Journal de Cross, Chapitre 15
[Nero] Black Word
Cette idée était peut-être folle, mais je sentais qu'elle pouvait marcher. Elle devait marcher.
Je marchais d'un pas précipité jusqu'au village, espérant arriver avant que ses habitants ne se réveillent, en tenant dans ma main un seau de peinture blanche. J'avais remplis mon sac avec assez de vivre pour la journée mais j'espérais ne pas avoir à attendre autant de temps.
Une fois arrivé devant le bar désaffecté, alors que le soleil se levait à pêne, je regardais minutieusement autour de moi. Le seul passant présent était un chat s'éloignant de la rue comme si je n'existais pas.
Prenant une profonde inspiration, déposant de seau de peinture sur le bord du trottoir, je commençais à l'ouvrir en utilisant une pince sortie de mon sac. La tâche fut pénible.
Une fois ouvert, j'avais trempé dans la peinture un gros pinceau et m'étais placé sur la route avec le seau. Elle ne comportait aucun marquage, ce qui m'arrangeait.
J'avais tracé un demi-cercle sur toute la largeur qui séparait les deux trottoirs, utilisant généreusement la peinture pour rendre le trait bien visible, avant de dessiner juste à côté un trait fermant un autre demi-cercle dessiné dans le sens opposé au premier. Il ne me restait plus qu'à reproduire la première forme à droite de la deuxième et le tour était joué.
Une fois fini, je pouvais reprendre tranquillement mes affaires et me cacher dans le bar abandonné. Je m'étais rendu au premier dans mon bivouac de fortune complètement chamboulé par mon dernier visiteur, et j'admirais discrètement entre les volets de la fenêtre les lettres blanches C D C parfaitement visibles sur le goudron noir.
M'installant au mieux dans ce lieu poussiéreux, il ne me restait plus qu'à attendre.
La journée semblait progresser aussi vite que la réunion entre une stalactite et une stalagmite. J'eus le temps de m'endormir dans cette pièce poussiéreuse, avant qu'un tracteur passant sous la fenêtre ne m'extirpe de mon sommeil. Il n'était même pas 11 heures et cette attente me semblait déjà insupportable.
Je m'étais mis à relire mes notes concernant le verre, réfléchissant à tous les détails, mais je ne pouvais pas m'empêcher de regarder par la fenêtre. Cherchant un quelconque signe que mon message ait bien été reçu par la bonne personne, même si je savais bien qu'il m'était impossible d'en être sûr. Et cela m'était d'autant plus insupportable. Au-delà de toutes les questions que je me posais, le fais de ne pouvoir qu'attendre sans rien avoir à faire me rendais fou.
A midi j'avais brièvement grignoté quelques biscuits, espérant que le temps passerait plus rapidement, mais l'impatience me revient bien plus vite. Je ne pouvais résister à l'envie de regarder par la fenêtre et essayer vainement de savoir.
Durant la journée, j'avais pu voir que certains passants étaient interpelés par mon message. La plupart discutaient entre eux avant de disparaitre hors de mon champ de vision, alors que les conducteurs ne faisaient que ralentir avant de reprendre leur route.
Tournant en rond dans l'étage du bar, puis dans l'établissement entier, égarant mon attention sur tout ce qui pouvait être un temps soit peu intéressant. Mais entre les meubles masqués par la poussière, les débris et autres décombres du décor, faire une partie de flipper fut la première activité qui me vint à l'esprit. Encore fallait-il réussir à faire fonctionner cette épave.
J'avais dressé une liste mentale de tous ce que je pouvais faire pour patienter. A part le ménage, dormir ou relire mes notes, j'avais eu dans l'idée de dessiner le verre pour accompagner mes observation ou faire d'autres tests avec les rats prisonniers dans la cave. Mais je ne savais pas quoi faire de plus comme expérience.
