Journal de Cross, Chapitre 19
[Nero] Black Word
Assis sur cette chaise, avachis sur la table, j'étais en tête à tête avec moi-même, mon impatience et mes inquiétudes. Risquer fort de connaître le même sort que mes deux victimes, parce que j'avais découvert cet endroit ? Ce qu'ils appelaient « le Centre » ? Etant donné la sécurité avec laquelle on m'avait fait venir, il n'était pas permis d'en douter.
Je venais de fouiller les poches de mon blouson et de mon pantalon, et pu ainsi constater qu'il ne me restait rien. Que ce soit mon téléphone, ma carte d'identité, ou simplement mon crayon, tout m'avait été prit avec mon sac.
Il m'était impossible de dire combien de temps s'était écoulé depuis que cette femme m'avait laissé seul dans cette salle dont la blancheur épuisait mes yeux, mais cela équivalait à une éternité pour moi.
J'eus le temps de me tourner vers mes souvenirs pour tenter de me rappeler mes derniers instants passés dans la camionnette avec mon kidnappeur plus jeune que moi. A part le goût fade du sandwich et son vague monologue, il n'y avait rien d'important à retenir. Mais dans mon ennui, mon isolement, ma séquestration, je n'avais que ça à faire.
Je m'étais même surpris à tapoter sur la table au rythme d'une musique qui me revenait en mémoire, quand je ne déambulais pas simplement en longeant les murs de ma prison blanche.
La fatigue appelait ma tête à se poser lourdement contre mes bras croisés sur la table, tout en laissant mes yeux se fermer pour un temps indéterminé. Par la suite, mon corps se relâcha et mon esprit se perdait dans l'obscurité et le silence.
Seul me maintenait éveillé l'inconnu, le fait de me savoir en ces lieux, à la merci de ces gens. La simple idée du sort qu'ils me réservaient suffisait pour me motiver à rester sur mes gardes, ce que je ne regrettais pas par la suite.
Une femme était entrée en trombe dans ma geôle, claqua sèchement la porte et vint se tenir devant moi, je la reconnus immédiatement. Ses cheveux blonds foncés couronnant son visage fin, dont les yeux d'un bleu électrique, ou glacé, débordaient de colère en me regardant du haut de son corps de deux mètres.
La femme que j'avais vue devant la maison de mes grands parents, qui s'était emparée de mes notes et du miroir, qui m'avait regardée droit dans les yeux en les emportant avec elle dans son véhicule. Elle était à présent là, debout à moins d'un mètre de moi, surplombant ma présence de toute sa hauteur. Ma présence qui, manifestement, était la raison de sa colère.
Avec des gestes tremblant de colère, elle s'assit à la table, y posa ses mains et cacha ses yeux sous sa frange en penchant la tête. D'une voix douce troublée par son humeur, elle sortie enfin du silence.
"Henri Maxwell Cross… enchantée… je… je me nomme Marion. Marion Clara Brunier…"
Je sentais son regard à travers le petit rideau que créaient ses cheveux. Cela me mettait mal à l'aise d'être épié ainsi, j'en avais hésité à répondre.
"Heu… et bien enchanté de vous renc…
- Tu te… rappelles de moi ?
- Oui. Vous étiez à la maison de mes grands-parents quand…
- Il paraît que c'est à cause de moi si tu as pu arriver jusqu'ici."
Cette phrase était tombée à la vitesse d'une flèche tirée sur le sol, alors que ses phalanges s'étaient rétractées dans ses mains. Les poings serrés et tremblant, elle poursuivit.
"Ma supérieure m'a racontée ton histoire. Il parait que c'est en voyant mon badge que tu t'es lancé à la recherche du centre et des objets. C'est bien ça ?
- Heu… oui. Je…"
Ses yeux avaient quittés leur cachette et les voir m'empêcha de poursuivre ma prise de parole, surtout accompagnés par ce sourire qui n'en était pas vraiment un. C'était plutôt un retroussement de lèvres tremblantes, abstraites, et qui n'envisageait rien de bon.
Elle était devenue, en un éclair, une panthère enragée bondissant sur une proie blessée. Se levant d'un bond en se penchant vers moi, ses mains avaient brutalement envahies l'espace de mon cuir chevelu, attrapant quelques mèches entre ses doigts, plantant ses ongles dans ma peau, et rapprocha mon visage de la table.
Mes lunettes avaient glissées de mon nez, et ce dernier se retrouvant à moins de dix centimètres de ce qui pourrait provoquer ma prochaine douleur. Me tenant fermement entre ses griffes avec une force impressionnante, je sentis son souffle rapide près de mon oreille gauche, où elle y fit glisser des paroles d'une voix ponctuée de démence.
"A cause de toi, juste parce que j'avais oublié de cacher ce foutu badge, tu es remonté jusqu'à nous. Et moi j'ai eu droit à une sérieuse réprimande de la part de mes supérieurs. J'ai été ainsi rabaissée parce qu'un vulgaire cafard de ton espèce nous à découvert, et maintenant, eux, s'inquiètent sur la probabilité que d'autres puissent apparaître. Que d'autres curieux comme toi puissent se mettre en tête d'arriver jusqu'au Centre. Si ça ne tenait qu'à moi, notre assassin t'aurait déjà égorgé dès qu'il t'as vu. Mais maintenant que tu es ici, tu vas au moins pouvoir servir de cobaye, et je serais heureuse de mener mes expériences sur toi. Même si tu es loin d'être le genre que je recherche."