Jolis mois de mai (extrait)
olivier-de-velosnes-torgny
... Je ne sais pas trop ce que je fais là, prenant conscience du peu de points communs qui m'unissent au reste de la bande si ce n'est avec Sylvette qui partage ma couche et bon nombre d'idées . Mais, elle-même, perdue dans sa douleur sentimentale, ne m'est pas d'un grand secours alors que je vois au-delà de la vitrine de la brasserie, cette agitation, prémisse d'évènements où je voudrais plonger.
C'est Sylvette qui, alertée par je ne sais quelles antennes, me prend par la main, m'arrache momentanément à mon « spleen » et à mes envies révolutionnaires. Nous entonnons, en rigolant comme des baleines, et devant nos camarades estomaqués : « ...j'aime Paris au mois de Mai ».
Gérard et Pascal hurlent et trépignent après notre inconscience qui ne nous permet pas de comprendre à quel point nous sommes proches du chaos. Selon eux, si cela se trouve les chars russes ne sont déjà plus qu'à quelques kilomètres de Paris.
Le patron, nous apporte les choucroutes et omelettes demandées.
Je pus obtenir l'attention de l'assistance à qui je narrais une anecdote datant de quinze jours où j'étais allé avec mon père dans notre maison familiale qui se situe en Lorraine à trois cents mètres de la frontière belge. Au delà de la visite à la famille, mon père était là pour faire le plein d'essence (et moi, pour voir une copine) de l'autre côté de la frontière. Cependant l'atmosphère dans un petit village de trois cents habitants est très différente de celle de Paris que je venais de quitter et où les premières voitures brûlaient rue Gay-Lussac. Aussi, le samedi après-midi, nous nous réunîmes avec mes copains lycéens, étudiants et jeunes ouvriers avec lesquels j'avais partagé certains jours les bancs de l'école pour organiser une virée dans une des « boites belges » de notre connaissance.
C'était en fait un bar-restaurant perdu dans les bois où, de temps en temps, les couples dansaient sur les airs que massacraient le juke-box. Nous étions là, attablés à siroter nos bières lorsque deux cars de touristes venus de Liège s'arrêtèrent pour une « pause-pipi ». En sortirent deux cargaisons de petits vieux qui s'égayèrent et s'assirent autour des tables libres.
Lequel de nous eut cette idée ??? Je ne m'en souviens pas, mais, fort de notre connaissance des curiosités locales une feuille de papier fut vite recouverte de ce message sibyllin :
« Visite de la grotte aux fées - groupes 1, 2, 3, 4, 5 - ne nous oubliez pas ».
Nous demandâmes aux touristes attablés à coté de nous de la faire circuler.
Cinq minutes plus tard un des chauffeurs de car vint nous trouver et s'excusa en nous expliquant que les cars ne faisaient qu'une courte escale et qu'ils étaient désolés pour nous mais qu'ils étaient obligés de décliner notre offre.
La conversation s'engagea : « … et pourquoi faites-vous cela ? » était une préoccupation que visiblement beaucoup de nos voisins partageaient. Alors, toujours sans nous être concertés, commença une des plus belles « impros » que j'ai connues :
« … nous sommes étudiants parisiens, … originaires du coin, … à Paris nous n'avons plus à manger ...alors on vient vendre le peu que nous avons, … notre connaissance de notre pays d'origine, … c'est pour manger, ... »
Petit à petit une foule d'auditeurs du troisième âge nous entourait comme si nous étions des « rock-stars » et, bien sûr, on en rajoutait une puis plusieurs couches :
« … les voitures et les immeubles brûlent un peu partout dans la capitale, … les gens se battent pour se partager et manger la dépouille d'un pauvre chat, … la police a déserté, … l'armée ne devrait pas tarder à donner l'assaut, ... ».