Jeanne
Nestor Barth
Jeanne
L'histoire qui suit se déroule sur une période de huit jours.
Elma est mariée à Charles Martins ; Jeanne Tuil et Maria Vinh sont célibataires ; elles occupent chacune un des trois appartements
que forme le dernier étage d'un immeuble. Vue sur la mer et la montagne. C'est l'été, il fait très chaud, l'orage gronde et la moiteur de l'air enveloppe les personnages d'une atmosphère angoissante.
Dans la nuit. La veille d'un départ en voyage.
Noir intense dans un profond silence…
Allongée sur le lit de sa chambre, Elma cherche le sommeil qui l'envahit par moment et se débat dans une demie-réalité, une torpeur …
Dans son demi-sommeil, elle perçoit le couinement de la porte de la chambre qui s'ouvre et se referme doucement sous la poussée d'un geste imprécis puis le frottement de mules sur le tapis suivi de l 'affaissement du matelas sur le côté opposé ; le drap est écarté et soulevé avec précaution et de membres se détendent un à un avec une prudence de serpent ; enfin la pression sur l'oreiller d'une tête se posant avec douceur contre la sienne. Tout lui est perceptible.
Survient soudain le frémissement d'un corps qui la saisit puis l'odeur d'un désir.
Un souffle vaporeux et chaud caresse son cou en le frôlant. Sa langue sensuelle en distingue la saveur. Une effluve lui rappelle le parfum Monsieur de Givenchy qui côtoie le sien sur la tablette de la salle de bain.
Un corps chaud se presse contre le sien.
Une main caresse ses cheveux et fait soudain basculer sa tête en arrière.
Elma tressaille en sentant contre sa bouche ouverte une langue vorace à l'odeur de fruit qui pénètre en force contre la sienne. Ce corps est si serré contre elle qu'elle ne peut que s'abandonner sans pouvoir identifier qui la saisit ainsi avec avidité.
Elle n'est plus qu'une proie ! Des mains délicates glissent le long de son corps en palpant au passage les parties sensibles qui la font vibrer.
Elma se sent engloutie par cette étreinte envoûtante sans savoir encore s'il s'agit d'une illusion qu'elle ne peut dissiper ou si le plaisir réel l'a conquise ; elle est prisonnière d'une léthargie hypnotique. Car ce soir, elle est dans cet état, ne pouvant qu'avec un effort vain trouver le refuge d'une couche, s'enliser dans cette prostration sans pouvoir écarter loin d'elle ce vertige qui la colle.
Elle se sent prisonnière! Mais de qui ?
Serait-il ici, tout près, venu comme à chaque fois qu'elle est désemparée par cette solitude qui l'étouffe ?
Charles serait-il présent, près d'elle ?.... Mais il est mort !
Elle repense aux mots que son mari a prononcés à plusieurs reprises durant leur vie commune, et qui ont permis l'apaisement du trouble angoissant qui l'étreint. « Laisse-moi te serrer contre moi pour t'insuffler ma force »
Mais c'est surtout l'inflexion douce de sa voix qui avait prise sur elle ; son souffle l'amadouait et le sommeil l'envahissait, alors que maintenant, son cœur bat la chamade, car ces mots, ici, maintenant, il ne peut les avoir prononcés, bien sûr, se dit-elle et pourtant....elle le sent tout contre elle. Ou alors… Qui ?
Lovés dans le creux de son cou, les doigts de cette main étrangère frémissent, ...et avec d'infinies précautions, glissent sur sa cuisse à la peau mate et lisse puis, sous le drap qui se défroisse, ses jambes se relèvent et se déplissent comme des antennes d'écrevisses.
Le poids de ce corps sur Elma s'est dissipé, l'odeur s'est évaporée. Elle se sent libérée mais si seule. Elle réalise que l'étreinte subie est le prix à payer pour dissiper la phobie de la morosité que sa solitude fait naître.
Elma retient son souffle et pour rechercher le sauveur, elle étire un bras jusqu'à sentir un obstacle, un corps jusqu'à ce que ses doigts qui tâtonnent à travers les profondeurs du lit… rattrapent le bienfaiteur ; mais rien, que le drap... froid !
Elle se rend à l'évidence, la présence s'est échappée...la laissant dans un vide qui intensifie sa solitude et son incompréhension. .
Elle aperçoit soudain une silhouette blanche qui se dresse au-dessus du lit ; elle est évanescente, ondoyante, telle une lumière diffuse qui s'éloigne vers la porte, laquelle, en se refermant, manifeste sa plainte...
Elle ne ressent plus que le martèlement de son cœur et dans sa tête, le battement de ses artères dans un bruit assourdissant.
--- Charles, je t'en prie, reste, je n'ai pas...
Elle a réprimé les mots qu'à l'évidence son esprit voudrait lui dicter. «Reviens !... Ce n'est pas moi ! » mais sa main presse ses lèvres pour éviter de prononcer ce dont elle ne se souvient pas, ce dont elle ne se souvient plus et qu'elle cherche à oublier....et retenir le sanglot qui la submerge.
Huit jours plus tôt.
