J'me baladais le coeur ouvert à l'inconnu

alexandra-ahah

Je n’étais pas tout à fait sur les champs Elysées puisque dans la rue Baudricourt du 13ème arrondissement de Paris, pas tout à faire à pied non plus car en vélib’ mais allant vers l’inconnu ça, de façon certaine.
- Bonsoir messieurs ! Saluai-je les deux policiers en uniforme debout devant leur camion comme m’attendant.
Le temps d’un sourire je les examinai de la tête aux pieds. Le premier : grand baraque et moustachu ; l’autre petit, fin comme un haricot, l’air un peu gauche. Le stéréotype même du gros flic accompagné du petit fada. Le gros m’interpelle : « Vous savez que vous venez d’emprunter une voie en sens interdit ? ». Consciente de mon erreur de débutante, je décidai d’être franche, c’est bien ce que nous apprennent nos professeurs et parents après tout : la vérité est mère de sureté, me dis-je. A cette pensée un doute m’assailli : est-ce le dicton correct et approprié ? bref, ma réponse fut assurée :
- Oui effectivement mais j’ai fait très attention je vous assure, j’ai bien regardé si personne n’arrivait ! Et puis je me tenais prête à mettre pied à terre et pousser mon vélo sur le trottoir au cas où un véhicule se serait avancé en face de moi.
- Mais c’est interdit mademoiselle ! me rétorqua La moustache. Le Haricot ne broncha pas. Ce devait être un stagiaire j’ai repensé le lendemain, après coup, mais n’allons pas trop vite dans le récit.  Présentez-nous vos papiers : contrôle d’identité !
-  Bien bien m’sieur, répondis-je en faisant profil bas devant la situation qui se révélait ne pas être en ma faveur.  En descendant de mon vélo, ayant un équilibre très précaire, j’ai quelque peu titubé. Faut croire que cela leur aura mis la puce à l’oreille ou aura éveillé en eux un zèle sécurito-policier car ils me présentèrent à ce moment là un éthylotest. : « Votre taux d’alcoolémie me semble suspect mademoiselle, vous allez souffler dans ce ballon. ».


J’avais bu quelques verres certes mais j’avais réussi à conduire mon vélo du 19ème au 13ème sans encombre. Persuadée que de toute façon les quelques caïpirinhas  ingurgitées plus tôt avaient été évacuées par mes efforts cyclistes, je fis le test en inspirant profondément et en expirant allégrement dans le petit tuyau tendu. Le verdict ne s’est pas fait attendre, j’étais marron, cuite, bourrée quoi… enfin selon les barèmes de ce petit engin maudit.
Là-dessus, sans bien comprendre ce qu’il se passait, La Moustache me tendit une contravention et me dit d’une voix forte de qui se sent en position de force  « Pour le sens interdit, je me vois dans l’obligation de vous donner une contravention d’un montant de quatre-vingt-dix euros ». J’accuse le coût et fait le calcul. Deux caïpis à huit euros chacune, la location de mon vélib pour 1 euro, environ quatre cent calories de brûlées, plus une prune à quatre-vingt-dix. La vache, j’aurais peut être du prendre un taxi finalement et faire un jogging demain matin. Je signe le papelard et m’apprête à enfourcher de nouveau ma bécane en faisant attention de prendre la rue dans le bon sens. Je me réconfortais déjà en pensant à la bonne rasade de vodka que j’allais m’enfiler en rentrant chez moi pour oublier la déconvenue de cette soirée mais je fus coupée dans mon bel élan :
- Attendez un peu. Ce n’est pas terminé. Vous ne pensez tout de même pas que vous allez repartir comme une feuille emportée par une douce brise d’automne mademoiselle alors que vous êtes ivre sur la voie publique (tiens les poulets sont poètes maintenant : réflexion que j’ai gardée pour moi).
Il était temps d’être raisonnable et d’obtempérer devant les ordres policiers. Je descendis de mon vélib’ en expliquant qu’effectivement je ferais mieux de déposer mon vélo à la station la plus proche et de continuer à pied puisque je n’étais plus très loin, quinze minutes de marche à pied tout au plus. « Merci de votre sollicitude » les gratifiai-je en guise d’accord scellé. Il faut croire qu’ils avaient d’autres projets pour moi car, La Moustache, toujours lui, m’invita à les suivre au commissariat où m’attendait un séjour en cellule de dégrisement. Interloquée. Surprise. Eberluée. Choquée. No entiendo bien. Ils ne peuvent pas me faire ça ! Ils ne vont pas m’envoyer au trou, les rats ! Je ne suis qu’une pauvre jeune fille qui picole un peu et pense à l’environnement d’où le vélo. Je ne peux pas me retrouver dans une cellule grise, humide et froide à dormir sur un banc bourré d’échardes aux côtés de tous les hurluberlus et autres voyous de Paris. Ce n’est pas possible ! Dans un sursaut d’espoir  je me dis que je pouvais arranger la situation. Je décidai de sortir mon arme secrète : l’apitoiement.
- Monsieur le capitaine de police (un peu de flatterie pour commencer), voyons, je ne peux pas aller croupir en prison, je n’ai pas le look.  Je n’ai commis aucun crime et puis j’ai froid et j’ai faim mais surtout je dois aller retrouver ma grand-mère qui est malade. Je lui ai promis de lui ramener des raviolis pékinois dont elle raffole. C’est pourquoi je suis dans cet arrondissement à cette heure de la nuit… et que je n’ai pas fait attention au panneau.
- Qu’essayez-vous de faire mademoiselle ? Vous pensez que votre histoire à deux balles est crédible. Et puis vous nous avez dit que vous l’aviez vu ce panneau. Alors ?
Merde, un flic avec de la mémoire. Je n’ai vraiment pas de chance. Il doit y en avoir deux sur Paris et je tombe dessus le jour où je suis bourrée en vélo. Il ne me restait plus qu’à abattre ma dernière carte.
- Et si je relevai ma jupe à mi-cuisse et vous laissais me mater les gambettes en train de pédaler, ça annulerait la sentence mon beau capitaine lui déclamai-je en mimant la scène et lui envoyant un clin d’œil complice.
- Allez, finis les conneries la greluche. Au poste ! me hurla-t-il.

Et c’est comme ça que je me suis retrouvée à passer toute la nuit dans la cellule de dégrisement du commissariat du treizième, avec d’autres loustics de mon genre, bandits de grands chemins parisiens, pris en flagrant délit de boisson et…se baladant sur l’avenue, le cœur ouvert à l’inconnu.

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