Jour 1

Mathoodlia

Dimanche soir. Je m'attends au pire comme si c'était le meilleur. Maman stresse. Elle m'oppresse. Je ne sais pas où aller, coincée entre les rumeurs qui circulent autour de moi. Confinement, couvre-feu, dix-huit heures, quarante-cinq jours, chez moi, chez maman, chez Rachel, chez un amoureux d'un mois, à Lille, à Calais, seule, accompagnée, libre, immobile, train, voiture, aller au travail, ne pas y aller, rester là.
La nuit, je ne dors pas, trois heures du matin, je regarde Koh-Lanta et identifie deux ou trois conseils pour vivre ensemble sur une ile déserte. C'est décidé, je me réveillerai, le réveil est activé, 6h15… 6h30… 6h45… Maman ouvre ma porte… 6h50… Je me lève. Douche en vitesse. Le train est à 7h32. Une heure et quinze minutes dans le train. 8h47, j'arrive à Lille. Je file au travail. Faire mes cartons, couper des morceaux de scotches, finir mes archives. Archiver, c'était la priorité, onze boites de documents aujourd'hui anciens, qui devaient partir loin de mon travail, loin de moi, dans une lieu que je ne connais pas. Ensuite, on s'en va et tout le monde est censé savoir où aller.  Liberté, perle rare, que je devais laisser. Etat d'urgence sanitaire, il me fallait choisir ma prison. Le luxe de trancher entre celle d'or ou d'argent, de bronze ou d'emmerdes. J'attends. Je vais voir Rachel. C'est décidé, je ferai comme elle, j'assume rien et on verra. J'arrive. Elle est perdue. Merde. Elle aussi.
On déjeune. Spaghettis, curry, carottes et jambon du Pays. C'est bon. Je m'amuse toujours bien avec Rachel. Elle me fait rire. On fume une cigarette. Café et morceaux de chocolat. Et après on a le droit de ne rien faire, Netflix, elle m'explique une série, je hoche la tête mais je ne comprends rien à cette histoire. Je m'en fiche, je ne fais rien, une dernière fois.
Je vais faire des courses, tout le monde en fait alors moi aussi. Pates, conserves et alcools, je casse et renverse une bouteille, perturbée par la panique générale, par ces gens autour de moi, par mon panier plein.
Je rentre à l'appartement. L'appartement c'est chez moi. trente mètres carrés, de vie, de tous les jours, de moi. Au rez-de-chaussée mais l'appartement est orienté plein sud, une lumière qui t'éclaire mais te chauffe aussi, c'est pas mal. Mais merde, c'est le bordel alors j'astique. Saint-Marc, Vinaigre Blanc et Febreeze, Cillt Bang quand c'est vraiment sale. Faudrait pas que je passe pour celle que je ne suis pas. Peau de banane sur la table basse, je glisse, je perd le contrôle, j'ai besoin d'une pause.
Le telephone sonne. Encore. Je pense que maman est une harceuleuse notoire mais elle m'aime alors je l'aime aussi. Je visualise l'écran, Pierre. C'est pas maman. Je répond.
Il me propose de venir vivre chez lui, dans une seconde chambre que personne n'occupe mais qui peut servir pour des personnes dans ma situation. Une période de confinement de quarante-cinq jours est à prévoir. Je comprends, ça me fait plaisir alors j'accepte sans trop réfléchir.
Une dernière machine, histoire de laver mon linge sale. C'est long même si c'est le mode rapide. Une heure, deux heures… Je dois agir, le Président va parler à 20h. Je m'active et part ailleurs.  J'abandonne la machine qui tourne 1000 fois par minute pour nettoyer ma saleté, pour aller chez l'amoureux d'un mois, profiter de sa télévision et de sa compagnie, une dernière fois.
Le Président parle, un discours hors sol pour moi qui voulait du concret. Couvre-feu, fermetures, confinements, armée, amendes, matraques et coups de feu.
On picole. Je suis bourrée. Je me sens bien, encore un personne qui me fait rire. Fous à lier. Il m'arrive souvent d'essayer de le séduire et parfois de le baiser. On s'endort, son visage posé contre mon sexe, j'ai soif, je me réveille, 5h. Demain à douze heures, je serai immobile, confinée autant que fatiguée et furieuse et rentrerai chez Pierre, chez mon chez moi provisoire mais reconductible. Sans mes amoureux, sans ceux que je ne supporte pas.

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