JE REVIENDRAI, FINN - 1

Catherine Killarney

Une histoire d'amour et d'aventure à travers le temps.

    Je suis ta maman, mon chéri, et je vais te raconter notre histoire. Je me suis longtemps demandée si je devais te dire la vérité, plus tard, quand tu serais en âge de l'entendre, ou s'il valait mieux la cacher. Mais à quel âge exactement doit-on expliquer aux enfants leur origine ? Quand ils sont petits, quand ils sont ados ? Les psys que j'ai consultés, lorsque moi-même je doutais de la véracité de ce qui m'arrivait, m'ont toujours cru folle, et peut-être le suis-je. Puis-je alors prendre le risque de perturber ta vie à tout jamais ou dois-je plutôt me taire ?

     C'est ton père qui m'a suggéré cette idée : te révéler qui tu es, qui nous sommes, alors que tu es encore un bébé, riant aux éclats dans son berceau. Tout s'imprimera en douceur dans ton petit cerveau, comme une berceuse ; tu porteras déjà en toi ce que nous gardons secret puisque pour les autres c'est incompréhensible. Et plus tard, au fur et à mesure que tes souvenirs se formeront, se préciseront, que des questions viendront, nous reprendront peu à peu les détails qui te manquent, les omissions, les oublis, la part mystérieuse de cet amour qui t'a fait naître.

    Tu n'es pas un petit garçon comme les autres. Tu viens de très loin. Il faudra apprendre à vivre avec, car nos contemporains, ou du moins la plupart, se refusent à croire pareilles sornettes. Nous avons tenté, ton père et moi, de leur expliquer, de les convaincre, car c'est une réalité qu'ils devraient écouter mais nous n'avons recueilli que quolibets et rires. Cette réalité, différente de celle généralement admise, est pourtant bonne à entendre et le monde devrait s'éveiller, s'ouvrir davantage, et accepter que l'on ne sait rien et que tout est possible. Alors nous avons choisi de nous taire, pour continuer à mener une vie « normale » parmi les nôtres, et toi, tu feras ce que tu voudras.

    Je m'appelle Delphine mais j'ai toujours détesté mon prénom. Où mes parents avaient-ils trouvé pareille idée ? Peu importe. Dès ma petite enfance, j'aimais qu'on m'habille en garçon, me bagarrer et je voulais devenir capitaine de bateau. Mon père, qui m'a élevée seul, était navré. Il pensait sans doute que je ressemblerais au stéréotype rêvé qu'il avait dans la tête, d'une adorable enfant en robe rose, qui joue à la poupée et rêve de fées, avec de longues boucles, comme celles de ma mère. Et moi je réclamais des pantalons, des chemises à carreaux, des cheveux courts et je me bagarrais avec les garçons. J'ai réussi à ce qu'on adopte Finn comme surnom. J'avais l'impression que c'était plus masculin. Je ne reniais pas la petite fille qui était en moi, j'avais seulement une conscience très aiguë de la liberté et je voulais commander. Or j'avais vite remarqué que partout, c'était les hommes qui prenaient les décisions et parlaient fort. Alors je me suis habillée en homme et voilà tout.

     Capitaine de bateau, c'était mon jeu favori. J'en rêvais même la nuit. Je ne sais pas comment cela a commencé ; était-ce un livre, une bande dessinée, un film à la télé ou bien les photos jaunies de mon grand-père ? Il avait été officier de marine toute sa vie et cela m'impressionnait beaucoup quand mon père m'en parlait : était-ce de lui que venait mon attirance pour la mer, les bateaux, les mouettes dans le ciel, les odeurs d'iode, le vent du large ? Je n'y crois pas trop. Mais j'aime à le dire, encore aujourd'hui, ça rassure les gens. J'aurais aimé le croiser un jour mais nos vies se sont complètement séparées.

     Maintenant je sais pourquoi j'ai toujours rêvé de l'océan.


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