Journal de Cross, Chapitre 17
[Nero] Black Word
En sortant de la cave, je pris une profonde inspiration qui n'était pas hantée par l'odeur putréfiante de la mort. Tant par la situation de laquelle je sortais que par le cadavre qui était présent au sous-sol. Malgré la poussière de ces lieux, l'air me parut frais avec ce parfum ambiant de vieux bois.
J'avais pu récupérer mes affaires à l'étage, mais le jeune homme à mes côtés avait conservé mon carnet. A sa demande, j'avais sorti l'objet de sa cachette, au milieu d'autres verres derrière le comptoir, avant de le lui remettre.
Une fois qu'il eût rangé cet objet dans un sac, il me conduisit jusqu'à la sortie devant laquelle une camionnette noire nous attendait avec deux personnes assises à l'avant. Dans le calme de la nuit, ou seul le bruit de la campagne venait s'immiscer dans le silence ambiant, je me retrouvais face à l'entrée du véhicule. Et l'hésitation vint troubler ma démarche au moment de franchir le pas.
Pourquoi est-ce que je n'osais pas monter ? Etait-ce la peur de l'inconnu ? De ma destination ? Ou peut-être parce que je craignais d'avoir manqué de vigilance. Si ces gens avaient pour projet de me kidnapper.
"Hey Cross, tu ne vas pas me faire croire, qu'après tout ce que tu as mis en œuvre pour en arriver là, tu vas hésiter."
Ces mots venaient du jeune homme qui attendait derrière moi. En me retournant, je pus voir un petit sourire que je pensais narquois, mais qui était accompagné d'un regard plus chaleureux.
"Si tu hésites, tu seras pris de peur, après tu auras envie de fuir. Et pour finir tu risques d'être rongé par le regret pour le reste de ta vie."
Il avait raison. Je m'étais démené pour en arriver là, j'avais même causé la mort de deux personnes. C'était un risque de plonger ainsi dans l'inconnu, mais je pris ce risque.
Je m'étais retrouvé ainsi assis sur l'un des huit sièges disponibles sur la longueur du véhicule, derrière le conducteur, pendant que le jeune homme était étendu sur les places me faisant face. Le claquement de la porte coulissante fut rapidement suivit par le démarrage, et nous prîmes ainsi la route.
Il était déjà tard et l'arrière de ce transport était assez oppressant. Sans fenêtre, éclairé par une petite lumière au-dessus d'une trappe coulissante qui permettait de s'adresser aux places avant, et les différents bruits de la conduite en fond.
Celui qui était venu me chercher semblait somnoler de son côté en toute paix. J'aurais aimé en faire de même, mais j'avais trop de questions en tête, notamment sur notre destination et le temps que nous allions mettre pour nous y rendre.
Au moment de m'approcher de lui, près à lui adresser la parole, il me devança en m'adressant un petit regard en coin.
"Le trajet va prendre du temps, tu ferais mieux d'en profiter pour dormir. A moins que tu n'ais des doutes sur nos intentions."
Me renfonçant sur mon siège, je pris le temps de réfléchir avant de lui répondre.
"Je pense que si vous vouliez me tuer, toi et les deux autres, vous l'auriez déjà fait. C'est pour cette raison que tu te permets de dormir sans me craindre. Je pense aussi que vos supérieurs vont attendre quelque chose de ma part.
- Tu sembles comprendre vite. Tant mieux, ça te sera très utile. Mais avant de rencontrer mes supérieurs tu devrais te reposer."
Et sur ces mots il referma les yeux.
M'allongeant sur les sièges à ma disposition, utilisant mon sac comme d'un oreiller à moitié confortable, je tentais de m'endormir à mon tour. Et malgré les deux heures de tourment dû à mes interrogations, je finis par m'endormir.
Je devais être plus fatigué que je ne le pensais, car à mon réveil la portière était entre-ouverte, laissant entrer un peu de soleil dans ma direction. Je parvenais à entendre le bruit caractériel d'une pompe à essence, accompagné de l'odeur toute aussi reconnaissable.
En regardant autour de moi, j'avais pu remarquer que mon jeune compagnon de voyage n'était plus là et que le manque de confort avait provoqué chez moi une gênante migraine. M'extirpant lourdement de la chrysalide imaginaire dans laquelle je m'étais réfugié pour dormir, étirant mon cou douloureux, je me dirigeais d'un pas maladroit mais direct jusqu'à la sortie.
Au moment où ma main allait entrer en contact avec la portière, cette dernière s'ouvrit lentement d'elle-même, laissant apparaitre devant moi le jeune homme qui planta immédiatement son regard dans le mien. Il me sourit immédiatement comme un enfant qui verrait son meilleur ami.
"Bien dormi ?
- Où somme-nous ?
- Nulle part. On fait juste une pause avant de reprendre la route. Tu as faim ?
- Il est quelle heure ?
- Dix heures passées. Alors ? Tu as faim ?
- J'ai dormi si longtemps que ça ?