Il est dix heures ce matin-là quand Elma rentre chez elle. La porte de l'appartement est grande ouverte et il règne à l'intérieur un brouhaha confus de voix !
Elle pénètre doucement, le pas hésitant, le cœur haletant.
Dans le salon, sur sa gauche, deux hommes se tiennent debout, discutant avec Jeanne la voisine qui, voyant Elma rentrer, se précipite vers elle les deux mains tendues et déployées pour envelopper son visage, son corps et l'étreindre :
--- Elma, c'est terrible !
Elma détourne son regard ; d'un geste nerveux, elle repousse Jeanne et fixe les deux hommes, qui, les bras croisés, exhibent un regard affligé.
--- Que faites-vous ici, Messieurs ? Demande-t-elle la gorge serrée qui ne laisse passer qu'un son discordant.
L'un des deux hommes sort une carte de sa poche intérieure et balbutie un « commissaire Martin ou Machin ». Ce nom se répète en écho dans sa tête, puis s'évanouit.
Mais c'est en s'approchant d'eux qu'elle découvre le corps de Charles allongé sur le sol ; du sang s'écoule de sa tête en formant une large flaque sur le carrelage.
--- Qu'avez-vous fait à mon mari ? Ce n'était qu'un cri perçant dans une bouche distordue !
Un frisson fulgurant parcourt ses jambes qui ne la soutiennent plus ; son esprit divague et un vertige lui fait perdre l'équilibre. L'un des deux policiers se précipite, la soutient par les épaules et avec l'aide de son collègue, la transporte sur le canapé pour l'allonger.
Quand elle reprend ses esprits, elle a la vision de ces deux hommes assis en face d'elle qui parlent entre eux doucement, mais elle ne saisit pas leurs paroles. Revient alors cet écho qui martèle sa tête : « commissaire.... »
Elle passe une main sur sa tignasse, y fait pénétrer ses doigts dans un geste machinal pour corriger son apparence, et examine la scène en suivant d'un regard vide l'évolution des personnages.
Le corps de Charles est à ses pieds. Inerte !
Elle détourne la tête et de grosses larmes coulent le long de son visage. Elle reste silencieuse ; seuls, quelques soubresauts secouent son corps et laissent penser à un mal intérieur qui la ronge.
Les deux policiers se regardent, ne sachant qu'entreprendre devant l'attitude tragique qu'exhibe Elma !
Jeanne se tient, tel un pantin, dans le couloir puis subrepticement s'éloigne pour disparaître du cadre de la scène quand un troisième homme pénètre dans la pièce.
Mais qui est-il et que vient-il faire ? se demande Elma. Les deux policiers se lèvent, paraissent soulagés d'un embarras puis saluent le visiteur d'un geste. Cet homme porte une sacoche noire, très lourde car une de ses mains la soutient pour éviter que la fine lanière ne blesse son cou déjà endolori.
Le chef des deux policiers propose à Elma de se retirer de la scène et de s'éloigner du corps que le légiste va tripatouiller pour obtenir un diagnostic.
Dans un fauteuil du bureau, Elma fait face au policier qui arbore un sourire convenu :
--- J'ai l'habitude, Madame, de voir le chagrin. Regardez-moi.
--- Je veux savoir ce qui s'est passé ; mon mari est mort ?
--- Je le pense, oui... et le légiste qui est arrivé va le confirmer. A quelle heure avez-vous quitté la maison ce matin ?
--- Je n'ai pas fait attention mais il devait être huit heures et quart peut-être.
--- Et que faisait votre mari quand vous êtes partie ?
--- Il travaillait ici dans son bureau.
--- Qu'avez-vous fait dehors ?
--- Des courses. Mais comment avez-vous su ?
--- C'est votre voisine qui nous a alertés, affolée. Elle a entendu des cris, de grands bruits, c'était inconvenant et inquiétant a-t-elle précisé, nous sommes venus assez rapidement, je dois dire.
--- Des cris ? Du bruit ? Ce n'est effectivement pas notre habitude.
--- Vous connaissez bien votre voisine ?
--- Pas plus que ça. On se voit peu, on se rend de petits services de voisinage.
--- Vit-elle seule ?
--- Je crois, en tout cas, je n'ai jamais vu d'homme chez elle.
--- Pourtant, elle est très jolie. Vous n'avez vraiment jamais eu l'occasion de parler de sa vie un peu plus intime ?
--- Non vraiment pas. Elle ne s'est jamais dévoilée alors nous n'avons pas insisté. Mais excusez-moi, je voudrais savoir comment est mort Charles.
--- Nous allons le savoir très vite, le médecin va nous fixer. Il me prévient quand il aura terminé son premier examen. Quelle est l'activité de votre mari ?
--- Il travaille à la maison, la plupart du temps. Rarement chez les clients. Il est consultant dans des entreprises.
--- Et vous-même ?
--- Je suis commerçante en ville. Aujourd'hui, c'est mon jour de repos. Sinon, je pars le matin tôt et rentre à huit heures le soir.
On cogne à la porte.
--- Oui Doc, vous avez fini ?
--- J'ai mes premières conclusions s'exclame le médecin.
--- Qu'est-il arrivé ? demande Elma avec force.
