Je suis heureux, tant pis.

artor

Si seulement il avait pu être malheureux ! En suivant les quelques souvenirs du narrateur, on s'aperçoit que le bonheur peut être un fardeau, surtout quand on est un peu dérangé d'esprit.

De toutes les malchance qu'il eût été possible que je subisse, il a fallu que je me vois infliger la pire : le bonheur. 

Si seulement j'avais pu être malheureux.

Là, enfin, ma vie aurait eut un sens, une couleur vive, une aspérité dont j'aurais pu revendiquer chaque nuance !

J'aurais été balloté par des sentiments violents, âpres. J'aurais pu goûter, moi aussi, la saveur amère de la plainte. 

Pourtant, malgré moi, en dépit de mes efforts quotidiens, je suis heureux. 

Le bonheur, traitre à ma volonté, me tend ses bras atrocement douillets. Il m'emplit de sa quiétude douloureusement chaude et anesthésique. Longtemps j'ai lutté. Pour rien. 

Quoi que je fasse, je ressens cette radiation saine dans ma poitrine. Parfois, sans raison, lorsque je regarde autour de moi, entouré d'amis aimants, des vagues de joie brisent mes barrières mentales.  Quelle défaite. 

Je te vois déjà venir, lecteur ayant la chance d'avoir des problèmes vrais, avec tes jugements péremptoires. Tu dédaignes mon cri de colère, parce que tu en as d'autres bien plus importants.

Sais-tu pourquoi tu peux te permettre un tel sentiment de supériorité ?

Parce que tu es malheureux. 

Parce que tu fais parti de cette espèce bénie qui peut se plaindre. Bande d'arrogants. 

Drapés dans vos soucis, vous pensez que le monde tourne autour de vous, que les lois de la physique ne s'appliquent pas lorsqu'il s'agit de vos précieuses petites personnes pleines de malêtre. Votre malheur vous rend important, essentiels, intéressants. 

Qui se soucie des gens heureux ? Personne. De toute manière, ils sont insipides. 

Pire, vous êtes hypocrites. Êtes-vous vraiment malheureux ? J'en doute. Fortement. Au-delà de quelques cas frappés par une détresse profonde, le reste des vôtres ment éhontément, justement parce qu'ils sont conscients du pouvoir qu'ils se sont accaparés injustement. 

Quand on se voit accorder un blanc-seing d'intérêt par le hasard, cet infâme, on ne devrait plus avoir à se plaindre. 

Durant toute mon existence, je me suis fait écrasé par le poids de vos épreuves, sans jamais réussir à en partager la douleur. 

La gueule de bois, sans l'ivresse. Double peine, mais avec le sourire. 

Vous me trouvez extrême, ridicule ? Laissez-moi vous raconter ce que ça fait vraiment d'être heureux.  


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