Jasmin
lyciagarou
Cher Père,
Je suis Jasmin. Fragile, mon parfum n'en est pas moins enivrant et fait perdre leurs moyens aux hommes comme aux femmes. Mes boucles blondes tombent avec une délicatesse calculée sur mes épaules, tandis que mes yeux saphir scrutent tout, absolument tout. Mes lèvres rosées s'étendent toujours dans un sourire. Une parfaite noble au physique avantageux, voilà comment on pourrait me décrire.
Mais tout ceci est loin de la vérité Père. Vous comme moi, nous savons qu'il n'y a rien de plus sombre que ce qui est masqué par un vernis lisse et sans imperfections. Comme notre maison.
Les Loneheart, la famille aux papillons. C'est ainsi qu'on nous connait, et qu'on nous reconnait. Notre blason ne cesse d'étonner. Pourquoi un papillon, alors que chacun se targue d'être un lion, un ours, ou un loup ? C'est vous qui me l'avait expliqué lorsque je vous ai posé la question, alors que je n'avais pas cinq ans. Le papillon n'est rien au début, personne ne se méfie de lui. Petite chenille, tout le monde pense pouvoir le contrôler ou l'écraser. Mais personne ne le fait, par pitié ou par respect pour chaque vie qui soit. Mais si nous commençons notre transformation, il est déjà trop tard : nous déployons nos ailes et nous étouffons nos adversaires, nous nous nourrissons de leur cadavre encore chaud. Et rien ne nous rend plus magnifique.
Vous avez fait en sorte de me donner une éducation irréprochable Père, et je vous en remercie. Vous avez fait de moi une femme cultivée, instruite, et intelligente. Vous avez fait de moi une arme parfaite. Parfaite pour venger votre mort et leur faire payer à tous.
Je me souviens des ballades dans les jardins du Château, quand vous m'autorisiez à venir avec vous après vos entrevues avec le reste de la cour. Je me rappelle vos baisers tendres, vos mots doux. Mère ne s'est jamais douté de rien, jusqu'à la fin. Mais nous partagions vous et moi cette passion unique qui nous faisait vivre. Cette passion interdite dont seules les roses des jardins royaux pouvaient être témoins.
Ce n'est pas la seule chose qu'ignorait Mère. Quand ce n'est pas notre amour qui nous isolait du reste du monde, c'était cet enseignement secret que vous me donniez. Vous étiez doué Père. Vous avez compris rapidement que j'étais encore plus parfaite que vous n'auriez pu l'espérer. Très tôt, il s'est développé chez moi cette étrange capacité sombre, celle de jouer avec les ombres. Toute petite, c'est inconsciemment que je faisais disparaitre la mienne, ou la faisait changer de forme. Plus tard, grâce à vous, je réussis à contrôler celle de quelqu'un d'autre. Cela m'ouvrit les portes de nombreuses possibilités : j'avais alors le contrôle sur le porteur de cette ombre. Je le manipulais tel un pantin, en faisant mon jouet. Mais j'atteignis le sommet de mon art le jour où je réussis à créer une créature d'ombre de toute pièce. Ephémère, cette chose n'en était pas moins le combattant parfait. Elle ne souffrait pas des coups, et si elle parvenait à se glisser dans le corps d'un vivant, elle pouvait lui ôter la vie en quelques minutes.
Vous aviez de grands projets pour nous. Si nous arrivions à supprimer assez de nobles, nous aurions pu nous imposer comme la plus influente des familles de tout Elyndra. Mais un jour, alors que nous échangions un nouveau baiser passionné, les roses ne furent pas les seules à nous voir. Un jeune garçon qui jouait plus loin nous surprit, mais vous avez été fantastique Père. Vous l'avez attrapé, et nous nous sommes éloignés. Le petit était terrorisé. Vous le mainteniez, et vous m'avez regardé. Je n'oublierais jamais ce que vous m'avez dit ce jour-là.
« Ma douce, si quelqu'un apprend ce qui nous lie, nous perdrons la vie. Il ne doit jamais y avoir de témoin de nos secrets, jamais. »
Mon cœur battait la chamade. Vous n'avez rien eu besoin de dire. Mon pouvoir s'étendit et prit le contrôle du garçon. Vous vous êtes éloigné, vous plaçant à mes côtés. Vous avez posé votre main sur mon épaule découverte, et alors le cou du garçon prit un angle impossible à supporter. Nous partîmes rapidement, et nous étions déjà de retour dans notre demeure lorsque le corps fût découvert. Par mesure de sécurité, l'accès au Château fût restreint, et je n'ai plus eu la permission de vous accompagner.
Lors d'une de nos étreintes, vous vous êtes étonné que je vous aime de la même façon que vous m'aimiez. N'avais-je pas de la peine pour ma Mère ? Je me rappelle avoir souri mais n'avoir rien rajouté. Mère était devenue plus vieille et plus laide, alors que j'étais une superbe jeune femme, pleine de vie et d'admiration pour vous. Je comprenais votre choix, et il se peut même que parfois je l'encourageais outre mesure.
