Je persévère, elle perd ses nerfs

katondutick

Souvenirs de nos chemises à fleurs

J'ai mis un moment avant de trouver la boutique.Je pousse la porte, un peu malhabile.C'est une agence de publicité.La semaine passée , un ami de longue date m'a téléphoné.Arraché à mes mots croisés.Une définition me tenait en haleine depuis mon réveil.A toujours le nez pâle…Sherpa !Une proposition extravagante.L'ami a parlé de moi à une agence de mannequins.Ils cherchent des seniors pour la SNCF.Cela ne s'invente pas. Bien présenter mon book ? Mon quoi ? Si j'ai des photos ?J'en ai laissé moisir au fond d'un tiroir. Entre des foulards et des babioles .Et si je remettais à plus tard pour l'entretien ?Pas un cliché qui me montre à mon avantage.Peste soit des amis et de leur sollicitude !Je dirai que je suis malade.Est-ce que j'ai une tête à vanter de la vinaigrette dans un sleeping de l'Orien-Express ? Mon visage s'illumine comme devant la crèche quand on croit encore au Père Noël.Voilà ce vieux foulard , oublié, élimé, qui me rappelle un bout de jeunesse! C'était pendant  un jour gris  .Je venais de casser ma tire-lire, un soldat en bonnet à poil gagné à une loterie foraine.C'était il ya très longtemps, quand la police portait encore un képi et tenait un bâton blanc au carrefour.J'avais passé presque une demi-heure à fouiller dans une caisse en acajou.Deux ou trois clientes autour de moi.Gantées.En chapeau. Fardées.Portant beau des bijoux choisis.Fébrile, sous ces regards qui me gênaient.Je cherchais un carré de soie aux couleurs de la nuit.Pénible voyage quand on a dix-neuf ans et les ongles mangés.On sait quand il commence.Mais pas une seule idée de comment y mettre un terme.Tant de tonalités offertes soudain ensemble.Au final, les paumes deviennent tièdes.Sensation plus que troublante, presque voluptueuse quand on est innocentt. Je me sens déjà la peau des doigts en tumulte. Enfin content, entre les mains un bout de tissu. Des galaxies bleues qui s'arriment à des étoiles très sombres. Je vais quitter le présentoir avec discrétion.Une femme, pas vraiment remarquée à mes côtés , me dit d'un ton amer :

-Je m'en vais !Vous avez choisi le plus beau.

Presque coupable, je retrouvai la rue, décidant de garder pour moi ce foulard envisagé d'abord comme un cadeau.L'inconnue était-elle jolie ?Sa phrase me fit l'effet d'une gifle. Le ciel pesait sur moi comme une dalle au point que ne levai pas les yeux du trottoir. Après, je suis allé m'asseoir en bord de Seine.Jusqu'à la nuit, je regardais passer les bateaux, serrant le foulard que j'avais noué autour de mon cou comme faisait le chanteur du flower-power Donovan.

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