'adressa à tous en leur disant de ne pas hésiter à le solliciter à nouveau. Il embrassa Gabrielle qui lui promit une nouvelle fois de l'informer sur l'évolution de cette histoire, puis elle rejoignit Frédéric dans son bureau. Elle referma la porte derrière elle.

— Et bien voilà, nous avons trouvé une solution au problème, dit Frédéric satisfait.

— Oui, une solution journalistique, mais non financière, précisa Gabrielle.

— Oui je sais, je sais… C'est pour cela que je tenais à te voir en privé. C'est toi qu'il va contacter, pas les autres. Il va falloir que tu négocies. Comme je te l'ai dit ce matin, il faut baisser le prix. Deux millions, puis encore deux autres, c'est de la folie pure, surtout sans preuve. Une ressemblance troublante avec Hitler, cela ne suffit pas. Dauffier a raison d'être méfiant.

— A combien alors la négociation ? demanda Gabrielle.

— Deux cent mille. Cela semble raisonnable non ?

— Pour nous oui, mais sûrement pas pour lui, objecta Gabrielle. On enlève tout de même un zéro à ce qu'il demande. C'est énorme.

— Tu peux toujours tenter.

— Je peux toujours oui, dit Gabrielle pas très convaincue.

— Tu lui dis tout simplement que son montant est trop élevé. Tu te doutes bien que le big boss ne voudra jamais que l'on débourse une somme pareille. Donc le problème est réglé de ce côté-là.

— Et s'il me fait une autre proposition ?

— Tu m'en réfères tout de suite.

— Ok.

Frédéric demeura silencieux un court moment. Il réfléchissait à cette situation insolite et complexe.

— Et puis non. On va faire autrement. Quand il t'appellera vendredi pour te proposer un rendez-vous, tu lui diras que ton directeur veut le voir, lui et ses photos. C'était mon idée de ce matin, et je vais m'y tenir.

— En admettant qu'il soit d'accord pour te rencontrer… Je t'ai déjà dit qu'il était très méfiant.

— Tu insisteras, et si ça ne marche pas, eh bien tu iras seule. Que veux-tu que je te dise ?... se résigna Frédéric devant cette éventualité.

— On verra bien.

— L'essentiel c'est d'avoir ces maudites photos, même si le reportage sur le mausolée ne se fera pas. En attendant il faut se remettre au boulot.

— Bien sûr. Je te laisse. Il faut que j'appelle ma copine Sandrine pour qu'elle me renseigne sur ces pilleurs de château.

— Très juste, à tout à l'heure, conclu Frédéric.

— A plus, lui répondit Gabrielle en quittant son bureau.

Gabrielle avant de regagner son bureau s'arrêta à la machine à café. Elle avait besoin d'une dose de caféine pour retrouver un peu d'énergie. Elle se renferma dans son bureau, et téléphona à Sandrine.

— Mais c'est ma Gaby, s'écria Sandrine avec un accent chantant du sud-ouest en décrochant.

— Bonjour. Comment vas-tu ma Drine ?

— Super.

— Je ne te dérange pas au moins ? demanda poliment Gabrielle.

— Non pas du tout. Je tape encore un rapport à la con. Tu es ma petite pause.

— Bon ça va alors.

— Et ton fils ? questionna Sandrine enthousiaste.

— Une merveille, il pousse à une vitesse, c'est fou. Et toi c'est quand que tu t'y mets un peu ?

— Trouve-moi le bon mec, et je m'y mets tout de suite.

Gabrielle éclata de rire.

— Pourtant tu dois en rencontrer dans ton boulot.

— Tu rigoles !... A part des flics et des drogués, pas grand-chose à se mettre sous la dent, ni même ailleurs, dit Sandrine en riant.

Gabrielle éclata de rire une nouvelle fois. 

— Qu'est-ce que je peux faire pour toi Gaby ?

— J'aimerais te voir assez rapidement pour que tu me parles des pilleurs de châteaux. Si tu es dispo bien sûr ?...

— Des pilleurs de châteaux ?! s'exclama Sandrine surprise par la demande de son amie. Alors écoute, premièrement je vais faire des nuits à partir de demain, donc ça va être compliqué, même si cela me ferait très plaisir de te voir. Et deuxièmement je ne vais pas t'être utile à grand-chose. Tu sais moi je suis aux stups, les vols d'œuvres d'art dans les châteaux, c'est pas trop mon truc. A moins qu'il y ait de la came dissimulée dans une statue…

— Non je ne crois pas, répondit Gabrielle amusée.

— Mais je peux en revanche t'aiguiller sur un capitaine qui bosse à l'OCBC.

— Où ça ?

— A l'OCBC, l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels. Il s'appelle Anthony Massart.

— Ah super. Si tu as ses coordonnées je pourrais l'appeler de ta part peut-être ?

— Bien évidement. Je t'enverrai sa carte par SMS quand on aura raccroché.

— Ah t'es au top, remercia Gabrielle soulagée.

— Mais je te préviens, c'est un gros dragueur.

— Et bien ça me changera un peu. Cela fait un bail que l'on ne m'a plus draguée. 

— Il est charmant en plus. Trente-cinq ans, beau gosse baraqué.

— Trente-cinq ans ? Tu m'as pris pour une cougar ? plaisanta Gabrielle.

— Une cougar ? Non mais écoutez la mémère… se moqua Sandrine.

— Je serai prudente rassure-toi.

— Ah mais tu peux y aller ma grande, sans problème, rassura Sandrine.

— Je m'en tiendrai au professionnel.

— Mais pourquoi au fait tu t'intéresses soudainement à ce milieu des pilleurs ?

La question embarrassa Gabrielle qui effectivement n'avait pas prévu de parade pour lui répondre.

— On prépare un article sur ce milieu dont on parle assez rarement, mentit Gabrielle.

— C'est vrai qu'on n'en parle pas souvent, confirma Sandrine. C'est plutôt mes clients qui font la une.

— La drogue c'est un gros trafic.

— Mais les œuvres d'art aussi tu sais. Le beau Tony te renseignera bien pour ton article.

— J'espère.

— Tu me diras quand il paraîtra.

— Bien sûr.

— Ok, je t'envoie ça ma grande, conclut Sandrine.

— Merci encore, je t'embrasse.

— N'oublie pas d'embrasser Lucas pour moi.

— Je n'y manquerai pas.

— Bises Gaby.

— Bises ma Drine.

Gabrielle raccrocha. Après un court instant elle reçut un SMS de Sandrine, c'était les coordonnées d'Anthony Massart. Elle renvoya un SMS de remerciement à Sandrine.

Gabrielle termina sa journée de travail exténuée. Après avoir dîné chez elle en famille, elle se coucha très tôt en repensant inlassablement au mausolée d'Hitler, et à sa prochaine entrevue avec Guillaume.            

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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