Joyeux anniversaire Cécile !
Anouk Mathieu
Mon père travaillait beaucoup et les vacances de Pâques étaient une occasion unique de nous retrouver en famille dans la petite maison que mes parents avaient achetée en bord de mer. Une tradition à laquelle ils n'avaient jamais dérogé. Même si nous n'y passions que peu de temps, c'était enfin l'occasion de quitter la ville, de nous retrouver tous ensemble, et c'était un bonheur auquel nous nous préparions dès le mois de janvier. C'était aussi dans cette maison que nous fêtions l'anniversaire de ma sœur Cécile, plus âgée que moi, d'à peine deux ans. Cette année-là, nous arrivâmes un jour de pluie et nous nous demandions secrètement où les parents allaient bien pouvoir cacher notre chocolat. Les herbes avaient envahi les allées malgré le soin que déployait Jules, chargé d'entretenir le jardin avant notre arrivée, les fleurs d'avril ployaient sous les épaisses gouttes d'eau qui cinglaient leurs corolles à peine épanouies. En descendant de voiture, après un long trajet, je fus saisie par l'odeur de terre mouillée qui flattait mes narines et pris une grande respiration, heureuse de me retrouver enfin sur la terre ferme !
La maison possédait une grande cheminée et mon père s'appliqua à allumer un feu pour sécher un peu l'atmosphère humide qui s'était installée, tandis que nous descendions le peu de bagages que nous avions emporté. Nos quatre paires de bottes en caoutchouc trônaient dans l'entrée, m'invitant personnellement malgré la météo réfractaire, à descendre sas attendre le chemin qui menait à la plage. Enfin la brise marine sur mes joues et les embruns dans mon nez de petite parisienne. ! Je redevenais presque sauvage en changeant de décor, ignorant les conseils de ma mère qui aurait préféré que j'attende que la pluie cesse pour sortir, et que je rassurais en lançant un « je prends mon ciré ! » avant de déguerpir en trombe. Je dévalais le chemin caillouteux, capuche sur la tête et me retrouvait sur une bande de sable blanc avec face à moi, un ciel dont le camaïeu de gris orage s'étendant jusqu'à l'horizon, était d'une beauté ombrageuse et irréelle. Si la fin du monde est aujourd'hui, ce sera magnifique ! Pensais-je dans ma tête d'enfant de douze ans. Les vagues avaient charrié sur le rivage, des bois flottés venus de la rivière proche. Patinés et légers, j'en avais souvent ramassé pour en faire des bouquets que ma mère exposaient sur la terrasse. J'avais ôté ma capuche et m'approchais le plus près possible des rouleaux sonores que la mer poussait avec force. Mes cheveux mouillés battaient mon visage et je suçais le sel de quelques mèches en admirant le spectacle offert. Ayant empli mes poumons jusqu'à mon cœur de ce paysage, je rentrais à la maison, heureuse et trempée.
Mes parents et ma sœur étaient pelotonnés devant le feu, assis sur le vieux canapé un peu défoncé que nous avions récupéré chez Emmaüs. Une théière fumante trônait sur la table basse dégageant une odeur de cannelle et de gingembre. Je montais me changer et les rejoignais sous le plaid écossais, me pelotonnant contre ma sœur qui me chassa en me disant « tu sens le chien mouillé ! ». Cécile allait avoir quatorze ans cette année et il me semblait qu'elle devenait plus distante avec moi. Nous partagions toujours notre tente secrète sous les draps avant de dormir chacune dans notre chambre, mais je la trouvais plus lointaine. Elle si bavarde d'habitude, avait de longs silence énigmatiques, particulièrement en évoquant Manuel notre voisin de seize ans.
Pas du tout dépitée par ses bourrades soudaines, je proposais que l'on fasse son gâteau d'anniversaire pour le soir. Ma mère acquiesça et nous partîmes en cuisine, laissant mon père et ma sœur lire patiemment au coin de l'âtre.
Le chocolat fondait au bain-marie, et la génoise gonflait dans le four. Je faisais la vaisselle bercée par ses arômes gourmands qui affûtaient mon appétit. La pluie avait cessé et comme souvent dans la région, les nuages s'ouvraient pour laisser place aux rayons de soleil d'une fin d'après-midi encore frileuse. Par la fenêtre au-dessus de l'évier, je pouvais presque voir les anémones s'ébrouer de leur eau et redresser leurs tiges. Demain, il ferait beau ! Cette idée accrocha un sourire à mes lèvres, sachant que nous pourrions donc pique-niquer tous ensemble sur la plage, comme nous le faisions d'habitude pour Pâques. Dans mon cœur de petite fille, le souvenir de la plénitude de ces moments, planteraient à jamais des graines de bonheur et des fragrances déliceuses.
Le soir venu, après le repas pris dans la cuisine, nous avions éteint les lumières et tous rejoint le salon. Seules les braises et les bougies du gâteau de Cécile, éclairaient nos visages. Ma mère le partagea et nous offrîmes nos cadeaux. J'avais confectionné une carte d'anniversaire en collant des fleurs séchées et des brins de fils de couleur. « Je t'aime» était écrit au feutre doré. Mes parents tendirent solennellement un paquet enrubanné à ma sœur en lui souhaitant un joyeux anniversaire. J'étais fascinée par la géométrie impeccable et le long ruban au nœud parfait qui entourait son cadeau. Quand elle l'ouvrit, elle découvrit un flacon de parfum.
Mon père lui dit très sérieusement : « Cécile, tu es une femme maintenant, tu as un parfum bien à toi, que ta mère et moi avons choisi. Mais tu peux en changer si tu veux, car cette empreinte ne doit appartenir qu'à toi ! ». Cécile versa un peu du liquide sur son poignet, comme elle avait vu ma mère le faire, et l'inhala en fermant les yeux. Nous étions suspendus à ses lèvres, nous demandant tous si cela lui plairait. Elle rouvrit les yeux en souriant, vaporisa le parfum derrière ses oreilles et sur ses cheveux et remercia tout le monde en se jetant dans nos bras.
Ma sœur avait grandi, j'allais grandir aussi, et j'aurai moi aussi un jour un parfum, de sel, de mer, de terre, de vie, qui me suivrait toute ma vie. J'allai devenir une femme heureuse.