--- Un petit moment, Madame, je reviens tout de suite. Attendez-moi deux minutes. Il quitte le bureau. Elma reste seule.
--- Je veux savoir, crie-t-elle.
C'est un hurlement sans réponse.
Elma se lève, les doigts des deux mains enchevêtrées nerveusement et marche de long en large. Elle s'arrête de temps en temps devant la fenêtre et regarde à l'extérieur, sans voir que le soleil resplendit et qu'au loin la montagne se détache nettement sur le fond bleu sombre du ciel ; elle fixe l'endroit sur le sommet d'où souvent, avec Charles, ils s'asseyaient longtemps pour admirer le paysage grandiose qui se développe jusqu'à la mer. Les images défilent dans son esprit.
Elle entend frapper à la porte, doucement.
--- Oui, entrez.
C'est Maria. La cinquantaine, de grande taille, visage asiatique, cheveux très courts.
--- Elma que se passe t-il ma chérie, pourquoi tout ce monde ?
- Mon mari est mort ce matin.
- Mais comment ? C'est affreux.
- Oui, dit Elma dans un sanglot. Je veux être seule, excusez-moi, Maria.
- Très bien je pars, répond celle-ci sèchement.
Elma n'a pas entendu le policier rentrer ; il croise Maria qui se retire.
- D'après le légiste, la mort est intervenue il y a une heure et demi environ, vers huit heures et demie ce matin. Votre mari a une blessure béante à la tempe et le doc pense qu'il s'est cogné la tête contre le coin de la table basse en tombant et s'est vidé de son sang, évanoui, sans pouvoir réagir. C'est une supposition. Il n'y a pas de marque de lutte d'aucune sorte. Nous allons transporter le corps à la morgue pour une autopsie, car nous devons déterminer pourquoi il est tombé. Malaise cardiaque, simple trébuchement ou suite à un coup reçu ? Nous devons le déterminer. Qui est cette Chinoise ?
- C'est l'autre voisine, dans l'appartement d'en face, sur le même palier. Elle s'appelle Maria.
Cinq jours après.
Dans la salle d'interrogatoire du commissariat, Elma est debout dans un coin de la pièce, les mains entrelacées, le regard fixe vers le sol.
--- Asseyez-vous ! Lui demande le commissaire qui vient d'entrer, un dossier à la main qu'il pose négligemment sur la table, seul mobilier de la salle avec ses deux chaises. Lumière tamisée.
Elma le regarde intensément, scrutant ce qui se cache derrière ce visage crispé, inexpressif. Il feuillette ce qui semble être un rapport médical.
Puis il ferme le dossier et....pose les deux mains à plat dessus en s'efforçant de trouver les mots justes, qui frappent.
--- Je suis navré de vous avoir convoquée le jour de l'enterrement de votre mari mais il faut clarifier un point important, Madame Martins, car la blessure à la tête de votre mari a été provoquée par un objet qui l'a frappé avec force. Nous n'avons pas encore déterminé de quoi il s'agissait mais la perquisition que nous effectuerons chez vous et vos voisines va peut-être nous renseigner. Alors ma question : Avez-vous frappé votre mari ce matin-là ?
--- Mais non, voyons !
Elma a passé une main sur sa bouche aux lèvres charnues puis la glisse dans sa chevelure noire d'ébène pour écarter les mèches qui tombent sur ses yeux vert émeraude. Sur la peau mate et métissée de son visage, le contraste est saisissant et ... fait frissonner le commissaire qui apprécie particulièrement ce type de femme.
Il la fouille du regard jusque dans les profondeurs de son être mais il ne perçoit rien de surprenant, si ce n'est une larme naissante sur son visage crispé par l'angoisse.
--- Nous le saurons, Madame, n'ayez crainte. Il serait préférable pour vous, si vous avez frappé, que nous le sachions maintenant.
--- Puisque je vous dis que non !
Le ton est vif, réprobateur et le regard percutant, ne laissant pas au commissaire le choix de poser d'autres questions ; il reste coi pour l'instant.
Il se lève, emportant le dossier et juste avant de refermer la porte, il lance :
--- Vous pouvez partir, Elma. Vous êtes libre.... dans l'immédiat ! Mais vous restez à notre disposition. Vous comprenez ? Ne quittez pas votre domicile.
Il sort de la pièce brutalement et entre dans une salle adjacente, y voit Jeanne debout, adossée au mur, les bras croisés, qui lève la tête vers lui et affiche un sourire de satisfaction probablement dû à la rupture d'une longue attente.
Il est impressionné par son épaisse et longue chevelure blonde qui est ramassée sur le côté au niveau des épaules, laissant dénudées la gauche du visage et une oreille fine. Cette coiffure, portée en général par une vamp, confère à cette femme distinguée... une classe aristocratique.
--- Eh bien Commissaire, en quoi puis-je vous être utile ?
La voix est chaude, la modulation précise, l'attitude fait sensation.
--- Asseyez-vous Jeanne. L'intonation est morne et neutre car il veut rester concentré.
