jardin des plantes

mariane-abissy

JARDIN DES PLANTES

Jardin des plantes, juin 2009. Après-midi de juin. Midi, un peu plus que midi, midi passé au soleil, quatorze heures passées à ma montre.

Sur les miels des parterres, les abeilles s'enroulent en spirales solaires, dans l'éblouissement des roses qui croulent de chaleur.

Les oiseaux, affolés par une telle aubaine de miettes, se grisent, au milieu des pepiements, de la manne dispensée par les pique-niqueurs.

Fragrance de vacances.

Le ville s'agite mollement dans l'effervescence de sa proche désertion. La mer et la montagne déjà au loin se font plus présentes, plus séductrices.

A peine effrayés par le souffle court et épuisé de joggers écarlates, moineaux et merles se contentent d'invectives outrées pour ces empêcheurs de picorer en rond, tandis que les pigeons les fixent d'un oeil rond, où s'entremêlent mépris et frayeur. Arrêt des coureurs, mains sur les genoux, corps cassés à la taille. A la recherche d'une respiration qui ne trouve plus son chemin. Pluie de sueur sur les chaussures douloureuses. D'autres, entre deux toux, tarissent une bouteille, goulot sportif.

J'aime m'abîmer dans cette torpeur, dans l'ombre opaque des platanes.

Sur le banc, en face, un livre somnole à la main d'un vieil universitaire à chevelure homérique. Les pages se soulèvent au souffle léger, préparant une surprise au lecteur qui ne retrouvera plus son fil.

Je lis, moi aussi, d'un oeil inattentif. Wajdi Mouawad, la trilogie, première pièce. Littoral. Clignement des paupières au ras de l'assoupissement. L'heure est peu propice à l'attention. Cette lecture par sursaut trouble ma perception. Rêve et réalité fusionnent dans la mollesse de l'ombre. Ma sentation sera certainement la même dans quelques jours en Avignon, la représentation durera toute la nuit.

L'année a été longue, aux fleurs de ce jardin.

Depuis presqu'un an que je vis à Paris, je viens ici, plusieurs fois par semaine, sur ce banc ou sur l'autre là-bas près de la ménagerie.

J'ai connu l'automne aux ocres des feuilles, au flamboiement des dahlias et des dernières marguerites, à la pluie à travers les ramures des arbres de plus en plus avares de feuilles, aux étudiants de Jussieu et de Censier qui se découvraient.

J'ai grelotté l'hiver face aux parterres labourés, terre noire ou couverte de neige, sable des allées collant aux semelles des bottes. Mon sandwich, encore plus froid sous la bise qui me dévorait les doigts, me glaçait l'intérieur. Les rares passants, touareg en foulard de laine, se hâtaient sans un regard. Même le stegosaure de l'entrée, boulevard de l'hôpital a soumis ses plaques de bronze à la blanheur de la neige en janvier. Il y eut aussi ces jours où le jardins glacé se refusait, visiteurs désappointés, prisonniers des grilles gelées.

Puis, j'ai connu le printemps dans la fade fragrance des tulipes insolemment colorées, dans les trompettes à fraise d'opale des narcisses. L'explosion rose et blanche des prunus a soudain éclairé les allées d'un frippement de guimauve, mouvante estampe japonaise protégée des doigts irrespectueux de ses admirateurs par les barrières de course cycliste. Les étudiants de Jussieu et de Censier y venaient deux par deux avouer leur bonheur au printemps triomphal.

D'autres fleurs sont accourues, pressées d'ajouter leurs tâches à la palette des jardiniers, et l'ombre a gagné les allées. Sous les voûtes végétales, les étudiants de Jussieu et de Censier s'enlacent avec plus d'urgence. La fin des partiels les exilera loin l'un de l'autre, charmes de la vie provinciale, solitudes au milieu des vacanciers où l'on recherche de plus en plus vainement le visage qui troublait.

Derniers jours de juin. On ne quitte plus guère le couvert des platanes. Des grappes d'enfants s'ébrouent sur les pelouses, avant de repartir en ribalbelles cacophoniques aux mains de quelques adultes, dans le brouillard de sable soulevé par leurs minuscules piétinements.

Les bras écartelés au dossier du banc. Abandon à la chaleur, regard à contre-feuille, la tête dodeline sur les épaules, gorge déployée, livre délaissé.

Le héros de Mouawad prend un bain, je nage dans la chaleur de juin. Son père mort apparaît, simplement, fantôme de chair, comme ça, pour un petit bonjour, courtoisie d'une visite post mortem. Et il lui parle.

« Taty Vanille »

Appel du fond des temps, souvenirs résurgents, qui courrent du coeur aux lèvres, en un sourire transperçant. Oui, je fus autrefois « Taty Vanille » pour un jeune Cyprien, dont les baisers d'enfant voletaient sur mon cou au ras de l'encollure du pull, au ras de la ligne basse des cheveux, derrière les oreilles, attirés comme autant d'abeilles par mon parfum de vanille, excentricité bien ingénue d'une adolesccente. C'était autrefois, c'était ailleurs.

Taty.

Echo de la question. Entre hésitation et insistance.

Devant mon esprit réveillé, un jeune homme brun, deux yeux qui trouent d'un bleu de nuit un visage sec, barbe d'un jour. Son regard dans le mien, en quête d'une confirmation.

Cyprien ?

Taty Vanille ?

L'interrogation a cédé le terrain à la joie, et la voix me prend dans ses bras. Mon regard l'embrasse. Nous restons, lui debout, moi gérant l'inconfort de mon siège. Je ne songe même pas à me pousser pour l'accueillir près de moi. Plus proche que dans mes souvenirs.

-  Qu'est-ce que tu fais à Paris ?

- Je vais entrer à Jussieu . Et toi ?

-  Paris 3, Censier, Sorbonne nouvelle.

-  Ah ?

 - Reprise d'études.

Ne pas lui parler de mes tentatives avortées dans la communication, du chômage et des nouveaux petits boulots de baby sitter, de la recherche d'un examen plus valorisant.

Le parc est plus étouffant qu'au sortir du pique-nique. Naufrage des mots et des pensées dans la touffeur. Les souvenirs comme un tsunami. Quelques ruines du présent flottent dans la conversation. Ne pas laisser revenir les baisers oubliés et les bercements nostalgiques. Dans le bleu nuit de ses yeux, les souvenirs fulgurent. Peut-il lire ceux qui s'effarent dans la châtaigne des miens.

- Alors l'an prochain

- Tu seras là aussi ?

Au jardin des plantes, à l'abri des autos qui passent boulevard de l'Hôpital, nous nageons le temps à contre-courant. A l'abri des hauts bâtiments de la rue Buffon, entre une géode d'améthyste et un mammouth statufié, une baby sitter et un baby-sitted ont rejoué Littoral de Wajdi Mouawad. Au jardin des plantes, les étudiants de Jussieu et de Censier vivent au saisons des fleurs et des arbres attendris.

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