JE NE SERAI JAMAIS JANE AUSTEN

Catherine Killarney

Ma vie d'écrivaine de piètre talent...

J'ai 58 ans et j'ai toujours eu la passion d'écrire. J'ai dû rédiger mon premier récit à 7/8 ans ! Mes parents nous avaient emmenés visiter un château-fort des environs, qui m'avait beaucoup impressionnée, et en rentrant j'avais mis sur le papier mes souvenirs et mes impressions, regrettant de n'avoir pas pu entrevoir le fantôme de quelque jolie dame du passé ! Et oui, déjà, j'avais l'imagination fertile. 

Et puis je n'ai plus arrêté. Jamais. J'ai d'abord noirci des cahiers de contes de fées et d'histoires pour enfants, à la manière de mes premières lectures de l'époque : Oui-Oui, ou Martine, puis Le club des cinq ou L'île au trésor. J'avais un peu de mal à aller au bout, je dois l'admettre et la plupart de ces chefs d'oeuvre finissaient inachevés dans mes tiroirs... A l'école, j'avais toujours les meilleures notes en rédaction, et j'aimais tellement l'exercice que, lorsque nous avions trois sujets au choix, je faisais les trois. Pendant les vacances, je prenais mon livre de français où figuraient à la fin plein d'idées de rédaction, à l'usage des professeurs, et j'écrivais, j'écrivais. 

A l'adolescence, ma vocation d'écrivain était claire ! Et cela devenait sérieux, il fallait que je travaille, que je peaufine, que je soigne mon style. Je songeais à des romans, des tas de romans, tellement de romans que j'avais plusieurs cahiers pour les divers "chantiers" en cours ! J'aimais bien les choses romanesques, des histoires familiales compliquées, qui se passaient au XVIIIe siècle (de préférence), ou bien des histoires plus contemporaines qui se déroulaient quant à elles toujours aux Etats-Unis ou bien en Angleterre... Parallèlement, je donnais aussi dans le fantastique (sorcières, vampires, fées...) ou la science-fiction. J'abandonnai les cahiers pour de gros classeurs par thème avec, à l'intérieur, des intercalaires pour chaque travail commencé. J'en avais jusqu'à 50 en cours... A ça s'ajoutait des bandes dessinées, et toujours des contes, que j'illustrais moi-même.

Mais tenter d'envoyer quelque chose à des éditeurs, c'était très compliqué en ce temps-là. Il fallait que ce soit dactylographié et je n'avais pas de machine. L'ordinateur perso n'existait pas encore et le courrier se tapait sur des machines mécaniques, où l'on s'écorchait les doigts si l'on avait le malheur de rater la touche ! Vinrent les premières machines électriques, beaucoup plus confortables et plus rapides. Puis on y incorpora des petits écrans et une mini-mémoire : le top du top ! Mais ça restait du matériel professionnel. Personne n'avait ça chez soi.

J'étais alors secrétaire commerciale. Je ne pouvais consacrer que mes soirées et mes week-ends à mes écritures. Mais mon père m'offrit une vieille machine électrique de son bureau, qui allait être jetée pour équiper les filles d'engins plus moderne, et qu'il récupéra pour moi. Quel bonheur ! Voilà qui était autrement plus sérieux que mes vieux cahiers ! Du coup, je me mis à taper des nouvelles fantastiques et je fis un recueil que je décidai d'envoyer à des éditeurs. Mais là encore autre difficulté : le photocopieur restait une pièce rare, toutes les entreprises n'en avaient pas et il était bien entendu hors de question de se servir de celle de l'entreprise à titre personnel. D'autant que... photocopier 300 pages en plusieurs exemplaires, c'était mission impossible. Je procédais donc comme on faisait à l'époque : avec du papier carbone et des "pelures" (papier très fin pour faire des doubles). Ce qui pouvait me donner maxi 4 exemplaires : un pour moi, trois pour trois éditeurs. Pas d'Internet non plus. Je relevai des adresses au hasard... sur les livres de ma bibliothèque. Des grandes enveloppes, la poste (bonjour les frais d'affranchissement...) et voilà mon travail parti vers les hautes sphères parisiennes.

Qui rejetèrent ma prose vite fait bien fait. Je fus très déçue.