Il saisit la chaise par le dossier pour la lui tendre et détourne son regard pour éviter de laisser paraître le léger trouble qui s'est emparé de lui lorsqu'il a baissé les yeux sur son corps, car il a enveloppé ses formes généreuses le temps d'un battement de cils mais Jeanne a perçu l'embarras, malgré l'apparente indifférence qu'il s'efforce de montrer mais que l'œil exercé de Jeanne a décelé comme une faiblesse.
--- Ne soyez pas gêné, Commissaire, posez-moi toutes vos questions à l'aise.
Un léger ricanement sardonique quand elle frôle sa main de la sienne... le fait sursauter... intérieurement. Il doit garder la maîtrise de son comportement et pour reprendre l'avantage, il passe directement à la troisième question.
--- Avec quel objet avez-vous tué Charles ?
Il la dévisage ; elle marque un instant d'hésitation...mais quand elle porte la main droite vers sa chevelure ébouriffée, il aperçoit en un dixième de seconde la bague, une magnifique émeraude, lui semble t-il... Ce pourrait être ça !
Sans se départir de son sourire ironique, Jeanne laisse volontairement écartés les doigts de la main droite et les maintient immobiles.
Elle vient d'exposer l'arme fatale...pour détourner les soupçons !?
Mais elle a vu le regard furtif du Commissaire et sait qu'il l'a remarquée.
Elle retire d'un coup rageur la bague de son autre main... et la lui dépose sur le dossier.
--- Expertisez-la si vous voulez, cela ne me dérange pas du tout.
--- Je ne n'y manquerai pas. Merci. Nous gagnerons du temps.
Et comme il fait mine de reprendre son dossier en main, il se trémousse sur sa chaise comme pour se préparer à se lever tout en enfouissant la bague dans la poche de sa veste.
--- C'est tout, et vous m'avez fait venir pour ça ? ajoute-t-elle avant qu'il ne s'exprime.
--- Redites-moi, s'il vous plaît, à quelle heure précise vous avez entendu les cris en provenance de l'appartement voisin, celui de Charles et Elma.
--- Il était entre 8 heures 20 et 8 heures 30. Je me souviens de ce détail car c'est à ce moment-là que je répétais au piano un morceau de Chopin.
--- Voudriez-vous avoir l'amabilité d'attendre un peu, car je n'en ai pas fini encore. Mais cela ne saurait tarder.
--- Puis-je fumer ?
--- Je regrette.
--- Un café ?
--- On vous l'apporte.
Le Commissaire se lève et quitte la pièce. Il se rend au sous-sol, au labo et après avoir donné des ordres, revient lentement vers la salle d'interrogatoire, s'arrête un moment, rouvre son dossier, lève la tête pour chercher l'inspiration, referme le dossier puis repart d'un pas décidé, ouvre la porte du parloir.
--- Vous pouvez partir, Jeanne, passez donc demain soir à mon bureau à 18 heures. Merci.
Trois jours après , l'avant-veille du départ en voyage, le matin.
Le commissaire est assis dans un fauteuil du salon de l'appartement d'Elma ; son regard passe d'un tableau vers l'autre, des toiles de maîtres, des meubles anciens, Louis XVI et Empire. Il sait qu'elle est riche par héritage plus que par son mariage.
Elma, qui l'a accueilli il y a quelques instants, revient dans le salon, cafetière fumante en mains.
Elle sert les deux tasses posées sur le guéridon puis les mains à plat sur ses genoux et le corps droit sur la chaise, elle lui fait face.
--- S'il vous plaît, qu'en est-il enfin ? Puis sa tête se penche en avant vers le sol, fixant un objet imprécis.
--- Elma, entame-t-il sa réponse avec un ton compatissant, ….on sait maintenant avec certitude que votre mari a été frappé à la tête par un objet dur - il joint le geste à la parole en fermant le poing- et de faible surface, comme, disons, le manche pointu d'un couteau ou le talon aiguille d'une chaussure mais que notre recherche d'un tel objet, lors de la perquisition que nous avons faite, n'a pas permis de retrouver chez aucune de vous trois.
--- Dites-moi vite car je ne peux pas me soustraire à l'idée...qu'il s'agit d'un simple cauchemar.
--- Que dites-vous ?
--- Lequel préférez-vous des deux ?
Elma a un sourire malicieux qui lui parait bien étrange ; l'œil interrogateur du policier, pas tant vers Elma que pour lui-même, dénote l'esprit de celui qui tente de démêler ce langage confus.
--- Dites-moi Elma, de quels « deux » parlez vous ?
--- Le manche de couteau ou le talon aiguille bien sûr....
--- Écoutez bien, reprend-elle après un instant de vague où elle reste perdue dans son regard : Il me souvient quand il m'a dit ses derniers mots, ce matin-là : «. Je n'ai personne d'autre au monde que toi. C'est toi que je veux rendre heureuse.» Elle s'esclaffe ;
--- Comment ?
--- Il me l'a dit, c'est tout, lance-t-elle en dodelinant de la tête. Croyez-vous vraiment, Commissaire, que j'aurais pu avoir ne serait-ce qu'un geste déplacé envers un homme, un mari tel que lui, si attentionné, à ce moment précis ?
