Je ne vous entends pas avec mes lunettes (part. 2)
Ivan Caullychurn
Deuxième jour de ma mission de six mois : le jour où j'ai perdu mon pantalon.
Levés avec le soleil à 7h, nous coupons des troncs pour dégager de l'espace en vue d'une plantation de divers arbres fruitiers. Je me salis à cause de la sève des hévéas ; la même sève dont se servent les Thaïs pour faire du caoutchouc. Je décide donc de laver mon habit au savon et dans la rivière. Je choisis un endroit où le courant est assez prononcé pour ne pas polluer la saine apparence de l'eau. Je savonne, frotte et puis décide de me filmer car laver mes affaires dans une rivière n'arrivera pas demain la veille de retour en France. Je poste donc mon appareil sur une autre roche légèrement éloignée. Je calibre l'angle de vue et appuie sur REC. Je reviens à mon emplacement initial. Rappelez-vous, plus haut j'ai précisé que je cherchais un endroit où le courant était fort. Bon, bah je l'avais trouvé cet endroit puisque mon pantalon n'y a pas résisté. Je pars précipitamment à sa recherche mais stoppe immédiatement ma course-poursuite, réalisant que mon appareil photo, non étanche, était dangereusement esseulé sur un îlot. Je l'éteins, le met à l'abri et saute de rocher en rocher, guettant du tissu gris à la surface et au fond de l'eau. En vain. Je viens de perdre l'un des deux pantalons que j'avais emportés... le deuxième jour... et je reste six mois. Sachant que l'autre restant était complètement déchiré à l'entrejambe après mon expérience douloureuse des toilettes thaïlandaises. Tiens, faut que je vous la raconte celle-là :
Au bout de six heures de voyage en minivan, nous effectuons une pause aux toilettes d'une station-service où je me vis en quelques secondes soulagé d'une pression intérieure de plus en plus insoutenable et coi devant le seau d'eau vide et le manque de papier ou le manque de quoi que ce soit qui m'aurait permis de m'essuyer. Mémorable quand il a fallu que mes doigts fassent le boulot du papier hygiénique ou mémorable encore quand le lavabo me montrait son dysfonctionnement et donc l'état définitif de l'odeur immonde régnant sur mes doigts.
Deuxième jour toujours : où comment un moustique a mis un système pharmaceutique mondial à l'eau.
Me faisant régulièrement piquer, je décide en fin de matinée de me couvrir intégralement le corps d'une lotion antimoustiques en spray spécial Tropiques. Je dis bien : spécial Tropiques. Ça sent fort, vraiment. Je m'installe dans le hamac. Je vois arriver un moustique, tout lentement. Je me dis : « viens, viens voir papa. » Il m'a écouté, puisqu'il est venu me voir et m'a piqué. L'effronté. Il a osé défier l'occident. Taliban va.
Désirant me dégourdir les jambes, je propose aux autres volontaires une petite balade. Vu la chaleur et le soleil qui nous faisaient bien comprendre leur présence, je demande un chapeau pour protéger mon crâne zidanesque. On me pointe du doigt un chapeau de fermier façonné à la cow-boy où les bords sont repliés vers le haut. Un tantinet phobique des insectes rampants, araignées sensiblement plus ciblées, je mène une fouille a priori approfondie dans l'antre de l'objet suspecté. Quelques poussières et résidus de toiles d'araignée, à première vue rien de très anxiogène. J'inspecte le chapeau dans ses derniers retranchements et je n'ai rien à signaler. Je peux aller me balader. Je le pose sur la table le temps de cueillir une banane. L'un des amis des enfants, Noeng, prononcé Nang, s'amuse à imiter je ne sais qui avec le chapeau, certainement l'un des héros de films qu'il aura croisés dans sa courte vie. Alors que j'épluchais ma banane, un cri thaïlandais déchire la quiétude de l'endroit. Un peu comme si en plein sommeil, votre lecteur DVD, son au maximum, s'allumait au moment du cri de la scène de la douche du film Psychose de Hitchcock. Ou alors un peu comme si votre copine faisait un cauchemar dans lequel vous la trompez avec sa meilleure amie et en se réveillant vous en tenait bruyamment rigueur. Tous les regards présents se dirigeaient vers Noeng. Il désigna le chapeau aux bords cette fois-ci dépliés d'où une araignée des plus affreuses, qui aurait fait sans aucun doute la fierté de la maman araignée du film Aracnophobie, sortit. Noire et jaune, velue, elle faisait peser de son charisme effrayant un poids que mon pouce et mon index retransmirent à la banane. La mâchoire bloquée et mes jambes en coton étaient à l'affût du moindre mouvement de l'horrible monstre pour, respectivement, laisser échapper un cri d'effroi pour l'un et se mettre à courir loin, très loin pour l'autre. Plutôt apathique, l'araignée fut prise en photo, facebookée, commentée à travers le monde entier puis relâchée dans les hautes herbes. Ces dernières étant, pour ma personne et de par leur possible coopération dans la cache d'ennemis jurés, un lieu non grata.