Je ne vous entends pas avec mes lunettes (part. 5)

Ivan Caullychurn

Où quand un Occidental rencontre la jungle thaïlandaise.

Ça y est. La jungle m'a eu.

Elle a fait de moi, simple visiteur plus curieux que d'autres, sa victime. Elle m'a eu par surprise, à un moment où normalement était établie la paix issue d'un accord tacite passé entre Elle et moi. Tel un avertissement avec frais pour me rappeler, nous rappeler à nous êtres humains, que la plus forte, c'est Elle, ça sera toujours Elle, la Nature. En ce beau lundi matin ensoleillé dès sept heures, le travail au potager s'était déroulé comme à l'habitude ; c'est-à-dire pour ma part avec l'envie violente d'exterminer les moustiques et fourmis rouges de cette planète, le désir furieux de répandre du désherbant au lieu de me tuer à arracher chaque mauvaise brindille d'herbe à la main et le souhait viscéral d'aller me réfugier sous ma moustiquaire pour bouquiner. Cet enfoiré de lundi matin ensoleillé donc - où quand je dis ensoleillé, vous y ajoutez la chaleur plombante d'un 12h-14h à Palavas-les-Flots -, fut la date choisie par dame Nature pour me planter un couteau dans le dos. Le travail achevé, je me réfugie à la rivière pour me laver, tout heureux et soulagé de me débarrasser de cette sueur poisseuse et de cette terre incrustée sous mes ongles. Et c'est là, oui là même, que l'atrocité se produisit. Car oui il n'y a pas d'autres mots qu'A-T-R-O-C-I-T-É pour qualifier l'horrible événement que j'ai vécu personnellement de ma personne à moi. Si, il y en a un autre de mot : A-B-O-M-I-N-A-T-I-O-N. Mais laissez-moi vous conter, si, laissez-moi vous dis-je.

Ma toilette terminée, je m'installe sur un rocher pour me laisser sécher. Une douleur au pied gauche, plus précisément à hauteur de l'orteil, se fait connaître à mon cerveau par le truchement d'un message acheminé par la bienveillance de mon réseau nerveux. Je n'y prête guère attention, pensant que cette douleur est la résultante de l'eau sur une récente égratignure. Mais en me rechaussant, la douleur hurle son venin et frappe d'un rictus mes lèvres prises en otage. Je verse mon regard sur le lieu de l'attentat, encore flou, et là c'est bel et bien l'effroi Mesdames et Messieurs qui s'empare de mes yeux, membres et attention. Tel un éclat d'obus venu déchiqueter, oui déchiqueter Mesdames et Messieurs et je pèse mes mots, déchiqueter donc sa zone d'impact, un caillou de la taille d'un menhir était empalé, encastré dans l'aile droite de mon orteil gauche. Un menhir aiguisé de toutes parts lancé par un ennemi inconnu et lâche. En temps normal, les émotions et la vue de la blessure m'auraient fait défaillir mais ici en temps de jungle thaïlandaise, il me fallait tenir et faire preuve de courage. Je laissais tout de même un cri de souffrance serré entre mes dents s'échapper pour tenter d'amoindrir la douleur vivace qui maintenant progressait à toute vitesse et s'emparait d'une bonne partie de ma jambe.
Je rebroussais chemin pour aller voir mon allié anglais et lui demander conseil et aide surtout. Mais l'allié en question était présentement finlandais. Je n'ai pas besoin de préciser la qualité de ce CO-É-QUI-PIER, pour ceux qui veulent comprendre, posez-vous la question de savoir dans quel camp étaient les Finlandais en 39... moi j'dis ça... Une moue donc, la fameuse moue finlandaise, résulta un diagnostic vite fait, bâclé. Touché mais pas coulé, trahi mais encore debout, j'allais trouver un peu de répit dans ma cabane où à l'aide d'un couteau préalablement chauffé au briquet (ha oui mais c'est du hard là Mesdames et Messieurs, je vous avais prévenus d'une véritable boucherie !), je fis extraire l'éclat rocailleux de ma chair. Dans un mouvement final, je rendais à ma douleur le rictus et le cri qu'elle avait provoqués. 

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