Jeunes musulmans et sexualité: une affaire difficile.

ridwaned

De mes voyages au Maroc et au Sénégal et de ma vie de famille en Mauritanie, j'ai appris beaucoup de la vie des jeunes musulmans. Mon observation oscillait, malgré tout, entre stéréotypes et réalités surprenantes.

Ayant été, moi-même, élevée selon les règles de la vie musulmane, j'en comprends la trame et les enjeux. Comment se définir en tant qu'individu dans une communauté aussi présente et aussi fermée ? Comment gérer ses premiers émois amoureux et ses premières découvertes sexuelles dans une société où le tabou fait légion ? Enfin, comment survivre en tant qu'homme ou femme en devenir, lorsqu'il existe une hiérarchie de genre archaïque et que tout manquement à la règle est sujette aux moqueries, insultes, et, pire, à la marginalisation ?

Ce sont toutes ces questions que soulèvent l'interrogation sur la vie sexuelle des jeunes musulmans. Cette analyse se base sur mon expérience personnelle, il se peut donc que certaines nuances m'échappent. Je compte sur vous, chers lecteurs, pour partager vos commentaires et vos questions sur ce sujet.

Je vous présente Alima, 14 ans, elle fait partie de l'ethnie des maures, les « arabes » de Mauritanie. Elle porte le voile intégral mauritanien appelé le « mehlfa », les siens sont très colorés, comme ceux de la plupart de ces amies, elle suit les modes. Elle se sent bien dans son voile et ne le voit pas comme une contrainte. Chez elle, elle porte ce qu'elle veut. Elle se dit très coquette et mature pour son âge, c'est ce qu'aime son petit ami, Hamza, 21 ans. Petit ami n'est pas exactement le mot qui correspondrait, selon elle. Ce que les occidentaux entendent par « sortir ensemble », n'a rien à voir avec sa relation avec Hamza ou les relations que la plupart de ces amies ont avec les garçons. Ils ne se sont embrassés qu'une ou deux fois. Elle m'explique que c'est rare de se retrouver seule, en tête à tête. Ils se voient qu'entourés de leurs amis communs au restaurant, ou à l'occasion de la kermesse de son école. Ils se baladent parfois la nuit, quand elle peut faire le mur, ce qui est compliqué parce qu'elle est une fille et qu'on la surveille de très près à la maison. Les garçons, eux, ont la vie facile. On ne leur demande pas souvent des comptes. C'est pour ça qu'elle s'inquiète que Hamza voient d'autres filles. Des filles faciles qui l'embrasseraient pour de vrai, ou pire ! Quand je demande à Alima, ce qu'elle entend par pire, en rigolant, elle esquive la question, elle ne veut pas répondre. Elle sait, dit-elle, elle sait ce que d'autres filles pourraient donner à Hamza qu'elle ne peut pas. Est ce qu'elle voudrait le faire ? La question reste en suspens. Mais Alima finit par dire qu'elle se doit de suivre les règles de l'Islam. « Je veux être une bonne musulmane. » Et puis : « Je ne peux pas faire n'importe quoi, je viens d'une famille noble, moi. » Une dernière question me taraude l'esprit : est ce que la différence d'âge ne la dérange pas ? Y a t elle seulement pensé ? Et elle de répondre :« Je suis très mature pour mon âge. »

Le cas de Alima n'est pas un cas isolé, loin de là. En Mauritanie, par l'intermédiaire de connaissances, j'en ai rencontré beaucoup de ces jeunes qui essayent d'avoir une relation de couple tout en essayant de respecter les règles que leur impose leur religion. Selon moi, c'est un combat difficile, et, il faut le dire, perdu d'avance. Il est vrai que certains, dont moi-même, il y a quelques années, pensent qu'il est possible de « sortir avec » une personne dans les règles de la chasteté et de l'Islam tout en ayant une relation constructive et durable. Premièrement, d'expérience, nous, jeunes issus de familles musulmanes, savons que nous sommes les champions des limites franchissables, petit à petit. Cela commence par : nous ne faisons que nous embrasser, pour doucement dévier vers le « je te touche, tu me touches » pour finir avec cet adage connu de nous autres : « c'est que du sexe oral/anal, je suis toujours vierge. » Ces jeunes tombent alors dans l'hypocrisie, parce que c'est la seule manière qu'ils ont d'avoir une vie sexuelle sans avoir à faire face, de manière tragique, à leur communauté et à leur famille. Deuxièmement, dans le cas d'un véritable effort pour conserver la virginité du couple, selon moi, cela n'aboutira pas à une forme adulte et construite de la relation. Je crois sincèrement, et beaucoup ne me contrediront pas, que le sexe est un élément majeur dans un couple. Le sexe et l'amour. Aux jeunes vierges qui me lisent, je ne dis pas qu'il faut coucher avec le premier venu (sauf s'il s'agit de votre ligne de conduite…). Il est bien sûr important de bien choisir la personne avec qui vous voulez perdre votre virginité. Ce que je veux dire, c'est que si vous comptez construire une relation adulte et durable avec une personne, l'ingrédient sexe, à un moment ou un autre, deviendra une nécessité. Il est important, bien sûr, de bien y réfléchir, vierge ou pas. Qui n'a pas regretté ne serait-ce qu'une fois, d'avoir couché avec untel ? Alima est un bon exemple de la confusion et de l'ignorance que cause la répression sexuelle inhérente à l'Islam. Ces jeunes (ou très jeunes) musulmans voient des sentiments et des désirs monter en eux et n'ont pas les moyens et l'environnement qui conviennent pour les gérer. Ils n'ont pas appris et pour la plupart, ce ne sera que beaucoup plus tard, trop tard, qu'ils se marieront et « apprendront » sur le tas sans exploration préalable. Cela est la cause de beaucoup de dysfonctionnements sexuelles liées à l'insécurité et au mal aise que ces jeunes ressentent une fois venu leurs premières fois.