Malheureusement pour nous Père, nous ne pouvions vivre éternellement dans la félicité et le bonheur. Une de nos servantes a commencé à émettre des doutes sur votre éducation, et votre proximité avec moi. Si Mère, totalement persuadée qu'il n'y avait rien de malsain nous défendit, la garce n'en resta pas là. Elle se mit à nous suivre et à nous surveiller, faisant courir toute sorte de rumeur. Comme quoi, je serais votre captive, je serais sous votre emprise, et vous abuseriez de moi. Lorsque j'entendis cela au procès, je manquais de rire. Il n'y avait pas d'abus quand l'amour était partagé.
Mais ce qui devait arriva Père. Un soir au diner, les gardes de la Régente arrivèrent chez nous, vous demandant de les suivre. Vous vous êtes défendu de toutes vos forces, et je me rappelle avoir hurlé avec Mère. Dans la cohue générale, vous avez perdu la vie. Lorsque votre corps sans vie tomba sur le carrelage, mon cœur cessa de battre. Je revois encore vos cheveux sur le sol, semblant perdre tout à coup leur éclat. Je revois votre sang s'étendre autour de vous. J'ai couru jusqu'à vous, plongeant dans ce sang qui vous fuyait. Je hurlai que je voulais prendre votre place, que ces gardes n'étaient que des assassins. Un médecin finit par arriver, et je fus éloignée, mon attitude jugée comme hystérique.
Le procès ne fut que théâtre et comédie. La servante raconta tout ce qu'elle avait vu, inventant même des épisodes farfelus de fuites à cheval et de danse avec le démon. Mère me suggéra de me taire, car la garce avait déjà l'avis du peuple avec elle par les sombres histoires qu'elle avait narré à tout va. La cour décida que je n'étais en rien impliquée dans cette histoire, que j'étais une victime. Mère dut me retenir de toutes ses forces pour que je n'ouvre pas la bouche, mais c'était le prix à payer pour rester en vie, et libre. Le garde qui vous a ôté la vie fût suspendu quelques temps, mais ce fût tout. Il continuait de respirer, lui.
La vie sans vous ne fût plus jamais la même Père. Je jouais la parfaite noble, comme vous me l'aviez appris. Mon cœur criait vengeance tandis que mon esprit restait discipliné, comme pour ne pas faire plus de peine à Mère. Celle-ci m'annonça d'ailleurs quelques mois après votre décès qu'elle avait trouvé un prétendant pour moi. Je lui souris en prétextant que c'était une excellente nouvelle, mais il n'en était rien. Quand je rencontrais le maraud, il n'avait rien de votre grandeur. Il n'aurait certainement pas ma main.
Alors, je me suis rappelé cette journée où vous et moi avions partagé l'étendue du pouvoir qui m'habitait pour continuer de vivre en paix. Si nous ne pouvions être ensemble, je ne serais avec personne.
Je me rendis chez l'homme qui devait devenir mon époux une nuit de pleine lune. Les ombres étaient nombreuses, grandes et belles. J'étais sur le palier quand la créature prit vie. Un instant Père, je crus que vous reveniez d'entre les morts. L'ombre éphémère me caressa la joue avant de s'infiltrer dans le manoir. Je quittais les lieux, et finis par entendre un grand cri. Le frisson qui me parcourut fut tout simplement grandiose. Un papillon doré éclaira mon chemin un court instant, et mon sourire habituel se crispa dans une moue des plus terribles. J'avais trouvé le moyen de vous avoir toujours près de moi. Il était maintenant temps de faire payer à ce garde qui vous a enlevé à moi.
La période qui commença alors ne fut que réjouissances et délices. Le garde disparu pour ne jamais réapparaître, et la garce qui vous avait fait tué commença à propager de nouvelles rumeurs. Comme quoi j'étais maudite. Que quiconque m'approchait risquait de perdre la vie. Que j'étais perdue.
Mais aucun soupçon ne porta sur moi. Comment cela aurait-il pu arriver ? J'étais une jeune femme fragile, et lorsqu'on retrouva la servante les poignets tranchés, l'explication évidente fut évidemment retenue. Et celle de la jeune fille prenant possession des corps avec les ombres ne fut pas un instant soupçonnée.
Père, je continue de vous aimer. Chaque nuit où les ombres viennent à moi, elles ressemblent de plus en plus à vous. Je mènerais à bien nos projets de conquêtes d'Elyndra. La Régente finira par payer son laxisme vis-à-vis de votre assassin. Chaque membre de la cour présent au procès connaitra le seul sort que nous leur réservons. Je vous écrirais bientôt pour vous faire part de ma réussite, n'ayez crainte.
Votre Douce,