Le Commissaire a bien constaté cette étrange lueur au fond de son œil scintillant. Impressionnant ! Et son parler en saccades, les soubresauts de ses doigts et sa tête, telle une girouette, aux brusques détentes saccadées depuis la porte d'entrée à la fenêtre puis vers lui, ce qui semble indiquer qu'elle est envahie par la souffrance d'une attente. Mais après tout, est-elle folle ou...s'agit-il d'un simulacre ? Elle semble se débattre telle une démente dans une bataille de diversion, adoptant l'attitude d'une femme trop gâtée et privée de son joujou.
--- Pourquoi vous a-t-il dit cela, ce matin-là justement ? Ce devait être à l'issue d'une douloureuse discussion entre vous ? Dites-le, aboie le policier en tendant le cou vers elle et en immobilisant ses yeux exorbités dans son regard fuyant.
C'est au moment où il lui pose cette question qu'il pense capitale que l'on entend une clé tourner dans la serrure de la porte d'entrée.
Ses yeux se tournent dans cette direction, et il voit apparaître Jeanne, dans un tailleur rouge, très maquillée, peut-être un peu trop, et pénétrant, très à l'aise, à l'intérieur du salon, un grand sourire barrant son visage épanoui. Cette manière qu'elle a de se passer la langue sur les lèvres avant de parler ! C'est pernicieux…
Elle s'adresse au Commissaire en lui tendant la main.
--- Comment allez-vous ? Mais elle n'attend pas de réponse et tourne la tête vers Elma :
--- Chérie, je vais en ville, as-tu besoin de quelque chose ?
--- Non merci, Jeanne.
--- Alors je vous laisse ! Soyez sages !
Elle a ce même geste que dans la salle d'interrogatoire, sa main droite relevant une mèche de cheveux et montrant ostensiblement la bague qu'il lui a rendue, sans trace aucune de sang ou de parcelle de peau mais qui n'a pas pu laisser la même empreinte que celle relevée sur la tempe de Charles.
Elle arbore un sourire radieux suivi d'un salut des yeux accompagné d'un léger dodelinement de la tête. Très caractéristique d'une femme dominante, si sûre d'elle-même !
Elma n'a pas cillé ni changé d'attitude ou même marqué l'étonnement auquel il s'attendait. Car enfin, elles se connaissaient à peine, lui avait-elle dit, et les voilà si copines !
--- Elle est vraiment charmante, annonce avec prudence le Commissaire pour la faire réagir.
Elma fixe un point virtuel sur le sol, une larme coule de ses yeux et de nouveau, ce flot saccadé de paroles.
--- Jeanne est mon sauveur, -elle serre ses deux poings- je vis, je revis et me revivifie grâce à elle. Et puis nous allons partir en voyage... à Las Vegas.
Son visage s'épanouit, ses lèvres s'ouvrent en un sourire radieux sur des images qui semblent se dérouler dans son esprit.
--- Il y avait tellement longtemps que je voulais y aller...reprend-elle, tellement longtemps....Encore un peu de café ?
--- Non merci, je vais vous quitter. Encore une question : quel était l'objet du conflit puis de l'empoignade avec votre mari le matin du drame ?
--- Je n'en ai pas souvenir. Il nous est arrivé de hausser le ton quand nous avions un léger désaccord mais ce matin-là, dites-vous ? Non, je regrette.
--- Votre voisine Jeanne nous a précisé avant votre arrivée dans l'appartement, avoir entendu des cris le matin du drame.
--- La radio peut-être ou alors ce n'est pas chez nous, mais en dessous, ce qui arrive parfois.
Et comme il doute de sa sincérité et pour lui montrer qu'il n'est pas dupe de sa simagrée :
--- Faites attention, Elma, ne vous laissez pas entraîner dans une situation que vous ne pourriez plus contrôler et qui pourrait se retourner contre vous.
--- Tout va bien Commissaire. Merci.
Il lui tend la main et sort sans se retourner.
La porte refermée, elle entend les pas étouffés du Commissaire qui descend l'escalier. Elle se plaque, le dos à la porte, redresse la tête, les mains à plat sur le bois glacé, ferme les yeux et lâche un grand soupir.
Fin d'après-midi, même jour, dans le bureau du Commissaire.
--- Jeanne, je vous remercie d'être passée. La visite que j'ai rendue ce matin à Elma m'a révélé un esprit dérangé. Qu'en pensez-vous ?
--- Je pense que le choc de la mort de Charles n'est pas estompé. Elle est effectivement désemparée, car Charles s'occupait de tout dans la maison, elle-même la plupart du temps était absente et puis, le moindre problème l'angoisse.
--- Vous me paraissez très intime pour une voisine qui m'a dit le jour de la mort de Charles, qu'elle n'avait pas de relation proche avec vous.
--- C'est exact mais cette situation nouvelle nous a rapprochées et nous ressentons des atomes crochus inconnus jusqu'alors. Ma compassion première s'est doublée d'une sensibilité que nous avons partagée puis d'une amitié que je crois véritable. Cette explication vous convient ?
--- Je pense, pour l'instant du moins. Vous partez à Las Vegas quand ?
