Je ne bougerai pas

alexandra-ahah

Je ne bougerai pas

Bzzzbzzzzzz. Cesses donc cet inlassable mouvement au-dessus de moi bon sang. Que fais-tu dans ma chambre d’ailleurs ? Tu es répugnante. Ton corps rond couleur charbon, tes ailes qui s’agitent comme un éventail vigoureusement manipulé par une journée étouffante et sans air et tes maudites antennes me dégoutent.  Et bien quoi, tu n’as  jamais vu personne allongé tranquillement dans son lit, occupé à regarder le plafond ? Pourquoi inspectes-tu chaque recoin de la pièce ? Tu veux t’installer, dis ? Avoue plutôt que tu as décidé de me rendre la vie insupportable, comme si elle ne l’était pas déjà assez. Mais il n’y a rien pour toi ici : pas de confiture à lécher, pas de miettes à picorer, même pas d’eau dans laquelle te noyer. Dégage, dehors, ouussst ! Profites-en maudite bestiole, la fenêtre est ouverte. Retourne d’où tu viens, vole au-dessus de la ville et pose-toi sur un toit, un chat, une merde ou ce que tu voudras.  Mais que tu es conne, c’est pas vrai ! Sortir n’est pas compliqué pourtant : dès que tu sens un souffle allant de l’intérieur vers l’extérieur, emprunte le couloir d’air et laisse-toi porter comme si tu étais un surfeur sur une vague. Ça suffit  de me tourner autour ! Je ne suis pas une proie pour toi. Je suis beaucoup plus gros que toi, tu ne le remarques donc pas ? Je suis une montagne comparée à ton corps ridicule et obscène. Ah tu es contente maintenant je suppose, tu as atteint ton but, c’est bien cela ? Tu es entrée par cette fenêtre uniquement pour me narguer, salope. Depuis le début tu avais projeté de me grimper dessus, de me toiser du haut de mon nez. Mais il est à moi ce nez, tu n’as pas le droit de l’investir comme si c’était ta propriété. Pour qui te prends-tu mouche à merde? Il y a quelques années encore, je t’aurais fait valser de l’autre côté de la pièce d’un simple revers de la main. Ça te fait marrer, hein ? Allez laisse-moi, tu ne gagneras pas à ce jeu. Malgré moi, je serai le plus fort et je ne te ferai rien.  Mais tu devrais comprendre que tu me déranges. Au-delà du bruit monotone que tu émets, de cette anatomie absurde que tu trimballes, de mon incapacité à te faire bouger, je ne supporte pas de te voir ainsi voleter, libre de ton corps et de tes mouvements probablement en chantant de joie d’être vivante.  Alors que moi je suis presque mort, incapable de sortir un son audible et coincé dans ce corps inutile, inerte, handicapé.

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