Je m'étais finalement mis à déambuler un peu partout au hasard des pièces en écoutant dans mes écouteurs la musique thème d'un jeu appelé "Deus Ex ", pendant que mes pensées imaginaient toutes sortes de scénarios sur ce qui pourrait arriver durant les douze prochaines heures.
Au début, je pensais à cette femme faisant son entrée dans cette ruine et à son regard me disséquant sur place après qu'elle m'est reconnue. Dans cette optique, je redoutais déjà sa réaction.
Allait-elle faire pleuvoir sur moi les foudres de sa colère pour avoir fait trembler le voile derrière lequel elle semblait cacher son organisation sans doute secrète ?
Si elle était capable d'écarter la police d'une scène aussi sanglante que celle qui avait vu la mort de mes grands-parents, je redoutais déjà de ce qu'elle serait capable de faire me concernant.
Mais peut-être n'était-elle pas seul dans cette organisation, peut-être avait-elle des collèges, des supérieurs.
Dépoussiérant une chaise du bar et m'y installant face à l'entrée, j'attendais nerveusement en regardant la lumière faiblir à l'extérieur. Cogitant toujours sur ce qui allait advenir à l'arrivée de cette femme, ou de quelqu'un collaborant avec elle. Et si, finalement, personne n'allait venir ?
A cette pensée je fus prit d'anxiété.
Et si cette attente s'avérait être totalement inutile ? Qu'allais-je faire ? Je détenais un objet hors du commun, certes. Mais que pouvais-je bien en faire ? M'en servir pour tuer ne me serais au final à rien, et le vendre serait terriblement compliqué. Ne serait-ce que pour trouver un acheteur et pour obtenir une somme convenable.
Je ne voyais pas vraiment comment l'exploiter à mes fins. Tout comme je ne voyais pas comment contacter le C.D.C convenablement.
La simple pensée que tous mes efforts s'étaient, une nouvelle fois, avérés vains me déprimait déjà. Rien qu'à l'idée j'en bouillonnais de rage, allant jusqu'à me promettre de faire brûler ce vieux trou à rat simplement pour me passer les nerfs.
Non, c'était injuste. Après toutes ces années à chercher comment faire mes preuves, à supporter les obligations de la société et à vivre dans un monde ou personne ne me laissait ma chance. Je tenais enfin entre mes mains une lueur d'espoir pour m'extirper de cette existence sans intérêt et enfin avoir une place dans quelque chose de plus grand. Quelque chose qui dépassait cette société cloisonnée pour le commun des mortels.
Non. Cette femme, ce C.D.C, ne pouvait pas me faire ça. C'était ma chance et il n'avait en aucun cas le droit de me la prendre. Il n'avait pas le droit de m'abandonner seul dans ce lieu en ruines. Je ne pouvais pas accepter quelque chose d'aussi injuste.
Après un temps difficilement calculable à ruminer ainsi mes pensées, serrant mes biceps avec toute la force dont pouvaient faire preuve mes mains, je m'étais finalement levé. Orientant mon regard vers l'extérieur que j'avais perdu de vue durant mes pérégrinations mentales.
La soirée avait commencé à tomber, rapidement rattrapée par ma déception. Me rasseyant lourdement sur la chaise, je me sentais abattu, désespéré et résigné.
Finalement, tout cela avait été vain. Tant d'efforts et d'espoir pour me retrouver seul dans une vieille bicoque en décrépitude, avec un objet aussi hors du commun qu'inutile et un message abstrait pour des personnes dont il serait logiquement plausible de douter de l'existence.
J'émis un profond soupir qui fit voleter un peu de poussière au pied de la chaise, avant de me lever sans réelle motivation. Marchant jusqu'à la pièce arrière du bar, me dirigeant vers l'escalier, je fus surpris par un léger grincement sur ma gauche.
En un éclair, un choc violent vint s'abattre à l'arrière de ma tête, et la seconde qui suivit vit mon corps s'écraser lourdement sur le sol.