--- Ah ! Elle vous a mis au courant ? Oui, demain.
--- Pourquoi Las Vegas ?
--- C'est elle qui l'a suggéré quand je lui ai proposé de se dépayser en voyageant pour évacuer sa dépression.
--- Aviez-vous également une relation intime avec Charles ? En clair, étiez-vous sa maîtresse ?
--- Mais non, voyons. D'abord, il n'était pas mon genre et ensuite, je n'ai connu ces gens que superficiellement. On ne se voyait que rarement. Qu'allez-vous chercher, Commissaire, ajoute-t-elle en riant, vous voyez de la dépravation partout !
--- Plus rien ne m'étonne. Quel métier exercez-vous ?
--- Je suis pianiste et je joue dans l'orchestre philharmonique de Nice.
--- Vous jouez chez vous également ?
--- Bien sûr.
--- Vous ne dérangez pas les voisins ?
--- J'ai fait insonoriser la pièce où se trouve le piano.
--- Je souhaiterais venir vous écouter un soir à Nice. Prévenez-moi le jour d'une représentation.
--- Avec grand plaisir, je n'y manquerai pas.
--- C'est très aimable. Bien ! Je ne vous retiens pas plus longtemps, Jeanne, je vous remercie. Cette conversation m'a été très utile.
Quatre heures du matin, le lendemain, veille du départ.
Quand Elma dort, ses paupières frétillent, signe que son sommeil est superficiel et agité. Elle semble dormir encore quand le noir qui règne dans la chambre s'estompe pour laisser place à un semblant de clarté. Cette lueur laisse deviner les meubles qui entourent le lit et la porte légèrement entrebâillée par où justement une lumière pénètre. Éveillée tout à fait, elle écarquille les yeux, étonnée d'avoir laissé une lampe allumée. Elle se lève intriguée, et qu'importe sa nudité, elle sort de la chambre en tâtonnant pour constater que la lumière provient du salon ; ce n'est pas son habitude d'oublier d'éteindre car elle sait son sommeil léger.
Quand elle arrive dans le salon, elle aperçoit Jeanne, assise sur le divan, les jambes croisées, nue sous sa robe de chambre de mousseline blanche transparente et suffisamment relevée pour laisser apparaître une jambe dénudée qui se balance avec légèreté. Elle tient une longue cigarette fine entre les doigts d'une main et un verre empli d'un liquide brun aux effluves reconnaissables dans l'autre. Un rictus barre ses lèvres.
--- Un petit whisky ? Lance-t-elle à la cantonnade tout en faisant mine de vouloir remplir un second verre à l'intention d'Elma.
Elma se frotte les yeux encore mouillés et collés par le sommeil, autant pour être certaine d'avoir bien vu la scène que pour réaliser l'incongruité de la demande en pleine nuit. Elle n'est pas certaine d'avoir compris s'il s'agit d'une farce ou d'une hallucination. Cette scène lui rappelle tellement Charles qui avait eu souvent l'occasion de s'attarder ainsi dans ce même canapé pendant des heures en pleine nuit cherchant le sommeil et ne le trouvant pas, d'ingurgiter plusieurs verres d'un alcool fort jusqu'à l'anéantissement de son esprit et de son corps.
Elle le retrouvait ainsi, au petit matin, affalé sur le canapé avec autour de lui une masse de papiers épars, étalés en désordre, certains froissés, d'autres en boule et jetés de rage dans tous les coins de la pièce.
En la regardant ainsi accoutrée et sûre d'elle même, Elma retrouve une sorte d'angoisse, celle qu'elle éprouve chaque fois qu'elle pense depuis peu à elle, Jeanne, et qui ne cesse de croître pour se transformer en frayeur au fur et à mesure qu'elle sent sa présence. Cette similitude de contenance et de gestes avec ceux de Charles l'intrigue tant et les paroles qu'elle vient de prononcer ont porté sa confusion intérieure au paroxysme.
--- Approche-toi ma chérie, continue Jeanne sans se préoccuper du trouble qu'elle a remarqué chez son amie ; assieds-toi près de moi, je vais te couvrir.
Elma se colle contre elle sous la pression d'une main ferme qui la guide, et docilement, comme une enfant.... subjuguée, pose la tête dans le creux de son cou. Jeanne passe son bras autour de ses épaules en les enveloppant afin de laisser la mousseline recouvrir sa nudité ; elle caresse les cheveux d'Elma d'une main pour en éprouver la soyeuse consistance puis avec douceur, elle soliloque en prenant le ton suave qu'elle sait si bien moduler quand elle conquiert en extorquant ce qu'elle a convoité par désir.
--- Je savoure cet instant de profond silence, cette grande solitude, nous deux seules , l'une contre l'autre, comme des amants, pour toujours.
Chacun de ces mots résonne bizarrement dans la tête d'Elma ; ce sont ceux-là mêmes que prononçait Charles chaque fois qu'il voulait lui faire découvrir un nouveau fantasme sexuel que par appréhension d'une punition elle n'avait jamais pu refuser.