Je continuai d'écrire néanmoins, une passion ne se balaie pas d'un revers de la main, une ambition ne s'arrête pas au premier écueil. Mais le temps que je pouvais y consacrer s'amenuisait. J'avais un nouveau travail très prenant, et puis une vie de couple. Avec ma vieille machine et mes papiers pelure... rien n'avançait. Moins ça avançait, plus j'étais dégoûtée, l'inspiration diminuait, le courage aussi... Et puis voilà que l'ordinateur personnel, le PC, fit sa grande entrée et révolutionna nos vies quotidiennes ! Vitesse grand V, mémoire grand M (et encore, à côté d'aujourd'hui, c'était risible...), et une imprimante pour moi toute seule ! Le jour où je cassai ma tirelire pour m'offrir cette merveille est une grande date dans ma vie !

Même en travaillant, et n'ayant pas d'enfant, je pouvais écrire en moyenne une heure par jour, et comme je n'ai jamais connu le syndrome de la page blanche... je réussis à boucler un gros roman de 400 pages en quelques mois. Un truc assez loufoque, baroque, avec des personnages d'aujourd'hui, mais des comportements fantaisistes et des pouvoirs un peu surnaturels. Je dirais genre John Irving ou Isabel Allende, voyez ? Un mélange que j'aime bien. Je l'ai lu et relu et encore relu, et remanié. Et puis je l'ai envoyé à plusieurs maisons d'édition. Pas trop... pas assez... 400 pages, vous imaginez les frais de papier et de timbres ? Toujours est-il que là aussi je n'essuyai que des échecs et commençai à désespérer. Pourtant, je détestais mon métier, je ne l'avais appris que pour faire plaisir à ma mère... pour qui toutes les autres suggestions que j'ai pu faire (écrivain, journaliste, dessinatrice, costumière...) étaient des idées de folle à lier. Je voulais, je voulais, je voulais être écrivain, et abandonner à tout jamais le monde de l'entreprise où je me sentais très mal. Je m'imaginais pouvoir vivre de mes écrits. Pas pour être riche et célèbre. Juste pour pouvoir faire ça toute la journée, sans problème d'argent.

En ce temps-là, les bugs informatiques n'étaient pas encore entrés dans les mœurs. On les croyait invulnérables nos PC. Le mien cessa de vivre un beau matin... et emporta avec lui dans l'outre-tombe tous mes écrits, toutes mes ébauches, tous mes plans, tous mes projets... que je n'avais pas pris la peine (procrastination) de sauvegarder sur disquettes... J'en ai pleuré des larmes et des larmes... Et j'ai songé que c'était un "signe", que je n'étais pas faite pour ça, que je devais arrêter de rêver. 

Mais rapidement, dès que le nouveau PC arriva, je repris bien évidemment mes petites habitudes, en me disant que je garderais ça pour moi, ce serait mon petit hobby personnel. 

Il se trouve que j'ai perdu mon boulot. Et que les propositions ne s'accumulaient pas, c'est le moins qu'on puisse dire. Alors je me suis remise à écrire plusieurs heures par jour. Déterminée comme jamais ! J'allais le publier, mon best-seller ! 

Passionnée d'histoire, avec une fascination toute particulière pour Marie Stuart (mais il y en a d'autres...), et ne trouvant pas de version romancée de son incroyable destin, je me lançai dans l'aventure. J'ai réuni plein de documentation, j'ai fait des plans, des tableaux, et hop. Personne n'en a voulu, comme d'habitude, alors que les personnes auxquelles j'avais soumis mon oeuvre avaient toutes trouvé ça très bien. Mais les gens que vous connaissez trouvent toujours ça très bien... Aucun succès non plus pour le recueil de nouvelles que j'ai écrit parallèlement (je suis une grosse bosseuse !). 

Pendant ce temps, devant l'énorme vague des aspirants écrivains qui voyaient les ordinateurs leur permettre d'accomplir leurs rêves plus facilement et rapidement que ces vilains cahiers d'écoliers, des petits malins ont eu l'idée de créer des maisons d'édition 2.0 sur Internet. Ils vous promettaient monts et merveilles et j'y ai cru, sotte que je suis. Ils m'ont même fait signer un vrai contrat ! Mais après... plus rien. Malgré leurs promesses, aucune aide, aucune promotion, aucune publicité. Devant les quantités phénoménales d'oeuvres amateurs, il faut vraiment avoir un coup de bol extraordinaire pour sortir du lot ! Pire, ils vendent les livres 26 € pièce ! Même mes copains n'ont pas voulu en acheter ! Ce sont mes exemplaires perso qui continuent de circuler. Faut dire que c'est plus cher qu'un livre en librairie ! Et trois fois plus cher qu'un livre de poche ! Qui va payer 26 € pour tenter un écrivain inconnu dont, visiblement, les éditeurs traditionnels n'avaient pas voulu ? Je me demande vraiment comment ces sites continuent d'exister, quelle est leur vrai mode de fonctionnement. Ont-ils de "vrais" écrivains sous le coude ? Et nous, pauvres de nous, ne servons-nous à rien d'autre que de les faire connaître... parce qu'on en parle à tout le monde, tellement on est contents et fiers ? Ils nous incitent à acheter des exemplaires et à aller nous-mêmes les présenter aux libraires... Des fois que ça marcherait ! Et puis c'est tout bénef pour eux. Mais vous imaginez ça, vous, investir 2600 € et partir faire les librairies de la ville : qui accepterait de libérer un espace et du temps pour un total inconnu ??? Bref, leur façon de faire (et de ne pas faire) reste un véritable et insondable mystère.

