J'ai tremblé

finir_de_tomber

Extrait 3 - L'anneau des abandonnés

Je me suis toujours posé la question « Si je n'avais plus que vingt-quatre heures à vivre, qu'est-ce-que je ferais ? » Quand j'étais plus jeune et moins lucide, quand cette question m'était posée dans des bavardages autour d'une bière, je répondais systématiquement « Faire l'amour, rien que ça. » Je croyais qu'ainsi je crèverai exaucé, comme vidé de mon dernier espoir, celui de prendre mon pied. Aujourd'hui, sachant qu'une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de mon crâne, je pense que la meilleure réponse serait : ne rien faire, absolument rien, attendre simplement que la dernière minute s'égrène dans la tranquillité.

Certains jugeront qu'il faudrait au contraire en profiter pleinement en vivant des frissons comme sauter en parachute, à l'élastique, partir dans un coin reculé ou rouler à vive allure pour se sentir respirer, mais je crois que mes principaux tremblements sont déjà derrière moi.

J'ai tremblé toute ma vie. Tremblé de me marier, de divorcer, d'avoir un enfant, de m'en occuper, de ne pas lui consacrer assez de temps, de dire non, de dire peut-être, jamais ou toujours. J'ai tremblé de dire je t'aime, je ne t'aime plus, de dire adieu aussi et des conséquences de mes mots définitifs ; j'ai tremblé devant mon patron, devant ma femme, devant les obligations, les opportunités et les difficultés qu'elles sous-entendaient ; j'ai tremblé de jouer, de parier sur mon avenir et de me tromper ; j'ai tremblé dans le lit, hors du lit, dans le salon, entre mes propres mains en me tripotant ; j'ai tremblé dans mon épouse, dans son propre vagin qui n'était pas assez trempé, mais aussi face au miroir et l'image qu'il renvoyait. J'ai tremblé de ne pas vivre assez longtemps, de continuer cette existence dans une habitude assommante aussi. J'ai tremblé de décevoir ma femme et ma vraie nature, celle que je dissimulais. J'ai tremblé de manquer d'argent, de le dépenser, mais aussi d'en donner à ceux qui en avaient sacrément besoin ou que j'aimais tout bonnement, juste par peur qu'il ne m'en reste pas assez pour ce que je voulais réaliser. J'ai tremblé de ne rien faire, d'être carrément ce que j'étais et de ne pas devenir celui que je voulais ; j'ai tremblé de tomber malade ou de souffrir déjà sans rien m'apercevoir du tout, de mourir à petits feux, de façon invisible sans que personne s'inquiète ou m'aide en me tenant la main. J'ai tremblé face à l'amour, à la haine et l'indifférence, devant les trois sentiments à la fois qui se chevauchaient. J'ai tremblé devant ma possible évasion loin de cette merde toute entière, mais surtout devant ma volontaire captivité contre laquelle je ne me débattais jamais.

Oui, j'ai tremblé, je l'admets, devant les signaux que tous les faits me donnaient pour m'avertir du danger de rester dans cet état statique. J'ai tremblé tout le temps au point de me demander si j'ai vraiment vécu dans la fermeté de mes idées et de mes véritables penchants.

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