La fumée bleuâtre de la cigarette s'élève en volutes évanescents comme l'est le flot de pensées qui défile inexorablement dans son esprit et elle attend dans une muette prostration, asservie et fascinée par l'attitude et le comportement de Jeanne qui lui font revivre ceux de Charles, comme si celui-ci ressuscitait dans la peau de cette femme.
--- Voyons ma chérie, il faut te remettre de tes émotions, l'heure de la résurrection a sonné et nous devons partir en voyage. T'en souviens-tu ?
--- Oui certes, mais ...
--- Il n'y a pas de mais, je t'ai déjà dit tout ce que tu dois faire, bon sang !
Elma a perdu toute volonté. Son destin lui échappe car cette maîtresse femme de Jeanne, très assurée et autoritaire, comme l'était son mari, la tétanise.
--- Regarde-moi !
Jeanne s'est redressée, son visage se durcit. Elma reste accablée, le visage fermé, sans expression ; Jeanne prend alors sa tête à deux mains pour la tourner vers elle, devinant le doute profond qui étreint son amie.
--- Regarde-moi ! répète Jeanne, en contenant sa rage.
Elma tremble de tous ses membres et par crainte qu'elle ne vacille, Jeanne hausse le ton.
--- Il n'y a pas autre chose à faire. Tu dois te rendre à l'évidence, nous devons partir, pour toujours. Tu sais que j'ai tout préparé pour cela.
Les yeux d'Elma sont révulsés et d'un geste raide et maladroit, elle repousse les mains de Jeanne avec violence, la faisant soudainement basculer de côté pour éviter le coup sur son visage. Elma se lève brusquement et debout, elle pointe l'index dans sa direction, ouvre la bouche d'où rien ne sort, le regard perçant et le battement de son index à son endroit est suffisamment explicite pour que Jeanne garde le silence.
Jeanne se lève à son tour et d'une main droite agile, lui assène une gifle, plus pour la réveiller que pour lui faire mal mais elle a claqué quand même fortement au point de la déstabiliser en lui faisant perdre l'équilibre ; Elma se reprend aussitôt.
Un tel affront éveille par sa violence subite une souffrance pénétrante, alors debout, les deux mains sur les hanches, elle regarde Jeanne avec l'étonnement qui sied plus à l'incomprise qu'à l'offusquée. Mais ce coup l'a dégrisée ; elle se sent le courage de se délivrer qu'un sursaut de volonté extirpé de ses entrailles a fait naître.
--- Mais oui, Elma, continue Jeanne pour conserver l'avantage avec ce ton très sûr et cette mine satisfaite qu'elle arbore toujours pour impressionner, si tu refuses de venir, le Commissaire sera au courant de tout ton petit manège. Je lui offrirai un mobile sur un plateau d'argent.
--- Ne te donne pas cette peine, ma petite, ta jalousie et ton chantage ne m'impressionnent plus.
--- Tu en as toujours été satisfaite jusqu'à présent. Tu acceptais l'idée que nous vivions ensemble.
--- J'étais abrutie, plus, crétinisée mais aussi abasourdie à l'idée que Charles ait pu être assassiné comme la police le confirme. Je commence à subodorer qui a pu entreprendre cet acte odieux!
--- Mais c'est toi, ma chérie ! C'est la raison pour laquelle je veux te sauver, car ton acte n'était pas prémédité. Tu as eu un accès de folie, un sursaut brutal de révolte, la brusque envie d'un châtiment de l'oppresseur. D'un coup, tu t'es ranimée et tu as frappé sans apprécier la puissance de ton geste incontrôlé.
Elma, les mains enfouies dans ses cheveux hirsutes, tourne la tête vers l'extérieur et aperçoit au loin, au sommet des montagnes, une clarté apparente annonciatrice d'un soleil levant qui fait jaillir dans son esprit un éclair de lucidité.
--- Ce que tu veux Jeanne, c'est mon fric et moi, comme un objet que tu manipules, pour satisfaire tes propres désirs, tes caprices et tes fantaisies aux déviances spéciales. Et tu es prête à l'innommable pour satisfaire ton ardente concupiscence. Mais d' Elma, tu n'en as rien à faire. Elle n'existe pas, Elma, elle n'est qu'un pantin pour toi.
--- Un pantin. Voilà le mot juste lorsque, il y a huit jours, un matin à huit heures vingt exactement, toi le pantin était ici avec Charles, à cette même place. J'ai entendu les injures qu'il te jetait à la figure puis un choc que je n'ai pu discerner mais qu'après coup j'ai interprété comme sa chute et enfin la porte de ton appartement qui a claqué. Et le calme impressionnant qui a suivi. Tu étais le pantin qui, inconsciemment, a effectué ce geste irréparable.
--- Imposture cynique ! Hurle Elma en détournant son regard puis brutalement, elle se dirige vers la porte extérieure de l'appartement, l'ouvre en grand et d'un geste du doigt, sans un regard vers Jeanne, lui intime l'ordre de déguerpir.
Jeanne passe devant elle, un sourire se dessine sur ses lèvres ; elle garde une attitude altière et calmement chuchote :
--- Charles était mon amant.
