Je ne suis... Belle.
sitah
Allongée sur son lit défait, elle observe les lattes du plafond qu'elle a dû compter une bonne centaine de fois. La bouteille qui traîne dans ses couettes, c'est pas ce que vous pensez, non, elle n'a pas essayé de l'oublier dans l'alcool. Si elle a vidé ce vieux whisky dégueulasse, c'est parce qu'elle pensait que ça l'aiderait à dormir. Elle avait déjà tous les vices, mais les cachets magiques censés l'emporter dans les bras de Morphée ne l'avaient pas encore corrompue.
En comptant les planches de bois blanches qui trônent au dessus d'elle, elle se souvient de chaque mois qu'elle a passé avec lui. Au creux de ses bras, là où il fait chaud, et où elle se sentait plus à sa place que n'importe où. Non, non, ne croyez pas qu'elle pleure pour un garçon trop bête, ne croyez pas que si elle fond en larmes, c'est parce que son cœur est brisé. Non, son cœur est anéanti, oui, c'est le mot.
Un jour, il était parti, et c'était déjà trop tard. Il ne lui souriait plus, non, il la regardait comme il regardait les autres ; il ne la regardait pas. Mais c'était trop dur de se faire une raison, s'imaginer vivre sans sa chaleur et son rire. Si dur qu'elle portait un fardeau sur ses épaules, un fardeau qui chaque jour l'écrasait un peu plus. Et il partait au loin, en marchant plus vite qu'elle, puis petit à petit, elle ne l'a plus vu. Il ne s'est pas retourné. Son chemin a dévié du sien. Mais elle ne voulait pas, non, et elle avait déjà cette bouteille avec elle, et son maquillage coulait d'avoir déjà connu trop de larmes. Alors elle a voulu le suivre, quitter ce chemin dont elle n'aurait jamais dû s'éloigner. Et puis finalement, la voilà, maintenant, loin de la raison. Elle voulait mourir, pour ne pas avoir à avancer sans lui. C'était faible, mais sa mort ne lui était pas supportable.
Il disait qu'elle était belle. Et il était sincère, ça oui.
Alors elle se lève, difficilement, et laisse son tord boyaux sur la couette blanche. Puis elle observe le reflet que lui renvoie le grand miroir de sa chambre ; un sourire inexistant, une peau trop pâle, un regard trop triste. Le noir coule sur ses joues, presque séché, elle a dû pleurer des heures. Ses cheveux tombent sur sa figure diaphane, ces cheveux qu'il aimait tant toucher. Elle les attrape d'une main brusque et les serre entre ses doigts blanchis par la colère. Ses paupières se plissent, de par la peine qui pèse sur eux, et elle revoit son visage, ce visage qu'elle a pu tant aimer...
Sur ces entrefaites, elle s'appuie sur sa commode pour s'examiner de plus près. Prise de dégoût pour sa propre image, elle ne cesse cependant de se dévisager. Puis dans un dernier sanglot, elle devine un éclair d'espoir se profiler en elle. Son dos se redresse peu à peu, et ses sourcils se froncent doucement. Elle attrape un rouge à lèvres, puis entoure son visage dans le miroir en étouffant un dernier pleur.
Elle attrape sa veste et ouvre la porte de sa prison.
"Je suis belle." C'est ce qu'il voulait qu'elle sache, pour qu'elle puisse se relever, le jour où il s'en irait...