J'ai relancé, râlé, j'ai fini par réclamer que l'on me rende mes droits, ils n'ont jamais voulu. J'ai consulté un avocat qui m'a dit que la partie était quasiment perdue d'avance, les éditeurs quels qu'ils soient, ne rendent jamais les droits « pour le cas où un miracle arriverait ». Cool.

On m'a aussi dit que le roman historique était un sous-genre, qui n'attirait pas grand-monde. Un sous-genre ??? C'est doublement culturel, pourtant : l'histoire et le français. Ceux que je lis sont souvent très très bien écrits et largement supérieurs à des best-sellers que je feuillette au rayon livres des librairies… Mais l'histoire n'intéresse personne non plus, me dit-on. Et mes nouvelles, alors ? C'est un sous-genre aussi, qu'ils disent. Maupassant appréciera.

Effectivement, dans la pratique… je dois dire que mes goûts littéraires semblent fort différents de ce que vois à vendre ! J'ai d'ailleurs arrêté de lire tout auteur né après 1950. Les récits nombrilistes et narcissiques qui semblent faire la une des journaux et des festivals, et tous ces polars… je déteste ça. Pas de style, une syntaxe sommaire, un vocabulaire simpliste, des histoires qui sont toujours les mêmes… Moi j'aime les grandes sagas romanesques de Balzac, de Flaubert, de Jane Austen… Les grands destins… Alors forcément, j'ai envie d'écrire ce que je ne trouve pas et que j'apprécie tant. Mais si je ne le trouve pas, c'est que ça ne se vend pas. L'histoire du chien qui se mord la queue.  

Dégoûtée, j'ai encore juré mes grands dieux que cette fois, c'était bel et bien fini.

Jusqu'à ce que, discutant avec des amies, je me suis rendue compte que nombre d'entre elles en avaient elle aussi ras-le-bol des polars et de la chick-litt, et qu'elles rêvaient de trouver des beaux romans "comme autrefois". 

Le goût m'est revenu, l'ambition aussi. Un best-seller avant mes 50 ans ! Là, je me suis donné pour objectif, émoustillée par le phénomène de la fan-fiction (on continue les histoires des héros qu'on a bien aimés), de réécrire Les Hauts de Hurlevent (un de mes romans préférés) en version contemporaine ! Quel défi, quel régal !

Mais voilà… comme je suis aussi une grande lectrice, très régulièrement je lis et relis mes auteurs favoris, et entre autres, cette fameuse littérature du XIXe siècle. Et quand je ferme un Balzac ou un Maupassant… je pleure. Parce que c'est si beau ! C'est si bien écrit, si plein de charme, si palpitant de vie ! Je pleure sur mon absence de talent, sur ma nullité, sur ma vanité… Ce qui n'aide pas. Mes Hauts de Hurlevent eux aussi en font les frais et se sont arrêtés au cinquième chapitre.

Très récemment, la fougue, à nouveau, est revenue. « Un best-seller avant mes 60 ans ! » Cette fois j'ai commencé des nouvelles. Et comme aucune de mes « fictions » n'avaient marché jusqu'alors, que je lisais souvent des interviews d'écrivains disant « qu'on parle bien uniquement de ce qu'on connaît »… j'ai écrit mes souvenirs mais sans le « je », au travers de personnages autres, sur des événements bien réels que j'ai vécus. J'ai encore éprouvé un grand plaisir…

Je songeais à l'auto publication, très à la mode en ce moment. Mais, pour avoir testé plusieurs « auteurs », j'avoue que j'ai trouvé tout ça assez nul. Des trucs à la mode, comme toujours : chick-litt, fantasy, polars et repolars, romans érotiques… Pas du tout moi ! Et puis… pas très bien écrits non plus… disons le clair et net. Certains pourtant ont tellement de succès qu'ils font soudain un tabac et sont repérés par les vrais éditeurs. Mais ça doit être 1 pour 2000, sans doute beaucoup plus ! Et quand je vois par exemple la nana qui a écrit 50 nuances de Grey, qui est devenue milliardaire… les bras m'en tombent… Les trentenaires autour de moi semblent raides dingues de ce genre de littérature. Que je trouve niaise et mal écrite. Je ne suis plus du tout, mais plus du tout dans le coup ! Je suis INVENDABLE.