Tous les jeunes musulmans connaissent ces questionnements et cette confusion liée au sexe. Mais un autre groupe de jeunes dans la communauté musulmane subit encore plus de répression et de questionnement : les jeunes lesbiennes, gays et queers musulmans. Oui, ils existent ,comme partout, ils forment un groupe moins visible dans les pays musulmans que dans les pays occidentaux, c'est certain. Dans la grande majorité des pays, il n'existe aucune communauté queer visible. L'homosexualité ou la bisexualité est pratiquée dans le secret, souvent pas du tout, par l'intermédiaire de visionnage pornographique sur internet ou d'échanges avec le monde queer sur des forums et autres chats. Certains jeunes s'adonnent à l'homosexualité parce qu'il ne s'agit, parfois, que de leur seule possibilité de se satisfaire sexuellement. Il est plus facile de se réunir entre filles ou entre garçons sans être surveillés par l'entourage. La pratique homosexuelle pour les jeunes garçons musulmans est aussi, dans certains pays, un moyen de gagner sa vie à travers la prostitution. Ces pratiques restent toujours très dangereuses et compromettantes pour ces jeunes. En effet, dans la majorité des pays musulmans, l'homosexualité (ou le soupçon d'homosexualité) est punie d'un emprisonnement et/ou d'une amende par la charia (la loi islamique) et dans une dizaine de pays elle est punie de mort (cependant, peut ne pas ou ne plus s'appliquer). Ces pays se situent en majorité au Moyen-Orient et en Afrique :Iran, Arabie Saoudite, Afghanistan, Mauritanie, Soudan, Nigeria (États du nord), Yémen, Pakistan, Émirats Arabes Unis, Djibouti et la partie méridionale de la Somalie (contrôlée par les rebelles islamistes). Un ami sénégalais m'a, un jour, raconté l'histoire d'un jeune rendu un peu fou à cause du cannabis et que les habitants de son quartier accusaient d'être homosexuel parce qu'ils ne le voyaient jamais avec une fille. Il débattait avec eux, leur disant qu'il fumait trop pour avoir une activité sexuelle normale. (Il faut noter à quelle point la société musulmane est paradoxale : le sexe extra-maritale est interdit mais ne pas coucher avec une fille a pour conséquence d'être accusé d'homosexualité…) Les insultes et les moqueries étaient si fortes qu'il a perdu la tête et s'est précipité chez sa mère, au salon avec sa cousine, leur criant qu'il fallait qu'il fasse quelque chose, qu'il allait devenir fou et se faire tuer. Il a alors frappé sa mère et forcé sa cousine à sortir de la maison, la déshabillé et, pour prouver sa virilité, la violé devant des badauds choqués. Vous vous demandez ce qui lui est arrivé ? De peur d'être tabassé et peut-être même tué, d'homosexuel, il était devenu violeur. Et parce qu'il était maintenant un violeur, il a été tabassé par ces mêmes voisins et a été porté à la police. Cette histoire n'est pas une exception. Depuis quelques mois, au Sénégal, nombres d'agressions ont été commises sur des jeunes sous le prétexte (et je n'exagère pas) de port de parfum excessif, de vêtements trop colorés ou d'une démarche efféminée. Oui, être gay et musulman peut être fatale. 

Certains réussissent malgré tout à avancer et à se construire une vie et une individualité unique, dictés (presque) uniquement par leurs désirs et leurs moi profond sans se soucier autant de l'avis et des regards accusateurs de l'entourage. Ceux-là, pour la plupart, vivent maintenant en occident. D'autres, en revanche, par peur de perdre sa famille et d'être « banni » de la communauté , y restent englués. Certains ne peuvent et ne pourront jamais traduire en action leur volonté de s'échapper et de crier au monde qui ils sont vraiment, leur société étant trop dure et les risques trop grands. Beaucoup, par amour de leur famille, par volonté de ne pas bousculer leur certitudes et leur convictions, suivent le chemin que la religion a tracé pour eux et, parce que c'est plus facile, se complaisent dans ces règles et dans ce mode de vie. C'est pour cela que beaucoup de parents, ayant subi la même répression, reproduisent le même schéma avec leur enfants. « Parce que nous devons être de bons musulmans. Parce que c'est la vie, mon enfant. »


(Cette articles est inspiré d'histoires vraies, seuls les noms ont été changés.)

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