Elma retient d'une main le cri d'effroi qui monte de sa gorge. D'outragée, Elma ressent maintenant une trahison l'envahir. Elle se sent soudain humiliée et maintenant trahie par son mari mais comme elle ne peut se satisfaire de sa solitude, elle le sait sinon sa dépression aurait raison d'elle, elle s'abandonne aux mains solides de Jeanne qui, malgré la gêne qu'elle éprouve envers une relation féminine, reste son seul refuge. Tous ces sentiments contradictoires passent dans son esprit en l'espace d'une seconde.
Elle est bafouée mais elle capitule. Jeanne sait qu'elle a gagné et glisse délicatement son index sur la joue rougie de sa compagne pour marquer la fin de cet échange douloureux de vérités et de ses lèvres, frôle celles d'Elma encore tremblantes.
Elma prostrée aperçoit soudain sur le palier, la porte d'en face entrebâillée et entrevoit l'œil de Maria, inquisiteur, effrayant. L'effroi qu'elle ressent fait jaillir un spasme douloureux qui anéantit ses dernières forces.
--- Que t'arrive t-il ? S'inquiète Jeanne.
--- Maria m'épie encore, chuchote Elma, c'est la troisième fois en deux jours. Elle m'effraie.
--- Pourquoi ne lui demandes-tu pas pourquoi?
--- Je n'ose pas.
--- Viens avec moi, nous allons la cuisiner.
Elles se dirigent toutes deux vers l'appartement de Maria, Jeanne en tête, décidée.
Au commissariat, le même matin
Le commissaire, les pieds sur son bureau, est engoncé dans son fauteuil. Son adjoint sort du silence.
--- Pour Jeanne, Elma est coupable, si on retient ce qu'elle nous a dit.
--- Oui mon cher collègue, mais je n'en suis pas si sûr. Cependant ce n'est pas tant grâce à ce qu'elle nous a dit que par ce qu'elle a voulu nous faire comprendre. Tu vois, elle ne pouvait pas entendre les cris dont elle a parlé le matin du meurtre, car elle jouait du piano dans sa pièce insonorisée. Je crois qu'en fait, elle ne souhaite pas incriminer son amie mais elle s'est forgée cette idée. Croire Elma coupable, et la convaincre de l'être, pour qu'elle accepte d'être sauvée de nos griffes, afin de se l'approprier, car c'est son but. Je la crois follement amoureuse. Mais c'est en même temps un moyen de se disculper, si elle est coupable. Tout cela est très subtil et notre clairvoyance est à la mesure de sa finesse.
--- Nous voyons clair mais nous ne pouvons inculper quiconque. A quoi bon ?
--- En effet, nous ne disposons que d'un vague mobile présumé pour chacune d'elles mais pas d'indice, pas de trace, pas de preuve, donc.... pas de coupable.... Un jour peut-être…
--- Pourquoi un tel pessimisme ?
--- Je pense que ces deux femmes sont trop dangereusement sagaces pour nous laisser entrevoir un indice qui les inculperait. J'ai aussi du scrupule à torturer des femmes pour les faire avouer. J'ai eu trop à les honorer pour les déshonorer maintenant.
--- Vous, Commissaire, qui, en trente ans de carrière, avez toujours solutionné les imbroglios les plus pervers et percé les sentiments les plus perfides....
--- Ce sera mon premier échec…quoique.... et le prélude d'une retraite, peut-être !
--- Vous ne pouvez pas terminer sur un flop !
Le téléphone sonne. Le Commissaire décroche, écoute quelques secondes.
--- Quoi ? Vous êtes sûr ? Qui vous a prévenu ? Quand ? J'arrive tout de suite.
Il raccroche.
--- Il y a un gros problème chez Elma. Nous tenons notre meurtrier. Reste ici et préviens l'ambulance de se rendre chez elle, tout de suite.
Au commissariat, le soir même.
--- Comment avez-vous su, Commissaire ?
--- Facile. Quand j'ai croisé cette Maria sortant de la chambre d'Elma, j'ai tout de suite été persuadé qu'elle avait quelque chose à voir avec la mort de cet homme. Des yeux au trouble perçant, reflet d'une souffrance intérieure : une grande malade, anorexique de surcroît, qui ne se nourrit que de sombres visions dont la mort n'est qu'un épilogue heureux. C'est elle, je l'ai fait avouer. Elle venait d'agresser Jeanne alors que celle-ci l'attaquait maladroitement pour l'empêcher de s'approcher d'Elma et de lui faire du mal et cela par jalousie morbide. Si je n'étais pas arrivé aussi vite, Jeanne serait morte.
Je sais maintenant que c'est elle qui a tué Charles de dépit de ne pouvoir être aimé de lui. Il suffisait d'entendre ses récriminations, accusant Jeanne et Elma de l'avoir torturée. C'est la plus folle des trois.
Les sentiments, les désirs, font des ravages, mon cher, ne les laissons pas nous engloutir dans une bouillasse de vomi.
Il vient à peine de terminer sa phrase que derrière la vitre du bureau, passe Maria, les mains menottées et encadrée par deux policiers. Elle tourne la tête vers le commissaire. Un sourire sardonique se dessine sur ses lèvres pour bien lui signifier que la partie n'est pas terminée.
Fin