Journal de Cross, Chapitre 3
[Nero] Black Word
Je fis tourner l'idée dans ma tête, incrédule. Un miroir ? Des coquillages décoratifs ? C'était ça l'explication ? Incapable de prendre cela au sérieux, je ne pouvais y croire. Mais manquant cruellement de piste, je finis par me décider d'en avoir le cœur net. Prenant une paire de gants en cuir de mon sac, je partis en investigation.
Entrant dans la salle de la défunte, évitant soigneusement de toucher au corps et au sang, je vis les coquillages. La moitié était tombés de l'étagère au moment de la chute, les brisants comme du verre. Les survivants ne semblaient pas être hors du commun, mis à part de jolies couleurs pour certains, mais rien qui ne méritait d'être associé à une brusque folie.
Après quelques instants, je vins prendre la place de ma grand-mère devant le miroir, l'esprit empli de scepticisme. Commençant par toucher les bordures en bois marron de l'objet, regardant derrière pour voir si jamais, je laissais finalement échapper un profond soupir. Fixant mon reflet, je remarquais tout de même ma mine affreuse qui semblait résulter de ma nuit peu reposante.
Sans m'en rendre immédiatement compte, je vis mon reflet devenir… différent. Mon visage était devenu plus… présentable, plus beau, plus vivant et sans barbe, pendant que mon T-shirt et mon blouson avait laissé place à une chemise et une cravate d'un noir soyeux. Mes lunettes cachaient tant bien que mal une paire de cernes et mes cheveux avaient été coupés, dégageant ma nuque, l'arrière de mes oreilles ainsi que mon front. C'était étrange. Très étrange.
Je fus d'un seul coup tiré de cette vision par le bruit d'un klaxon venant de l'extérieur. Me précipitant à la fenêtre, je vis mes parents sortir de la voiture et commencer à décharger leurs affaires. Pris de court, j'avais décidé de m'éclipser des lieux avec mon sac en direction de la chambre d'ami dans laquelle je dormais à chaque visite.
Mon sac s'écrasa contre le pied d'une armoire, rapidement rejoint par mon carnet et mon stylo, pendant que je m'attelais à défaire légèrement mon lit. Puis, à la vu de mon visage blafard dans la glace de l'armoire, je compris que je ne pourrais jamais faire croire que je ne suis au courant de rien. Ma seconde idée fut de m'être réveillé peu avant l'arriver de mes parents, d'aller voir nos hôtes pour les prévenir, d'avoir découvert les corps et de me poster en bas des escaliers. Pour la veille, je prétexterais être entré par la porte-fenêtre brisée et d'être directement allé me coucher.
Me postant au rez-de-chaussée, j'attendis leur entrée, jusqu'à ce que le bruit de la sonnette me rappelle que la porte était fermée. J'ouvris la porte de tout mon manque d'énergie et de vie, avant d'être bousculé par mon père me demandant de ne pas rester dans le passage et signalant que les affaires étaient lourdes. Ma mère lui emboita rapidement le pas et ils déposèrent bagages dans le salon. Leurs faisant face, ils me demandèrent rapidement si mon voyage s'était bien passé avant de retourner à la voiture. Je compris à ce moment précis que la pâleur de mon visage leur était indifférente.
Me rendant dans la cuisine, je pris le temps de grignoter deux tranches de Bacon avant de retourner dans la chambre d'ami. Assis sur le lit, je relus mes notes et me remémora la scène. Ma grand-mère, la photo dans une main et le couteau dans l'autre, à tenter de revenir au temps où elle se trouvait vraiment belle devant le miroir.
A cet instant, ce miroir, ainsi que le reflet qu'il m'avait montré, me revinrent en tête. J'avais beau me triturer les méninges, je ne savais pas si cette vision était dû à ma fatigue, comme le voudrait la logique, ou si quelque chose d'étrange était à l'œuvre, ce qui pourrait expliquer assez facilement l'attitude de ma grand-mère.
Me regardant dans le miroir de la chambre, je repensais au moi que j'avais vu. Plus souriant, plus fringuant, la barbe rasée, les cheveux coupés, une cravate et une chemise. De plus loin que je me souvenais, jamais je ne m'étais présenté ainsi. Mais l'image me plut.
C'est à ce moment-là, après un temps que je ne saurais déterminer, que le hurlement de ma mère se fit entendre dans toute la maison. Il n'était pas difficile de deviner ce qui avait pût lui faire pousser un tel cri.
Le carnet en main, je me rendis dans le salon où ma mère était cramponnée sur son téléphone portable à appeler les secours pendant que mon père devait être à l'étage. A ce moment la je ne sus que faire. Réfléchissant rapidement aux questions que l'on pourrait me poser, l'inquiétude me glaça le dos, me mettant dans un léger état de panique.
Quand mon père descendit des étages supérieurs, son regard se posa enfin sur le manque de couleur de mon faciès, avant de rapidement l'oublier pour aider ma mère à expliquer le chemin aux autorités.
Durant l'heure qui suivi, mon père consola ma mère pendant que, assis sur le canapé du salon, je repensais à mes observations, voulant être sur de ne rien avoir négligé. Durant cette longue réflexion, je fus un instant surprit de la patience dont je faisais preuve. La même patience que j'avais durant mes recherches personnelles et qui avait été remplacée par une impatience généralisée dans tous les domaines. Cette pensée me fit sourire.
A l'arrivée de la police, la chambre de mes grands parents devint une scène de meurtre et nous étions interrogés. Quand vint mon tour, je laissais mon carnet posé sur un coussin avant de faire face à l'enquêteur. N'aillant aucune confiance, je racontais l'histoire que j'avais préparée pour mes parents, sous l'assistance de ses derniers qui souhaitaient en savoir plus également. Je n'avais pour seule hâte qu'ils s'en aillent et que je puisse m'emparer du miroir.
Ma mère insista ensuite pour sortir de la maison, tant la vision de cette scène l'avait choquée. Prenant soin d'emporter mon sac, elle m'emmena en ville faire quelques courses pendant que mon père restait avec les autorités.
Elle prit soin de s'attarder dans divers magasins, repoussant au maximum le moment où il nous faudrait revenir à la maison. J'avais passé ce temps loin de toute l'agitation à repenser à ce miroir, de plus en plus convaincu que ce n'était pas un objet ordinaire, et à dormir dans la voiture.
Ce fut au bout de plusieurs heures, au moment de rentrer, que je remarquais l'absence de mon carnet, resté sur le cousin du canapé. Bien à la vue du premier curieux qui pourrait, en lisant mes notes, avoir connaissance de ma présence et de mes observations.