Journal aléatoire d'un alcoolique en sevrage

lafaille

Jour n°19

Six mois de loyer à payer, ma propriétaire qui porte plainte contre Fout-Le-Camp, c'est le monde du grand n'importe quoi. Comme si ce pauv'chien pouvait payer le loyer. En croquettes, peut-être ? Ou si elle a un penchant zoophile ? Ah c'est dégueulasse, non non et non, tu ne te taperas pas mon chien. Mon chien, c'est ma femme.

Je regarde en-dessous de mon matelas, quelques piécettes en cas de disette alcoolique, mais je ne le suis même plus alcoolique, entre les deux, la position du pire. Et la vie ne vous aide pas à rester sobre. On a l'impression qu'elle s'obstine, elle vous enchaîne et vous dis, ben alors on n'irait pas s'en payer un ? Elle se marre bien cette salope. Puis elle vous laisse seul. On verra au printemps, elle ne peut pas me virer, c'est la trêve hivernale. En attendant je vais réfléchir. Y a bien une solution. Fout-Le-Camp me renifle, ah tu veux sortir, toi ? Viens.

Sorti de l'appartement, je croise une vieille connaissance de comptoir, une qui était belle, mais qui aujourd'hui, a cette beauté encore plus belle des âmes détruites. Il suffit de traverser ses yeux pour comprendre que Suzanne n'a pas euevraiment le choix, les larmes du monde dans un regard. Fatal. Une balle perdue entre les deux yeux, œil du cyclope d'une lucidité mortelle. Elle me tape sur l'épaule, elle est devenue muette, depuis qu'elle a perdu son fils dans un accident de voiture, rien ne peut la rendre plus morte qu'elle ne l'est, même pas cette putain de faucheuse. Je lui souris, elle me répond en caressant Fout-Le-Camp, et part sourire contrarié aux lèvres de rester encore seule une fois de plus au comptoir. J'ai mal au bide, je suis tout retourné de cette rencontre, je vomis dans le premier parc, Fout-Le-Camp me voyant malade arrête sa course aux os de poulet, et vient près de moi pour me réconforter. Elle s'appelait Suzanne, c'était mon premier flirt. Je ne lui en veux pas. Et merde, ça revient, la gerbe des souvenirs.

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