Les doutes, encore, m'ont submergée. Y compris sur le thème que j'avais choisi : je reproche aux autres d'être nombrilistes et narcissiques ? Et je me mets à écrire mes mémoires ? Seigneur !

J'ai tout arrêté.

Et maintenant que j'ai fait un tour vraiment complet de la question… qu'est-ce que je pourrais bien écrire ? Le but était d'être lue, reconnue, de divertir les gens. Attention, je n'ai pas dit que je voulais la gloire. Non, juste la reconnaissance pour un certain talent et le travail bien fait. Un travail qui aurait été mon but dans la vie, ma raison d'être présente sur cette terre. Ma vocation enfin accomplie. Si personne ne veut de mes œuvres, ma vocation n'a aucun sens… Il faut peut-être enfin que j'en convienne !

Et je ne peux tout de même pas écrire contre ma nature : des polars, par exemple ! De toute façon, j'en serais incapable, puisque ça ne m'intéresse pas le moins du monde.

FINI. TERMINE.

Après avoir essayé une première plateforme d'auteurs amateurs, qui m'a semblé un peu « pédante » (bien qu'aucun membre n'ait publié chez un « vrai » éditeur), j'ai découvert WE LOVE WORDS. Là les textes que j'ai pu lire pour l'instant sont très bien écrits et je découvre des « besogneux » comme moi qui ne peuvent simplement pas se passer d'écrire. Depuis j'y publie des nouvelles, des petits textes… J'ai le sentiment (illusoire mais ça fait du bien) d'EXISTER.  

  • Bonjour, j'ai trouvé votre témoignage très émouvant. Je suis pleine d'admiration pour votre courage et votre persévérance. Jane Austen a affronté tellement de difficultés pour s'imposer comme écrivain que - vu ainsi -, vous avez un côté Jane Austen. Cela doit être réconfortant et vous encourager à continuer; J'adore les romans historiques, c'est un excellent créneau ! Bonne chance.

    · Il y a environ 7 ans ·
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    Nadia Gorbatko

    • Merci pour vos encouragements... le "vous avez un côté Jane Austen" me va droit au coeur ! Si vous aimez l'histoire, avez-vous lu ma nouvelle Jeanne, 1764 ? Je voudrais écrire d'autres nouvelles de ce genre, pour faire une série "grandes dames du temps jadis".

      · Il y a environ 7 ans ·
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      Catherine Killarney

  • J'ai suivi votre parcours avec intérêt et je ne serai sans doute pas le seul, même si WLW n'a pas l'audience pour parler au plus grand nombre.
    Ecrivain du genre court, je conserve (avec précaution) des centaines d'écrits et poèmes qui n'auront jamais plus de notoriété que quelques commentaires voire quelques premiers prix vite oubliés.
    L'important est de créer, de prendre du plaisir à écrire (j'écris tous les jours de l'année) en espérant donner du plaisir à ses lecteurs.
    Je sais que je n'en vivrai pas financièrement mais ça fait tellement de bien!
    Bonne journée Catherine

    · Il y a environ 7 ans ·
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    vegas-sur-sarthe

    • Merci. Je suis parfaitement d'accord avec vous. J'avais des rêves plein la tête, il faut savoir se faire une raison. Editer mes petits textes, sachant que d'autres, même peu nombreux, les liront, ça fait du bien. S'ils aiment bien, ils laissent un petit commentaire, s'ils n'aiment pas ils passent leur chemin. Personne ne se sent obligé, comme la famille et les amis, de s'exclamer "Oh c'est génial !"
      Constater que quelques personnes me lisent me redonne plus que jamais le goût d'écrire et c'est ça le principal car c'est mon plus grand plaisir dans la vie. Vraiment. A bientôt !

      · Il y a environ 7 ans ·
      P1050384

      Catherine Killarney

    • :)

      · Il y a environ 7 ans ·
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      vegas-sur-sarthe

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