- Tu étais vraiment fatigué après toute cette histoire. Rentrons."
Il me poussa gentiment à l'intérieur et entra avec un sac en plastique avant de refermer la portière.
"Pourquoi tu ne me laisses pas sortir ?
- Tu vas devoir t'y faire.
- C'est-à-dire ?
- Tien."
Il me tendit un café bien chaud avec un couvercle tout droit sorti du sac dont il était accompagné.
"Non merci, je n'aime pas le café.
- Ca aussi tu risques de devoir t'y faire. Tu préfères un sandwich ? J'en as un au saumon et un au jambon.
- Je prendrais celui au jambon. Mais qu'est-ce que tu entends dans le fais de devoir m'habituer ?
- Assis-toi et mange, tu vas avoir besoin de forces. Je vais t'expliquer."
Retournant sur le siège qui m'avait accueilli au début de ce périple, je déballais mon repas et mordis dedans sans quitter mon interlocuteur des yeux. Attendant qu'il m'éclaire un peu plus. Lui avait commencé à grignoter des biscuits chocolatés avant de finalement reprendre la parole, toujours en me dévisageant avec son regard malicieux et enfantin.
"Le voyage devrait prendre fin dans l'heure qui vient, nous allons arriver et tu vas devoir faire face à mon supérieur direct. Je te préviens que cette personne a l'habitude des interrogatoires, alors n'espère pas lui mentir."
La camionnette se mit à trembler avant de reprendre la route. Pendant que le jeune homme me parlait de ce qui m'attendait, je dévorais mon sandwich avec appétit malgré un goût amer qu'il avait. J'avais mis cela sur le compte du fait qu'il avait été acheté dans une station service.
"Sois honnête avec cette personne. Si jamais elle sent que tu lui caches quelque chose d'important, elle ne te serrera pas la main en te disant que ton parcours professionnel ne convient pas, avant de te conduire à la sortie. Non, là, ce serait du suicide"
Mon estomac commença à se nouer à ce moment-là.
" Tu veux me mettre la pression ?
- Pas du tout, je te rappelle juste dans quoi tu t'es engagé. Et encore, c'est à peine si tout a commencé.
- Je ne compte pas mentir, je n'en vois pas l'intérêt.
- A moins d'être un espion sous couverture venu chercher des secrets…"
Il se mit à rire en me regardant. De mon côté, je sentais la fatigue s'abattre d'un coup sur moi, sans que je ne comprenne pourquoi.
"Tu sais Henri, ce qui t'attends à l'arriver ne sera pas facile. Mais ce ne sera pas pire qu'un engagement pour une entreprise avec un patron capitaliste. Mis à part quelques détails, mais rien d'insurmontable pour quelqu'un…"
Mon attention s'égara et ses mots devinrent incompréhensibles. Le sandwich m'échappa des mains alors que je m'affalais lourdement sur les sièges du véhicule, tout en chutant dans le profond trou noir de l'inconscience.
Je ne savais pas combiens de temps j'étais resté endormi. Mais à mon réveil, mes yeux s'ouvrirent sur un espace blanc immaculé qui me brûla les iris.
Après avoir habitué mes yeux à cet éclairage, je pus constater que je me trouvais dans une petite salle blanche fermée, dans la quelle se trouvait une table séparant deux chaises et aucune fenêtre donnant sur l'extérieur.
Me levant péniblement, je me demandais qui avait bien pu m'emmener dans cette pièce. Etait-ce le jeune homme venu à ma rencontre dans le bar qui m'avait porté jusque la ? Il n'avait pas l'air très fort mais il avait pourtant bien déplacé mon corps dans une cave la veille. A moins que ça n'avait été ses deux complices à l'avant du véhicule.
Pour avoir besoin de m'endormir ainsi, leurs supérieurs devaient vraiment tenir à rester dans le plus grand secret. Puis il me revint en mémoire le goût désagréable du sandwich alors que j'étais adossé au mur. Mon compagnon de voyage avait surement dû mettre quelque chose dans mon repas pour m'endormir. Je me rappelais de ce moment où il me parlait et où ses mots m'étaient devenus inaudibles.
Et dans quelques instants, je m'apprêtais à avoir un entretien avec les dirigeants. A cette idée, le stress commença à se présenter à moi. Mais je ne devais pas mis soumettre.
Au bout d'une dizaine de minutes, une porte dissimulée dans le mur s'ouvrit, laissant entrer une grande femme à la peau noire vêtue d'un costume taillé sur-mesure et coiffée d'un chignon, tenant une mallette à la main. Elle s'installa sur une des chaises avant de me regarder de haut en bas et de m'inviter à faire de même.
Je pris place face à elle alors qu'elle déposa sa mallette sur la table et l'ouvrit. Elle en sortit deux carnets. Celui que le jeune homme m'avait pris et, à ma grande surprise, celui qui m'avait été volé près d'un an auparavant.
"Enchantée monsieur Cross, je me nomme Angela. C'est à moi que revient la tâche de prendre une décision concernant votre avenir. "